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L'invité du jour

  • Ecole, ou quand le bâtiment va, tout va

    Cette semaine, j’accueille un invité, Claude Duverney, qui s’était déjà exprimé de manière très pertinente dans notre blog l’année passée. Il s’exprime sur l’école en tant que père dont les enfants fréquentent l’école primaire et le Cycle d’Orientation. Je le remercie de sa prise de position. Pierre Béguin

     

    Qu’on les conteste ou qu’on les relativise, les études Pisa recalent les écoliers genevois année après année. Chacun y va de son commentaire et, surtout – comme il «connaît» l’école pour y avoir usé quelques fonds de culotte – de sa recette pour redresser la barre.

    Mais qu’observent les parents que nous sommes en fréquentant les préaux du primaire et en s’intéressant à l’enseignement dispensé à nos enfants? Que les maîtres travaillent consciencieusement avec leurs élèves; parfois, ou souvent même, malgré une conception pédagogique aussi controversée que son imposition est dogmatique. Les penseurs de l’école, pourtant laïque, ont décidément de la peine à se départir d’une certaine religiosité, tant qu’ils se préoccupent de marquer leurs investigations du sceau de la scientificité.

    Alors, quelles mesures le DIP prend-il pour juguler l’hémorragie? Des renforts qui pleuvent comme manne céleste; car on nomme… surtout des directeurs (plus de 90). Loin des élèves et de leurs maîtres ou, à tout le moins, en perdant la proximité toute efficace du «maître principal». On imagine d’ailleurs la maîtresse en situation d’urgence prendre le téléphone pour appeler le secrétariat d’une directrice, alors qu’il lui suffisait auparavant de toquer à la porte voisine du maître principal pour régler le problème. Quelle entreprise fonctionne-t-elle encore sans directeur de nos jours – argumente le Président du DIP quand il est sommé de s’expliquer dans les média? Comme si l’école était une entreprise plutôt qu’une Institution, ou comme si elle se devait en tout cas de tourner comme une fabrique.

    Mais ces nominations sont-elles au moins efficaces et vont-elles relever le niveau de l’école genevoise? Pas à elles seules, nous laisse-t-on encore entendre. Car on annonce fièrement la constitution de «conseils d’établissements», à la participation desquels des parents sont élus. L’école associe les parents, mais aussi les communes, à son fonctionnement: «Il <le conseil d’établissement> développe des liens entre l’école, la famille ainsi qu’avec et grâce aux communes» (sic!) En faisant au passage de grands gestes d’ouverture et de visibilité, le site du DIP nous explique bien que ce «conseil» apporte aide à la direction et efficacité aux décisions: «Il constitue une aide au pilotage de l’établissement, amène transparence et efficacité aux décisions prises et aux actions menées».

    Nous voilà pleinement rassurés. Pensez: les écoles seront dirigées par des directeurs et, pour les aider à diriger et assurer l’efficacité des décisions, on leur adjoint un conseil d’établissement associant parents et communes. Une chape bien lisse pour couvrir une épaisse dalle de béton: l’école est, dès à présent, bien façonnée et consolidée. Et c’est vraiment le dernier des scepticismes qu’il faudrait convoquer pour discerner une fissure dans l’édifice. Pourtant, puisque l’on parle bâtiment et que l’on conçoit à présent l’école sur le modèle d’une entreprise, osons une comparaison.

    Considérons une entreprise genevoise engagée dans la construction d’un immeuble. Comparaison n’est pas raison, certes, mais il en va tout de même d’édification dans les deux cas. Esprit ou matière, quelle importance d’ailleurs, quand on vise la performance de part et d’autre? Notre entreprise, révèle une étude à ceux qui ne le voient toujours pas, accuse un retard sur celles de cantons voisins affairées sur des chantiers de même envergure. Que fait le patron de l’entreprise genevoise afin de rattraper son retard? Il nomme une dizaine de chefs de chantier qu’il installe dans des bureaux. Il met sur pied un conseil d’entreprise, avec élection de représentants du quartier et du voisinage, pour aider les chefs et assurer l’efficacité et la transparence des mesures décidées. A n’en pas douter, toute personne dotée d’une once de bon sens s’insurgerait et dénoncerait l’inadéquation des mesures prises pour accélérer la construction. Tant il est vrai que les chefs ne vont pas plus monter des murs que les voisins couler des dalles.

    Mais pourquoi cette approbation par le silence lorsque des mesures aussi contre-productives sont appliquées dans l’école genevoise? Quand elle ne serait qu’une entreprise, l’école vaudrait déjà qu’on la sauve – et Dieu sait que la chose est d’actualité; mais l’école est une Institution qui exige qu’on la défende à titre d’organe de la République. Peut-être notre absence de réaction est-elle déjà l’effet de l’érosion de la réflexion critique; une érosion conséquente, en partie d’ailleurs, à la volonté politique d’aligner l’école sur les attentes professionnelles. Et quand l’esprit critique n’y résiste plus, les slogans nous envahissent, qui nous évitent de penser. Alors nous allons bientôt tous répéter d’une même voix, servile et béate: «quand le bâtiment va, tout va, même l’école!»

     

    Claude Duverney, parent d’élèves

     

  • Petit plaidoyer pour une école unie

    Aujourd’hui, je cède la plume à M. Alain Jaquemoud, qui s’était déjà exprimé l’année dernière dans notre blog, et qui désire revenir sur le colloque Enseignement secondaire, formation humaniste et société, XVIe – XXIe siècles, qui s’est tenu cette semaine à l’aula Frank-Martin dans le cadre du 450e anniversaire du Collège de Genève. Pierre Béguin

     

     

    Dites matu pro, formations professionnelles, revalorisation des métiers: Charles Beer est là, il frémit d'aise, a la parole en verve et régulièrement, partout où il est amené à en parler, s'enchante de ce qu'il a à dire. C'est son joujou, sa rengaine, son cheval de bataille, son évangile. Il a raison. Mille fois raison. Quand il est arrivé, dans une ville où, sans en connaître grand chose, plus d'un jeune en âge de choisir sa voie avait pour réflexe premier de les bouder, il fallait poursuivre le travail de réhabilitation de ces filières, tâche engagée par Mme Brunschwig Graf et que M. Beer – nous le reconnaissons volontiers – a bien fait de reprendre à son compte. Santé, social, petites et grandes industries, commerce, services, tourisme, corps de l'Etat aussi: voilà les principaux secteurs pourvoyeurs de places, voilà les domaines qu'investissent ces jeunes, une fois formés. Les métiers qu'ils exercent ont leur utilité, leur intérêt, leur noblesse.

    Dites maintenant collège, dites université: le regard de l'intéressé s'envole dans les cintres, et ce n'est plus que distraction, absence au monde, évanescence des discours et fuite des corps. La preuve par l'acte – ou le non acte – en a encore été donnée récemment. Retour rapide sur les faits.

    Le Collège et l'Université de Genève ont 450 ans cette année. A la traditionnelle commémoration (avec banquet des volées), on a décidé cette fois-ci d'adjoindre un temps de réflexion et de se saisir de l'événement pour débattre de la question de l'enseignement. La manifestation phare consiste en un colloque intitulé justement: «Enseignement secondaire, formation humaniste et société, XVIe – XXe siècle». Elle a démarré mardi soir 23 mars à l'aula Franck-Martin, avec une partie officielle, suivie immédiatement de la première conférence plénière, donnée par Mme Ann Blair, de l'Université de Harvard. Or dès la fin de la partie officielle – au cours de laquelle il s'est borné pour l'essentiel à chanter les louanges de sa propre politique en matière de promotion des filières professionnelles – M. Beer s'est éclipsé. Mission accomplie. Pour aller où? Rejoindre ses pénates? Siéger ailleurs? Poser pour une photo de campagne? Nul ne le sait. Et que dire de l'absence, à quelques exceptions près – et de ce fait remarquées – de la direction générale du post-obligatoire au moment où, précisément, les maîtres exposaient leurs visions et faisaient part de leurs convictions sur la formation gymnasiale dont ils sont responsables?

    A partir de là, deux remarques. Primo: vu le prestige de l'invitée de ce premier soir, et, au-delà de Mme Blair, vu l'importance des questions mises en jeu pour aujourd'hui et pour demain, on aurait souhaité que M. Beer honore l'assemblée de sa présence. Il n'a pas cru bon de le faire. C'est une faute de goût. Peut-être une affaire d'agenda.

    Deuxio: plus largement, comment, dans cette circonstance symboliquement très chargée de sens, interpréter ce départ précipité? Au mieux comme le signe d'un défaut d'intérêt, au pire comme de l'indifférence, dans tous les cas comme une attitude symptomatique d’un manque de volonté de défendre et de renforcer ce pan essentiel de l'école genevoise. Or affirmer qu'une ville comme Genève vit de l'apport de ses apprentis et de tous les gens de métiers mais qu'elle a également un besoin vital de personnes ayant bénéficié de formations académiques semble relever de l'évidence. Si donc idéologiquement une position comme celle de M. Beer peut ne pas vraiment surprendre – il l'arbore depuis longtemps - politiquement, elle ne paraît guère défendable. Son rôle n'est-il pas au contraire de maintenir lié le faisceau de voies de formation au final complémentaires?

    L'école est une, l'instruction publique aussi. Privilégier un secteur au détriment de l'autre relève d'une vision restrictive de l'institution scolaire. C'est en outre prendre le risque de démobiliser une partie des enseignants en portant atteinte à la haute idée que, pour la plupart, ils se font de leur mission. Soutenir les métiers, oui, pleinement. Mais dans le même temps, maintenir le cap d'un collège fort et exigeant.

     

    Alain Jacquemoud

     

     

     

  • Initiative 134 ou contreprojet?

    Par Pierre Béguin

    Je n’ai rien à voir avec REEL, je n’enseigne pas au Cycle d’orientation et, donc, je ne connais que par de vagues ouï-dire l’initiative 134 «Pour un Cycle qui oriente» sur laquelle le peuple genevois est amené à se prononcer le 30 novembre prochain. Aussi, en brave citoyen (ce qui, au rythme où vont les choses dans notre République, sera bientôt une autre manière de dire «en brave con» - oui, je sais, le futur est de trop!), je consulte la brochure Votation cantonale en page 18 pour m’informer sur le sujet. Et là, le choc! Une attaque en règle contre l’initiative avec lance-missiles, mines anti personnels et tout le tintouin. Attaque surprise et non revendiquée en plus! Pourquoi tant de haine? que je me suis alors demandé, moi qui croyais encore naïvement que L’essentiel en bref, ça voulait dire, comme c’est d’ailleurs le cas pour les autres objets de votation, informer de manière neutre et objective. La gueule de l’information! Manipulation évidente et, vu l’artillerie lourde utilisée, mensonges grossiers. Tout est nul, tout est faux, tout est à jeter dans cette initiative, disent-ils en toute objectivité. Alors que dans le contreprojet, tout est bon, tout est vrai, tout est à prendre, jurent-ils en toute honnêteté. Il y a là outrage manifeste à l’intelligence des citoyens. Ça mériterait le Tribunal! Alors cette semaine, par acte de justice élémentaire, je préfère laisser un droit de réponse à Mme Rita Bichsel, membre de REEL à l’origine de l’initiative 134. Elle n’est peut-être pas neutre, certes, mais bien plus crédible que cette inadmissible caricature de Pravda nommée Votation cantonale dont j’avais déjà fustigé la nullité il y a une année (voir Votez érotique). Lisez donc cette réponse avant de voter:

    «Qui oriente précocement? 

    L’initiative 134 oriente les élèves à la fin de la 7e.

    A l’entrée en 8e, l’élève a le choix entre six filières clairement définies par leurs enseignements, leurs exigences et leurs débouchés.

    Le contre projet oriente à l’entrée en 7e: trois regroupements A, B et C, comme actuellement.

    A l’entrée en 8e, l’élève a le choix entre trois sections, définies uniquement en fonction de leurs débouchés.

    Qui exclut les plus faibles?

    L’initiative 134 offre aux élèves non promus de l’école primaire la possibilité d’entrer au Cycle d’orientation dans la classe de transition et d’y combler leurs lacunes.

    Après l’année de transition, ils sont orientés dans un niveau de 7e comme tout autre élève promu du primaire et poursuivent en 8e et en 9e dans l’une des six filières, avec les autres élèves.

    S’ils sont en échec, ils ne peuvent redoubler car ils passeraient cinq ans au cycle, ce que le bon sens - et le règlement - suggèrent d’éviter.

    Le contreprojet n’accepte pas ces élèves au cycle.

    Qui coûte le plus cher au contribuable?

    L’application de l’initiative 134 n’implique en aucune manière des infrastructures ou des bâtiments scolaires supplémentaires, car elle ne demande pas davantage de classes, mais une répartition différente des élèves.

    Selon les statistiques officielles (note du SRED n° 26), les effectifs du Cycle resteront stables jusqu’en 2025. Nul besoin donc de prévoir des constructions nouvelles.

    L’initiative 134 ne demande rien d’autre que l’application de l’article 54 de la Loi sur l’instruction publique sur le soutien pédagogique, qui existe déjà!

    Le contreprojet demande la mise en place d’un volumineux système de passerelles qui implique l’engagement de nombreux psychologues et conseillers d’orientation. Ces mesures seront extrêmement coûteuses pour les contribuables.

    Qui surcharge la première année?

    L’initiative 134 ne change rien à l’ensemble des enseignements qui sont dispensés actuellement en 7e. Et même, elle en réduit le nombre, car  l’étude du latin commencera seulement en 8e!

    Le contreprojet envisage le latin pour tous en 7e. Ce changement représenterait  un poids supplémentaire énorme pour une bonne partie des élèves!

    Qui est en adéquation avec les exigences croissantes des milieux professionnels?

    Le lien des filières préprofessionnelles de l’initiative 134:

    Filière d’orientation vers les professions commerciales, administratives, de la santé et du social,

    Filière d’orientation vers les professions techniques et informatiques,

    Filière d’orientation vers les arts et métiers,

    avec les sept pôles prévus par la nouvelle loi sur la formation professionnelle:

    Commerce, Services et hôtellerie/restauration, Santé et social, Technique, Arts appliqués, Construction, Nature et environnement

    est immédiatement évident.

    Le contreprojet fait reposer la définition de ses sections uniquement sur la destination et non sur les enseignements. Floues dans leur contenu et  hétérogènes dans leur organisation, ces sections trompent les élèves sur leurs réelles connaissances et compétences à l’issue de la scolarité obligatoire. C’est la reconduction assurée de la situation actuelle, qui est catastrophique, comme tout le monde l’a admis, de gauche à droite.

    De toute évidence, l’initiative 134 «Pour un cycle qui oriente» est la seule capable de donner à Genève un cycle d’orientation  exigeant et formateur pour tous.»

    Rita Bichsel  www.reseau-reel.ch
  • Enseignants: devoir de réserve ou devoir de parole?

    Entre le 12 et le 17 mars, nous avions publié sur ce blog trois articles concernant le DIP et, plus spécialement, le Collège de Genève (cf. Alain Jaquemoud: Quel avenir pour le Collège de Genève? Claude Duverney: Charles Beer sacrifie l’ascenseur social; Pierre Béguin: Le silence de la mer). Articles qui avaient provoqué un débat sur Léman bleu, arbitré par Pascal Décaillet, entre Messieurs Charles Beer et Jean Romain. Monsieur Claude Duverney, auteur d’un de ces articles, désire revenir sur ce débat. C’est bien volontiers que, cette semaine, je lui cède mon tour de plume.    

                                                                                        Pierre Béguin

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    Lors du face-à-face du 18 mars qui l’opposait à Jean Romain sur la chaîne Léman Bleu, M. Charles Beer, Président du DIP, a déploré la prise de parole publique d’enseignants, arguant du fait que ces derniers disposent de deux voies pour se faire entendre: les syndicats d’enseignants et les directions d’écoles. Cependant, ce que M. Beer n’a justement pas saisi, c’est que si des maîtres s’expriment par une troisième voie - un blog indépendant -, c’est que la première voie est inappropriée et la deuxième neutralisée.

    Demander que les enseignants fassent part de préoccupations pédagogiques par l’intermédiaire de leur association syndicale (en l’occurrence l’Union du Corps Enseignant Secondaire Genevois), c’est oublier que les syndicats d’enseignants ne sont pas légitimés à parler prioritairement pédagogie: la raison d’être et l’objectif premier des associations corporatistes concernent la défense des intérêts et des droits des enseignants, quand bien même leurs conditions de travail sont partiellement liées aux choix pédagogiques; et c’est le DIP genevois qui s’est accoutumé à les considérer comme des interlocuteurs privilégiés, quand les règlements scolaires stipulent que ce sont les maîtres qui, ès qualité, travaillent à la confection des plans d’études et des programmes, proposent moyens et méthodes d’enseignement, et veillent à l’harmonisation des exigences[1]. La voie de communication syndicale est à l’évidence inappropriée aux questions strictement pédagogiques qui préoccupent les enseignants, et M. Beer, en tant qu’ancien syndicaliste, est bien placé pour le savoir.

    Resterait donc aux maîtres la voie de communication hiérarchique, mais c’est précisément là que le bât blesse, comme en témoigne l’article d’Alain Jacquemoud publié dans ce blog début mars[2]. Au sortir d’une journée de travaux et de discussions (28 février) consacrée à la révision partielle du règlement de maturité (ORRM), voici en effet ce qu’il écrivait: «Beaucoup <de maîtres> auraient espéré que le fruit de ces discussions (…) soit réellement pris en compte (…), ces échanges avaient été si profitables que l’on s’était mis à rêver de leur donner un écho officiel et à imaginer qu’ils soient véritablement entendus et jugés dignes d’infléchir les décisions à venir.» Ce que Alain Jacquemoud, dépité, montre clairement, c’est que les préoccupations pédagogiques des maîtres, transmises aux directions de collèges afin d’être relayées au plus haut niveau, ont peu de chances de se voir prises en compte, tant il est vrai que le chef du Département exclut toute exigence nouvelle pour l’obtention de la maturité - sauf à démontrer préalablement qu’elle ne diminuera pas le pourcentage de diplômés: «Question à Charles Beer, poursuit Alain Jacquemoud, (…) pour garder à la 4e sa valeur d’année terminale et au certificat délivré toute sa substance, ne faudrait-il pas resserrer les exigences dans ce degré? Réponse: non». Pour mémoire, M. Beer affiche l’objectif intangible d’atteindre 95% de diplômés post-obligatoires dans la population scolaire genevoise[3]. La voie de communication hiérarchique, laissée à l’expression des soucis des maîtres, apparaît donc neutralisée, neutralisée par un impératif idéologique qui tue in ovo toute proposition de hausse des exigences cohérentes transmise aux directions de collèges, lesquelles directions, si elles partagent les inquiétudes des maîtres, trahissent le même sentiment d’impuissance.

    Alors, que faire quand la menace plane sur l’école post-obligatoire et que le Chef n’entend pas les praticiens qui la discernent? Les professionnels du domaine doivent-ils rester sur la réserve? N’ont-ils pas au contraire le devoir de parler et de se faire entendre d’une société quand celle-ci leur confie la formation de ses futurs piliers intellectuels? N’est-ce pas du reste ce qu’ont fait, au niveau du Cycle d’Orientation, les auteurs des initiatives 134 et 138, en l’occurrence les associations Réel et Coordination Enseignement, «deux formations composées principalement d’enseignants en guerre avec le DIP»[4]? Comment M. Beer peut-il oublier que ce sont les maîtres - par le biais des Conférences des Présidents de Groupes de disciplines - qui ont pour charge de faire «des propositions concernant les programmes, les manuels et les méthodes d’enseignement »; qui «veillent à l’harmonisation de leur enseignement et de leurs exigences»[5]? Et pourquoi a-t-on associé ces maîtres Présidents de Groupes aux réflexions du 28 février[6], sinon parce que, comme cela avait été légitimement fait pour la mise en place de la nouvelle ORRM, ce sont les professionnels de terrain qui sont habilités à s’exprimer sur les questions de fond touchant leur domaine de formation et d’enseignement?

    Aussi, quand l’écart s’accuse par trop entre les soucis de formation exigeante des praticiens de l’enseignement et les objectifs idéologiques du Chef du département, et quand les voies laissées à l’expression des préoccupations légitimes des maîtres se révèlent soit inappropriées soit neutralisées, comment déplorer une prise de parole publique qui relève sans doute d’abord du devoir de diligence de formateurs consciencieux et soucieux de la consistance des intelligences de demain? M. Beer, à relire Alain Jacquemoud, vous aviez devant vous, le 28 février, deux ou trois centaines d’enseignants, tous détenteurs d’une maturité et d’un diplôme universitaire, et tous formés et rompus à la préparation de nos enfants à l’entrée à l’Université et aux études supérieures, alors en vertu de quel savoir autrement fondé vous sentez-vous autorisé à considérer leurs préoccupations comme nulles et non avenues?

                                                                                                         Claude Duverney


    [1] Cf. l’article 12 du Règlement du collège de Genève évoqué infra.

    [2] Pour ce qui est du « devoir de réserve » évoqué par Pascal Décaillet à propos de cet article, dans une conférence intitulée « Aspects juridiques du métier d’enseignant » donnée par Me Daniel Peregrina aux formateurs de l’IFMES le jeudi 7 décembre 2006, on peut lire: « Le fait d’écrire, en tant que fonctionnaire, un article de journal qui serait critique à l’encontre de l’institution, tombe (…) sous le coup de cette obligation de s’abstenir. Rien ne s’oppose en revanche à ce qu’il écrive le même article en tant que citoyen. » Mais l’article d’Alain Jacquemoud vise précisément la défense de l’institution qu’est l’école, en s’en prenant uniquement à la vision politique qu’entend lui imposer un élu du peuple.

    [3] Cf. le « Point de presse du Conseil d’Etat » du 2 avril 2008, lequel parle « de l’instauration de standards de formation au plan suisse et d’épreuves intercantonales au plan romand, avec l’objectif déclaré que 95 % d’une classe d’âge obtienne une certification de niveau secondaire 2 ».

    [4] Cf. « L’édito de Lionel Marquis », in: Journal FAPECO, No 15, printemps 2008. Voir aussi l’article intitulé: « Réforme du Cycle d’orientation: l’heure du choix a sonné », où Jean-François Marti écrit (p. 1): « (…) ces deux initiatives n’expriment-elles pas une même préoccupation: quel bagage scolaire nos enfants auront-ils à la sortie du CO? De plus, nous voyons bien, en tant que parents du CO, quelles sont les lacunes du contenu d’apprentissage lorsque nos enfants quittent l’école primaire. »

    [5] Règlement du collège de Genève, art. 12.

    [6] Comme le révèle l’article d’Alain Jacquemoud.

  • Le propre du singe

    Par Antonin Moeri

     

    Ma fille a du caractère. Quand elle aime un film, elle le revoit quatre ou cinq fois de suite. Dès qu’on lui résiste, elle devient ombrageuse, développant une agressivité que j’apprécie. Depuis quelques années, elle nourrit une passion exclusive, celle des singes. La visite du musée d’histoire naturelle à Neuchâtel était par conséquent incontournable. Un vent froid soufflait sur la ville. J’avais lu dans le journal qu’il neigerait ce jour-là. La curiosité était trop vive. Nous avons pris le train.
    Dans un magnifique bâtiment en pierres d’Hauterive entraient des groupes d’enfants qui chantaient, riaient, piaillaient (la visite est gratuite le mercredi). Mais rassurez-vous, Lou et moi avons pu voir l’exposition sans trop de bousculade. Nous avons longuement contemplé le petit rat qui survécut à une catastrophe climatique et dont descendent les primates. Nous avons aperçu, dans une pénombre savamment dosée, les alignements de crânes où le trou occipital, au fil de l’évolution vers l’être humain, change de dimension et de localisation. Nous avons vu, sur un écran, des chimpanzés aux larges épaules et à la nuque épaisse, des bonobos au corps gracieux, au visage sombre souligné de lèvres roses, aux longs cheveux noirs partagés par une raie au milieu, thorax mince et carrure étroite. Lorsque le bonobo se tient debout, on a l’impression de voir un être humain. Je vous jure, l’image est saisissante.
    C’est d’ailleurs ce que tendent à démontrer les organisateurs de l’exposition : la frontière que nous avons voulu établir entre le singe et l’homme est moins certaine qu’on voudrait le croire. Le sentiment d’empathie qu’éprouvent les bonobos le prouve. Cet animal, euh… pardon, cet anthropoïde sait se mettre en imagination à la place de la victime. Ma fille fut ravie de l’apprendre. En vérité, elle avait deviné, il y a longtemps, ce type de comportement chez son frère simien. Cette visite au musée d’histoire naturelle de Neuchâtel ne fit que confirmer son intuition.
  • L'exclusion comique

    Par Antonin Moeri


         
    Un commis voyageur se réveille un matin et préfère rester au plumard. Pour attraper le train, il faudrait se dépêcher. Or sa mère s’inquiète. Le père s’énerve. Quand on sonne à la porte d’entrée, le commis se dit qu’il faudrait se lever. L’entreprise qui l’emploie a envoyé quelqu’un. Le commis se laisse alors tomber du lit. Tout le monde se demande pourquoi il n’a pas pris le train comme d’habitude. La soeur se met à pleurer. L’émissaire de l’entreprise tient un discours sur la culture du résultat. On envoie chercher un serrurier mais le commis, malgré son état, parvient à ouvrir la porte. La mère s’effondre. Le commis dit qu’il va s’habiller. Il sait que l’émissaire prendra sa défense auprès du chef. Il aimerait du moins y croire, car le monsieur a pris la fuite. Le père a saisi une canne et un journal qu’il brandit avec véhémence pour repousser le fils dans sa chambre.

    Le commis faisait jusque là vivre sa famille. Désormais, le père, la mère et la soeur devront retrouver un travail pour survivre. A partir de ce jour, tout ce que fait le commis est mal interprété. On ne lui adresse plus la parole. Il est considéré comme un monstre. Il concentre sur lui les peurs. Le père retrouve des forces. Il marche en direction de son fils en levant les pieds très haut. Ils font ainsi plusieurs fois le tour de la pièce, le fils fuyant devant le père sévère qui finit par le bombarder de pommes. L’épuisement s’abat sur cette famille exemplaire. On perd l’appétit. On loue une pièce à trois messieurs qui, un soir, prennent leur repas dans la salle commune. La soeur joue du violon, ce qui attire le frère. A la vue de cet être déchu, les locataires battent en retraite. Ils résilient leur location et menacent le père de le traîner devant les tribunaux. C’en est trop, il faut se débarrasser de l’être malfaisant qui a causé notre ruine, affirme la soeur qui avait eu la gentillesse de s’occuper de lui, au début...

    L’histoire de ce commis pourrait être celle de notre voisin. Elle pourrait se passer à Onex ou à la Jonction. Combien de gens licenciés, réduits à l’état de détritus, dont on s’est débarrassé pour un rien. Je ne pense pas que l’auteur tchèque ait voulu dénoncer unilatéralement un type de société. Si telle avait été son intention, on ne lirait plus ses nouvelles. Ce qu’il raconte est certes un processus d’exclusion. C’est dans le regard que les autres portent sur la”victime” que le crime est perpétré. Mais ce processus de mise à mort est raconté sur le mode comique. On se dirait dans un film de Buster Keaton. Dans une langue dépouillée à l’extrême (presque aucun adjectif), l’écrivain tchèque a élevé au rang de héros ce pitoyable employé.
           Je ne vous ai pas dit qu’en se réveillant, ce fameux matin, le pitoyable employé était transformé en une énorme vermine. Car vous auriez aussitôt reconnu Gregor Samsa, le héros universellement connu de La Métamorphose.

     

    (Antonin Moeri est l'auteur de dix livres, parmi lesquels Le sourire de Mickey (2003) et Juste un jour (2007), parus aux Editions Bernard Campiche.)
  • Charles Beer sacrifie l’ascenseur social


    Dans le prolongement de l'article de M. Alain Jaquemoud, invité par mes soins sur ce blog mercredi dernier, je donne la parole à M. Claude Duverney, Dr en Philosophie et, accessoirement, père d'élèves fréquentant l'école publique
    genevoise. Le collège de Genève, qui fêtera en 2009 le 450e anniversaire de sa fondation,  est au cœur d'un débat citoyen qui concerne toute la population.

     

    Pierre Béguin

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    Collège de Genève:
    Charles Beer sacrifie l’ascenseur social 

    En 2002, Genève délivre les premiers certificats régis par le nouveau règlement de maturité gymnasiale (ORRM), lequel a été mis en place conformément à la décision fédérale d’uniformiser des réglementations cantonales par trop diversifiées. Après peu de temps déjà, les maîtres des Collèges ressentent une baisse de niveau, une chose que laissait du reste présager la tournure prise par la révision genevoise de l’ORRM. Et les Universités de corroborer bientôt cette observation. C’est ainsi que, lors d’une soirée publique, organisée en 2005 au Collège Calvin par l’Association des Parents des Elèves de l’enseignement Post-Obligatoire (APEPO), des professeurs de biologie et de chimie de l’Université de Genève[1] tirent la sonnette d’alarme: les facultés de science doivent revoir leurs exigences à la baisse, et c’est à l’étranger qu’elles se mettent à chercher des doctorants. Aujourd’hui, la faculté des Sciences Economiques et Sociales doit composer avec la faible maîtrise de la langue française chez ses étudiants. A Genève, qui héberge le CERN et où l’Institut de physique de l’Université se distingue par des recherches de pointe, les études de physique sont désertées[2], au point que, à coup de centaines de milliers de francs, un laboratoire d’exposition et de démonstration se construit pour tenter de repeupler les salles de cours[3]. De façon plus générale, on déplore, quand ce n’est pas une perte des savoirs, à tout le moins une disparition de la discipline de travail chez les étudiants.

    Alerté par les Universités et les Ecoles Polytechniques Fédérales, le Département Couchepin réagit et mandate une commission, présidée par le Prof. Schuwey, pour tracer les lignes d’une révision partielle du règlement de maturité fraîchement rénové. Les propositions de la commission, qui se font largement l’écho des doléances émises par l’ensemble des cantons, sont balayées par les instances consultées. M. Couchepin de passer outre ce rejet et d’imposer un minimum de mesures, en particulier une augmentation du pourcentage d’enseignement des sciences – par quoi il admet l’urgence de remédier à un déficit de formation que d’aucuns s’évertuent semble-t-il à nier[4]. Au bout du lac, comme ailleurs en Suisse, on planche sans doute sur des mesures propres à mettre en œuvre la révision minimale imposée de force par Berne. Quoi qu’il en soit, côté gens de terrain et professionnels de l’enseignement, les discussions témoignent de préoccupations accrues touchant la baisse de niveau, la disparition de la discipline de travail chez les élèves et, en particulier, la perte de valeur d’un diplôme de maturité où des disciplines, naguère «principales», sont bradées à la faveur de conditions de certification qui en permettent le sacrifice. Parmi ces disciplines, les mathématiques et le français, où des élèves peuvent allègrement se permettre des notes de 2 ou 2,5 tout en obtenant leur maturité[5]. La question qui préoccupe est cependant de savoir si, parmi les mesures minimales demandées par Berne, Genève va opter pour des contraintes permettant de relever le niveau d’exigence de la maturité. Tout porte à croire que non, si l’on formalise les prises de positions du Chef du Département, M. Charles Beer. Quelle est, ainsi restituée, sa vision des études secondaires?   1)      Elle s’origine dans le fait suivant, adopté comme une situation irrémédiable: des élèves, au sortir du Cycle d’Orientation (CO), ne trouvent plus de place d’apprentissage et sont condamnés à la rue; et rien ne peut être entrepris pour changer le comportement des PME et la dévalorisation très genevoise des CFC. 2)      De là le principe, posé en dogme intangible, duquel tout va découler comme le volet qu’on déroule: l’école secondaire post-obligatoire (PO) doit pallier cette situation inadmissible (soit en faire les frais![6]). 3)      Avec une première conséquence: pour ne laisser personne dans la rue au sortir du CO, il convient d’ouvrir l’accès aux filières post-obligatoires, à savoir au Collège, à l’Ecole du Culture Générale (ECG) et aux maturités professionnelles. 4)      Corollaire: le CO ne régule pas l’entrée dans les filières du PO[7]. 5)      Deuxième conséquence: les élèves qui accèdent ainsi sans sélection aux filières du PO doivent autant que possible connaître la réussite, c’est-à-dire en sortir diplômés. M. Beer ne fixe-t-il pas l’objectif prioritaire d’atteindre 95% de diplômes post-obligatoires dans la population scolaire du canton? 6)      Corollaire: le Collège ne relèvera pas ses exigences, sans quoi, par un phénomène de cascade, il renverrait des élèves dans les autres filières, lesquelles finiraient par en remettre à la rue – ce qui est précisément exclu par le principe (2) posé en dogme.   Que de générosité dans cette vision! Que de cohérence dans cette suite d’inférences! Toutes choses qui ont l’art de séduire en nous dispensant toutefois de réfléchir. Car la vision de l’école secondaire de M. Beer pose de multiples questions et a de quoi inquiéter: sous couvert de cohérence de l’ensemble du parcours de l’élève, c’est une cohésion sociale égalitariste qui est visée. Et celle-ci a un prix: la valeur des formations dispensées et des titres délivrés. Ce que montrent quelques questions:   1)      Si le CO ne régule plus le passage aux filières du PO, quel est le coût global du nombre d’élèves qui échouent en 1ère année du PO[8]: coût financier d’une année de scolarité; coût humain d’un an de travail quand il se solde par un échec et des désillusions – souvent évitables moyennant une véritable orientation au CO; coût intellectuel pour l’ensemble du degré qui voit sa progression ralentie par une inertie accrue? 2)      Comment l’accès aux filières du PO pour davantage d’élèves[9] pourrait-il s’opérer sans une baisse de niveau? Et sans une adaptation conséquente des exigences, faute de quoi une part importante des élèves se verrait abandonnée en cours de route et le taux d’échec s’élèverait notablement – sauf à imaginer que l’intelligence moyenne de la population s’est transcendée au cours des dernières années? 3)      Comment, enfin, ne pas admettre que cette baisse du niveau se traduise à terme par une perte de valeur des certificats et, en particulier, de la maturité gymnasiale, quand l’objectif déclaré est d’augmenter le pourcentage des diplômés du PO? 4)      Ne sombrons-nous pas dans le cadeau illusoire du «Bac pour tous», cadeau empoisonné puisque des «Bac plus x» sont ensuite introduits pour conférer au diplôme une valeur et un niveau qu’il a perdus en se délivrant à tout le monde?[10]

     

      Pour toute justification de ce «programme», une même réponse est martelée: la cohérence de la formation à travers les différents ordres d’enseignement – entendez: la préservation de la cohésion sociale, et donc une formation accessible pour tous, doit l’emporter sur les soucis de qualité et d’exigence des diplômes décernés, c’est-à-dire qu’elle vaut mieux que l’assomption de différences. Ainsi l’ascenseur social qu’était notre école se voit-il sacrifié au nom d’un égalitarisme. Le droit à l’éminence de la formation, pour qui fournit l’effort donnant accès à un sommet, se trouve enseveli sous l’impératif d’une réussite moyenne pour tous au nom de la résorption des inégalités. Une idéologie qu’on peut certes défendre, mais qui ne résiste pas à la courte analyse qui en décèle le caractère tragiquement contre-productif. Car en supprimant l’exigence à l’école pour gommer l’inégalité, celle-ci ressurgit pour s’accuser ailleurs et sous une forme qu’on entendait précisément éradiquer: les parents cultivés pallient le déficit de formation de leurs enfants[11], des cours privés onéreux offrent à certains privilégiés l’accès à des facultés que désormais la maturité ne garantit plus[12]. En visant à neutraliser la formation exigeante, qu’on associe à un pouvoir qu’une élite exercerait sur la masse, on recrée une inégalité, de surcroît à forte tendance économique, dans les degrés d’études supérieures. La vision de M. Beer confond l’égalité des chances de s’édifier, en se mesurant à l’exigence, avec l’égalitarisme d’une certification indifférenciée, mais universellement partagée. Le développement et le progrès requièrent toujours plus de compétences et de formations poussées dans tous ses secteurs, qu’ils soient manuels ou intellectuels[13]. L’école, elle, berce les jeunes d’illusions en promulguant le droit à la même réussite scolaire pour tous, quand elle devrait signifier et instiller à nos enfants l’excellence attendue pour réussir, en veillant bien sûr à ce que des conditions sociales défavorables n’empêchent pas certains d’avoir leur chance. Pour le reste, et avec l’aide des enseignants, c’est aux élèves qui veulent saisir cette chance, et se donner les moyens de réussir, qu’il appartient de fournir l’effort permettant de satisfaire les exigences les plus hautes. A vouloir fonder une société sur des diplômes dévalorisés et indifférenciés, nous allons sacrifier les habiletés et les talents, en disqualifiant les certificats qui poussent à leur expression et saluent leurs réussites. Il est vraiment temps que parents et enseignants fassent front commun pour sauver l’école, faute de quoi nos enfants seront bientôt condamnés à réussir «malgré l’école»!      


    [1] Notamment le Prof. Duboule.

    [2] C’est le cas semble-t-il des formations scientifiques les plus exigeantes, ce qui témoigne aussi, il est vrai, d’une désaffection des études qui requièrent rigueur et efforts conjugués.

    [3] Projet « PhysicsPark » développé conjointement par l’Institut de physique de l’Université et des maîtres au Collège de Genève.

    [4] M. Ch. Beer, Président du DIP genevois, se réjouit plutôt de la réussite universitaire des maturistes du bout du lac, une réussite qui serait égale, voire même supérieure, à celle des étudiants d’autres cantons, alors même que la grille horaire du Collège de Genève est l’une des plus faiblement dotées du pays (tous les Genevois seraient-ils des surdoués?). Pourtant, si tout allait si bien, comment expliquer que Berne impose urgemment des mesures en dépit du rejet des propositions de la commission Schuwey? Comment expliquer en outre que nombre de ces propositions de renforcement des exigences correspondent à des demandes genevoises?

    [5] Remarquons incidemment que le français va, avec le projet genevois de révision partielle, compter pour 1/14e, contre 1/9e jusqu’ici, pour l’obtention de la maturité. On appréciera la contradiction avec la 3e des fameuses « 13 priorités » édictées par notre Chef du Département, laquelle porte précisément sur l’« intensification de l’apprentissage du français ». Si ces « 13 priorités » avaient déjà le défaut d’être nombreuses, pour des « priorités », l’usage semble montrer qu’elles n’ont aussi de priorité que le nom.

    [6] La question est sans doute impertinente, mais pourquoi l’ensemble de la formation devrait-elle faire les frais de cette donnée socio-économique? Ne peut-on pas imaginer des solutions qui ménagent la qualité des filières et évitent de procéder à un nivellement par le bas généralisé (cf. les questions posées infra)? Il semble que le canton du Valais procède exactement à l’inverse, avec, au moment de l’orientation ponctuant le CO, une mise en garde sur les risques d’échec en première année du Collège pour des élèves dont la moyenne est inférieure à 4,5.

    [7] Cf. O Chavaz, « Charles Beer veut un Cycle « plus exigeant mais pas plus sélectif » » in: Le Courrier 29 nov. 2007.

    [8] 25 % des élèves échouent au terme de la 1ère année du Collège.
    [9] De 30% (1ère moitié des années 80) à 38% (seconde moitié des années 80) des élèves du CO entraient au Collège avant l’introduction de la nouvelle maturité, contre 45% à 50% après (Notes d’information du SRED: No 5 mai 2000).

    [10] Par où l’on voit encore que la 5e des « 13 priorités » de M. Beer, intitulée « Excellence et démocratisation des études supérieures », sacrifie l’excellence sur l’autel d’une démocratisation entendue comme une égalité à tout prix.

    [11] Combien nombreux sont les parents du primaire qui « font l’école à la maison » avec leur enfants, inquiets de la disparition des savoirs construits au profit de sensibilisations ludiques. Qui ne connaît un enseignant de l’école publique qui met ses enfants en école privée s’il peut lui éviter des années de primaire ou de CO à l’école républicaine?

    [12] Il n’est que de voir le nombre de maturistes qui doivent se payer des cours privés de physique pour réussir la première année de médecine.
    [13] La mise en place de maturités professionnelles répond à ces exigences.

     

     

  • L'art du tir à l'arc

     par Pascal Rebetez

    Allez vous régaler comme je le fais quotidiennement sur le site http://l-autofictif.over-blog.com/

    Eric Chevillard est un vrai bel et libre esprit. Ainsi, ce jour:

    Telle est la trajectoire de la flèche : si elle ne se plante pas dans le cœur de l’ennemi, elle retombe et mollement se couche dans son jardin. J’en veux encore pour preuve cet auteur qui,  en 1968, créa les subversives et situationnistes éditions Champ Libre et couvre aujourd’hui sa prose radoteuse du pipi jaunâtre des éditions Grasset.

  • Quel avenir pour le Collège de Genève?

    Jeudi 28 février, une réunion importante concernant l’ensemble du Collège de Genève (qui aura 450 ans en 2009) s’est tenue au CEC André-Chavanne. Un professeur du Collège Calvin, Monsieur Alain Jacquemoud, revient en quelques mots sur cette rencontre. C'est bien volontiers que je l'invite sur ce blog.

    Pierre Béguin

     

     

    Cette journée, où se sont retrouvés les directeurs de collège, de nombreux doyens et présidents de groupe – rejoints dès 14 heures par MM. Charles Beer, Daniel Pilly, Georges Schürch et les deux vice-recteurs de l'Université, MM.Yves Flückiger et Pierre Spierer – a été mise sur pied à la demande des autorités du DIP et organisée par la direction du Collège de Genève. Elle s'est déroulée selon le programme suivant:

    Mise en œuvre de la révision partielle de l'ORRM, le matin

    L'avenir du Collège de Genève et de la maturité gymnasiale, l'après-midi

     

    Que visait-on en réunissant tout ce monde? Quels étaient les objectifs d'une telle journée? S'agissait-il d'informer les participants de la teneur de cette révision, de leur permettre de délibérer, de les inviter à élaborer un point de vue collectif sur la révision en cours? Entendait-on les impliquer dans ce processus, prendre en compte leurs remarques, leurs propositions, leurs critiques? On ne l'a pas su avant de se rendre au CEC André-Chavanne, on n'en savait pas davantage en le quittant sur le coup des 17 heures.

     

    Le matin, les personnes présentes, qui avaient préalablement choisi un thème de discussion parmi cinq, ont été réparties en groupes de discussion. Sous la conduite de Mme Madeleine Rousset, directrice du collège Claparède et de M. Pascal Emery, directeur du CEC Emilie-Gourd, le groupe dont je faisais partie s'est penché trois heures durant avec sérieux et efficacité sur la question du cursus de l'élève et sur celle des conditions d'obtention de la maturité. Ce qui est ressorti de nos délibérations, c'est:

    • l'idée qu'un certain nombre d'élèves se retrouvent au collège sans avoir vraiment les moyens ni la motivation nécessaires pour réussir dans cette formation;
    • que les conditions de réussite de la 4e année, plus aisément remplies que celles de la 3e, induisent chez un nombre non négligeable d'élèves une propension inhabituellement marquée à des calculs d'intérêt ainsi qu'à une certaine passivité;
    • que des moyens existent pour remédier à ce problème – certains ont été avancés, discutés – et qu'il conviendrait de les appliquer si l'on souhaite garder toute sa valeur au certificat délivré et préparer le mieux possible les élèves aux défis qui les attendent.

     

    Beaucoup auraient espéré que le fruit de ces discussions, d'autant plus significatif qu'il reflétait les points de vue d'une large majorité des participants, soit réellement pris en compte et fasse l'objet d'une synthèse. Cette synthèse aurait pu être présentée à l'assemblée entière et transmise aux autorités scolaires comme base de réflexion. Bref, ces échanges avaient été si profitables que l'on s'était mis à rêver de leur donner un écho officiel et à imaginer qu'ils soient véritablement entendus et jugés dignes d'infléchir les décisions à venir. Des comptes rendus ont été établis. Seront-ils transmis aux participants? A tous les enseignants? Pèseront-ils dans les décisions futures? Attendons un peu pour le savoir.

     

    Questions à Charles Beer

    L'après-midi, séance plénière. De l'exposé de M. Beer, de ses déclarations, des réponses qu'il a faites aux questions qui lui ont été posées, il ressort nettement que l'école se définit selon sa conception par sa force d'intégration et sa capacité à faire accéder le plus grand nombre au niveau d'une certification.

    Voici quelques-unes des questions posées à M. Beer.

    • Le taux d'échec en 1ère et en 2e du collège étant plus élevé que par le passé, ne conviendrait-il pas de revoir à la hausse, au nom d'un souci d'exigence, les critères d'admission? Réponse: non.
    • Pour garder à la 4e sa valeur d'année terminale et au certificat délivré toute sa substance, ne faudrait-il pas resserrer les exigences dans ce degré? Réponse: non.
    • Compte tenu de votre 3e priorité concernant la langue française (« L'apprentissage du français sera intensifié... »), comment expliquez-vous que le poids du français passe de 1/9 à 1/14 de la note globale dans la nouvelle maturité? Pas de réponse à cette question.

     

    Noble dessein, généreux programme que celui de M. Beer! Cela, nous le lui concédons volontiers, mais on voit aussi qu'en regard de ce dessein, la question de l'orientation des élèves, celles de la qualité de leurs choix initiaux, de la cohérence de leur parcours, le souci de la valeur des diplômes décernés – tous critères importants aux yeux de très nombreux enseignants – tout cela passe au second plan et n'est pas suffisamment pris en considération.

     

    Ainsi, il semble que M. Beer fasse très bon marché du coût financier (des centaines de milliers de francs investis chaque année pour presque rien), pédagogique (rythmes scolaires ralentis voire perturbés, engagement des enseignants en pure perte dans certains cas) et humain (sentiment de ratage, perte de confiance, démotivation des élèves en grande difficulté) lié aux lourd taux d'échecs en 1ère année. Dans ce degré, le collège n'est d'ailleurs pas le seul concerné, loin s'en faut.

     

    Il semble également que la question cruciale du français soit largement sous-estimée. Au fil d'un discours qui ne craint pas d'emprunter son tracé à la géométrie des courbes, M. Beer a beau se dire très conscient du problème et vouloir agir à la source. Ses mesures ne paraissent guère convaincantes. Par ailleurs, le peu de cas qu'il fait des signaux d'alarme donnés ce jour-là au nom de certains de ses collègues universitaires par M. Flückiger – qui déplorait la mauvaise qualité du français dans un grand nombre de copies – a de quoi laisser perplexe.

     

    La politique scolaire de M. Beer reflète-t-elle son idéal de socialiste? A ses yeux, sans doute. Il nous apparaît au contraire que, servie par une vision de l'école et des prises de position telles que les siennes, la belle idée de démocratisation des études soit lentement mais sûrement en train d'être dévoyée.

     

    Et les remerciements que M. A. Guex nous a adressés en fin de journée ont fait l'effet d'une cerise bien fade sur un gâteau dont personne ne souhaite avoir la recette. (A J)

     

  • Lettre ouverte (bis) à Monsieur B. par Sylviane Dupuis

    A la suite de mon article, Le silence des intellectuels et du débat en ligne qui a suivi, notre consoeur Sylviane Dupuis a réagi en nous envoyant une lettre ouverte qu'elle a fait paraître dans Le Temps du 19 septembre. J'ai jugé opportun de la publier intégralement ici pour alimenter le débat. La voici.
                                                                                   Alain Bagnoud

    Vous êtes, Monsieur B., un « grand professionnel » de la politique : cela, même vos ennemis s’accordent à le reconnaître. Vous avez pour ce faire l’intelligence et tout l’argent qu’il faut. Mais justement. Je vous ai écrit une première fois il y a huit ans, Monsieur B., pour vous dire tout le mal que je pensais de votre projet d’entrer au gouvernement, et dénoncer « un système parfaitement programmé, une stratégie parfaitement sous contrôle, là où d’autres ne veulent voir que la sincère défense de convictions ». Depuis, vous avez raté votre premier putsch, mais réussi le second, le « système B. » a parfaitement fonctionné, vous êtes partout, vous êtes la Vedette, votre ego enfle de jour en jour comme celui de la grenouille de la fable, bientôt vous paierez pour qu’on confectionne des chocolats à votre image – et demain, en dépit de vos dérapages, de vos méthodes nauséabondes et des innombrables preuves données, en quatre ans, de votre mépris du droit, de la collégialité, voire même de la Constitution, vous vous retrouverez peut-être président de la Confédération. J’aime encore mon pays, Monsieur B. Je ne me fais pas à l’idée qu’on détourne à son profit la démocratie avec un tel culot. Je vous écris pour vous dire à nouveau que « je ne marche pas ».

    Est citoyen, pour Aristote, qui a part au fait de gouverner et d’être gouverné. Ma qualité de citoyenne me donne donc encore, pour le moment, le droit de refuser publiquement d’être gouvernée par vous. Pour le moment : car quand vous serez devenu notre Grand Guide avec l’assentiment de tous et que chacun sera susceptible à tout moment et au moindre signe de différence de se voir étiqueté « mouton noir »… il sera trop tard pour parler. Or l’exercice de la parole publique est (toujours selon Aristote) l’autre faculté propre au citoyen.

    Je vous dois un aveu, Monsieur B. : depuis huit ans vous êtes devenu ma bête noire, mon obsession...
    Suite du texte ici (texte complet)