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  • Une épopée sans action

    Par ANTONIN MOERI2060840123.jpg


    Je ne sais plus qui disait:”La vocation de l’art est d’interroger et interpréter le monde à sa façon propre”. Peut-être est-ce un universitaire parlant de Proust qui a écrit cela. J’aime beaucoup cette phrase. J’y pensais constamment en lisant les entretiens de Peter Handke avec Peter Hamm (Editions Bourgois). L’auteur de Lent retour y parle d’un”regard bon et actif qu’on pourrait bien appeler un idéal, une manière de laisser-être les autres”. Ce regard ne peut se déployer que dans la solitude, quand le pas se libère et que la joie arrive. Une joie mêlé de douleur qui “renforce l’imagination, le désir ou le rêve, le souvenir, aussi”. Le silence actif de Wittgenstein est alors évoqué.
    Les adultères, les intrigues ténébreuses, les détournements d’argent ou d’avion, les assassinats de banquiers célèbres, les mensonges d’Etat, les déplacements de populations (sauf peut-être dans « Le voyage hivernal ») ou le tourisme sexuel n’ont jamais été le sujet d’un récit de Handke. Les questions qu’il se pose lorsqu’il construit un livre sont celles qu’il se posait, enfant:”Où se termine l’univers? Quand le temps a-t-il commencé? Pourquoi je suis moi? Et toi, et toi, toi?”
    “Ce qui vous saute aux yeux et s’engouffre dans votre nez, ce dont on vous rebat les oreilles tous les jours” ne peut fournir matière à raconter, Handke préfère les marges, le “nebendraussen”. Il compare l’acte d’écrire à “l’acte de descendre dans la cave et de retourner les pommes qui reposent là, pour que le parfum en soit conservé”. Faire apparaître de manière épique le temps, “laisser apparaître le temps dans des catégories sensuelles” fascine l’auteur du Malheur indifférent plus que les événements de la Grande Histoire.
    En lisant ces entretiens, on est frappé par la cohérence d’une existence et d’une entreprise littéraire. Qu’il parle de Franz Kafka, de Thomas Bernhard, de Hermann Lenz, d’Emmanuel Bove, d’Anton Tchékhov ou de Ludwig Hohl, de l’internat catholique où il découvrit les romans de Dickens et ceux de Balzac, qu’il parle de ses premiers succès au théâtre, de l’éclatement de la Yougoslavie, de son installation dans la banlieue parisienne, de son travail journalier, de sa fille, du suicide de sa mère ou des interminables marches dans les forêts slovènes, Handke nous invite à explorer ce moment où “la vie brille vraiment dans toute son ampleur et sa somptuosité”.
    Selon Peter Hamm, qui eut l’idée du portrait filmé dont ces entretiens sont tirés, les livres de son ami Handke sont”une grande tentative pour promouvoir une nouvelle confiance dans le monde”. En tous les cas, Vive les illusions! donne envie de relire l’épopée sans action que représente l’oeuvre de P.H.

  • Symétrie

    Par Pierre Béguin

    Il n’a pas même 5 ans. Il joue dans notre jardin avec nos filles et deux autres enfants. Hier soir, il a dit adieu à son père.

    Maintenant, courant et riant, il pousse le garçon sur un tricycle. Ils font le tour de la terrasse avant d’inverser les rôles et de recommencer.

    Sait-il pourquoi il se trouve chez nous? Pourquoi ses parents ne l’ont pas accompagné?

    Maintenant, ils sont tous les cinq sous la pergola en train d’entasser des coquilles d’escargots qui ont mal résisté à l’hiver. Lui vérifie avec une tige si l’escargot est toujours à l’intérieur.

    Se rend-il compte qu’il vit un moment déterminant de son existence?

    Maintenant, ils sont assis à leur petite table en train de manger des pâtes. «On mange parce que sinon on va pas grandir» s’écrie-t-il d’une voix enjouée quand on lui demande si ça va.

    Réalise-t-il que son père va mourir tout à l’heure, à l’hôpital, d’une maladie incurable?

    Plus tard, nous irons au carrousel. Au lancer de balles, il gagnera une baleine bleue en peluche dont il ne voudra plus se séparer. C’est à peine si l’on distinguera un voile de  tristesse dans son regard.

    A cet instant, son père sera mort…

    Moi, la gorge nouée, les yeux mouillés, je le regarde s’amuser. Et je pense à mes parents, à mes amis qui ne sont plus, à «Tous ceux enfin dont la vie, / Un jour ou l’autre ravie, / Emporte une part de nous» (Lamartine, Pensées des morts). Je pense surtout à notre fils disparu prématurément. 1450208567.jpgEt aussi à ces mots de Ramuz à sa fille qui m’avaient accompagné dans l’épreuve: «Et quand,  parmi tout cela, bien avant tout cela peut-être, la conscience de cette autre mort, celle d’après, interviendra, ce sera le grand vertige devant ce sort, qui est le nôtre, d’avoir à peine commencé qu’on sait déjà qu’on doit finir. Mais moi, te prenant alors sur mes genoux, je te raconterai cette autre mort d’avant et tu seras consolée. Je te dirai: «C’est à cause que tout doit finir que tout est si beau. C’est à cause que tout doit avoir une fin que tout commence. C’est à cause que tout commence que tu as connu le grand émerveillement. Tâche seulement d’être toujours émerveillée. Découvre toujours quelque chose comme en ces premiers jours où tu découvrais tout. Garde ces poings fermés dans l’effort joyeux et dans le courage et le sourire qu’il faut aussi dans le courage. Il y aura toujours les belles fleurs des rideaux et toujours les belles fenêtres. Fais qu’elles s’ouvrent seulement plus nombreuses et que la lumière dedans aille seulement croissant en clarté. Et puis, un jour, l’amour viendra, ce nouvel amour, et tous les amours. Et ainsi tu iras distinguant mieux, sans cesse, sans cesse plus de choses. C’est ainsi que peu à peu la fatigue se fera sentir; tu quitteras le sommet de la courbe, on te remettra au berceau. Mais que ce soit dans la douceur des grandes choses consenties et dans le respect de la symétrie, quand les lointains s’éloigneront, au lieu qu’ils s’avançaient alors, et la lumière s’assombrira: naissance de nouveau, naissance en sens contraire, cercle qu’on referme, retour, mais avec ce même beau calme devant ce qui décroît, s’étant accru par une loi semblable: ainsi on voit sur l’horizon la plus haute de ces montagnes naître insensiblement de la plaine et y redescendre insensiblement.» (C.F. Ramuz, Symétrie, in Adieu à beaucoup de personnages)

  • Salon du livre

    Par Alain Bagnoud

    Prenant place à côté de Noël, Nouvel An, Pâques ou la trinité, repère annuel rythmant le passage du temps, situé à l'orée des beaux jours, aussi attendu que redouté, voici venir le Salon du livre de Genève. La semaine prochaine.
    On y sera. D'abord le mercredi 30 avril, à l'occasion de la sortie du livre Rencontre. C'est un recueil qui marque le trentième anniversaire des Editions de L'Aire. Trente écrivains y évoquent une rencontre marquante de leur vie.
    Parmi eux, des auteurs de Blogres. Serge Bimpage qui nous a fait le plaisir d'y publier un extrait de son texte (voir
    ici). Pierre Béguin dont le titre est émoustillant : « A l'hôtel avec Ornella Mutti ». Olivier Chiacchiari qui parle de Claude Stratz. Votre serviteur aussi.
    La sortie du livre sera fêtée le mercredi 30 avril à 15 heures sur le stand de l'Aire (D11), avec tous les auteurs, et, en invitée spéciale, Ornella Mutti elle-même.
    Et ce n'est pas tout. Chacun signera aussi ses livres individuels.
    Serge Bimpage : mercredi de 16 h 30 à 18 h et samedi 3 mai de 14 h 30 à 16 h 30, D11
    Antonin Moeri : vendredi 2 mai de 16 h à 19 heures, stand Bernard Campiche
    Alain Bagnoud et Pierre Béguin : samedi 3 mai de 16 h 30 à 18 h (avec la présence exceptionnelle d'Ornella Mutti), D11
    Pascal Rebetez, en sa qualité d'éditeur, avec trois de ses auteurs, au stand diffusion Zoé : Claude Inga-Barbey, jeudi premier mai, de 14 à 16 h, Sylvain Boggio, vendredi 2 mai de 14 à 17 heures, Anne-Lise Grobéty, samedi 3 mi de 13 à 15 heures.
    Non, finalement, en dernière minute, on me signale qu'Ornella Mutti ne sera pas là. Venez quand même. 

     
  • Ma rencontre avec Marguerite Yourcenar

    Au bout du fil, la voix du spectre. Profonde, presque masculine, affable : « Venez dans une heure, j’aurai tout mon temps. »
       Je remontais la côte est des Etats-Unis. C’était à mi-hauteur du Main, juste après un repas gargantuesque de lobsters, que m’était revenu à l’esprit l’existence de l’écrivaine, sur la presqu’île de Mounts Deserts. Elle ne figurait pas dans l’annuaire. Je l’avais finalement trouvée sous le nom de son amante et traductrice, Misses Frick.
       Quand je suis arrivé devant « Petite plaisance », bâtisse de bois blanc style ma petite maison au Canada, une vieille femme était en train de congédier sa manucure. Petite, voûtée, affublée d’un fichu jeté à la hâte sur ses épaules, elle ressemblait à ma concierge. Mais à sa seule façon de m’inviter à entrer, un subjonctif imparfait dans la phrase, j’ai su que c’était Marguerite Yourcenar, l’unique, la fille de châtelain belge.
    Elle évoluait, gracile, parmi ses meubles anciens, ses tapis d’orient et ses gravures de Piranèse avec une autorité naturelle, une noblesse et une grâce ataviques. On le sentait immédiatement : aucun effet décoratif, dans ses objets ; chacun d’eux, ramené le plus souvent de l’étranger, faisait sens. Exactement comme ses paroles, choisies selon des critères allant bien au-delà de la seule communication. J’étais face à un sphinx que le soleil lui-même, au zénith, hésitait à déranger dans ses considérations graves.
       Comme je venais d’Europe, elle me demanda avec empressement des nouvelles du continent. En particulier, où en était l’écologie là-bas ; ici, aux Etats-Unis où l’écrivaine militait, la situation était positivement catastrophique. Elle me félicita de voyager, me rappelant la phrase de Maître Eckart qu’elle avait citée dans L’œuvre au Noir :
       «Le monde est une prison. Comment être assez fou pour mourir avant d’en avoir fait le tour ? »
    Elle m’encouragea à lire Michima et à me rendre aussitôt au Japon : là-bas et nulle part ailleurs, selon son expérience, se rejoignaient le dehors et le dedans. Enfin, elle sembla se souvenir que j’étais venu pour elle. Avec un sourire d’iguane, elle s’enquerra : « Que voulez-vous savoir ? »
       Par le menu, elle épancha ma soif juvénile de tout connaître de la vie d’une écrivaine, n’esquivant ou ne méprisant aucune question. Elle me détailla son emploi du temps, m’expliqua comment, dans un avion qui la conduisait au Japon elle avait décidé de « dire bonsoir » à la machine pour revenir à la bonne vieille plume. Hiératique, elle n’en autorisait pas moins son interlocuteur à pénétrer son intimité, consciente qu’elle révélait bien plus qu’elle-même.
       Elle craignait, le mot est faible, mais à tort heureusement, de ne pas disposer d’assez de temps vu son âge pour achever le roman qu’elle avait en chantier, Quoi ? l’éternité. Et nous enchaînâmes le plus naturellement du monde sur la mort qu’elle envisageait avec sa sérénité de sage écologiste, éprouvant même, les yeux tournés souvent vers le portrait de l’empereur Adrien, contre le mur de son bureau, une fascination à l’idée que nos molécules rejoignent le grand cosmos pour s’y fondre éternellement.
       Nous avons eu un unique échange épistolaire. Après réception de l’article, elle m’écrivit pour me remercier de l’« une des meilleures et des plus simples entrevues qui aient été faites avec moi. » Dans une lettre posthume, publiée au Journal de Genève une semaine après sa mort, je lui dis ma tristesse et celle de tant d’autres d’avoir perdu un sphinx qui prédisait aussi bien le passé que l’avenir, ce qui, à ses yeux revenait au même.
    Quand il m’arrive de penser à elle, je l’entends m’avouer son drame d’avoir perdu, deux ans auparavant, sa compagne de toujours, grâce à qui je l’avais rencontrée. Plus elle allait, plus elle réalisait le prix de l’amitié. Surtout, répondant à ma question de savoir quelle était la plus grande difficulté du métier d’écrivain, elle m’avait confié ceci qui me resterait pour toujours :
       « Misses Frick était mon unique lectrice véritable. Elle me lisait avec l’œil complice de l’amie et de la critique. C’est ce qu’il y a de plus difficile à trouver, pour un écrivain: un ami non seulement capable de vous lire - mais de le faire sans arrière pensée, sans concurrence ! Certains écrivains cherchent cela toute leur vie ! Pensez-y, jeune homme si, comme je le pressens, vous deviez écrire. Et puis ceci encore, si je devais avoir raison : Comme romancier, ne haïssez aucun de vos personnages. Aimez-les comme le père que vous en serez, jusqu’au dernier.»

    Serge Bimpage

    (texte à paraître dans "Rencontres", éditions de L'Aire, à l'occasion du Salon du Livre 2008)

  • Où sont les sadiques ?

     

     

    par Pascal Rebetez

     

     

     

     

    J’ai dû rater trois feuilles des œuvres complètes de Peter Rothenbühler. Je ne savais pas que le sadique zoophile, qui avait sévi dans tous les trous punais de la Suisse bucolique de l’été 2005, n’était qu’une vaste fiction, une supercherie, une baudruche pour feuilles de chou, un mensonge.

    Le Courrier de samedi dernier me l’apprend enfin, foi du chef de la police judiciaire neuchâteloise, et je suis atterré. Je l’aimais et m’en étais fait tout un roman de ce détrousseur de biquettes, ce souleveur de levrettes, cet excalibur des bocages, amoureux sans pitié des génisses isolées qu’il tuait après les avoir séduites. J’aimais, comme tout le troupeau ovin des lecteurs crédules, imaginer ce monstre commettre ses forfaits, entre l’étable et la fontaine, s’aidant parfois, pour saillir les juments les plus hautes, d’un véritable botte-cul AOC, et, son impair commis, rejoindre notre troupeau à nous, humains trop humains, jusqu’à guetter sa prochaine proie, peut-être parmi quelques moutons noirs… Brrr, j’en frissonne encore. Eh bien non ! Il n’existe pas. Pures fadaises dues à l’ « effet de contexte », ce phénomène de psychologie des masses qui fait prendre des vessies pour des lanternes. Surtout quand la presse de boulevard s’en mêle et va butiner dans les labours. Cette presse nous ment, nous gonfle, nous méprise et nous piétine. Il n’y avait pas de sadique zoophile en activité en été 2005. Il n’y avait que des charognards à plume, des corbeaux et des lemmings, se ruant tous au précipice, dans le trou punais du spectacle, là où la fange, fût-elle pailletée, cache les vrais enjeux de nos existences.
  • Le sport, quelle plaie!

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     Par ANTONIN MOERI

     

    Je me demande parfois si je suis un être de joie. Et à la question Quels sports pratiquez-vous régulièrement ? je réponds tout de go : vélo, canotage, balade à pied. Quand je roule sur un ruban d’asphalte, je dialogue avec le coq du clocher, les nuages et les cerfs-volants. Quand je rame sur le lac, il m’arrive de croiser un goéland majestueusement posté sur un tronc à la dérive. Je ralentis le mouvement et nous nous parlons. Mais alors, d’où me vient l’extrême dégoût du sport-spectacle ? Je veux parler de ces foules qui s’agrègent autour des stades, des patinoires, des courts de tennis et devant les écrans de télévision, de ces supporters peinturlurés ayant abandonné toute dignité pour gesticuler, grimacer, beugler et vider leur vessie ensemble. En effet, on peut se demander pourquoi le sport-spectacle exerce actuellement une telle emprise sur les esprits. Pour Marc Perelman, lecteur attentif d’Adorno et Horkheimer, le sport-spectacle a envahi toutes les institutions et toutes les couches de la société. C’est le principal sujet de conversation dans les cours de récréation, les familles recomposées, les salles des maîtres, les entreprises, les couloirs du Parlement, les files d’attente des grandes surfaces. L’adhésion massive de la jeunesse à cette nouvelle foi, depuis les années quatre-vingt, étonne l’auteur de Le sport barbare. C’est à un véritable retournement politico-idéologique que nous assistons, à une systématique intégration des populations du globe dont le seul et ultime rêve est de s’éclater au milieu d’une foule. Le sport-spectacle réalise une des promesses de cette mondialisation heureuse dont la chute du mur de Berlin accéléra le processus. Une autre promesse s’étant réalisée dans le tourisme de masse, également caractérisé par la grossièreté, l’inculture, la satisfaction des pulsions les plus basses, l’esprit de horde, l’idolâtrie du muscle, l’apathie, le show idiot et pervers.Le constat lucide et sombre de Marc Perelman vient de produire une étincelle dans mon cerveau. Je vais immédiatement saisir mes rames, poser mon skiff sur le gros bleu du lac et rejoindre le goéland. Car une chose est sûre : le palmipède m’attend sur un tronc qui dérive. Nous parlerons des belles athlètes ukrainiennes échevelées, ongles vernis, appels de reins et déhanchements crânes, slip luisant disparaissant dans les plis de l’aine. Nous n’évoquerons surtout pas la flamme olympique.

  • Quotas, sottise et sexisme

    Par Pierre Béguin

     

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    Dans son très long monologue, Figaro, s’interrogeant sur les aléas étranges de son destin, s’écrie dans un moment de désespoir: «On pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais propre: il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint» (Le Mariage de Figaro, Acte V,scène3).

    Cette citation m’est revenue en mémoire à la lecture d’une ouverture d’inscription pour un poste de doyenne / doyen dans un Collège genevois, offre qui se termine par cette précision en caractères gras: Priorité sera donnée à une candidature féminine. Autant écrire: interdit aux hommes! Quel spécimen mâle, en effet, sera assez stupide pour répondre à une offre sanctionnée d’une telle restriction? Elle élimine de facto toute proposition masculine, revêtant ainsi un caractère sexiste que, bizarrement, peu de personnes semble considérer, à en croire les opinions recueillies autour de moi, et plus spécialement celles des hommes souvent enclins à s’autoflageller ou à se profiler avec opportunisme, dès qu’une femme les écoute, dans l’espace de la séduction.

    Une amie me rappelait récemment que, au temps du Conseiller d’Etat André Chavanne, le problème au DIP était de respecter l’équilibre des confessions: qu’il nommât un catholique à un poste important et, aussitôt, les protestants de s’indigner d’un possible déséquilibre, pour ne pas dire d’un complot du Vatican. Tout le monde, aujourd’hui, considèrerait comme stupide un tel distinguo. Et pourtant, ces mêmes personnes trouvent normal – alors qu’il n’y a, fondamentalement, aucune différence – l’établissement de quotas en faveur des femmes, même à l’Etat où cette forme de sexisme a disparu depuis bien des années. L’argument est toujours le même et d’une sottise affligeante: il s’agit de compenser des siècles de domination de cet avatar de la création qu’est la race masculine dont le plus grand tort est de ne pas être du sexe opposé. Ainsi, pour lutter contre une injustice, on utilise les armes même que, par ailleurs, on condamne vertement. Ainsi, à suivre cette logique, pour s’élever contre le racisme, il faudrait accorder aux noirs des siècles de racisme contre les blancs pour réparer les injustices qu’ils ont subies. Avec un degré de réflexion aussi poussé, qui rend légitime en démocratie une forme de vendetta, on n’est pas prêt de sortir du problème!

    D’autant plus que cette théorie des quotas ne fait en réalité qu’habiller d’un voile idéologique les instincts de celles ou de ceux (j’ai des noms! j’ai des noms!) qui, par opportunisme ou soif de pouvoir, tentent de se profiler dans les portes qu’elles/ils ont ouvertes à grand coups de culpabilisation. Vous, lecteurs ou lectrices offensés par mes propos, connaissez-vous beaucoup de véritables idéologues, sincères et désintéressés? Preuve en est que certaines féministes, ferventes apologistes de la théorie des quotas, remettent en cause leur propre conviction sous prétexte que, appliquée sans casuistique, elle demanderait un rééquilibrage en faveur des hommes, désavantageant ainsi les femmes représentées en force dans certaines professions. Ainsi, dans une très large proportion (trois quarts), ce sont des femmes qui ont été nommées par Charles Beer aux nouveaux postes de directrices (eurs) (?) dans l’enseignement primaire. Imaginons le tollé si la proportion eût été inversée. Etrangement, aucune voix ne s’est élevée pour dénoncer «cette scandaleuse preuve de sexisme…»

    Mais le pire avec les quotas, par leur logique intrinsèque, c’est qu’il n’y a aucune raison qu’ils se limitent à celles à qui ils sont généreusement accordés. Aucune raison qu’on ne les donne pas aux minorités défavorisées, voire opprimées par la norme depuis des siècles: ainsi des homosexuels, des infirmes, des petits, des laids, etc.

    Imaginez que Figaro, désespéré d’appartenir à la norme, s’écriât: «Il fallait un calculateur, ce fut une valaisanne noire, protestante, socialiste et lesbienne qui l’obtint»! N’y en aurait-il qu’une seule, il faudrait retenir sa candidature par respect des quotas dus aux minorités.

    On vit une époque formidable!

  • Joselito Carnaval, de Pierre Béguin

    Par Alain Bagnoud

    Il est toujours intéressant de remonter un peu dans la production d'un auteur. Je viens de lire, par exemple, Joselito Carnaval, de Pierre Béguin (publié en 2000) .
    Pour la clarté de l'affaire, je rappelle que Pierre est un ami avec qui je participe à l'aventure de
    Blogres. Mais ce n'est pas pour ça que je dois m'empêcher de parler de lui, si j'en ai envie.
    Finalement, c'est Pascal Rebetez qui a inauguré ça
    hier. Vertigineux début. Perspectives prometteuses. Tout de sa faute. Nous allons faire de Blogres un endroit auro-référentiel où nous nous renverrons l'ascenseur. Passe-moi la rhubarbe et je te passe le séné.
    Je plaisante, bien entendu. Il vaut mieux préciser, on fait toujours trop confiance. La vraie question est : pourquoi ne pas parler de quelque chose qui nous intéresse, même si ça concerne un ami ? Non à l'autocensure.
    Joselito Carnaval, donc, raconte un fait-divers effrayant. Un ramasseur de carton colombien est poignardé au début du carnaval, dans sa ville, puis jeté sur un tas de cadavres où il est laissé pour mort dans les sous-sol d'un hôpital. Mais il se relève, il parvient à s'enfuir et va raconter à un assistant social ce qu'il a vu et vécu.
    La police finalement enquête et met à jour un trafic de cornées et d'autres organes humains, qui implique les gardiens et les pontes de l'hôpital. Ainsi que, beaucoup moins volontairement, les miséreux de la ville qui sont attirés et tués pour fournir la matière première.
    Mais petit à petit, l'enquête ralentit. Et l'affaire se termine en queue de poisson  après quelques assassinats...
    Adrien Pasquali disait que chacun de ses livres était la correction du livre précédent. On pourrait probablement généraliser un peu et élargir cette conception à la plupart des auteurs. En tout cas, si on examine les trois derniers livres de Béguin, cette règle s'applique.
    Jonathan 2002, son dernier livre, adopte un ton sobre, pudique, au service d'une douleur à laquelle il faut donner un sens. Terre de Personne, son ouvrage précédent, déroule au contraire des longs anneaux de phrases impeccables, souples comme des lianes, en mimétisme avec la jungle dans laquelle se passe cette aventure de pilleurs de tombes précolombiennes.
    Joselito Carnaval, antérieur, est composé de parties très diverses, de langages différents, monologues de tons variés, rapports officiels et documents administratifs. Une mosaïque de récits qui concourent efficacement au suspense de l'affaire, et montrent tout le talent d'un auteur qui adopte à chaque fois une forme liée au contenu. 
    Je me souviens d'une distinction suggérée par Kundera, dans L'art du roman. Selon lui, l'écrivain parlerait toujours de la même voix, alors que le romancier utiliserait des tons différents.
    D'où l'on en déduit que Pierre Béguin est un romancier. Et il a une plume remarquable. Ça, ce n'est pas Kundera, c'est moi qui le soutiens.
    D'ailleurs, les visiteurs de Blogres le savaient déjà. 

    Pierre Béguin, Joselito Carnaval, L'Aire 2000

    (Publié aussi Le blog d’Alain Bagnoud.)

  • De la pub encore et partout !

     

     

    par Pascal Rebetez

     

     

     

     

    Je lis ici ou là quelques agacements manifestés contre la présence intempestive de la publicité dans les marges ou sur les pages de nos blogs chéris. Oui, c’est fâcheux, mais ça peut être également source d’amusement. Je crois savoir que ce sont des moteurs « intelligents » qui distillent les cocards publicitaires en fonction de mots-clés. Ainsi, quand je vais aux sources vives de mon compère Bagnoud (http://www.blogg.org/blog-50350.html), je lis en haut de sa page, parfois à gauche parfois à droite, une publicité pour l’épilation laser de dernière génération ! L’ami dont on voit la photo n’est pas glabre, il aurait même le cheveu assez long et une barbe des mauvaises nuits, mais qu’est-ce que cette publicité fiche donc là ? Il semblerait que la machine intelligente ait pointé « valaisan » dans l’identité du blogueur et comme l’annonce Google loge une épilation sédunoise, hop on applique la combine ! Et à lire plus précisément l’annonce, on apprend qu’ils font aussi là-bas, rue du Scex ( !?), le traitement de la couperose ! C’en est assez pour un Valaisan pur cep.

    Voisinant Blogres, on trouvera de la publicité rance pour une pseudo Société des Ecrivains, en fait une maison d’édition française à compte d’auteur, pas vraiment le genre de la maison, mais le terme « écrivain » n’est pas une marque déposée et ne requiert aucun droit d’auteur.

    Est-ce le syndrome Bagnoud qui nous poursuit ? Voilà-t-y pas que Nivea nous propose sa mousse à raser, « pour les hommes qui n’acceptent pas les irritations ». Bon, là on comprend mieux.

    Autre référence publicitaire automatique : le site qui veut « être le partenaire des carrières d’excellence. Uniquement des postes à partir de 120'000 francs » ! Là, je perçois qu’on touche au but, mes confrères de blog étant à peu près tous dans l’enseignement…

    Ouf, je respire, la publicité n’est pas faite que pour les pauvres.
  • Mort à l'imagination!

    par antonin moeri

     

     

     

    1357399025.jpgJe ne connaissais pas l’existence de Christophe Donner jusqu’au jour où, dans une bonne librairie, je tombe sur un petit livre à couverture noire, dont le titre a retenu mon attention Contre l’imagination. J’aime les pamphlets, car celle ou celui qui en écrit n’est pas habité par la honte, mais par la colère. Notre auteur cherche une réponse à cette question Comment peut-on, en art, se satisfaire de la distraction du public ?
    Il s’en prend à l’imaginaire, à cette liberté que le romancier s’octroie dès qu’il invente des noms propres, décrit des lieux ou des paysages qu’il n’a jamais vus, prend ses aises avec le « réel », crée l’ennui, ce soupçon que Nathalie Sarraute pointait il y a une soixantaine d’années. De cet imaginaire qui empoisonnerait la littérature et qui stimule les institutrices, les publicitaires, les as du marketing, les animatrices-télé et les mamans prônant la lecture-plaisir, Donner voudrait se débarrasser pour entrer dans la chair, descendre en soi-même, faire preuve de sincérité.
    La retranscription d’une conversation avec un ministre la veille de son suicide n’aurait aucun équivalent dans la littérature. Jamais un écrivain construisant son univers, forgeant une langue, imaginant des langages et les sensations de ses personnages ne saurait atteindre à l’intensité des silences du ministre désespéré.
    C’est un bien curieux procès qu’engage Christophe Donner, dont l’instruction exigera des siècles de patience, des masses de témoignages, des montagnes d’indices, des amoncellements de preuves et dans lequel le petit entomologiste que je suis rêve de prendre parti.