Les mauvais livres
Il y a des livres dont on se dit, les ayant lus, qu'il aurait mieux valu qu'ils ne soient pas écrits — ou du moins publiés. C'est le cas de Mauvais génie*, un livre écrit à quatre mains par la comédienne Marianne Dénicourt et la journaliste Judith Perrignon. Pourquoi ce livre ? Marianne Denicourt, que j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois à Avignon dans les années 80, à l'époque où elle suivait les cours de Patrice Chéreau à l'école du Théâtre des Amandiers de Nanterre, est une magnifique comédienne. Elle a eu, par la suite, une vie tragique : son père est mort des suites d'une longue maladie et son ami, le père de son enfant, est tombé accidentellement d'une fenêtre et s'est tué, alors que Marianne était enceinte. Quelques années plus tard, Marianne Denicourt croise le chemin d'un jeune réalisateur français parfaitement inconnin, Arnaud Desplechins, qui lui donne le rôle principal de ses deux premiers films (La Sentinelle et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Deux très beaux films. Puis c'est la rupture. Quelque temps après, Despléchins tourne un nouveau long métrage, qui deviendra Rois et reine, et qui est un chef-d'œuvre. Dans ce film, il puise abondamment dans la vie de Marianne pour créer le rôle de Nora (jouée par Emmanuel Devos), en transformant bien sûr certains faits (le mari se suicide dans le film et le père vit une longue agonie). Se sentant manipulée et abusée, marianne Denicourt décide d'écrire un livre, non seulement pour rétablir la vérité des faits, mais aussi pour se venger. Cela donne Mauvais génie : un règlement de comptes amer et revanchard, où Arnaud Desplechins (Arnold Duplancher dans le livre !) est décrit comme un névropathe, inculte, parano et surtout égomaniaque. Curieusement, le résultat va à l'encontre du projet : les défauts de Duplancher sont, en réalité, les qualités de l'artiste Desplechins, égoïste, manipulateur, certes, se nourrissant des histoires des autres, tel un vampire assoiffé de sang, mais les transformant et les sublimant pour en faire ses films à lui. La conclusion est patente : Rois et reine et un grand film. Mauvais génie un mauvais livre.
Un autre livre qui, sans doute, aurait pu rester dans les tiroirs, c'est un recueil d'articles inédits de Nicolas Bouvier. Cela s'appelle : Il faudra repartir**. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces textes, réunis et présentés par François Laut, un spécialiste de Bouvier, sont d'un intérêt inégal. Pour ne pas dire plus. Il s'agit de fonds de tiroir, ainsi que d'extraits du journal de bord de Nicolas. Faut-il vraiment savoir que NB a « écrit une dizaine de cartes, puis dîné près de l'hôtel. Huîtres excellentes. Bien dormi. » ? On en doute. La figure du grand écrivain genevois ne gagne rien à notules anecdotiques qui, le plus souvent, passent sous silence les rencontres importantes.
En conclusion, dirait Flaubert, deux livres pour rien.
* Marianne Denicourt et Judith Perrignon, Mauvais génie, Stock, 2005.
** Nicolas Bouvier, Il faudra repartir, Voyages inédits, Payot, 2013.