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  • La Réforme par les tripes

    Par Serge Bimpage

    N’est-il pas curieux comme la politique envahit tout de nos jours ?! Dans les médias, les bistrots, les cocktails, on ne parle que de ça ! Même le dimanche, même dans les cercles littéraires, et même dans les billets de mes chers amis écrivains sur ce blog! Pourtant, vous en conviendrez, il n’y a rien de plus rasoir que la politique, ce triste cortège de coups bas, de dogmes et de pré carrés. « Je reproche à la politique, quelle qu’elle soit, l’énorme ennui qu’elle dégage », notait Green dans son journal en 1949.
    A moins d’empoigner le sujet par la bande. De le rendre sexy, de n’en envisager que le côté spectaculairement obscur. Alain Bagnoud s’insurge contre la surmédiatisation d’un député valaisan montré nu et sniffant de la coke sur une vidéo tournée par une de ses maîtresses : « La presse populaire jette en pâture les vies privées dans le but de mettre au pilori les comportements déviants. » Il a raison. Pierre Béguin lui rétorque qu’il est impossible que des personnes exerçant des fonctions publiques importantes puissent s’adonner sans conséquence [fût-elle médiatique] à leurs vices privés. Eh bien, il a raison aussi !
    En somme, nos deux amis écrivains, chacun à sa façon, en appelle à la liberté de conscience. J’applaudis. D’ailleurs, la liberté individuelle est typiquement protestante. Aussi simple que géniale, l’idée est qu’il appartient à chacun d’établir ses choix. Historiquement, la conscience personnelle s’insurgeait contre l’autoritarisme catholique, mais tout autant contre les autoritarismes politiques de toutes sortes. Ce qui devait amener Albert de Broglie à considérer qu’ « il faudrait avoir l’esprit bien indocile pour ne pas demeurer convaincu que l’autodafé de Genève fut nécessaire pour préparer dans le monde la liberté de conscience et de pensée. » Vous voulez le ressentir dans vos tripes ? Venez dimanche à la Fête de la Réforme, devant la cathédrale (de 9h30 à 15h) !

     

     

     

  • Le singe en nous

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    PAR ANTONIN MOERI


    Être capable d’imaginer l’attente de l’autre représente, selon le primatologue hollandais Frans de Waal, « un bond gigantesque dans l’évolution sociale ». La faculté d’être affecté par l’état d’un autre individu ne serait pas l’apanage des êtres humains. Pour vérifier cette hypothèse, le primatologue raconte une histoire : désirant voir le visage du bébé de Lolita (une chimpanzé) né la veille, il tend un doigt vers la petite boule sombre que Lolita serre chaudement contre son ventre. Imaginant l’attente du scientifique hollandais, Lolita croise les bras pour saisir les menottes du nouveau-né qu’elle lève lentement en le faisant pivoter. « Suspendu aux mains de sa mère, le bébé me faisait face ».
    De nombreux exemples montrent à qui en douterait que la tendresse, les manifestations de sympathie, la conduite secourable, la compassion, l’envie d’écouter les plaintes de l’autre et la solidarité n’ont pas été inventées par l’homme et que ces élans peuvent également exister dans la jungle primitive. Le primatologue accorde une grande importance à l’observation de ces comportements altruistes, car ils prouvent que « les problèmes de la vie réelle sont parfois résolus si l’on se met à la place d’autrui ». Nous aurions tout intérêt à prendre en considération cette faculté qu’a le singe de se mettre dans la peau d’autrui et à la développer chez nous, êtres dits humains, car l’agressivité, le besoin d’exterminer celui qui pratique un autre culte, la défense du territoire, la haine de l’étranger, l’avidité (« greed is good »), la rapacité, la soif de sang et de pouvoir, la peur de celui qui est différent et la tendance à tout subordonner à son propre intérêt sont des pulsions qu’on devrait juguler dès le plus jeune âge chez les futurs citoyens de nos démocraties terminales.
    Comme vous le voyez, les préoccupations de Frans de Waal semblent rejoindre, ici et là, celles de certains hommes politiques ayant encore une vision malgré le cynisme ambiant.

  • Vices privés, danger public?

    Par Pierre Béguin

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    J’ai lu avec intérêt le dernier article de mon compère Alain Bagnoud sur «blogres» intitulé Vices privés, vertus publiques. J’aimerais revenir sur ces lignes, non pas pour surenchérir mais pour en contredire la pétition de principe, preuve que, sur «blogres», nous ne nous vautrons pas dans la complaisance.

    Il y a fort longtemps – j’étais jeune alors et c’était l’époque où fleurissaient dans le voisinage français quelques lupanars de luxe largement fréquentés  par certains notables ou autres édiles politiques genevois (il n’y a par ailleurs aucun rapport entre ces lupanars et le fait que j’étais jeune alors) – il y a fort longtemps donc, un avocat m’a montré une photo qui circulait au Palais de Justice. On y voyait un Conseiller d’Etat nu et menotté à un radiateur en train de se faire langer par un (ou une?) haut responsable de la Justice (comprenez mes imprécisions volontaires). La photo avait quelque chose d’emblématique: alors qu’une des règles essentielles de la démocratie demande la stricte séparation des pouvoirs, la scène démontrait magistralement – et par une symbolique exemplaire – son application illusoire. Comment, dans la pratique, l’exécutif et le judiciaire pouvaient-ils conserver leur indépendance de fonctionnement en se trouvant de manière si compromettante réunis sur une photo circulant dans leur sphère professionnelle? N’est-ce pas ainsi que se crée, au-delà des remparts institutionnels, des habitudes de république bananière? Je te tiens, tu me tiens par la q…ette! Je pourrais vous citer quelques grands scandales financiers genevois qui trouvent à leur origine des affaires sexuelles ou de mœurs. Alors vices privés, oui, peu importe. Mais je crois impossible que des personnes exerçant des fonctions publiques importantes – ou qui peuvent avoir des répercussions importantes sur la sphère publique – puissent s’adonner sans conséquence à leurs vices privés. Peu me chaut, comme dirait André Gide, que tel ministre fréquente avec frénésie force partouzes ou clubs échangistes sélects – peut-être, sûrement, pourrais-je l’envier secrètement –, ou se livre à des pratiques sado masochistes à tendance nazie après avoir sniffé des autoroutes de coke si j’étais certain que ces pratiques ne l’exposassent pas à des pressions, voire des chantages, qui limiteraient, ou même phagocyteraient, son autonomie décisionnaire. Et cette garantie qu’il doit à ses électeurs ou à ceux dont il a la responsabilité, ne lui en déplaise, passe par la vertu privée.

    Après tout, si Bagnoud (l’autre!) avait été enseignant, il eût été sanctionné aussi sec en vertu des valeurs exemplaires qu’il était censé incarner pour la jeunesse. Sanctionné par des politiciens même. Comment ces derniers pourraient-ils alors s’éviter des sanctions qu’ils appliquent aux autres? Et tant pis si l’on me traite de vieux protestant que toute forme de casuistique incommode. Plus on s’élève, moins on a d’oxygène. C’est l’évidence, il faut s’y soumettre. Et si les sommets deviennent trop contraignants, on peut toujours redescendre. Simple citoyen, y’a que ça de vrai pour être libre!

  • Bagnoud, vices privés vertus publiques

    Par Alain Bagnoud

    Cocaine ImageIl faut rappeler, pour ceux qui vivraient sur une autre planète, ce qui agite la presse suisse ces jours-ci. Une vidéo qui montre un député valaisan nu et sniffant de la coke, filmé par une de ses maîtresses. Pour ceux qui ne l’auraient pas encore vue, elle est ici.

     

    Bon, je vous ai bien eu, n’est-ce pas ? Ne comptez pas sur moi pour participer à ce voyeurisme qui… que… dont… Vertueuses protestations. Etc.

     

    L’existence de cette vidéo a donc provoqué une curée médiatique contre l’élu PDC. On expose ses maîtresses, on parle de l’argent qu’il leur donnait, on interroge les maris de celles-ci, on fait le compte du patrimoine étendu de ce notable…

     

    Les journaux justifient  ce déballage en affirmant que l’affaire est publique. Elle concerne un élu dont les actes contredisent complètement le programme électoral. En Valais en effet, le PDC est un parti de droite, chrétien, moralisateur, conservateur.

     

    Ils ont raison sur ce point. Les électeurs doivent être informés. Ensuite à eux de décider. Veulent-ils que leurs délégués mettent en concordance leurs principes et leur conduite ? Se contentent-ils de savoir qu’ils font leur travail de politicien et défendent efficacement des préceptes même sans les appliquer ? Ça les regarde.

     

    Seulement, les électeurs concernés sont en Valais. C’est au journal local d’exposer les faits. (Journal local, qui reste d’ailleurs très discret sur l’affaire. Un seul article à ce jour. Il est vrai qu’il a toujours été lié au PDC majoritaire, mais c’est une autre question...)

     

    Or il ne se passe pas un jour sans que la presse de boulevard suisse ne sorte deux ou trois pages sur notre homme. Pour informer les électeurs valaisans ? Allons donc. C’est déjà fait depuis longtemps.

     

    Il s’agit d’autre chose. De voyeurisme et de moralisation.

     

    Vous avez observé comment, depuis quelque temps, le retour aux normes les plus étroites fleurit. Comment la presse populaire étale les scandales et jette en pâture les vies privées dans le but de définir des modèles de comportement, de mettre au pilori les comportements déviants.

     

    Dans le monde nouveau qui s’installe, chacun doit être impeccable socialement mais aussi personnellement. Si les vices sont désormais publics, les vertus doivent régner jusque dans le privé, dont la sphère se restreint jusqu’à ne plus exister.

     

    Et si vous n’êtes pas exemplaire et transparent, la presse de caniveau se chargera de vous dénoncer, de vous condamner et de vous châtier.

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.)
  • Un ami qu’on ne jette pas impunément par la fenêtre

    « Je ne sais pas pourquoi j’écris tout cela. Peut-être pour rester au plus près de la vérité… » C’est en effet cette recherche qui frappe, dans l’exigeante et intelligente écriture de Catherine Lovey qui, après son premier roman L’homme interdit, nous livre un non moins remarquable polar déguisé avec Cinq vivants pour un seul mort.
    L’enquête importe moins en effet que la quête, chez l’écrivaine valaisanne. « Jeudi dernier, mon ami Markus Festinovitch s’est jeté par une fenêtre. Il visitait un appartement rénové en compagnie de Gabriella. » Tel est le point de départ du narrateur qui s’applique à reconstruire les circonstances de cette mort, survenue en Suisse, dans l’impitoyable milieu des affaires. Or, évitant les lieux communs des romans rivés aux contingences politico-sociales, Catherine Lovey choisit d’explorer l’univers intérieur du narrateur.
    Cherchant donc à élucider le suicide de Markus, le narrateur est désarçonné par ce geste que rien n’annonçait et réalise qu’il ne sait rien de son ami, en dépit de toutes ces années à le côtoyer. Plus il investigue, plus fondent les certitudes et s’agrandit une fissure en lui. Sa quête l’emmène jusqu’en Finlande, elle occupe toute sa vie, il frise la folie.
    J’aime, chez Catherine Lovey, ses phrases précises, banales et denses, chirurgicales qui tissent une intrigue propre à faire découvrir au lecteur – de l’intérieur – le grand complot dont nous sommes tous victimes ; et qui, surtout, l’embarque inéluctablement vers les conséquences à en tirer : le grand danger actuel de la perte de soi, dans un monde où tout est fait pour perdre pied. On ne saurait trop en recommander la lecture.

    Serge Bimpage

    "Cinq vivants pour un seul mort", par Catherine Lovey. Editions Zoé, 187 pages.

     

     

  • Le narrateur contaminé

    91641810.pngPAR ANTONIN MOERI

    Quelqu’un prend la parole. Il veut dire ce qu’il sait de Lola. Un enquêteur indécis, qui ne croit plus à ce que lui rapportent les témoins de l’affaire. En réalité, il entend raconter sa propre version des faits, sa propre histoire de Lol V.Stein. Il évoque le bal où elle s’est mise à hurler avant de s’évanouir, car l’homme qu’elle aimait (dont elle était folle) venait de partir avec une autre. Depuis ce soir-là, Lola s’ennuie à crier. Elle épouse un musicien qui lui fera trois enfants dans une atmosphère de paix retrouvée : routines quotidiennes, soirées entre amis, arbustes bien taillés, soins apportés aux mioches. Dix ans plus tard, la vue d’un couple s’embrassant dans la rue lui donne des ailes : sortir, marcher au hasard, chercher un ailleurs, penser au bal, rebâtir la fin du monde. Alors le roman se construit sous nos yeux. Le doute s’installe. On ne sait plus dans quelle tête se déroule l’histoire. Lola s’allonge dans un champ de seigle pour espionner un couple d’amants et se caresser. Car l’homme qu’elle épie s’appelle Jacques Hold, trente-six ans, assistant à l’hôpital, amant actuel de Tatiana, autrefois la meilleure amie de Lola. Et cet homme est effectivement celui qui raconte l’histoire. Il est à la fois JE et Il. L’incertitude de celui qui profère produit un trouble qui explique peut-être le plaisir qu’on ressent à lire cette enquête amoureuse. Les protagonistes sont également incertains de la destination des mots qui leur sont adressés. Et puis, surtout, le désordre s’est propagé dans le sang du narrateur qui ne pourra plus se contenter de témoigner, d’être spectateur, qui ne pourra plus se contenter de dire avec les autres : « Lol est malade, vous avez vu cette absence… » Le rêve aura contaminé Jacques Hold. Il en aura fait le personnage d’un roman étourdissant de Marguerite Duras, Le ravissement de Lol V.Stein, qui ne demande qu’à être relu, comme s’il se réécrivait sans cesse.

  • L'espérance folle

     Par Pierre Béguin

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     En vagabondant sur la toile, ce qui m’arrive très peu souvent, je tombe sur ces mots sans auteur identifié: «Toi qui sais que les mots pour nous sont des couteaux  Dans les mains de tous les maçons d’espoir,  Les promesses qu’ils nous font depuis des générations  Sont les ombres de nos rêves sur fond de brouillard»

    C’est l’espérance folle…

    L’écrivain, un maçon d’espoir…   Des mots comme des lames tranchantes qui façonneraient le monde…  C’est l’espérance folle…

    Très bien tes coups de gueule sur «blogres», m’a-t-on dit parfois, mais tellement inutiles…

    D’accord tes romans sur la dictature, la torture, le trafic d’organes ou le trafic d’art. Mais tellement inutiles… Un livre peut-il donner sens à la mort d’un enfant? C’est l’espérance folle.  Argent, pouvoir, intérêt, égoïsmes mesquins, absolus sur terre! Quels mots tranchants contre l’acier? C’est l’espérance folle…

    Dans le dernier roman de mon ami et compère de «blogres» Alain Bagnoud (La Leçon de choses en un jour), un promoteur, cynique et sans état d’âme comme il se doit pour ces gens-là, par l’odeur d’une grange alléché, profite d’un enterrement pour faire ses emplettes: «Alors pour les Granges? Dites un prix!» Qui parmi ces paysans montagnards osera s’opposer publiquement à cet homme que l’argent rend si important? L’affaire va être conclue quand, précise le narrateur, le grand-père «soudain inspiré, convoqua un pouvoir dont je connaissais la sagesse mais pas la force et l’autorité.» Les mots contre l’argent. Tradition contre modernisme. Le combat s’engage alors sur la place publique. Combat inégal? Perdu d’avance? Le vieillard bombarde le promoteur de proverbes en patois. L’autre, surpris, vacille. Et c’est l’estocade: «Mieux vaut un bien désert qu’un bien vendu.» Défait, le promoteur s’en va penaud, son panier à emplettes vide. Les mots ont vaincu l’argent. Cette leçon valait bien un livre sans doute. C’est l’espérance folle…

    Et c’est aussi parce que, ce jour-là, il eut la révélation du pouvoir des mots qu’Alain Bagnoud est devenu écrivain. Et qu’il tient un blog. Si la désespérance souvent mène à la plume, la plume souvent est menée par l’espérance.

    «C’est l’espérance folle Qui nous console De tomber du nid Et qui demain prépare Pour nos guitares D’autres harmonies.» Tiens, tiens, Guy Béart! Enterré par les médias! Qui l’a entendu sur les ondes? Aperçu récemment dans les bacs? Vu sur le petit écran? Je l’aimais bien. Fasse qu’il revienne! Que certains rappeurs à la mode lui cèdent leur place pour un petit tour!

    C’est l’espérance folle…

  • Romanciers et écrivains

    Le salon du livre de Genève bat actuellement son plein. Que de visiteurs ! Que d’auteurs aussi ! C’est à vous enthousiasmer. Partout, dans tous les coins, célèbres ou méconnus, assumant de plus ou moins bonne grâce ce petit moment social où ils ont finalement un statut. Plus nombreux que les étoiles du ciel, semble-t-il, ou les grains de sable sur la plage. Des auteurs de tous genres. Des romanciers, des écrivains…
    Romanciers et écrivains ? Je fais évidemment référence à Kundera, dans L’art du roman (voir déjà ici). Il y tentait une distinction entre ces deux espèces.

    D’après lui, l’écrivain aurait une vérité à dire prééminente, préétablie, et quel que soit le genre qu’il utilise (essai, roman, nouvelle), il garderait toujours la même « voix inimitable ». Kundera donnait comme exemple Rousseau, Chateaubriand, Camus, et surtout Sartre.

    Effectivement, que ce soit dans l’essai, la préface, l’ouvrage philosophique, l’article, l’éditorial, le reportage, le roman ou la pièce de théâtre, Sartre, d’une même voix, voulait montrer à chaque fois une partie de cette grande vérité globalisante qu’il avait découverte, qu’on a appelée l’existentialisme, et que je serais bien incapable, et surtout bien ridicule, de résumer ici en une phrase. Par exemple « l’existence précède l’essence » (mais oui, il reste toujours quelques souvenirs du collège).

    Et c’est pour ça peut-être, d’ailleurs, qu’on ne lit plus ses romans ou que ses pièces de théâtre nous semblent si schématiques et si démonstratives.

    Au contraire, le romancier (d’après Kundera) cherche une vérité, « s’efforce à dévoiler un aspect inconnu de l’existence » et pour cela crée des formes différentes, utilise des tons divers, crée des objets distincts. « Il n’est pas fasciné par sa voix mais par une forme qu’il poursuit. » Seraient romanciers Sterne, Flaubert, Proust, Faulkner, Céline.

    Tout de même, la différenciation de Kundera semble un peu douteuse. En tout cas, il y a des romanciers qui ont toujours la même voix inimitable, et qu’on identifie à la première phrase lue. Prenez justement, Proust et Céline. Ceux-là ont leur langue propre, ne cherchent pas à en changer de livre en livre, et si elle évolue, c’est au fil du temps et des transformations des auteurs. Ce qui ne les empêche pas évidemment d’intégrer dans leurs textes des voix autres, celles de leurs personnages, ou des pastiches…

    Et il n’est pas vrai non plus de dire qu’ils se sont cantonnés au roman, même si ce genre leur a donné la célébrité, Les pamphlets de Céline ou Contre Sainte-Beuve de Proust prouvent le contraire, et font partie de leur œuvre, qu’on le veuille ou non.

    Une différenciation plus efficace serait peut-être celle qui séparerait tout simplement bons et mauvais auteurs. Je propose une définition. Le bon auteur trouve une manière personnelle et adéquate de traiter un sujet propre. Le mauvais applique des recettes plus ou moins habilement, et s’il est adroit, on dit de lui : « Mais qu’est-ce que c’est bien écrit ! »

    Ceci dit, que celui qui n’a jamais péché en utilisant des procédés et des trucs jette la première pierre aux autres. Et on ne verra pas beaucoup de cailloux voler.

    Car trois choses lient tous les auteurs. La première est de s’être fait refuser au moins un texte quelque part. La deuxième est de s’approprier tout ce qu’ils peuvent dans les livres qu’ils lisent. La troisième est d’utiliser des chevilles et des conventions.
    (
    Et j’attends de pied ferme ceux qui voudraient me lapider…)