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Blogres - Page 31

  • bambiland

    antonin moeri

     

    Me souviens du malaise éprouvé lorsque je voyais à la télé les images de missiles lancés depuis les navires de guerre, le résultat des terribles explosions, les véhicules blindés de l’armée américaine fonçant dans le désert, les carcasses de camions irakiens qu’on venait de napalmiser avec des cris de joie... nausée aggravée lorsque je voyais les speakers, tout feu tout flamme (si j’ose dire), nous apprendre avec des airs de grands connaisseurs le prix et la composition chimique des Tomahawks, nous montrer les engins en gros plans, nous expliquer l’importance de cette mission civilisatrice: non seulement renverser un horrible tyran sanguinaire et paranoïaque, mais contribuer à l’édification des masses en amenant dans ce pays-là ce que les journalistes formatés ne cessent d’invoquer avec des trémolos de grenouilles agenouillées: la Démocratie. C’est ce malaise que met en mots Jelinek dans «Bambiland»: comment une guerre est perçue sous nos latitudes, comment elle est interprétée et assimilée dans nos exemplaires démocrarties occidentales.

    En vérité, c’est le comportement du consommateur devant son écran (télé, ordi ou smart), cette passivité d’un sujet qui se rince l’oeil en fixant la trajectoire festive des Tomahawks, en voyant Bagdad brûler, en admirant le bon boulot effectué par les soldats de leurs majestés Bush, Rumsfeld, Cheney etc, à la fois mangeurs de pognon et seuls bergers à connaître Dieu, à connaître le Bien, à connaître le véritable Père..., ce sont ce comportement et cette passivité qui sont interrogés dans une «trame oscillante où le fondu enchaîné semble être la règle», trame conçue pour le théâtre. Mais qui parle dans ce fleuve verbal imaginé après lecture de la tragédie «Les Perses» d’Eschyle?

    Il y a un NOUS qui pourrait être celui d’une majorité bien pensante, qui pourrait représenter les Occidentaux ou les soldats américains dans leurs blindés ou les experts en géopolitique habitués des plateaux télé... Il y a un JE qui pourrait représenter un téléspectateur ou l’auteure assise sur un canapé, maniant la télécommande et prenant des notes, ou une journaliste de CNN qui est aux premières lignes pour faire vibrer le quidam européen désormais conscient que cette guerre est juste, qu’elle est voulue par Dieu..., notre Dieu à tous; ou un militant du mouvement pour la paix, «premier messager de la souffrance qui entend dévoiler toute l’étendue du désastre», ou un retraité qui tente, devant son p’tit écran, de saisir... de comprendre... de savoir..., ou un opposant au régime qui veut «précipiter dans la poussière l’immensité de la richesse de Saddam», ou un crâne rasé texan pressant sur le champignon de l’emblématique Humvee, ou l’ingénieur qui mit au point le BGU-28, la bombe perceuse de bunkers, ou une femme musulmane (voilée de noir) qui voudrait voir la couleur des pétro-dollars mais qui ne peut que crier et se lamenter hors-champ.

    C’est bien la croisade menée contre les musulmans d’Irak par l’inénarrable Bush Junior élu de Dieu (qui lui a ordonné d’écraser Saddam et ses troupes), c’est bien cette croisade aux accents fondamentalistes que Jelinek questionne, un fondamentalisme qui, sous couvert de défense des valeurs morales, cache des objectifs implacables, des intérêts très précis... Dans le registre grave et sérieux, l’exercice tournerait au pensum. En jouant avec les mots qui se téléscopent et les phrases dont nous perdons la trace de l’énonciateur, l’auteur s’amuse à mimer l’éternelle logorrhée qui nous assaille dès qu’on allume une radio ou une télé, logorrhée pourtant calibrée où les barbares sont clairement désignés: «nègres des sables, assassins et violeurs», «engeance satanique qui ignore la civilisation», monstres qui brandissent un drapeau blanc avant de tirer sur le brave guerrier blond ou latino.

    En explorant, en décortiquant la rhétorique des communicants et en imbriquant des bribes de cette logorrhée dans un texte inclassable, Jelinek poursuit le travail entrepris par un autre contempteur des discours avilis, des jargons techniques, journalistiques, scientifiques..., satiriste hors pair que le mauvais usage de la langue inquiétait au plus haut point et qui montra, avec une rare vitalité subversive, comment on peut se servir du verbe (et aujourd’hui des images) pour maintenir les foules dans un état d’enfance, pour les rendre dociles..., satiriste qui montra dans une pièce de théâtre comment la presse libérale autrichienne de l’époque instilla dans les esprits l’idée que la guerre était inéluctable. Jelinek se reconnaît dans la critique du langage de Karl Kraus (1874-1936).

    Elfriede Jelinek: Bambiland, éditions Jacqueline Chambon, 2006

  • Sur une image (Jacques Pugin)

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    Ouvrons les yeux : la nature, comme le disait Baudelaire, n’est pas seulement ce temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles. C’est d’abord un théâtre avec ses tréteaux, ses chausse-trappes et ses jeux de lumière, sa mise en scène et ses masques. 

    Comme théâtre, Jacques Pugin a choisi la montagne — le plus grandiose des théâtres. 

    Le photographe est un chasseur d’image, un arpenteur, un randonneur. Il recherche une scène primitive : un décor à la beauté sauvage qu’aucun acteur n’aurait encore habité. Nous sommes ici juste après le lever du rideau : le plateau est nu, le silence est profond, pas âme qui vive dans ce cirque de glace. Au premier plan, des draperies qui pourraient être des suaires, ou des fantômes : si la chair dépliée est sans secrets, la montagne, sur cette image, exhibe ses plaies et ses cicatrices, ses failles et ses séracs, comme les reliefs d’une catastrophe. 

    En même temps, ce drapé somptueux laisse entrevoir un coin de ciel délavé, et l’ombre d’une montagne qui surveille toute la scène.

    Il y a, dans cette image, comme dans toutes les photographies de Jacques Pugin, une scénographie très étudiée : le jeu des couleurs, les plis et replis de la glace, le drapé des montagnes. Tout renvoie, ici, à un théâtre d’avant les hommes et d’avant la parole. La pièce n’est pas écrite (ou peut-être est-elle déjà jouée). 

    La montagne est sacrée. Si l’homme n’est qu’un accident de l’Histoire, elle conserve, dans ses plis, la mémoire des remous du passé. Glissements, replis, fonte inopinée des neiges. Nouvelle glaciation. Qui est le maître d’œuvre ? Quel est le plan final ? Le temps de la nature n’est pas celui des hommes. C’est un temps long qui, aujourd’hui, s’affole et s’accélère, alors que la planète s’épuise en gesticulations. 

    Au fil des jours et au hasard des randonnées, le photographe recueille des images, les creuse, les interroge, les modifie parfois pour en extraire le sens. Le paradoxe de ces images dépouillées, où l’homme n’a pas sa place, c’est qu’elles nous parlent et nous regardent. Que recèlent ces plis, ces draps gelés, ces ombres grises ? Qui se cache sous cet effondrement ? 

    Quel cri est prisonnier des glaces ?

    Seul le silence répond à nos questions.

    Jean-Michel Olivier

    @ photo de Jacques Pugin

  • André Wyss à la Compagnie des Mots

     
     

    La Compagnie des Mots

     

    accueillera le professeur André Wyss  

    Mardi 7 mars 2017  

    au Box de l'Auberge du Cheval Blanc, dès 18h15 jusqu'à 20h environ.

     

     

     

    Né à Saint-Ursanne au bord du Doubs, auteur-compositeur-interprète dans sa jeunesse, formé aux Universités de Genève et de Strasbourg (thèse de doctorat publiée sous le titre Jean-Jacques Rousseau, l’Accent de l’écriture, La Baconnière, 1988), professeur honoraire de littérature française à l’Université de Lausanne, André Wyss est président de l’Université des seniors de Genève. Historien de la langue, à la fois proustien et perecquien, mais attiré par la poésie, notamment celle qui s’écrit depuis Baudelaire, il est surtout mélomane professionnel et s’est de la sorte fait une spécialité des rapports entre la musique et le texte dans les œuvres musicales ( Eloge du Phrasé, PUF, 1999 – Prix des Muses et Prix Meylan 2000) et, plus généralement, des rapports entre musique et littérature ( L’Offrande littéraire, à paraître). Il préside depuis douze ans le jury du Prix Michel-Dentan.  

    Cette soirée sera particulière : André Wyss tiendra une conférence sur le Prix Michel-Dentan. L'auditoire aura ensuite l'opportunité de lui poser directement des questions.

     

     

  • Qui parle ?

    par antonin moeri

     

    Quand un personnage prend la parole sur une scène de théâtre, le spectateur peut plus ou moins savoir de qui il s’agit. C’est un homme, une femme, un enfant, un black, un noble, un prolo, un fiancé, un écrivain professionnel etc. Le personnage est parfois nommé et on peut même savoir s’il est séduisant, s’il dirige une entreprise ou s’il est hospitalisé. Dans les textes de Jelinek, c’est beaucoup plus volatil. On ne sait pas vraiment qui prend la parole. D’ailleurs, c’est en se demandant qui est l’énonciateur qu’on comprend mieux le sens des phrases, des paragraphes, des monologues.

    Prenons WINTERREISE. Une femme dit: «N’y a-t-il pas aujourd’hui un vernissage ou une lecture d’auteur?» Ah, se dit le lecteur, c’est Jelinek, l’auteur de LUST, qui prend la parole. «L’attelage qui accompagne ma dépouille...» Zut! Et voilà que l’écrivain, après avoir mis en scène son corps mort, évoque un souvenir d’enfance... Dans le monologue suivant, un NOUS prend la parole, un NOUS de consensus (les mous salauds chers à Marc-Edouard Nabe)...

    Ce pourrait être un genre d’ouvrier, de plombier, d’employé n’aimant pas voir à la télé la petite Natacha Kampusch qui n’a rien fait de sa vie et dont on fait une star parce qu’elle a été séquestrée par un horrible monstre... Le locuteur genre homme de la base voudrait que la télé s’occupe aussi de lui, lui qui fait du sport, de la muscule, des pompes, des redressements assis, qui va skier dès qu’il y a de la neige dans les Alpes, qui paie ses impôts etc...

    Alors pourquoi cette gamine qui n’a rien foutu pour mériter toute cette gloire, pourquoi a-t-elle tant de succès... Est-ce qu’elle pense que c’est tellement intéressant pour les gens de la voir chialer à l’écran ou y aligner des balivernes? «Pourquoi nous impose-t-elle son image, cette gamine? Qu’elle retourne dans son cloaque! - Nous avons recherché auprès d’elle la distraction, nous nous sommes pourléchés à son destin comme les bêtes avec le sel, mais ça n’a pas beaucoup d’intérêt - Chez nous, il se passe toujours quelque chose - Nous sommes à la maison, ici on est chez nous».

    C’est un NOUS du même acabit qui reprendra la parole dans le monologue suivant. Cette fois, il est tatoué. Il travaille... Il a l’air de déblayer un tunnel où un accident s’est produit dans les Alpes... Il y a des morts... Des étrangers, de ceux qui viennent de partout et en nombre pour dévaler les pentes en combinaison fluo. «Le sport de masse qui remplit nos chambres et nos lits». Le discours de cet homme tatoué est celui des promoteurs, des gérants de restaurants, des employés des remontées mécaniques, des zommes politiques, de tous ceux qui ont besoin de ces étrangers en combinaison fluo pour... On connaît la chanson!

    Ce qui fascine chez EJ, c’est son habileté à entrer dans le foyer de perception de l’homme de base, dans le joli cerveau du petit blanc raciste, peureux, égoïste, homophobe qui fait de plus en plus entendre sa voix dans les provinces reculées de la bonne vieille Europe.

     

    Elfriede Jelinek: Winterreise, Seuil, 2012

  • Soft Goulag

    Par Alain Bagnoud

     

    Soft GoulagUn roman d'anticipation subit plus que d'autres le jugement du temps. Va-t-il se démoder ? Devenir obsolète et rigolo ? Une relecture quelques années plus tard est souvent cruelle pour ce genre de textes.

     

    Eh bien, rien de tout ça avec Soft Goulag d'Yves Velan, qui a été publié pour la première fois en 1977, et que Zoé fait aujourd'hui reparaître en poche. Parce que le monde lobotomisé, monosémique et codifié qu'il décrit, c'est le cauchemar de notre présent. Parce que, aussi, Velan a créé une forme nouvelle et l'a fait correspondre parfaitement avec le contenu de son roman. Le tour de force est là : le langage du livre en révèle autant que les faits relatés.C'est à part, homogène, autonome, parfaitement maîtrisé – et singulièrement inquiétant.

     

    On ne connaît plus beaucoup Yves Velan de nos jours. Né à Saint Quentin, dans l'Aisne, le 29 août 1925, il habite à la Chaux-de-Fonds, où il a enseigné après un séjour de treize ans à l'Université d'Urbana, dans l'Illinois, aux Etats-Unis. Un drame personnel l'a fait se retirer il y a des années de la vie publique. Avant cela, pourtant, il était connu comme un écrivain majeur. Son œuvre exigeante se dégage de la facilité et du parasite pour définir le fait littéraire, son rôle et son inscription dans la morale et la politique.

     

    Il a publié trois romans d'une haute densité, qui interrogent de manière différente la notion de rupture. Je (Seuil 1959 et L'Age d'Homme, Poche suisse, 1991) pousse aux limites la fameuse introspection romande et protestante. Le héros est un pasteur hanté par le doute, à la croisée de discours politiques et religieux. La Statue de Condillac retouchée (Seuil 1973) est une machine littéraire où l'écriture se confronte à l'engagement, au corps, à la psychanalyse. Soft Goulag enfin (Bertil Galland, 1977, réédité par Zoé en 1989 et aujourd'hui) se présente comme un récit de science-fiction, pas innocent du tout, pour lequel Velan s'est servi amplement de sa longue expérience des Etats-Unis.

     

    Situé en Amérique du Nord, le livre dénonce, avec une économie de langue où l'absence de littéraire donne par contraste un vertige démonstratif, la réduction de tout à une signification unique, qui rend les hommes contrôlables. Comportements normés, sexualité castrée, langage monosémique, humour convenu, manipulation de la classe moyenne par des puissants, abolition des différences : le goulag mou. Tous vivent de la même manière, avec les mêmes références aculturées fournies par les écrans, contrôlés par une dette qui les rend coupables. Il y a pourtant un grand événement dans ces vies ternes : un tirage au sort qui donne à certains d'entre eux le droit de procréer.

     

    Soft GoulagSoft Goulag se présente comme une thèse sur le droit de naissance. Un thésard plein de doutes raconte une journée d'un couple qui gagne le droit de naissance. Ils deviennent les héros du jour. Mais le piège se referme sur eux…

     

    Signalons encore que l'oeuvre de Velan ne s'arrête pas là. Travailleur acharné, qui passe des années sur un roman, l'écrivain détient encore un texte dont des extraits ont paru dans des revues (Ecriture, Revue de Belles-Lettres, Europe…) : L'Energumène et son double. C'est avec lui que se terminera sa geste romanesque, composée de quatre livres, tous très différents, tous habités par une exploration de l'identité, de la présence au monde, du politique, où la question de la forme est centrale.

     

     

  • Fillon-DSK : même combat ?

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    par Jean-Michel Olivier

    L'affaire Fillon ne vous rappelle rien ? Allons, cherchez, vous y êtes presque…

    Mais, bon sang, c'est bien sûr ! comme disait le brave commissaire Bourrel. Il y a 6 ans, presque jour pour jour… L'affaire DSK !

    L'analogie es troublante : deux candidats à la présidence de la République française — largement favoris — flingués en plein vol par les médias (en attendant le verdict de la Justice). Le premier pour « agression sexuelle, viol, séquestration » ; le second parce qu'il a accordé, pendant des années, un emploi fictif à son épouse, la bien-nommée Pénélope (près d'un million d'euros tout de même !). Dans les deux cas, la Justice s'en mêle. Mais trop tard : les hommes ont déjà été lynchés publiquement par les médias. Ils sont morts tous les deux — symboliquement, politiquement.

    On comprend mieux, avec le temps, les contours du complot dont les deux hommes ont été victimes : il s'agissait d'écarter deux candidats gênants de l'élection présidentielle. Mission accomplie. Peu importe d'où vient le coup (Sarkozy ? Juppé ? Dati ? Macron ?) Seul compte le résultat.

    images-2.jpegL'affaire DSK a constitué un véritable feuilleton à suspense pour la presse française (et étrangère). Une aubaine. Un miracle. Jour après jour, on a fouillé la vie (pas très nette) de l'homme politique. Des « victimes » ont sauté sur l'occasion pour se payer un quart d'heure de notoriété. On a poursuivi l'homme. On l'a traqué, cerné, puis lapidé sur la place publique. Il ne s'en remettra pas.

    En octobre 2011, la Justice américaine rendait son verdict. Comme on sait, DSK a été blanchi de toutes les accusations portées contre lui. Lynché, mais innocent.

    images-5.jpegIl risque bien de se passer la même chose pour François Fillon. tout le monde, en France comme ailleurs, attend le verdict de la Justice. Mais le mal est fait. D'autant que l'«inculpé» s'est très mal défendu. Et il est difficile, en effet, de demander des sacrifices à ses compatriotes (dont plus de 15% sont au chômage) tout en rétribuant grassement sa femme et ses enfants pour un travail qu'ils n'ont jamais effectué ! 

    La morale de la fable, c'est que la presse est toute puissante (c'est-à-dire plus forte que la Justice). C'est elle qui aiguille nos choix, élimine tel ou tel candidat gênant, influence nos décisions. Tout cela sent la cabale, bien sûr. Mais quelle efficacité ! Innocent ou coupable, personne ne s'en relève. 

  • Quentin Mouron à la Compagnie des Mots

    La Compagnie des Mots est très heureuse d’accueillir Quentin Mouron 
     
     le 7 février 2017
    dès 18h30 et jusqu'à 20h environ
    à l'Auberge du Cheval Blanc, à Carouge
    Quentin Mouron, né le 29 juillet 1989 à Lausanne, est un écrivain canado-suisse. Son enfance est partagée entre l'Europe et l'Amérique jusqu'à ses vingt ans. Il publie en 2011 son premier roman, "Au point d'effusion des égouts", qui connaît un grand succès en Suisse romande. Son deuxième livre, "Notre-Dame-de-la-Merci", paraît en France, au Québec et en Belgique. Quentin Mouron suit actuellement des études de lettres à l'Université de Lausanne. L'âge de l'héroïne, son cinquième roman, est paru en 2016 (La Grande Ourse).

    Franck, dandy sur le retour, détective à ses heures, bibliophile, collectionneur de livres anciens, est chargé de retrouver une cargaison de drogue volée. Son enquête le mène jusqu’à Toponah, petite ville américaine située dans l’État du Nevada. Sur sa route se dresse Léah, adolescente mystérieuse tenant autant de la gueule cassée que de l’héroïne cornélienne. Parmi les existences ployées et amoindries, la jeune femme scintille, détonne; elle incarne quelque chose que Franck ose enfin nommer la vie.
    Chères et Chers,

    "Bonne anneille" !

    Une première soirée animée par Pierre Béguin et Elodie Perrelet - dont on salue la première intervention !
    Ils seront accompagnés par Marc Berman, à l'accordéon.

    Du polar pour ouvrir l'année, oui. Nous sommes impatients de rencontrer ce jeune auteur romand talentueux, aux influences canadiennes : a-t-il encore l'accent ? Donc du polar ; mais ce sera pour mieux amener la rencontre de mars prochain avec André Wyss. Comme pour ouvrir un nouveau cycle...

    Je me réjouis de vous y voir,
    Doina
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  • Un thriller envoûtant (Catherine Fuchs)

    par Jean-Michel Olivier

    images-2.jpegJ'étais un peu inquiet en commençant le dernier livre de Catherine Fuchs, La Tête dans le sable*. Il s'agit en effet d'un roman « engagé » dont le personnage principal, Carmen Berger, travaille dans une ONG qui est bien résolue à dénoncer les méfaits d'une puissante multinationale exploitant sans scrupule le cuivre d'un petit pays d'Afrique, le Zamanga. Je craignais le déluge des bons sentiments et l'inévitable auto-flagellation finale qui accompagne bien souvent ce genre de livre (les écrivains romands ont la culpabilité rivée à l'âme et au corps).

    images-3.jpegMais pas du tout ! Même si ses personnages sont un brin convenus (Carmen est le type de la femme divorcée de cinquante ans, aigrie, avec deux enfants ingérables, un ex courant le guilledou avec une jeunette, roulant à vélo et toute dévouée à sauver la planète ; son prétendant, quant à lui, roule en Mercedes, joue au golf et au tennis et possède un hors-bord!), l'auteur nous entraîne dans une sorte de roman d'espionnage extrêmement bien ficelé. Écrit sous la forme d'un journal intime, le roman est enrichi de témoignages pris à vif sur le terrain, témoignages qui sont autant de preuves à charge contre la multinationale Promaco. Pour corser le tout, Catherine Fuchs imagine une liaison (forcément dangereuse) entre Carmen Berger et un homme travaillant pour la Promaco. Dès lors, le roman se déploie dans deux dimensions parallèles, l'une politique, l'autre affective, qui doivent bien un jour se rejoindre. Je ne dévoilerai pas la fin du livre, mais les fils se rejoignent, en effet, et de manière inattendue. Entre-temps, le roman décortique les circuits compliqués par lesquels, aujourd'hui, on peut tromper le fisc, appauvrir toute une région d'Afrique en prétendant y apporter progrès et développement et s'enrichir effrontément du labeur des autres.

    Sans jamais être pontifiant, ou moralisateur, le livre éclaire très bien les mécanismes d'exploitation de certains pays riches en matières premières (indispensables à nos précieux portables!) au seul profit de multinationales sans état d'âme. Et l'histoire d'amour entre Carmen et Michael (le beau ténébreux de la  Promaco) tient le lecteur en haleine.

    Un livre à lire et à méditer.

    * Catherine Fuchs, La Tête dans le sable, roman, Bernard Campiche éditeur, 2016.

  • Lukas Bärfuss, Koala

    Par Alain Bagnoud

     

    Lukas Bärfuss, KoalaIl y a deux personnages importants dans Koala. Le frère du narrateur, dont le suicide a été le point de départ du livre, et l'auteur, Lukas Bärfuss, qui va tout au long de son récit faire le portrait du défunt et comparer sa destinée à la sienne.

     

    Lukas Bärfuss : 45 ans, un auteur phare de Suisse allemande. Il vit à Zürich, a obtenu la célébrité grâce à ses pièces de théâtres (la plus connue : Les névroses sexuelles de nos parents), et a publié trois livres de proses dont Cent jours cent nuits, sur le génocide au Rwanda, traduit en 15 langues.

     

    Les Editions Zoé nous proposent une traduction de son dernier ouvrage, Koala, Prix suisse du livre 2014. Où on voit le narrateur rencontrer son frère pour la dernière fois à Thoune, puis apprendre sa mort, puis devenir obsédé par ça, puis réfléchir à cette existence interrompue

     

    Thoune, petite ville provinciale. C'est là où les deux frères – demi-frères, plutôt - ont été élevés. Une histoire familiale qui semble plutôt compliquée, même si elle n'est qu'effleurée ici.

     

    Lukas Bärfuss, KoalaEt le titre ? Il vient du nom scout du frère - que celui-ci a reçu à son plus grand désespoir. Du coup Bärfuss s'intéresse à cet animal et à l'Australie, raconte la conquête de ce continent, une histoire de violence, subie par les habitants – et l'animal.

     

    C'est cette même violence que, semble suggérer Bärfuss, a subie son frère, et à laquelle il a réagi comme le koala, par le repli, l'immobilité, la paresse, au contraire de Lukas poussé par l'ambition, ressort de son existence.

     

    Très beau livre, rythmé – la pratique théâtrale de l'auteur – Koala intéresse par le mystère de ce suicide, par la personnalité du frère, évoquée plus que décrite, mais qu'on découvre peu à peu, et par l'opposition constante entre deux êtres aux fonctionnements antithétique. L'apathie contre désir. L'inertie contre l'énergie. La résignation contre le talent.

     

     

     

    Lukas Bärfuss, Koala, Editions Zoé

     

     

     

     

     

  • Mort de L'Hebdo : colère et mépris

    par Jean-Michel Olivier

    images-3.jpegCe qui arrive aujourd'hui à L'Hebdo (une catastrophe) est arrivé déjà à de nombreux journaux romands. Faute d'argent, le quotidien La Suisse a cessé de paraître en 1994. Le prestigieux Journal de Genève, comme son concurrent Le Nouveau Quotidien (lancé par Jacques Pilet pour torpiller le premier) a disparu en 1998 — pour se muer, tant bien que mal, dans le journal Le Tempsimages-5.jpegOn se souvient également de l'hebdomadaire dimanche.ch, disparu lui aussi trop tôt. Tous ces journaux (à l'exception du dernier, propriété du groupe Ringier) appartenaient à des patrons romands (Jean-Claude Nicole pour La Suisse ; la famille Lamunière pour Le Nouveau Quotidien).

    images-6.jpegCe qui est différent, aujourd'hui, c'est que tous les journaux et hebdomadaires romands (sauf quelques-uns comme La Liberté ou Le Courrier) sont la propriété de grands groupes zurichois (Tamedia), voire allemands (Ringier appartient à la galaxie Springer). Autrement dit, toute l'information que nous « consommons » chaque jour est tributaire du bon vouloir de quelques décideurs de Zurich ou de Berlin. Cela s'est confirmé lundi avec la mort de L'Hebdo, fleuron de la presse romande, mort décidée depuis le QG Springer à Berlin, et programmée sans doute depuis longtemps. Le prochain sur la liste, semble-t-il, c'est Le Temps, dont les jours sont comptés.

    images-7.jpegComment en est-on arrivé là ? Pourquoi la Suisse romande a-t-elle vendu pareillement son âme (car les journaux sont l'âme d'une région) à des groupes de presse situés à mille lieues de ses préoccupations, et obéissant à la seule loi du profit ? La responsabilité des grands patrons de presse romands est ici engagée. Et quand on voit le résultat — un désastre —, il y a de quoi être en colère…

    images-8.jpegPourquoi personne, en Suisse romande, région apparemment prospère (sic!), ne s'est-il levé pour reprendre le flambeau ? Pourquoi ce silence et cette indifférence embarrassée ? Comment peut-on supporter cette situation d'extrême dépendance face à Zurich ou à Berlin qui gèrent leurs navires, de loin, au gré de leur caprice ? N'est-ce pas le signe — comme le suggère l'écrivain Daniel de Roulet — d'un mépris profond pour la Suisse romande, qui ne sera jamais que la cinquième roue du char ?

    Il est temps, je crois, de se poser ces questions. Et ces questions sont de plus en plus urgentes, si l'on considère les difficultés de la presse aujourd'hui. Car il en va de son avenir. C'est-à-dire du nôtre aussi.