Mort à l'imagination! (15/04/2008)
Je ne connaissais pas l’existence de Christophe Donner jusqu’au jour où, dans une bonne librairie, je tombe sur un petit livre à couverture noire, dont le titre a retenu mon attention Contre l’imagination. J’aime les pamphlets, car celle ou celui qui en écrit n’est pas habité par la honte, mais par la colère. Notre auteur cherche une réponse à cette question Comment peut-on, en art, se satisfaire de la distraction du public ?
Il s’en prend à l’imaginaire, à cette liberté que le romancier s’octroie dès qu’il invente des noms propres, décrit des lieux ou des paysages qu’il n’a jamais vus, prend ses aises avec le « réel », crée l’ennui, ce soupçon que Nathalie Sarraute pointait il y a une soixantaine d’années. De cet imaginaire qui empoisonnerait la littérature et qui stimule les institutrices, les publicitaires, les as du marketing, les animatrices-télé et les mamans prônant la lecture-plaisir, Donner voudrait se débarrasser pour entrer dans la chair, descendre en soi-même, faire preuve de sincérité.
La retranscription d’une conversation avec un ministre la veille de son suicide n’aurait aucun équivalent dans la littérature. Jamais un écrivain construisant son univers, forgeant une langue, imaginant des langages et les sensations de ses personnages ne saurait atteindre à l’intensité des silences du ministre désespéré.
C’est un bien curieux procès qu’engage Christophe Donner, dont l’instruction exigera des siècles de patience, des masses de témoignages, des montagnes d’indices, des amoncellements de preuves et dans lequel le petit entomologiste que je suis rêve de prendre parti.
10:44 | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
Prétendre que le témoignage d'un minstre dépressif a en soi une qualité littéraire, alors qu'il n'est intéressant que par ce qu'il reflète dans le réel, et n'a pas de valeur en soi, comme objet littéraire, c'est n'avoir à mon avis rien compris de la dimension poétique de la littérature. Le combat de Christophe Donner est perdu d'avance, car sa position est assez absurde. Si on y réfléchit bien, à ce compte-là, les mots dits pendant l'amour (en particulier s'ils ne s'organisent pas en un tout cohérent) seraient plus intéressants à publier que l'Odyssée d'Homère. Or, la vérité est qu'un livre représente un coût sur le plan matériel et qu'au contraire, le papier qu'on prend dans les arbres ne peut être sacrifié que s'il existe un véritable objet littéraire, un objet poétique. Sinon, quel gâchis ! Il est d'ailleurs également absurde de dire que la lecture ne renvoie pas au plaisir qu'on y prend. Puisqu'en rien une lecture ne peut être directement utile, et qu'il faut bien vivre ! L'inutile désagréable, à quoi cela sert-il ?
Écrit par : R.M. | 16/04/2008
Cher RM,
je dois avouer que le "véritable objet littéraire" me laisse songeur. Qui décide de la légitimité de l'objet poétique? Vous savez comme moi que, chaque automne, 800 romans déboulent dans les librairies. Et je ne parle que des livres écrits en français. Chaque lecteur y trouvera son livre, celui qu'il désignera comme véritable objet littéraire.
Pour ce qui est du ministre qui va se faire sauter la cervelle, je peux comprendre le propos de Donner. Qui est capable de rendre avec les mots l'intensité des silences du futur suicidé de la société? Il y faut beaucoup d'imagination. Ne dit-on pas que Balzac a tout inventé dans sa chambre, carburant au café, et que ses descriptions coulaient de son cerveau plus que du "réel".
Je vous remercie d'avoir commenté mon propos. C'est la première fois de ma vie que je m'adonne à ce genre d'exercice.
Écrit par : antonin moeri | 16/04/2008
Par objet littéraire, j'entendais ce qui est fabriqué, créé, et donc fictif, par opposition au document. Je ne l'entendais pas en fonction de la qualité. Et d'ailleurs, le problème est peut-être que Donner non plus : il ne distingue pas entre la bonne et la mauvaise imagination, entre le bon et le mauvais romanesque, mais entre le document, le témoignage authentique, et le romanesque.
C'est un peu vain, à mon avis. Le bon témoignage authentique est celui qui est fidèle, et le bon roman reste peut-être à définir, mais rejeter l'imagination a priori me paraît absurde. On peut regarder l'oeuvre de Flaubert, et se dire : l'oeuvre d'imagination qu'est "Salammbô" vaut, en soi, et dans son genre propre, l'oeuvre plus réaliste qu'est "Mme Bovary".
Maintenant, sans doute est-il vrai qu'en psychologie, le témoignage authentique est plus valable (et plus frappant, plus révélateur) que le roman de fiction. Pour autant, la psychologie est une branche des sciences humaines, tandis que le roman est un art. J'ai justement le sentiment que Donner veut rationaliser à tel point ce qui s'écrit qu'on n'aura bientôt plus, en guise d'art, que de la psychologie bien écrite, et que le roman lui-même, en tant qu'art, n'aura plus droit de cité, sauf dans la mesure où il se met complètement au service de la psychologie. Je trouve que c'est dangereux, et relève du scientisme. Or, l'être humain a aussi besoin d'art, c'est à dire de romanesque.
Même "La Chartreuse de Parme" devait donner plus de plaisir et moins d'enseignement psychologique (ou sociologique) que "Le Rouge et le noir". Opposer les deux tendances, alors que les mêmes grands écrivains les ont suivies, en alternance, dans leur carrière, livrant des oeuvres d'un genre différent selon le moment, cela me paraît vouloir restreindre la liberté de création. C'est comme si on avait dit à Shakespeare que ses pièces historiques, ou alors ses comédies réalistes, étaient aussi valables que "Hamlet" et "Le Roi Lear" ne valaient rien.
Écrit par : R.M. | 16/04/2008
J'aimerais faire deux remarques à propos de ton billet, Antonin :
Les lois mathématiques ont souvent été trouvées avant leurs applications en physique.
la définition de l'art que nous cherchons à admettre ici ne s'applique pas aux productions africaines. Je me charge de le prouver en te faisant parvenir un ouvrage sur les statues macondés écrit par qqn de proche.
Écrit par : Géo | 16/04/2008
Proust a bien montré que ce qui donne une valeur au réel, c'est l'imagination. Dans les noms de lieux, les titres, les êtres, les paysages, les oeuvres d'art même, rien n'a d'épaisseur si ne s'y surajoute le travail de l'imagination. Les faits même qui sont racontés dans ses livres, purement transposés de sa vie, n'auraient aucun intérêt s'ils n'étaient pas transmutés par l'imagination, et c'est le cas pour tous les auteurs valables qui se sont inspirés du réel ou qui ont cru le recopier.
Écrit par : Voui | 17/04/2008
Précisons toutefois que Christophe Donner est revenu sur ce qu'il affirmait dans "Contre l'imagination" en publiant "Bang! Bang" puis, plus récemment, "Un roi sans lendemain". Reste que ses "reportages littéraires" - là, je conseille plus particulièrement "L'Europe mordue par un chien", d'une rare vacherie - et ses critiques artistiques dans le défunt Globe sont sans doute ce qu'il a fait de plus croustillants, de plus acides, de plus lucides.
Écrit par : Zorg | 17/04/2008
Oh, oui, Zorg, j'entendais bien : quelqu'un d'aussi consacré à Paris, il faut bien lui trouver plus de qualités que de défauts, même quand il dit des sottises.
Écrit par : R.M. | 17/04/2008
L'avez-vous lu, Ramiel?
PS: par ailleurs, pour un auteur "consacré à Paris", il vient de faire l'objet d'une cabale diligentée par Giesbert à l'occasion de l'attribution du prix Renaudot...
Écrit par : Zorg | 21/04/2008
Non, je ne l'ai pas lu, Lionel. Mais l'article d'Antonin Moeri ne portait pas sur l'ensemble de son oeuvre.
Ensuite, pour le complot, il est à mon avis postérieur à la publication de ses livres dans de grandes maisons parisiennes. Il ne faut pas confondre ce qui se passe dans tel cercle de Paris et ce qui se passe à Paris en général. Vous savez très bien que Paris n'est pas monolithique, qu'on y trouve une certaine diversité, qu'il y existe plusieurs quartiers, plusieurs camps, plusieurs cercles, qui souvent ne se fréquentent guère - même si Paris a aussi ses constantes, même si sa variété n'a rien d'aussi infini que certains se l'imaginent.
J'ai d'ailleurs lu des articles disant que le complot n'avait pas pour origine autre chose que l'idée négative que certains avaient du livre incriminé et l'idée sans doute trop positive que les mêmes avaient de l'influence qu'ils devaient avoir dans le milieu des lettres. En d'autres termes, ils avaient envie d'imposer leur opinion. C'est mal, mais cela n'a rien à voir avec l'oeuvre en question, qu'on peut aimer ou non, je suppose.
Écrit par : R.M. | 21/04/2008