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Blogres - Page 104

  • femme sous influence

     

    par moeri antonin

     

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    J’aime les récits conduits par un personnage féminin. Décrire l’engloutissement du point de vue d’une femme est particulièrement stimulant. On ne pourra alors raconter que ce qui peut être saisi par la conscience de la narratrice. Cette restriction du champ des perceptions ouvre les plus réjouissantes perspectives. Dans “Tant d’eau si près de la maison” de Carver, c’est Claire qui prend en charge la narration.

    Stuart, son mari, mastique des aliments dans la cuisine, le regard vide. Tout à coup, il se fâche. Il parle d’une fille morte. Le nom de Stuart s’étale sur la première page des journaux. Claire fait volontairement tomber toute la vaisselle par terre. Voici ce que Stuart lui avait raconté, juste après lui avoir fait l’amour avec ses mains épaisses et ses jambes poilues. Le vendredi précédent, il est allé pêcher avec trois copains. Avant d’installer leur camp, ils ont vu le cadavre d’une fille dans la rivière. Ils n’annoncèrent cette découverte à la police que deux jours plus tard.

    Claire propose à Stuart d’aller faire un tour pour détendre l’atmosphère. Ils traversent la ville et s’arrêtent près d’un ruisseau. Elle parle d’un crime horrible perpétré par les frères Maddox quand elle était gamine. Stuart croit qu’elle le soupçonne du pire. Elle se voit, morte, au milieu du ruisseau. Elle se demande pourquoi son mari est si nerveux. Le lendemain, elle apprend par le journal que le corps de la victime a été identifié et remis à sa famille. Elle se rendra à l’enterrement. Une inconnue lui apprendra que le tueur a été arrêté. Claire ne se sent pas bien. Chez elle, dans la cuisine, elle imagine subitement qu’il est arrivé quelque chose à leur fils. Stuart, avec ses gros bras lourds, va lui faire l’amour à la sauvette, sur la table. Vite, vite, dépêchons-nous, avant que Dean ne rentre. Elle n’entend plus rien avec tous ces bruits d’eau dans les oreilles.

    Manifestement, Claire n’en peut plus: tête qui tourne, eau menaçante, vision de son propre cadavre dans le ruisseau. Son Stuart est bien gentil avec ses passions: poker, bowling, pêche. C’est un homme comme il faut, père de famille, travailleur honnête et consciencieux. Il est persuadé que faire l’amour à sa chérie suffit pour la calmer. Il croit savoir ce qu’il lui faut. Son système de pensée ne peut être remis en question, il est légitimé par le groupe, puisque c’est également celui de Gordon, Mel et Vern, ses copains qui sont, eux aussi, des hommes comme il faut.

     

    L’engloutissement de Claire rappelle celui de Mabel, l’inoubliable personnage du film “Une femme sous influence” de John Cassavetes.

     

    R.Carver: “Parlez-moi d’amour”, Livre de poche 2007

     

  • Fuir, là-bas, fuir (Patrice Duret)

    images-12.jpeg C’est un récit initiatique que nous livre Patrice Duret avec Le Chevreuil*. On peut y lire la suite de Décisif, un premier roman, paru en 1997, qui racontait une brutale rupture. Le Chevreuil, à l’instar de L’Envol du marcheur, nous conduit sur les petits chemins de la France profonde. Nul défi sportif, pourtant, chez Duret, mais le besoin vital de « prendre de la distance, quitter la vielle, écouter la campagne, tourner en rond, s’étendre, dormir, écraser l’herbe de tout son poids hébété de citadin. »

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  • Un don Juan contemporain

    mélanie chappuis.jpgPAR SERGE BIMPAGE

    Les livres à plusieurs voix sont à la mode. Encore faut-il les maîtriser. Tel est le cas de Mélanie Chappuis dans Des baisers froids comme la lune.
    C’est l’histoire banale, on allait écrire classique, d’un quinquagénaire qui a une femme mais ne s’en contente pas et tombe raide amoureux d’une autre plus jeune que lui de vingt-sept ans. Or toute la saveur de cet amour réside dans le désir, ce qu’il révèle et les souffrances qu’il engendre inéluctablement, racontés respectivement de chaque point de vue.
    « Il vient ce soir. Je vais pouvoir me faire belle et me sentir belle. Oublier un peu que je suis mère. Mon mari n’arrive pas à me faire oublier que je suis une mère. Mon mari, je ne l’accueille plus en minijupe et talons lorsqu’il rentre du travail. » Voici pour Anna. Quant à Victor, rédacteur en chef du Journal du Léman, le plus grand quotidien de Suisse romande, il tente aussi bien de se rassurer par la séduction : « Les très belles et les très jeunes, je me contente de les séduire. Ca me donne de la force, de la puissance. Si je les amenais dans mon lit, ce sont elles qui auraient le dessus. Au lit je ne suis ni fort ni puissant, je suis juste moi qui bande moins souvent, moins longtemps. »
    Il a du pouvoir, un peu d’argent, beaucoup d’influence mais ne s’en satisfait pas. Elle est belle, mère d’une adorable fillette, mariée à un homme qui a beaucoup d’argent mais cela ne suffit pas. Il faudra bien des semaines, des rencontres, et des échanges de courriel pour qu’ils réalisent que l’insatisfaction est le lit de leur coupable amour. Certes, on n’atteint pas ici le degré d’intériorité d’Une passion simple de Annie Ernaux. Il n’empêche que Mélanie Chappuis parvient à embarquer son lecteur avec une redoutable efficacité. L’alternance des voix sonne avec une extrême justesse. Il y a beaucoup à (ap)prendre dans ce duo de don Juan contemporain.

    Des baisers froids comme la lune, par Mélanie Chappuis. Editions Bernard Campiche, 205 pages.

     

  • Vie et légende de Marguerite Duras

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    par Jean-Michel Olivier

    Rarement, dans la littérature française, un écrivain aura mêlé à ce point — jusqu'à les rendre indiscernables — sa vie et son œuvre. Comment faire la part du témoignage « vécu », du fantasme ou de l'imagination pure dans l'œuvre de Marguerite Duras, passée maîtresse, on le sait, en fabulations de toute sorte, jusqu'à faire de sa vie une parodie de son écriture ? Laure Adler réussit cet incroyable tour de force*.

    D'abord une question, qui n'est pas une critique, ni même un procès d'intention : à quoi bon consacrer une biographie à un écrivain qui, d'avance, rejette toute explication biographique de son œuvre et déclare par exemple ceci : « Pourquoi écrit-on sur les écrivains ? Leurs livres devraient suffire. » ?

    Cette question, au lieu de l'éviter ou de la repousser avec désinvolture, Laure Adler la place en permanence au centre de son travail. Et c'est ce qui fait l'extrême valeur de sa monumentale biographie (« enquête » devrait-on dire) sur Marguerite Duras. Un travail exemplaire par son ampleur, tout d'abord, car rarement un biographe aura été aussi loin dans l'exploration matérielle d'une existence.

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  • Haldas au Journal de Genève

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    par Jean-Michel Olivier

    Fascinante entreprise, surhumaine et sans doute infinie, que celle de Georges Haldas, commencée il y a cinquante ans sous le signe de la poésie, et qui emprunte, depuis, les chemins les plus divers, les plus inattendus (chroniques, carnets, entretiens). Avec Meurtre sous les géraniums*, une extraordinaire chronique des années de guerre, Haldas touche, peut-être, au secret même de sa recherche : à l’indicible enfoui sous le silence des gestes et des comportements quotidiens.

    Nous sommes en 1940, dans une petite ville de province, cernée par l’ennemi. L’« empire du meurtre », écrit Haldas, a gagné, peu à peu, toute l’Europe. Et même Genève qui, sous ses allures de cocote, se garde bien de choisir son camp. Autant, sans doute, par idéalisme, que par nécessité financière, Haldas décide d’entrer dans le journalisme. Et pas n’importe où, puisqu’il entre au Journal (de Genève), où il occupera bientôt, et à tour de rôle, tous les postes. Correcteur, d’abord, des articles des autres, puis chroniqueur de théâtre, et enfin grand reporter.

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  • L'amour monstre d'Anne-Sylvie Sprenger

    images-1.jpegAnne-Sylvie Sprenger (née à Lausanne en 1977) aime les livres brefs et intenses. En général une centaine de pages. Chapitres courts, aérés, où l'écriture cherche à décrire une blessure essentielle. Souvent inavouable. Toujours secrète. C'était le cas de Vorace, son premier livre, paru en 2007, porté sur les fonts baptismaux par Jacques Chessex, et loué par la critique française. Ça l'était également pour Sale fille, paru il y a deux ans. Le tout nouveau roman d'Anne-Sylvie Sprenger pourrait d'ailleurs s'appeler Sale type, tant il s'inscrit dans la continuité des précédents. Mais il s'appelle La Veuve du Christ*. Titre à la fois lumineux et provocateur.

    La jeune écrivaine lausannoise a toujours exploré la folie du désir. Qu'il soit amoureux, alimentaire ou religieux. Ici elle part d'un fait divers connu : l'enlèvement d'une fillette de huit ans, Lena, par un pharmacien qui la séquestre dans la buanderie de sa maison. L'homme est seul, malheureux, certainement criminel. Il mène une existence misérable. Il se prend d'affection pour sa victime avec qui, le soir, il entonne cantiques et louanges. Il s'inflige des supplices sur une croix qu'il fait construire au village. Il entraîne Lena dans un délire religieux qui n'aura d'autre issue, bien sûr, que la mort. Il l'instruit, joue avec elle, l'invite dans son lit, finit par lui faire un enfant. Tout en sachant très bien le scandale de sa conduite. Et sa faute essentielle. Qui ne mérite aucun autre châtiment que la mort. Victor le sait. Il est prêt à payer pour ça. Sans doute, suggère Anne-Sylvie Sprenger, est-ce là le seul moyen qu'il a trouvé pour donner chair et sens à son amour. Un amour imprégné de folie religieuse qui ne peut se réaliser que dans l'horreur et le scandale. Et le portrait que dresse l'auteur de ce « fou de Dieu » est à la fois fascinant et terrifiant. Certains lecteurs, trop rapidement, le traiteront de sale type. D'autres, à défaut d'être touchés (mais peut-on vraiment compatir avec un ravisseur et violeur d'enfant, fût-il amoureux?), seront troublés par cette histoire de rapt, qui se termine en ravissement (aux double sens du terme). En cela, le roman est une réussite puisqu'il nous fait entrer dans le cerveau du monstre, dont il explore les méandres nauséabonds.

    9782213655567-V.jpgEt la victime ? « Lena a appris à vivre dans sa tête ». Elle se protège comme elle peut de la présence du monstre. Un monstre qui a cinquante ans, mais qui, affectivement, est fruste et malheureux. Ce qui n'est certes pas une excuse. Mais explique l'étrange relation qui va s'instaurer entre le bourreau et sa victime. La tendresse. Les caresses. Puis l'amour monstre. « Victor et Lena s'aimeront tout l'été. » Il y a quelque chose d'à la fois pathétique et troublant dans cette relation (on n'ose pas parler d'amour) qui transgresse les normes et les interdits. Certains évoqueront le syndrome de Stockholm qui montre qu'un sentiment de confiance, voire de sympathie peut se développe entre un otage et son ravisseur. Ici la romancière va plus loin (elle a raison) en imaginant que chacun des acteurs de ce terrible huis-clos trouve dans l'autre son âme sœur. Ce n'est certainement pas moral. Mais on ne fait pas de littérature avec de bons sentiments.

    La folie religieuse (de Victor) entraîne la folie amoureuse (de Lena). La première s'achève dans la mort. La seconde, dans une clinique psychiatrique. Très bien construit, le roman d'Anne-Sylvie Sprenger frappe par son écriture dépouillée et limpide. On pense bien sûr aux derniers livres de Jacques Chessex, allégés à l'extrême. Même fascination de la chair et de la mort. Même goût pour le blasphème. Mais Anne-Sylvie Sprenger poursuit sa propre voie. Elle va au bout de ses angoisses. Elle ne triche pas avec les démons qui la hantent. On aimerait ne pas croire à l'amour monstrueux de ses deux personnages enfermés dans leur cage. Mais un doute nous prend. Et si cela était ? Si le scandale se trouvait dans le désir lui-même ? C'est le talent du romancier de nous instiller de tels doutes.

    * Anne-Sylvie Sprenger, La Veuve du Christ, Fayard, 2010.

  • home, sweet home

     

     

     

    par antonin moeri

     

     

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    John Cheever n’a pas son pareil (si ce n’est Carver qu’il influença beaucoup) pour mettre en scène les dérapages verbaux. La vie terne des petits bourgeois qu’il croque (il est imbattable pour décrire le profil, la silhouette ou les manies d’un personnage), cette vie morose devient tellement insupportable que le vase doit déborder. Cheever adore pousser ses personnages à bout. Je ne sais si cette attitude est à conseiller dans la vie de tous les jours mais, littérairement, c’est fort. Le personnage a le sentiment alors de se dresser “à la proue d’un immense paquebot”.

    Dans “Les malheurs du gin”, une gamine (Amy) observe attentivement le comportement des adultes. Elle se rend compte que ses parents ne supportent pas la solitude. Ainsi ont-ils besoin de toujours recevoir et sortir. Amy se retrouve un soir en compagnie de Rosemary la cuisinière, qui lui raconte sa vie et lui explique à quel point l’alcool la dégoûte. Elle conseille à l’enfant de vider de temps en temps les bouteilles de gin de son père dans l’évier. Ce que l’enfant s’empressera de faire. Quant à Rosemary, elle sera renvoyée car le père d'Amy croit qu'elle s'est tout à coup enivrée.

    Mr Lawton (le père d'Amy) est persuadé que les gens qu’il emploie boivent ses alcools forts. Une énième baby sitter est engagée et, au retour d’une soirée, Mr Lawton découvre un énième flacon vide. Il accuse sans autre la baby sitter (Mrs Henlein qui recueille les chats errants, entasse les journaux jusqu’au plafond de sa salle de bain, parle toute seule, marchande le prix des os à moelle, laisse entendre que son oreiller est bourré de billets de cent dollars), cette baby sitter honnête, qui n’a jamais bu d’alcool de sa vie, dont le père possédait des champs et dont la mère avait du sang bleu, cette baby sitter exemplaire rompt les digues de la bienséance en traitant Mr Lawton de fils de pute. C’est la première fois de sa vie, contrairement à Anelka, qu’elle prononce un gros mot.

    La nouvelle bascule alors dans le grandiose. Se trouvant gravement insultée, Mrs Henlein hurle et appelle la police. Entendant ces cris, la petite Amy se sent coupable et décide de fuir cet enfer. Elle ira prendre un billet au guichet de la gare. Averti à temps, le père viendra cueillir sa petite chérie et lui fera comprendre que “Home,  sweet home” est le meilleur endroit qui soit.

    Cheever raconte tout ça sans avoir l’air d’y toucher, avec une grâce et un sourire en coin que le lecteur n’oublie pas. En effet, pourquoi ne pas rire des travers et des faiblesses des hommes? Rire non dépourvu de tendresse chez ce styliste espiègle.

     

    John Cheever: Déjeuner en famille, Editions Joelle Losfeld, 2007

     

  • Vices privés, bénéfices publics

    Par Pierre Béguin

    Le parti socialiste ne manque jamais une occasion de dresser les barricades de la vertu privée et publique, de brandir bien haut l’étendard éthique face à la déliquescence morale qui ronge toutes les couches de la société, à commencer par les sphères supérieures. Tout citoyen normalement constitué – ou normalement hypocrite – ne peut qu’approuver. Donc, sur ce point du moins, comme dit le poète, ne jetez pas la pierre au parti socialiste; je suis derrière et je fustige avec lui les brevets d’innocence que des politiciens de droite entendent accorder aux prédateurs financiers de tout poil, surtout s’ils sont labellisés UBS. Et je reste songeur devant l’élasticité morale de certains partis de droite. Pourrions-nous décemment adopter autre attitude?

    En 1714, un médebernard-de-mandeville[1].jpgcin hollandais, Bernard de Mandeville, établi en Angleterre, publie un essai intitulé La Fable des abeilles, au sous-titre évocateur: Vices privés, bénéfices publics. Un sous-titre qui pose clairement la thèse du livre: les vices privés génèrent les bénéfices publics. Les désirs égoïstes et superfétatoires des consommateurs, dussent-ils être satisfaits malhonnêtement, alimentent le moteur économique et assurent le bon fonctionnement de la culture et du système d’assistance sociale, là où, au contraire, les comportements vertueux, sages, raisonnables, dans lesquels seules les nécessités fondamentales devraient être satisfaites, feraient à coup sûr s’effondrer ce système, faute d’emplois. En d’autres termes, comparée à une ruche, une société fondamentalement vertueuse n’aurait aucune chance d’édifier un idéal d’assistance mutuelle. Car si les vices privés font les bénéfices publics, les vertus privées creusent les dettes publiques. Les névroses, les frustrations, les égoïsmes, voire les petites malhonnêtetés, sont en fait indispensables à l’épanouissement d’un système essentiellement menacé d’angélisme. Tel est le paradoxe fondamental de La Fable des abeilles, véritable manifeste de l’idéologie libérale et capitaliste.

    Quelques dizaines d’années plus tard, Diderot, par la bouche du neveu de Rameau, s’inscrit dans cette perspective par ce qu’il nomme les idiotismes moraux. En substance, le neveu prétend que, dans leur grande majorité, les hommes sont très honnêtes, sauf dans l’exercice de leur profession où tous – ou presque – trichent plus ou moins. Et ceux qui ne se conformeraient pas à ces transgressions morales paraîtraient bizarres ou maladroits: «Dans la nature, toutes les espèces se dévorent ; toutes les conditions se dévorent dans la société. Nous faisons justice les uns des autres, sans que la loi s’en mêle. La Deschamps autrefois, aujourd’hui la Guimard venge le Prince du financier; et c’est la marchande de modes, le bijoutier, le tapissier, la lingère, l’escroc, la femme de chambre, le cuisinier qui vengent le financier de la Deschamps. Au milieu de tout cela, il n’y a que l’imbécile ou l’oisif qui soit lésé, sans avoir vexé personne. D’où vous voyez que ces exceptions à la conscience générale, ou ces idiotismes moraux dont on fait tant de bruit ne sont rien…» Donc cette chaîne du vol, qui se déploie dans la sphère professionnelle et qui s’arrête au vertueux – c’est-à-dire, pour le neveu de Rameau, à l’imbécile –, a un fondement naturel et elle participe de l’enrichissement général. Le vol est vertueux car il restitue ce qui a été volé. La morale doit s’identifier à l’idiotisme contre la conscience générale dans tout état (situation) et tout Etat. Et les idiotismes s’exacerber en temps de crise pour le bien général. Non seulement la vertu n’est pas naturelle mais elle n’est pas créatrice de richesses. Au contraire des vices du riche qui sont une manière de restituer des biens au pauvre, qui peut ainsi espérer s’enrichir… avant de lui-même "restituer": «La voix de la conscience et de l’honneur est bien faible lorsque les boyaux crient. Suffit que si je deviens riche, il faudra que je restitue, et que je suis bien résolu à restituer de toutes les manières possibles, par la table, par le jeu, par le vin, par les femmes». Pour le neveu, toute morale doit se fonder sur l’usage, c’est-à-dire sur ce qui est, et non pas sur ce qui devrait idéalement être. Certes, le neveu ne prétend pas à l’inexistence de la conscience générale. La véritable morale pourrait donc se situer quelque part entre les idiotismes nécessaires et cette utopique conscience générale…

    Quelque part entre l’exigence de justice de la gauche et les idiotismes moraux de la droite, en définitive… Non! Je ne sais pas pour vous, mais moi, décidément, je ne suis convaincu ni par La Fable des abeilles, ni par le neveu de Rameau. Pas en ce qui concerne les dirigeants de l’UBS, en tout cas. A moins que ces derniers ne me restituent personnellement le produit de leur forfanterie, à verser de préférence sur mon compte UBS…

     

     

     

  • Quel avenir pour les blogs ?

    1279403016.jpgAvec plus de 290 notes rédigées, l'enseignant Jean-Michel arc Olivier fait figure de bon élève ! Son secret ? La générosité ! Sinon comment expliquer cette assiduité ? Car l'homme au regard pétillant fait aussi tinter les mots au-delà de son blog: dans ses nombreux romans et essais ainsi que dans le mensuel culturel genevois Scènes Magazine dont il est le fondateur.

    Qu'est-ce qui vous a décidé à créer votre blog  en 2007?

    Je trouvais le principe tout à fait intéressant. C'est en effet un espace de liberté totale que l'on peut alimenter à son grès. Un blog, c'est un peu comme une plante, il faut l'arroser de temps en temp sinon il dépérit !




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  • Chers collaborateurs, en avant, marche!

    Par Alain Bagnoud

     

    ziriako_1096198287_l__armee_suisse.jpgEn temps de crise, on revient aux valeurs sûres. C’est Le Temps qui en parle. «  L’Association suisse d’assurances (ASA), l’association faîtière de la branche, qui représente 74 compagnies d’assurances ainsi que 49 000 postes de travail en Suisse, a organisé le 20 mai dernier une conférence de presse intitulée Pour le développement du personnel, les assureurs privés misent sur la formation militaire au commandement».

    Cette initiative nous rappelle le bon vieux temps, à nous vieux nostalgiques! Celui où les officiers de l’armée suisse étaient tous cadres. Celui où les cadres des entreprises étaient tous officiers.

    Max Frisch, alors, proposait une expérience intéressante: qu’un jour tout le monde vienne travailler en uniforme. On verrait de façon frappante, expliquait-il, l’adéquation entre le militaire et l’économique.

    Puis les temps ont changé. Dans les années 80, on s’est rendu compte que ça fonctionnait mieux si on demandait aux employés de participer. Avec plus d’identification et plus d’illusion de démocratie, on obtenait plus de rendement.

    Mais quelque chose d’autre s’est passé ensuite, que relève aussi le Temps. «Depuis dix ans, on observe qu’un nombre croissant de gens ne sont pas attirés par le management, note Eric ­Davoine. Ils veulent faire carrière et bien gagner leur vie, mais sans faire d’encadrement.» Eric Davoine est professeur en ressources humaines et organisation à l’Université de Fribourg.

    Donc, l’individualisme a pourri le beau modèle de dévouement à l’entreprise. Plus personne ne veut assumer des responsabilités, sans doute parce qu’elles ne donnent pas de plus-value, c’est-à-dire, en gros, de prestige. L’unique grandeur qui compte désormais, c’est celle de la paie. Elle seule détermine la position sociale.

    D’où le recours à l’armée pour réintroduire les vraies valeurs. Ah, ça va valser dans les bureaux! Compagnie, marche, front ma main, direction les écrans d’ordinateur! Finis les horaires fantaisistes, tout le monde sera là à zéro huit cents et je ne veux voir qu’une tête.

    Non. On peut plaisanter, mais il y a effectivement deux avantages indéniables à l’initiative de l’Association suisse d’assurances. D’abord, il est plus facile de se rebeller ou de tirer au flanc dans un modèle hiérarchique plutôt que participatif. Ensuite, le nouveau fonctionnement permettra d’éduquer les travailleuses. Elles pourront enfin goûter aux joies de l’armée, dont elles sont injustement privées depuis toujours. Au sein d’une société qui se féminise toujours plus, la revalorisation des compétences militaires dans le civil est donc, comme on le voit, tout à fait pertinente.

     

    Publié aussi dans Le blog d’Alain Bagnoud