femme sous influence
par moeri antonin

J’aime les récits conduits par un personnage féminin. Décrire l’engloutissement du point de vue d’une femme est particulièrement stimulant. On ne pourra alors raconter que ce qui peut être saisi par la conscience de la narratrice. Cette restriction du champ des perceptions ouvre les plus réjouissantes perspectives. Dans “Tant d’eau si près de la maison” de Carver, c’est Claire qui prend en charge la narration.
Stuart, son mari, mastique des aliments dans la cuisine, le regard vide. Tout à coup, il se fâche. Il parle d’une fille morte. Le nom de Stuart s’étale sur la première page des journaux. Claire fait volontairement tomber toute la vaisselle par terre. Voici ce que Stuart lui avait raconté, juste après lui avoir fait l’amour avec ses mains épaisses et ses jambes poilues. Le vendredi précédent, il est allé pêcher avec trois copains. Avant d’installer leur camp, ils ont vu le cadavre d’une fille dans la rivière. Ils n’annoncèrent cette découverte à la police que deux jours plus tard.
Claire propose à Stuart d’aller faire un tour pour détendre l’atmosphère. Ils traversent la ville et s’arrêtent près d’un ruisseau. Elle parle d’un crime horrible perpétré par les frères Maddox quand elle était gamine. Stuart croit qu’elle le soupçonne du pire. Elle se voit, morte, au milieu du ruisseau. Elle se demande pourquoi son mari est si nerveux. Le lendemain, elle apprend par le journal que le corps de la victime a été identifié et remis à sa famille. Elle se rendra à l’enterrement. Une inconnue lui apprendra que le tueur a été arrêté. Claire ne se sent pas bien. Chez elle, dans la cuisine, elle imagine subitement qu’il est arrivé quelque chose à leur fils. Stuart, avec ses gros bras lourds, va lui faire l’amour à la sauvette, sur la table. Vite, vite, dépêchons-nous, avant que Dean ne rentre. Elle n’entend plus rien avec tous ces bruits d’eau dans les oreilles.
Manifestement, Claire n’en peut plus: tête qui tourne, eau menaçante, vision de son propre cadavre dans le ruisseau. Son Stuart est bien gentil avec ses passions: poker, bowling, pêche. C’est un homme comme il faut, père de famille, travailleur honnête et consciencieux. Il est persuadé que faire l’amour à sa chérie suffit pour la calmer. Il croit savoir ce qu’il lui faut. Son système de pensée ne peut être remis en question, il est légitimé par le groupe, puisque c’est également celui de Gordon, Mel et Vern, ses copains qui sont, eux aussi, des hommes comme il faut.
L’engloutissement de Claire rappelle celui de Mabel, l’inoubliable personnage du film “Une femme sous influence” de John Cassavetes.
R.Carver: “Parlez-moi d’amour”, Livre de poche 2007
PAR SERGE BIMPAGE
Anne-Sylvie Sprenger (née à Lausanne en 1977) aime les livres brefs et intenses. En général une centaine de pages. Chapitres courts, aérés, où l'écriture cherche à décrire une blessure essentielle. Souvent inavouable. Toujours secrète. C'était le cas de Vorace, son premier livre, paru en 2007, porté sur les fonts baptismaux par Jacques Chessex, et loué par la critique française. Ça l'était également pour Sale fille, paru il y a deux ans. Le tout nouveau roman d'Anne-Sylvie Sprenger pourrait d'ailleurs s'appeler Sale type, tant il s'inscrit dans la continuité des précédents. Mais il s'appelle La Veuve du Christ*. Titre à la fois lumineux et provocateur.
Et la victime ? « Lena a appris à vivre dans sa tête ». Elle se protège comme elle peut de la présence du monstre. Un monstre qui a cinquante ans, mais qui, affectivement, est fruste et malheureux. Ce qui n'est certes pas une excuse. Mais explique l'étrange relation qui va s'instaurer entre le bourreau et sa victime. La tendresse. Les caresses. Puis l'amour monstre. « Victor et Lena s'aimeront tout l'été. » Il y a quelque chose d'à la fois pathétique et troublant dans cette relation (on n'ose pas parler d'amour) qui transgresse les normes et les interdits. Certains évoqueront le 
cin hollandais, Bernard de Mandeville, établi en Angleterre, publie un essai intitulé La Fable des abeilles, au sous-titre évocateur: Vices privés, bénéfices publics. Un sous-titre qui pose clairement la thèse du livre: les vices privés génèrent les bénéfices publics. Les désirs égoïstes et superfétatoires des consommateurs, dussent-ils être satisfaits malhonnêtement, alimentent le moteur économique et assurent le bon fonctionnement de la culture et du système d’assistance sociale, là où, au contraire, les comportements vertueux, sages, raisonnables, dans lesquels seules les nécessités fondamentales devraient être satisfaites, feraient à coup sûr s’effondrer ce système, faute d’emplois. En d’autres termes, comparée à une ruche, une société fondamentalement vertueuse n’aurait aucune chance d’édifier un idéal d’assistance mutuelle. Car si les vices privés font les bénéfices publics, les vertus privées creusent les dettes publiques. Les névroses, les frustrations, les égoïsmes, voire les petites malhonnêtetés, sont en fait indispensables à l’épanouissement d’un système essentiellement menacé d’angélisme. Tel est le paradoxe fondamental de La Fable des abeilles, véritable manifeste de l’idéologie libérale et capitaliste.
Avec plus de 290 notes rédigées, l'enseignant Jean-Michel arc Olivier fait figure de bon élève ! Son secret ? La générosité ! Sinon comment expliquer cette assiduité ? Car l'homme au regard pétillant fait aussi tinter les mots au-delà de son blog: dans ses nombreux romans et essais ainsi que dans le mensuel culturel genevois
En temps de crise, on revient aux valeurs sûres. C’est