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L'invité du jour - Page 2

  • Les mutations verbales de Pascal Nordmann

     

    Par Olivier Chiacchiari

    Pour accueillir mon premier invité, j'ai choisi de vous présenter un personnage qui m'est particulièrement cher en raison de l'amitié qui nous lie, mais aussi et surtout pour son éclectisme créatif. Depuis des années, Pascal Nordmann explore avec force et talent plusieurs disciplines en parallèle: l'écriture, bien sûr, mais aussi les arts plastiques, la mise en scène et la programmation informatique (il a notamment créé le site des eat-ch: http://www.eat-ch.org).
    Un artiste multi autodidacte qui n'a pas fini de m'étonner !
    C'est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble sur un projet pour le moins particulier et enthousiasmant: un générateur électronique de théâtre. Création à la fois littéraire et informatique actuellement en chantier, que nous nous ferons un plaisir de vous présenter ici lorsque nous serons parvenus à un résultat satisfaisant.
    Mais pour l'heure, afin de mieux comprendre de quoi et de qui il s'agit, je vous invite à entrer dans l'univers de Pascal Nordmann. Et je vous encourage vivement à - non pas visiter - mais expérimenter son site internet.
    L'Encyclopédie mutante ne devrait laisser indifférent aucun amateur de littérature...

     

    http://www.pascal-nordmann.com/


     

    Un monde en mouvement

     

    Par Pascal Nordmann

    Toutes les formes d'étonnement sont bonnes à prendre, tous les outils sont capables de produire de l'art, tous les artisanats possèdent leur douceur. Qu'en est-il de l'informatique? L'ordinateur peut-il nous étonner? Peut-il produire (ou nous aider à produire) de la littérature? L'ordinateur est-il capable de la douceur de l'artisanat?
    Ces questions, je me les pose depuis que je possède un ordinateur. Cela fait donc un peu plus de dix ans que je me suis mis à la tâche. A côté de mon travail d'écrivain, de plasticien et de metteur en scène, j'ai appris la programmation. Le résultat (provisoire): l'Encyclopédie mutante.
    L´Encyclopédie mutante se sert de la langue et du hasard pour tenter de dépasser le non-sens. Son matériau de base est un dictionnaire placé sur le réseau. C'est un vaste chalut qui explore et pèche dans la langue française. Qui pèche à la recherche du sens.
    Les rubriques sont différentes à chaque consultation. Tout est en mouvement. Parfois à côté, parfois finement dedans.
    Mais l'Encyclopédie n'est qu'une des applications possibles du module. Le générateur de poèmes en est une autre. Il travaille avec des bases introduites par un auteur de chair et d'os. Ses bases sont infiniment extensibles.
    Le traitement informatique permet de jouer avec la langue comme avec un matériau brut (rimes, pieds, allitérations …) mais au fil des mois, le module a aussi appris à reconnaître diverses catégories lexicales (l'amour, la philosophie, la cuisine, l'armée etc.). En d'autres termes, le module apprend la littérature.
    La subversion de textes d'écrivains est une autre application possible. Sur mon site on découvrira des textes allant de Montaigne à Nathalie Sarraute en passant par Rousseau, et même Molière dans leur version originale et dans leurs différentes transformations.
    Ce travail, qui ne cesse de se développer, est une œuvre ouverte dont les étapes sont publiques puisque tout un chacun peut les suivre sur la toile.

    Pour davantage d'explications, cliquez ici 

     

    (Photo: Vincent Calmel, Fenêtre en mouvement: Pascal Nordmann.)

  • Sur le silence des écrivains face à l’UDC

    Par Silvia Ricci Lempen, écrivaine
    (Article paru dans Le Temps  le 25 octobre 2007)

    Dans un texte paru dans Le Temps du 19 octobre, où il s’interroge sur les raisons du silence presque général des écrivains suisses face à l’UDC, le dramaturge alémanique Lukas Bärfuss relève à juste titre que «l’écrivain (…) n’a aucune influence sur les opprimés, les sans-papiers, les demandeurs d’asile. Il ne les connaît pas, ils ne lisent pas ses livres et ils n’en écrivent pas non plus». Mais regardons la situation en face. A défaut de pouvoir toucher ces catégories de la population particulièrement exposées au racisme et à l’exploitation, «l’écrivain suisse» contemporain dispose-t-il au moins d’une quelconque autorité morale sur l’ensemble de la société, qui donnerait du sens à ses éventuelles prises de position publiques ? Il est permis d’en douter.

    Lukas Bärfuss analyse, pour autant que je puisse en juger avec une certaine pertinence, le statut et l’attitude des écrivains suisses de langue allemande. J’aimerais pour ma part livrer quelques considérations désenchantées sur la situation en Suisse romande.

    En tant que vice-présidente de l’AdS (Autrices et Auteurs de Suisse) jusqu’à il y a quelques mois, j’ai participé activement à l’organisation de plusieurs rencontres destinées à rassembler les écrivaines et écrivains romands autour de thèmes de discussion divers, pas nécessairement politiques. Si elles ont occasionnellement permis de nouer quelques relations amicales, ces rencontres, peu fréquentées, n’ont jamais réussi à faire émerger le sentiment d’une identité commune, l’envie de débattre sérieusement ensemble de l’actuelle évolution du paysage culturel et politique et de réagir à cette évolution par des démarches structurées. Par ailleurs, les prises de position personnelles, qu’il s’agisse de politique culturelle ou de politique tout court, sont rarissimes. Tout cela donne l’impression que les acteurs et actrices de la littérature romande n’ont rien à dire sur l’état du monde et préfèrent, soit jouir en solo de leur popularité (car des écrivains populaires romands, heureusement, il en existe !), soit  tenter de résoudre, chacun dans son coin, les problèmes auxquels ils sont confrontés : difficulté croissante à publier du fait de la fragilisation des maisons d’édition, difficulté croissante, sauf rares exceptions, à obtenir des  critiques dans les médias, difficulté à vendre face au rouleau compresseur des ouvrages français. 

    Or, cette impression d’individualisme n’est que partiellement exacte. Pour décider de s’exprimer publiquement, en tant qu’écrivain, sur un sujet d’ordre général, il ne suffit pas d’avoir quelque chose à dire, il faut aussi se sentir légitimé à le dire. Il faut que la société ait un minimum d’attentes à l’égard de la parole publique de l’écrivain, attentes qui ne peuvent se manifester que dans le contexte d’une relation organique entre la société et la littérature. Cette relation, aujourd’hui, en Suisse romande, est pratiquement rompue ; en se taisant sur les affaires publiques, les écrivaines et les écrivains romands ne font que prendre acte de cette rupture.

    Les gens de lettres ont toujours été guettés par la prolétarisation matérielle, mais ce à quoi l’on assiste aujourd’hui, particulièrement en Suisse romande, c’est un phénomène que l’on pourrait définir comme la prolétarisation symbolique de la littérature elle-même. Certains écrivains romands touchent un large public et même des droits d’auteur, la plupart rament à la poursuite d’un petit peu de reconnaissance, mais toutes et tous se meuvent dans un climat où, foncièrement, ce qu’ils ont à dire en plus de ce qu’ils disent dans leurs œuvres n’intéresse personne. Ce constat s’applique aux artistes en général, à preuve la totale inefficacité du manifeste contre le durcissement des lois sur les étrangers et sur l’asile signé en 2006 par des centaines de créatrices et créateurs de toutes les disciplines, dont certains célèbres. S’agissant des écrivains,  la perte de prestige actuelle de l’écrit, concomitante à sa marchandisation, leur a enlevé collectivement le dernier reste de l’aura dont certains d’entre eux se servaient autrefois pour s’ériger en « consciences du pays ». On peut s’en accommoder ou même s’en féliciter, la disparition des maîtres à penser étant plutôt une bonne nouvelle. Mais dans ces conditions, s’étonner de leur silence en matière politique est une pure hypocrisie.

     

  • Lettre ouverte à Monsieur B.

    Par Sylviane Dupuis

    Vous êtes, Monsieur B., un « grand professionnel » de la politique : cela, même vos ennemis s’accordent à le reconnaître. Vous avez pour ce faire l’intelligence et tout l’argent qu’il faut. Mais justement. Je vous ai écrit une première fois il y a huit ans, Monsieur B., pour vous dire tout le mal que je pensais de votre projet d’entrer au gouvernement, et dénoncer « un système parfaitement programmé, une stratégie parfaitement sous contrôle, là où d’autres ne veulent voir que la sincère défense de convictions ». Depuis, vous avez raté votre premier putsch, mais réussi le second, le « système B. » a parfaitement fonctionné, vous êtes partout, vous êtes la Vedette, votre ego enfle de jour en jour comme celui de la grenouille de la fable, bientôt vous paierez pour qu’on confectionne des chocolats à votre image – et demain, en dépit de vos dérapages, de vos méthodes nauséabondes et des innombrables preuves données, en quatre ans, de votre mépris du droit, de la collégialité, voire même de la Constitution, vous vous retrouverez peut-être président de la Confédération. J’aime encore mon pays, Monsieur B. Je ne me fais pas à l’idée qu’on détourne à son profit la démocratie avec un tel culot. Je vous écris pour vous dire à nouveau que « je ne marche pas ».

    Est citoyen, pour Aristote, qui a part au fait de gouverner et d’être gouverné. Ma qualité de citoyenne me donne donc encore, pour le moment, le droit de refuser publiquement d’être gouvernée par vous. Pour le moment : car quand vous serez devenu notre Grand Guide avec l’assentiment de tous et que chacun sera susceptible à tout moment et au moindre signe de différence de se voir étiqueté « mouton noir »… il sera trop tard pour parler. Or l’exercice de la parole publique est (toujours selon Aristote) l’autre faculté propre au citoyen.

    Je vous dois un aveu, Monsieur B.: depuis huit ans vous êtes devenu ma bête noire, mon obsession. Depuis huit ans, à chaque premier août, je constate l’augmentation du nombre d’activistes d’extrême droite (on sait qu’en dix ans ils se sont multipliés par dix en Suisse) sur la prairie du Grütli – et donc, la montée de la haine ; à chaque nouveau texte de propagande financé par un « richissime sponsor anonyme » que votre parti adresse aux habitants de ce pays, ou encarte à grands frais dans les quotidiens, je m’étonne de la quasi indifférence générale ; comme, à constater année après année la progression irrésistible de ce parti, je mesure celle de l’aveuglement et de l’oubli de l’histoire… Mais parler de B. c’est encore lui faire, paraît-il, de la publicité ; depuis huit ans, chaque fois qu’il est question de vous, je fais mon poing dans ma poche.

    Or, depuis peu, les choses ont empiré : vous m’empêchez de dormir. Quand je compte les moutons, il y en a toujours un qui ne passe pas et c’est par votre faute : je pense à votre affiche et ça y est, je ne vois plus que le mouton noir ! Et puis cela vire au cauchemar parce que soudain le mouton noir a votre tête, Monsieur B., et qu’elle se met à grimacer affreusement, à invectiver tout le monde et à crier au complot.

    Depuis peu, je ne dors plus, mais mes cauchemars ont du bon : ils m’ont appris que vous étiez notre mouton noir, Monsieur B., et que vous aviez entrepris, lentement mais sûrement, de nous contaminer. A ceux de mes concitoyens qui résistent encore à votre « système » (en dépit des haussements d’épaules qui déjà succèdent aux alarmes), et quelles que soient par ailleurs leurs convictions, je suggère de vous écrire à leur tour pour dire NON à tout ce que vous incarnez. Définitivement. Ou bien vous aurez eu raison de nous traiter, sur vos affiches, de moutons stupides.


                                                                ©  Sylviane Dupuis, écrivain – Genève