Vices privés, danger public? (11/05/2008)

Par Pierre Béguin

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J’ai lu avec intérêt le dernier article de mon compère Alain Bagnoud sur «blogres» intitulé Vices privés, vertus publiques. J’aimerais revenir sur ces lignes, non pas pour surenchérir mais pour en contredire la pétition de principe, preuve que, sur «blogres», nous ne nous vautrons pas dans la complaisance.

Il y a fort longtemps – j’étais jeune alors et c’était l’époque où fleurissaient dans le voisinage français quelques lupanars de luxe largement fréquentés  par certains notables ou autres édiles politiques genevois (il n’y a par ailleurs aucun rapport entre ces lupanars et le fait que j’étais jeune alors) – il y a fort longtemps donc, un avocat m’a montré une photo qui circulait au Palais de Justice. On y voyait un Conseiller d’Etat nu et menotté à un radiateur en train de se faire langer par un (ou une?) haut responsable de la Justice (comprenez mes imprécisions volontaires). La photo avait quelque chose d’emblématique: alors qu’une des règles essentielles de la démocratie demande la stricte séparation des pouvoirs, la scène démontrait magistralement – et par une symbolique exemplaire – son application illusoire. Comment, dans la pratique, l’exécutif et le judiciaire pouvaient-ils conserver leur indépendance de fonctionnement en se trouvant de manière si compromettante réunis sur une photo circulant dans leur sphère professionnelle? N’est-ce pas ainsi que se crée, au-delà des remparts institutionnels, des habitudes de république bananière? Je te tiens, tu me tiens par la q…ette! Je pourrais vous citer quelques grands scandales financiers genevois qui trouvent à leur origine des affaires sexuelles ou de mœurs. Alors vices privés, oui, peu importe. Mais je crois impossible que des personnes exerçant des fonctions publiques importantes – ou qui peuvent avoir des répercussions importantes sur la sphère publique – puissent s’adonner sans conséquence à leurs vices privés. Peu me chaut, comme dirait André Gide, que tel ministre fréquente avec frénésie force partouzes ou clubs échangistes sélects – peut-être, sûrement, pourrais-je l’envier secrètement –, ou se livre à des pratiques sado masochistes à tendance nazie après avoir sniffé des autoroutes de coke si j’étais certain que ces pratiques ne l’exposassent pas à des pressions, voire des chantages, qui limiteraient, ou même phagocyteraient, son autonomie décisionnaire. Et cette garantie qu’il doit à ses électeurs ou à ceux dont il a la responsabilité, ne lui en déplaise, passe par la vertu privée.

Après tout, si Bagnoud (l’autre!) avait été enseignant, il eût été sanctionné aussi sec en vertu des valeurs exemplaires qu’il était censé incarner pour la jeunesse. Sanctionné par des politiciens même. Comment ces derniers pourraient-ils alors s’éviter des sanctions qu’ils appliquent aux autres? Et tant pis si l’on me traite de vieux protestant que toute forme de casuistique incommode. Plus on s’élève, moins on a d’oxygène. C’est l’évidence, il faut s’y soumettre. Et si les sommets deviennent trop contraignants, on peut toujours redescendre. Simple citoyen, y’a que ça de vrai pour être libre!

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