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Blogres - Page 3

  • Voici venu le temps des chameaux

    Par Pierre Béguin


    Je venais de commencer un Xième billet sur les nombreux délires de notre époque lorsque j’ai reçu sur mon mail ces mots qui circulent sur internet ou dans certains blogs, et que beaucoup doivent déjà connaître. Tout est y dit en quelques lignes qui ont rendu soudainement mes propres mots dérisoires. Je me contenterai donc aujourd’hui de recopier ces terribles mais lucides paroles attribuées - si j'en crois mon mail - au cheikh Mohammed ben Rashid Al Maktoum, fondateur de Dubaï, en réponse à une interrogation sur l’avenir de son pays :


    "- Mon grand-père a fait du chameau, mon père a fait du chameau, je roule en Mercedes, mon fils roule en Land Rover et mon petit-fils va rouler en Land Rover... Mais mon arrière-petit-fils va encore devoir faire du chameau."
    - Pourquoi cela? lui a-t-on demandé.
    - Les temps difficiles créent des hommes forts, les hommes forts créent des temps faciles. Les temps faciles créent des hommes faibles, les hommes faibles créent des temps difficiles.
    Beaucoup ne le comprendront pas, mais vous devez élever des guerriers, pas des parasites. 
    Et ajoutez à cela la réalité historique que tous les grands empires se sont levés et ont péri en 240 ans ! Les Perses, les Troyens, les Égyptiens, les Grecs, les Romains, et plus tard les Britanniques...
    Ils n'ont pas été conquis par des ennemis extérieurs, ils ont pourri de l'intérieur. 
    L’Europe a maintenant passé ce cap des 240 ans, la pourriture commence à être visible et s'accélère. Nous avons dépassé les années Mercedes et Land Rover.... 
    Les chameaux sont à l'horizon."

  • Iels sont tou.x.te.s devenu.x.e.s fou.x.olle.s

    Par Pierre Béguin

     

    Le délire de l’écriture inclusive ne concerne plus exclusivement l’université, il s’est répandu aussi vite que le Covid dans la plupart des administrations publiques, sur l’injonction d’élu.x.e.s (ne blessons personne!) qui croient ainsi se positionner à l’avant garde du progressisme et se prétendre vierges des maux (et des mots) qu’ils réfutent, simplement parce qu’ils les réfutent. Le rêve d’une grammaire non sexiste – car la grammaire traditionnelle, comme chacun le sait, est le fruit de savants mâles cisgenres affreusement misogynes – se déploie sous le signe de la libération et de la décolonisation sexuelle. Il s’agit désormais de s’exprimer de manière à assurer l’inclusion des divers types de genre humain. Les fonctionnaires, municipaux et autres, sont donc appelés à suivre une formation linguistique – et idéologique (comme dans tout bon régime totalitaire qui se respecte) – pour apprendre à utiliser la novlangue inclusive. Et tous les réfractaires sont étiquetés en tant que dissidents orthographiques ou individus non idéologiquement alignés (au sens propre). Vive Mao !

    Cette reconstruction idéologique n’épargne aucune langue, et ne craint ni le mensonge, ni le ridicule, ni l’ignorance. Ainsi, aux États-Unis, le terme latino (ou latina) est remplacé par latinx pour une meilleure inclusion symbolique et sociale des latinos non-binaires. Rien n’arrête la pathologie inclusive, et surtout pas le non sens, l’absurdité ou le mensonge : au Congrès américain, en 2021, on a demandé qu’«amen» soit complété par «a-woman» (non ! non ! je ne plaisante pas!), réduisant par-là les mots d’origine étrangère à leur sonorité en anglais.

    Le genre s’affranchissant du sexe biologique, et chacun ayant dès lors le droit à sa propre auto-identification, une kyrielle de nouveaux pronoms sont créés – ol, lo, ul, iel, ille – pour désigner les personnes non-binaires. Et comme ce mouvement vers la transidentité est frappé des étiquettes progressiste et libérateur, il doit être encouragé par tout ce qui se veut progressiste et libérateur (y aurait-il encore des ennemis du progressisme et de l’émancipation dans la salle?). Ainsi, le régime diversitaire ne saurait tolérer qu’on dise d’une femme qu’elle a ses menstruations, ce serait terriblement discriminatoire et susceptible de traumatiser une frange de la population déjà fortement fragilisée par son statut victimaire. Le planning familial recommande l’expression «personne menstruée». De même, ne dites plus «lait maternel» mais «lait humain».

    Quant à «père» ou «mère», n’y pensez même pas ! Ces vestiges de l’ordre hétéronormatif fascisant ne peuvent sortir de la bouche nauséabonde que de vieux régressistes-conservateurs de l’extrême droite. Dites «personne avec vagin» ou, pourquoi pas, «personne sans pénis», et idem mais inversement. On a le choix, la novlangue identitaire est si merveilleusement créative ! L’appareil administratif, lui, se contentera d’écrire «parent 1» et «parent 2». Bof ! On ne va pas lui demander d’être poète.

    La langue se voit donc investie de la mission de désincarner, jusque dans le moindre de ses mots, toute trace des corps sexués, considérée dorénavant comme issue d’une anthropologie aussi désuète que subversive. «Homme» et «femme» sont une violence aux personnes non-binaires et doivent donc se dissoudre dans une sorte de noman’s ou no woman’s land linguistique qui effacerait les relents de transphobie dont se repaissent les sociétés occidentales. Tout ancrage de l’identité sexuelle dans la biologie est assimilé de facto à un discours haineux, ou pour le moins à une coupable ignorance, la fluidité identitaire ne s’accordant pas avec des individus encore lamentablement prisonniers des catégories sexuelles traditionnelles (l’écrivaine J.K. Rowling, exclue de sa propre œuvre par la bien-pensance pour avoir prétendu qu’il ne suffisait pas d’un mot pour changer de sexe, en a fait cruellement l’expérience). Toute personne souffrant de dysphorie de genre se voit proposer de nouveaux protocoles grammaticaux. Ainsi, un «queer, demi-homme, non-binaire» reçoit les pronoms «Xe/xem/xyr». Le genre (gender) vient d’enfanter (eh oui!) des non-genres (a-gender) qui demandent à être reconnus comme neutres. En ce sens, le métro londonien comme certaines compagnies d’aviation ne disent plus «Madame» ou «Monsieur» pour ne pas «mégenrer» des personnes hors classement. On attend d’ailleurs toujours des TPG - Touche Pas à mon Genre, me suggère un copain - qu’ils se mettent au goût du jour ! Mais peut-être se disent-ils sagement qu’il vaut mieux patienter : dans une dizaine d’années, celles et ceux qui se réclameront d’une binarité homme-femme seront alors si incroyablement progressistes et novateurs!

    Qu’on ne se méprenne pas, je ne voudrais surtout blesser personne ! Mais il faut bien reconnaître que le grand mouvement d’émancipation menace de se transformer en une soupe indigeste d’alphabet autoparodique d’identités inventées, aux catégories aussi incompréhensibles que son charabia est déroutant. Et je crains que les administrations étatiques et communales aient mis le doigt dans un engrenage dont elles ne soupçonnent pas un instant qu’il pourrait le broyer jusqu’à la dernière phalange. On n’a pas fini de rire ! Je me demande d’ailleurs quel sketch décapant le très regretté Raymond Devos n’aurait pas manqué de faire de cette affreuse mixture.

    Ce qui est certain, c’est qu’à force de vouloir inclure toutes les identités imaginaires dans la grammaire, on finira par faire exploser la langue. Et il en ira de même avec notre société, à la grande satisfaction du régime identitaire dont c’est l’objectif avoué. Car l’inclusion, c’est en réalité l’exclusion. Et là, ce ne sont pas que des mots. N’en déplaise à ces partis politiques et à ces élu.e.s dont la sottise n’a pas de fond et qui tendent l’échine pour recevoir le fouet. Reviens, cher Raymond, iels sont tou.x.te.s devenu.x.e.s fou.x.olle.s !

    Mon collègue Frédéric Wandelère vient de m’envoyer un poème d’Edith Boissonas écrit il y presque 50 ans, mais d’une actualité brûlante. A s’y mirer, si tant est qu’elle en soit capable, notre époque délirante n’y changerait pas une virgule:

    Vivre assez longtemps pour voir changer
    Ce qui paraissait immuable
    Nous rend dangereusement étranger.
    Enfouissons-nous sous le sable.
    Autour de nous voltigent des vocables
    Inappropriés qui nous soulèvent le cœur
    Et c’est pourtant dans un même lieu inépuisable
    Du souvenir, le seul dont nous connaissons les mœurs.

    Edith Boissonnas
    Les Cahiers du chemin, no 22, octobre 1974.
    Etude, 1980, p. 41

  • La controverse des voyages de maturité

    Par Pierre Béguin

    Lundi soir, au journal de Léman bleu, deux collégiens du Collège Calvin – une fille et un garçon comme il se doit – sont venus se plaindre des obstacles administratifs qui frappent maintenant les voyages de maturité, désormais limités au seul territoire suisse.

    D’aucuns pourraient rétorquer qu’il s’agit là d’enfants gâtés qui devraient largement se satisfaire d’un beau voyage dans notre beau pays. Ce serait oublier ce que toutes et tous nous fûmes : franchir des frontières, aller voir au-delà, est une envie légitime à cet âge, et spécialement pour un voyage qui est avant tout un rituel de passage. Oublier aussi qu’il est des choses qu’on ne peut pas voir ni faire en Suisse, et que, à tout bien considérer, Paris, Munich, Milan ou même Florence ne sont guère plus éloignés (voire moins) en distance et en temps que le fin fond des Grisons. Oublier également que, pendant deux ans, les jeunes furent privés de sorties scolaires comme de divertissements. Oublier encore que des projets de voyages de maturité ont été mis sur pied avec enthousiasme et conjointement par des enseignants et des élèves, des projets qui tous se faisaient principalement en train, l’avion étant (définitivement ?) proscrit. Oublier enfin que ces projets, qui avaient obtenu le feu vert de la direction, ont été présentés à toute une volée euphorique, et que les inscriptions se sont tenues par voie électronique le premier week-end de juin…

    Juste avant que le directeur, suite à une réunion du D11 (les 11 directeurs de collèges), fasse parvenir l’information que les voyages de maturité ne seront possibles qu’en Suisse. Motif officiel: le nombre de cas de Covid est à nouveau en augmentation et les prévisions pour cet automne sont plutôt pessimistes (les voyages de maturité ont lieu en fin d’été, trois semaines après la rentrée et des vacances où chaque famille est libre d’aller où bon lui semble… mais n’ergotons pas !). Les restrictions de déplacement sont donc reconduites par le DIP, sans concertation, sans qu’aucune autorité agréée – gouvernement ou task force – n’ait donnée des directives en ce sens, et sans que l’information n’ait clairement été ventilée dans les établissements. C’est peut-être là le principal reproche qu’on peut lui faire. Cette décision a été prise, semble-t-il, le 30 mai, alors que les élèves avaient depuis longtemps imaginé et conçu leurs projets. D’où leur mécontentement légitime. Pour le reste, la menace Covid n’est ni à surestimer ni à sous-estimer, et il me semble cohérent de la part du DIP de s’en préoccuper en prenant par avance les mesures qu’il croit adéquates, ou en anticipant celles que pourraient adopter nos voisins.

    Toutefois, à titre personnel – cette opinion n’engage que moi – je pense que le Covid a bon dos. Je soupçonne le DIP d’avoir également peur de prêter le flanc à la critique en encourageant – ou simplement en autorisant – des voyages hors frontières auxquels on pourrait reprocher leur empreinte carbone, fussent-ils effectués en train. Pour dérisoire, voire absurde, que paraît cette posture, sur ce point du moins, je respecte la position du DIP. Après tout, elle est largement partagée par la jeunesse estudiantine, et il est logique – pour ne pas dire pédagogique – que cette dernière soit confrontée aux conséquences de ses choix, à plus forte raison quand lesdites conséquences limitent ses libertés.

    Je me contenterai de préciser que ma fille aînée, en section bilingue au collège Calvin mais, depuis septembre dernier et jusqu’à fin juillet, effectuant sa deuxième année dans un gymnase allemand près de Stuttgart, est partie, elle et toute sa volée, en voyage scolaire en Pologne, alors que l’Allemagne, sans même parler de mesures sanitaires extrêmement strictes, est autrement plus pointilleuse que la Suisse sur les principes écologiques et l’empreinte carbone. Le DIP ne serait-il pas plus royaliste que le Roi ? Ou plus craintif que le plus pleutre de ses courtisans?

    Mais il reste toutefois des décisions ou des prises de position que je ne lui pardonne pas. À commencer par son matraquage idéologique, au nom du Bien, en l’absence de tout recul critique et au mépris des conséquences sur le psychisme d’une jeunesse que le DIP devrait ouvrir à la complexité du monde, et qu’il ne fait que formater à sa vision la plus élémentaire. Permettre officiellement à des élèves, au mépris de règles sanitaires pourtant strictement imposées à l’intérieur des établissements, de sauter les cours afin d’aller manifester pour «sauver le climat et la planète», tout en s’enorgueillissant d’un tel engagement de notre jeunesse, fut un épisode lamentable – parmi d’autres – qui en dit long sur la gestion de ce département, et qui aurait logiquement dû entraîner quelques démissions, à commencer par celle de sa cheffe. Pour citer Thierry Godefridi*, père de Drieu: «Faut-il s’enorgueillir de ce que l’on fasse défiler des enfants ? Quand des enfants sont instrumentalisés en faveur de l’une ou l’autre cause, c’est généralement un signe de déliquescence pour l’Humanité. Que l’on se souvienne de ces défilés d’enfants dans les dictatures communistes et national-socialistes du siècle dernier (…) Il est facile de mobiliser des enfants quand on leur dit que la vie sur Terre est en voie d’irrémédiable extinction et qu’ils mourront dans les 10 à 20 prochaines années, à moins que l’on ne fasse quelque choses maintenant tout de suite avant qu’il ne soit trop tard». Et c’est exactement dans cet état d’anxiété avancé, finalement dénoncé par des psychologues britanniques, que ma fille cadette est sortie, à 13 ans à peine, d’un cours de géographie en 9e du CO où une enseignante très engagée, sur la base d’un article de La Tribune de Genève, lui avait prédit, pour ses 30 ans, au minimum huit degrés de réchauffement et l’Apocalypse. Qu’un département de l’instruction publique encourage ce genre de discours, condamne férocement toute opposition (certains enseignants ont payé très cher leur désaccord, et même leurs doutes) sans prendre en considération les dommages colatéraux d’un tel alarmisme sur le psychisme d’une jeunesse dont il a la charge, relève de la plus criminelle incompétence (les mêmes critiques pourraient d’ailleurs être formulées contre les médias dites «mainstream», à commencer par La Tribune).

    L’année prochaine, Mme Emery-Torracinta aura terminé un mandat pour lequel elle fut accueillie comme le Messie et qu’elle quittera par la toute petite porte, au grand soulagement de tous. Pour le bien, et peut-être le salut de ce département – n’en déplaise à beaucoup d’enseignants – il est à souhaiter qu’un élu de droite en ait la charge, en vertu d’un tournus devenu désormais indispensable. Les électeurs, les partis et nos futurs élus auront-ils cette sagesse ?

     

    * Ecologie et idéologie du climat, Palingénésie, décembre 2019

     

     

  • Sauver le climat!

    Par Pierre Béguin

    «Autrement dit : il faut dramatiser, inquiéter, amplifier, exagérer, faire peur, c’est-à-dire tout le contraire de penser, examiner, réfléchir, débattre. On ne pense plus, on récite ; on n’examine plus, on assène ; on ne réfléchit plus, on psalmodie ; on ne débat plus, on insulte, on excommunie, on anathémise. On ventile...»    (Michel Onfray)

    «Il va falloir rouler moins pour sauver le climat» titre les manchettes de la Julie. Je m’étonne que cette formulation «sauver le climat» ne suscite pas de réactions autour de moi. À force d’être martelés par les médias, brandis comme des étendards par des militants, répétés, sans distance critique, par Monsieur et Madame Tout le Monde qui ne font plus que bêler le catéchisme psalmodié par l’Évangile selon Saint GIEC, ces «objectifs» – «sauver le climat», «sauver la planète» – sont devenus dans notre entendement des enjeux à notre portée, parfaitement maîtrisables, pour autant que nous suivions un certains nombre de consignes et que nous acceptions un certain nombre de contraintes. Comme si nous possédions les connaissances, les formules, qui nous permettraient de contrôler le climat et la planète. «Qu’est-ce que tu fais demain ? Demain, bof ! la routine, je vais sauver le climat et puis j’irai me prendre un café croissant chez Martel». En réalité, il s’agit d’une posture totalement démiurgique dont je m’étonne qu’elle soit reléguée si simplement à hauteur d’homme. Pour qui nous prenons-nous ?! Pour des dieux?

    Il suffirait pourtant de modifier un paradigme pour que l’absurde prétention de cette formule nous saute aux yeux. Remplaçons «climat» ou «planète» par «monde» : «Papa, quand je serai grand, je veux sauver le monde ! C’est bien mon p’tit ! En attendant essaie de réussir ton année scolaire.»

    Soyons sérieux : personne ne maîtrise le climat, personne n’a la moindre idée de l’infinie complexité qui régule ses lois et ses variations. Réduire son fonctionnement, et son réchauffement, au seul CO2, au moyen de modélisations qui ont déjà fait la preuve de leur inefficience, tient de la propagande, de la religion – ou de l’hérésie scientifique, c’est selon.

    A l’école primaire, on m’a enseigné que «Groenland» voulait dire «pays vert», que les Vikings avaient probablement utilisé ce tremplin de verdure pour atteindre ce que nous appellerons plus tard l’Amérique, et que tout cela se passait dans des temps pas si éloignés du nôtre, bien après l’homme de Cro-Magnon. On m’a dit que les Pierres du Niton avaient été charriées par le glacier du Rhône qui s’étendait alors jusqu’à Lyon. Plus tard, au cours de latin, Tite-Live m’a appris qu’Hannibal et son armée, au début de la deuxième guerre punique (218 av. J.C.), avaient traversé les Alpes avec des éléphants – non pas en été mais au mois de novembre, s’il vous plaît ! – par La Tarentaise, le col du Petit Saint-Bernard ou les cols unissant la vallée de la Maurienne, on ne sait pas exactement. Qu’importe! Il a traversé. En quinze jours. Et même que durant l’Antiquité un tel périple n’était pas exceptionnel, prétendent les historiens. Essayez d’entreprendre une telle expédition, qui plus est avec des éléphants et au mois de novembre, à notre époque d’«urgence» climatique (ou de «crise» ou de «dérèglement», comme vous voudrez) qui ne nous laisse, selon les plus optimistes de nos Cassandre, que quelques décennies de sursis! Par rapport aux temps des Vikings ou d’Hannibal, il semble que nous ayons encore de la marge.

    Comprenez-moi bien ! Roulez moins en voiture, j’approuve. Diminuer au maximum nos vols en avion, j’approuve. Lutter énergiquement contre les marées de plastique, j’approuve. Manger moins de viande, même en n’étant pas un élu écologiste et même en privé, j’approuve. Supprimer le charbon et, à terme raisonnable, le pétrole et le gaz (surtout le gaz de schiste dont les E.-U. vont nous abreuver), j’approuve. Favoriser la transition énergétique – à l’exception des éoliennes qui sont une véritable catastrophe écologique – j’approuve aussi. J’approuve tout. A condition que cela se fasse dans la réflexion et dans des délais qui permettent une transition sans heurts, loin des peurs, des menaces, des religions du climat, du fanatisme dont le capitalisme vert fait actuellement son beurre. Je comprends que la principale menace pour notre civilisation (et non pour la planète qui se portera très bien même après notre passage programmé) – l’explosion démographique – nous impose des contraintes, des limitations drastiques de nos libertés, avant qu’elle ne se transforme en curée en nous dressant tous les uns contre les autres faute de ressources et de territoires (Aïe ! Voilà que je cède moi aussi au catastrophisme à la Mad Max; la contamination, que voulez-vous!) Mais de grâce, puisque la Bien-pensance nous empêche de désigner les vrais problèmes, qu’on cesse cette litanie du pire qui ne mène qu’à des décisions aussi hâtives qu’aberrantes, et qui, en finalité, ne font qu’accroître l’empreinte énergétique que nous entendons combattre ! «Je veux que vous paniquiez!» répétait Greta, l’icône marketing du nouveau marché capitaliste vert, heureusement reléguée aux oubliettes – espérons-le – définitivement. Et bien non! Assez de peurs! Assez de panique! Assez de cataclysmes! La planète en a vu bien d’autres, et des bien pires !

    Alors si nos autorités genevoises veulent nous imposer des contraintes, des limitations à nos libertés, qu’elles s’en expliquent ouvertement, sans se cacher derrière le lénifiant discours de l’urgence climatique. Comme si, dans notre minuscule parcelle de terrain, nous avions la totale compréhension et la maîtrise des lois climatiques, et la capacité d’influencer sur quoi que ce soit de la planète ou de l’univers.

    Quelle prétention ! - Je viens de recevoir un courriel de la Maison Rousseau et de la Littérature m’invitant à une conférence sur «L’approche queer de la traduction», accompagné de cette question : «Et si la théorie queer permettait la traduction de manière à échapper au déterminisme et au naturalisme ?» Non, non, non, les frères Jacques – Derrida et Lacan – ne sont pas morts ! Et la théorie genre est aussi démiurgique et délirante que la politique climatique ! Au secours ! Ils se prennent tous pour Dieu !

    Allez ! En vérité je vous le dis, un peu de mesure, un peu d’humilité, un peu de lucidité, et beaucoup de bon sens devraient suffire à notre survie. Même passé 2050…

  • De la musique avant tout chose (Jean-Jacques Busino)

    par Jean-Michel Olivier

    images.jpegJean-Jacques Busino aime le café, très noir et bien serré. Depuis Un café, une cigarette* (1993), son premier livre, on ne compte plus les personnages qui se rencontrent autour d'un petit noir. Après 11 ans d'absence, Busino nous revient avec un grand roman choral, Le Ciel se couvre**, plus proche de Cancer du Capricorne (2011) que de ses premiers polars. 

    Dans ce livre ambitieux et touffu, Busino donne la parole à un mort, Solal, dit Sol, grand manitou d'une communauté libertaire (et écolo) qui a investi les maisons d'un village abandonné. Sol vient de mourir, mais sa mort  est suspecte (assassinat ? suicide ? OD ?). images-1.jpegDésormais investi du rôle de nouveau patriarche, son fils Jésus va tenter de faire toute la lumière sur cette disparition étrange. Et son enquête, bien sûr, révélera des scandales et des secrets qui vont ébranler l'équilibre fragile de cette communauté villageoise. 

    Il y a de tout dans ce roman dense et corrosif : une source d'eau polluée par Monsanto, des idéaux écolos trahis, un comptable véreux, un gigolo, des femmes en mal d'amour et des adolescent(e)s en pleine révolte, une journaliste qui envoie à son journal des reportages édifiants, un peintre éperdument épris de son modèle, des avocats sans scrupules, des jeunes gens tentés par l'action directe — c'est-à-dire le terrorisme…

    Impossible de résumer ce roman qui est une ruche bourdonnante de voix et de visages ! On pourrait reprocher à l'auteur de trop en faire, de traiter dans son livre trop de thèmes à la fois (l'écologie, le féminisme, Monsanto, l'inertie politique, etc.). Mais cela donne une fresque saisissante du monde actuel, avec ses ombres et ses lumières, ses âmes pures et ses âmes damnées. Plus le roman avance, plus l'auteur aime à sonder la nuit, à s'y balader et à s'y perdre. Il reconstitue à merveille une petite société utopique, dystopique, comme on dit aujourd'hui, avec une humanité rare, un souffle baroque qui laisse souvent le lecteur hors d'haleine.

    images-2.jpegTous ceux (comme moi) qui avaient aimé le terrible et beau Cancer du Capricorne (2011) aimeront ce livre intense et passionné où la musique (Neil Young, Robert Fripp et King Crimson, les Pink Floyd) a toujours le dernier mot.

    « Les seuls récits qui évoquent ce que nous aurions pu être sont écrits en musique. Une succession d'accords sur lesquels se promènent des prophètes de la perfection. Le son de la guitare de David Gilmour caressee la peau et pénètres la chair sans faire de dégâts. Ses notes résonnent jusqu'à ce que nos abjectes habitudes reprennent le dessus. Quand Robert Wyatt prête sa voix aux chanssons de Pink Floyd, l'existence des anges devient une certitude. »

    * Jean-Jacques Busino, Un café, une cigarette, roman, Rivages noir, 1993.

    ** Jean-Jacques Busino, Le Ciel se couvre, BSN Press, 2022.

  • En quête du père (Metin Arditi)

    par Jean-Michel Olivier

    Unknown.jpegDans les livres de Metin Arditi, le père brille souvent par son absence. Une absence centrale, fondatrice, essentielle. Et tout s'organise, dirait-on, autour de cette figure absente, quelquefois idéalisée ou fantasmée. On se rappelle le beau Loin des bras (2009) (qui initiait le thème de l'enfant mis en pension, loin des siens), Le Turquetto (2011) et, plus récemment, Mon père sur mes épaules (2017). 

    Son dernier roman, Tu seras mon père*, reprend ce thème fondateur sous un angle original. Nous sommes ici dans l'Italie des années de plomb, celle de la Démocratie chrétienne agonisante, du « Compromis historique » et, bien sûr, des Brigades rouges. images.pngLe roman commence à Vérone en juillet 1978. Renato, le personnage principal, a sept ans. C'est l'image même de l'innocence et de la beauté. Il est le fils d'un homme qui a fait fortune dans le commerce des glaces (i gelati), Francesco Barro, et se trouve, pour cette raison (absurde) en tête de liste des cibles privilégiées des Brigadistes. Il sera enlevé, puis relâché contre rançon, mais tellement affecté par son enlèvement qu'il finira par se jeter du haut d'un pont sur l'Adige…

    images-1.jpegC'est l'amorce de ce roman vif et brillant qui, bien vite, retournera en Suisse, puisque Renato sera mis en pension dans un internat sur la côte vaudoise, près de Lutry. C'est là que Renato va faire la connaissance de Paolo Mantegazza, son professeur de théâtre, avec qui il va se lier et qui deviendra, à sa manière, un second père — un père de substitution.

    Toute la période vaudoise, à Lutry, nous vaut quelques beaux portraits et l'atmosphère, à la fois agressive et mélancolique (tous les pensionnaires ont perdu un père, une mère, un frère ou une sœur), est parfaitement rendue. Cela rappelle Loin des bras et l'on sent Arditi au plus près de ses émotions d'enfant « abandonné » dans un pensionnat privé. Cela nous vaut, également, un beau portrait de femme, Josy, une Américaine qui vient donner des cours de street dance à l'Institut, mais se sent en exil (comme tous les personnages d'Arditi, toujours un peu déracinés). 

    Certains indices troublants vont lancer Renato sur la piste du passé de ce père de substitution trop bon pour être vrai. Lors d'un séjour dans le Trentino, il compulsera les archives du journal local, interrogera un ancien journaliste, et découvrira la vérité.

    images.jpegCe pourrait être l'arrêt de mort du livre et sa conclusion : la mise au point d'une vengeance implacable de la part de Renato, floué et malheureux. Mais le roman se poursuit. La pièce de théâtre que préparent les pensionnaires — À chacun sa vérité, écrite en 1917 par Luigi Pirandello, et montée à Genève par Claude Stratz à la Comédie — est jouée, comme si de rien n'était. Et remporte un triomphe.

    Mais bientôt tout éclate et se brise. Nous sommes dix ans plus tard, en décembre 1989. Pour la seconde fois, Renato perd une figure paternelle. Ce sera l'occasion d'une renaissance (Re-nato : Re-né en français) et l'espoir d'une nouvelle vie. 

    Le roman pourrait s'arrêter là. Mais Arditi — qui n'est ni Schopenhauer ni Cioran (!) — aime les fins heureuses. Et celle qu'il nous propose, une sorte de quatuor (quelque peu improbable) sur la côte californienne, près de Stanford, est à la fois originale et astucieuse. Une manière de concilier ce qui, à première vue, paraît inconciliable. Au cœur de cette (ré)conciliation : le pardon. Et l'idée qu'un père de remplacement, malgré tous ses défauts, ses mensonges, ses erreurs passées, peut servir de tuteur à l'orphelin qui tâtonne dans le noir en quête de père. 

    Un beau roman, au rythme vif et enlevé, qui élargit la palette de Metin Arditi.

    * Metin Arditi, Tu seras mon père, roman, Grasset, 2022.

  • Un jardin en Australie

    Par Anne Brécart

    Un jardin peut être une œuvre d’art, l’œuvre d’une vie ou encore un paradis retrouvé. Le jardin dont il est question dans le roman de Sylvie Tanette est un endroit très particulier : c’est le lieu mythique que les morts ne quittent pas. 
    Deux femmes de deux générations différentes se succèdent dans ce jardin situé dans les territoires du nord, face à l’immensité sèche et poudreuse du désert australien. L’une est morte et observe la vivante qui, venue de France, s’approprie peu à peu ce domaine recouvert de poussière rouge. Depuis le porche de sa maison, Anne, l’ancienne propriétaire, suit du regard la jeune femme, Valérie, qui vient d’acheter sa maison. Valérie est tombée amoureuse de cet endroit improbable à la lisière du désert. Cette terre ingrate, sèche en été et boueuse à la saison des pluies est celle des aborigènes mais aussi celle des colons venus d’Irlande ou d’Angleterre. 
    Dans les années 1930, Ann la morte a rêvé de transformer ce pays aride en jardin d’Eden où pousseraient des orangers mais le lieu et le climat ont été plus forts qu’elle et ont eu raison de ses aspirations qu’elle qualifie elle-même d’absurdes. Elle payera chèrement son obstination et sa vision utopique. 
    Valérie la vivante a une petite fille qui ne parle pas alors qu’elle a largement dépassé l’âge des premiers balbutiements. Les visites au psy sont l’occasion, pour le lecteur, de découvrir l’histoire familiale de Valérie qui, bien qu’elle vienne de France, semble mieux comprendre ce pays que ne l’a fait sa prédécesseuse. Au lieu de lui imposer un rêve venu d’un autre continent elle essaie, au contraire, de valoriser l’esprit des lieux notamment à travers son travail qui consiste à organiser un festival d’art dans la petite ville provinciale de Salinasburg. 
    Ces deux femmes que le temps sépare sont néanmoins engagées dans une relation salvatrice où chacune de manière paradoxale aide l’autre. C’est ce dialogue silencieux et improbable qui fait la poésie de ce roman. Ainsi la morte observe les allées et venues de Valérie la vivante autour de la maison. Elle apprécie les efforts déployés pour retrouver le jardin enfoui sous la terre rouge. Et ce sera grâce à Ann et à son journal caché dans la petite maison en bois que l’enfant mutique retrouvera la parole. 
    La question de la transmission, du passage de témoin entre les deux femmes qui ont toutes deux fui leur famille traverse le récit. Comment peut-on transmettre la révolte, la soif de nouveauté puisque justement ces aspirations se développent loin de tout héritage ? Ce n’est pas par hasard qu’Ann la morte adopte Valérie et la laisse s’installer dans son ancien domaine. Elles sont de la même trempe, ayant fui leur milieu d’origine en quête d’un monde nouveau elles sont prêtes à se construire loin de tout déterminisme. 

    Sylvie Tanette, Un jardin en Australie, Editions Grasset 2019

  • Noir, c'est noir (Hervé Lochmatter)

    par Jean-Michel Olivier

    images.jpegRoman ou récit de vie ? Le doute subsiste jusqu'à la fin du livre qui raconte, en 15 brefs chapitres, la descente aux enfers, puis la longue quête de lumière du narrateur. Cela s'appelle Le Fossé*. Son auteur, Hervé Lochmatter, a longtemps œuvré dans le domaine culturel, écrit des pièces de théâtre et organisé des rencontres et des événements. 

    La couverture, détail d'un tableau du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich, indique assez la tonalité du livre : noir, c'est noir. Et pourtant, comme les flocons de neige évoqués par Friedrich, dans ce noir une lueur apparaît : un espoir de lumière — de salut.

    Le narrateur du Fossé vit en marge de la société, à Sion, dans une misère noire. Il nous raconte son quotidien, quelquefois dramatique, sa solitude et les difficultés qui s'accumulent au fil des jours. Il le fait dans un style à la fois réaliste et empreint d'autodérision (l'humour est une planche de salut). C'est cette force, précisément, qui va l'aider à sortir du fossé dans lequel la vie l'a jeté et maintenu. 

    Commence alors une manière d'exorcisme : la narrateur va frapper à plusieurs portes (médecins, psys) qui lui apporteront peu de soutien et d'empathie. Le récit devient alors labyrinthique : pris au piège de la vie, le narrateur cherche en vain une issue.

    Il la trouvera pourtant, une nuit d'orage, en pratiquant une sorte de magie blanche, en sortant du fossé où il croupit. Le mauvais sort sera levé. Et il verra enfin le bout de ses malheurs : comme Thésée, il est sorti du labyrinthe et a vaincu le Minotaure. . 

    D'une écriture soignée, ce récit de vie, qui s'apparente à une autofiction, surprend et séduit le lecteur. 

    Hervé Lochmatter, Le Fossé, éditions de l'Aire, 2022.

  • Le DIP: bagatelle pour un massacre

    Par Pierre Béguin

    Au DIP, on n’en finit pas de compter les burn out! A la tête, et même dans le ventre (très) mou, de la Direction générale, et à celle des collèges tout spécialement, mais il paraîtrait que l’épidémie toucherait même les directions d’école primaire, c’est vous dire! A ce jeu de massacre, la palme semble revenir au Collège de Staël où il ne fait décidément pas bon être directrice (les directeurs semblaient mieux s’en tirer, mais c’était le temps d’avant…).

    Bon! Comme tout le monde semble faire une bagatelle de ce massacre, je ne me risquerai pas à en interroger les causes. Après tout, celui ou celle qui tombe au champ de bataille est aussitôt remplacé, et là – croyez-moi – c’est «dépannage et copinage». Tant pis pour les compétences et les finances du département! Comme disait Figaro dans son lamento, à propos d’une place qu’il convoitait: «Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint» (Le Mariage de Figaro, Acte V, sc.III).

    Mais au DIP, il n’y a pas que les personnes qui passent et trépassent. L’année dernière vit la suppression du choix latin – grec, qui entraînera, dans les prochaines années, la mort annoncée du grec au collège, et celle, un peu plus tard, du latin. En couple, ils pouvaient encore espérer résister. Séparés, ils n’ont plus aucune chance.

    Cette année, c’est au tour de l’allemand en Option Spécifique d’agoniser. L’allemand! Diantre, c’est du sérieux. Comment en est-on arrivé là?

    Il faut remonter au budget 2020 dans le cadre duquel aucun nouveau poste d’enseignant n’avait été accordé lors même que, dans le même temps, les élèves voyaient leurs effectifs augmenter considérablement. Des mesures d’économie structurelle s’imposaient en urgence. Dans les collèges, outre une réduction drastique des cours facultatifs, les restrictions sonnaient le glas du «tout partout» (toutes les options dans chaque collège, ou presque). Le regroupement des options spécifiques entre les établissements et la suppression des OA (options d’approfondissement) et des OSS (options spécifiques supplémentaires) ont grandement contribué à ces économies. Sauf que, lorsqu’on calcule «hors sol», loin des réalités du terrain, souvent, on se trompe: le DIP partait du principe que l’offre des OSS ne concernait que 4 ou 5 élèves, et donc que leur suppression n’aurait que peu d’effet sur les OS. Or, souvent, c’était exactement le contraire qui se passait: les OSS venaient renforcer les effectifs des OS langue, permettant ainsi l’ouverture d’un cours. Ainsi, dans la dernière volée qui a connu des OSS langue, 3 ou 4 élèves seulement avaient opté pour l’OS allemand, contre une soixantaine pour l’OSS allemand, rendant possible l’ouverture de plusieurs cours unifiés d’allemand en OS + OSS.

    Cette erreur d’appréciation a eu pour conséquence que, dès la suppression de l’OSS allemand, les effectifs ont chuté au point qu’il a fallu concentrer l’OS allemand dans un seul collège, en l’occurrence le collège Voltaire. Cette année, pour la première fois, cet effectif est si faible qu’il ne semble même plus possible d’ouvrir ne serait-ce qu’un cours d’OS allemand dans l’unique collège (Voltaire) où cela est encore possible.

    Certes, il fallait faire des économies, mais je rappellerai tout de même que, durant ces années où l’on a supprimé des cours OSS (fréquentés donc par des élèves très motivés), le DIP a tout de même trouvé l’argent pour accorder, dans chaque établissement du secondaire, des heures à une représentante genre, nommée pudiquement "responsable égalité". Et ne venez pas me dire qu’une représentante genre dans chaque établissement est plus importante que l’ouverture d’un cours d’OS ou d’OSS! Ou alors je ne comprends plus rien à la mission prioritaire qui incombe au DIP. (Non! Non! Je ne parlerai pas ici des 650 millions annuels que le Conseil d’État sort d’on ne sait où pour lutter contre le réchauffement climatique).

    Après le grec et le latin, l’allemand. A qui le tour? Bon! Avec le DIP – comme dirait le Petit Nicolas –, on ne sait jamais vraiment où ça commence et où ça finit parce qu’en réalité ça ne fait que continuer. Preuve en est la votation à venir sur la énième réformette du Cycle d’Orientation. A ce sujet, je me contenterai de citer ce que j’écrivais ici même dans Blogres il y a une année, tout en soulignant ce que personne n’ose avouer, à savoir que les réformes structurelles au cycle d’orientation font partie intégrante des mesures d’économie entreprises il y a deux ans – réformes qu’on cherche à faire reluire en les habillant d’atours soi-disant pédagogiques –, l’homogénéité, structurellement, coûtant moins chère que l’hétérogénéité:

    «Le projet visant à supprimer les regroupements par niveau au cycle d’orientation relève de cette tendance absurde à pousser encore plus loin, avec une foi de charbonnier, une logique qui s’est montrée jusque là inefficace à remplir les objectifs qu’on lui avait assignés. D’une structure à quatre sections, latine, scientifique, générale, pratique, – instituée à l’origine du Cycle par le chantre de la démocratisation des études, André Chavanne –, nous voici donc arrivés, à coups de réformes successives consistant à éroder toujours plus la rigueur des sections, et toujours sous l’éternel motif que le système en cours ne fait que renforcer les inégalités, à un système de quasi mixité. «Quasi», car on conserve tout de même, comme si on ne pouvait pas se résoudre à supprimer toutes traces du système originel (preuve qu’on y croit encore, malgré tout), des cours à niveaux dans les deux disciplines qui, justement, posent le plus de problèmes, le français et les mathématiques.

    Pas besoin d’être Jérémie ou Cassandre pour prédire que, dans une décennie, la nouvelle conseillère d’État en charge du DIP (socialiste, cela va de soi) parviendra, avec cette réformette, énième réplique des précédentes, au même constat que Mme Torracinta: ces nouvelles mesures se révèlent non seulement inefficaces à gommer les inégalités, mais elles les renforcent (ce qu’on ne dira pas, en revanche, c’est que la situation s’est encore détériorée entre temps). Il lui restera alors à aller, cette fois, jusqu’au fin bout de la logique et à éradiquer les derniers vestiges d’hétérogénéité que sa collègue d’aujourd’hui n’a pas osé supprimer. Pour s’apercevoir, inévitablement, une dizaine d’années plus tard (nous serons alors dans les années 2040, et moi je serai certainement mort), que l’instauration de la mixité totale dans les classes a complètement échoué à satisfaire les objectifs de lutte contre les inégalités scolaires. On décrétera alors la mort clinique du cycle d’orientation, prétextant sur un ton jubilatoire qu’après 80 ans d’existence, il a fait son temps. Et l’on donnera naissance à une autre structure «miraculeuse», investie des mêmes missions délirantes et soumise au même destin. C’est écrit, comme chante l’autre, et je m’étonne qu’il se trouve des gens sérieux pour croire que ce genre de réformes puissent aboutir à un autre scénario (le croient-ils vraiment?).

    Mais on ne dira pas que cette lutte entêtée contre toute forme d’hétérogénéité, devenue une sorte de religion, non seulement a été un échec, mais a aussi détruit le système. D’autant plus que le seul argument – ou l’unique profession de foi – du DIP se limite à brandir le sempiternel postulat idiot, attesté bien entendu par des études dites «scientifiques», que les deux ou trois têtes pensantes de la classe vont naturellement tirer tous les autres vers le haut, comme si un bon élève, par la seule puissance de son comportement et de ses bons résultats, pouvait réussir là où les enseignants et le département ont échoué. Ça se passe peut-être ainsi chez les Bisounours ou dans le merveilleux microcosme de la recherche pédagogique, mais pas dans le monde réel. Quiconque possède un brin d’expérience, ou même un peu de bon sens, sait que, le plus souvent, c’est exactement le contraire qui se produit. Mais «c’est le sort ordinaire de la raison humaine, dans la spéculation, de construire son édifice en toute hâte, et de ne songer que plus tard à s’assurer si les fondements sont solides» (E. Kant).

    Eh oui! On ne se refait pas: être socialiste, c’est croire, même dans la soixantaine, en dépit de l’expérience, que la réalité va se plier avec complaisance aux idéologies, parfois stupides, qu’on veut lui imposer contre nature; par exemple, croire qu’un système scolaire peut gommer toutes les inégalités. Et dans quel but, d’ailleurs, si ce n’est pour satisfaire à la sotte idéologie de l’égalitarisme?

    Ce que je constate, entre mai 2020 et mai 2022, c’est que les changements instaurés par le DIP vont tous dans le sens d’une détérioration des conditions d’étude pour les élèves les plus motivés. Les classes mixtes systématisées se feront elles aussi aux dépens des élèves – et il y en a, croyez-moi – qui demandent légitimement des conditions d’enseignement à la hauteur de l’investissement qu’ils sont prêts à accorder à leurs études. Des conditions qu’ils ne trouveront pas dans une classe où les trois quarts de l’effectif ne sont guère motivés. De quoi décourager ceux-là même dont on attend qu’ils motivent les autres!

    Faute de pouvoir élever la base, on se contente donc de couper les têtes qui ont l’ignoble prétention de s’élever au-dessus de la moyenne. Tout au plus, leur accorde-t-on, dans la nouvelle réforme, la possibilité d’effectuer le cursus du CO en deux ans au lieu de trois, preuve indiscutable, par ailleurs, que le DIP reconnaît, dans le même temps, que cette réforme pourrait placer les bons élèves dans une galère qu’il serait malsain de prolonger inutilement. Mais alors comment prétendre que les plus motivés vont tirer les autres vers le haut, tout en leur donnant la possibilité d’abréger leur souffrance… pardon! leur cursus? Quelqu’un pourrait-il m’expliquer la logique?»

    J’avance cette hypothèse mesquine en guise de réponse: «Sauf à penser qu’abréger le cursus scolaire pour un certain nombre d’élèves, c’est autant d’économiser sur l’enseignement, et autant à reporter sur les dérives idéologiques en vogue, wokisme ou genre, de nos jours politiquement bien plus «porteurs» qu’un vulgaire cours d’option spécifique allemand, fréquenté qui plus est par des élèves motivés...»

    Après tout, les bons élèves, s’ils ne sont pas contents, n’ont qu’à aller dans le privé. Quelles économies en perspective!