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Blogres - Page 76

  • Les fugues du roi Sollers

    images.jpegUn éditeur romand de mes amis, il y a quelques temps, se lamentait sur le déclin de la littérature française. « Pas de Sartre, pas de Camus, aujourd'hui, disait-il. Plus de monstres sacrés. Plus que des sous-produits commerciaux comme Christine Angot, Olivier Adam, Guillaume Musso. Quelle décadence ! »

    À cela, j'osai répondre que, tout de même, parmi les 700 romans de la rentrée, par exemple, il y en avait de tout à fait convenables, sinon remarquables. Et que peu de littératures pouvaient, aujourd'hui, offrir une telle richesse et une telle diversité. Je citai quelques noms : Quignard, Djian, Le Clézio, Sollers. » À ce nom, l'éditeur s'échauffa. « Sollers ? Mais ce n'est pas un écrivain. C'est du bluff. Du vent. Il n'a pas écrit un bon livre. » La discussion en resta là, chacun campant sur ses positions.

    images.jpegUne semaine plus tard, je reçois le dernier livre de Philippe Sollers, Fugues*, 1114 pages, un recueil d'articles qui fait suite à La Guerre du goût (1994), Éloge de l'Infini (2001) et Discours parfait (2010). Une véritable somme (près de 5000 pages!) qui brasse et embrasse toute la littérature mondiale, d'Homère à Céline, de Casanova à Diderot, de Joyce à Proust, de la Chine aux avant-gardes italiennes ou allemandes. Une radiographie unique et remarquable de la littérature d'hier et d'aujourd'hui. Un regard d'aigle. Un scalpel affûté et précis. Bien sûr, Sollers y parle beaucoup de Sollers (entretiens, préfaces, réflexions sur ses livres). Mais pourquoi un écrivain n'aurait-il pas le droit de revenir sur ses livres — toujours peu ou mal compris ? Bien sûr, parmi les auteurs étudiés, il y a peu de Belges, peu d'écrivains africains (pourtant, les talents ne manquent pas). Pas de Suisse (même pas Rousseau !). Mais il y a Diderot, Baudelaire, Aragon, Montherlant, Melville, Hemingway, etc.

    En prime, quelques fusées. Essais ? Poèmes ? Débuts de romans ? Comme ce texte intitulé sobrement « Culs ».

    « Dans chaque femme, donc, deux femmes.

    L'une parfaitement présentable, bien élevée, cultivée, bien prise.

    L'autre pleine de choses horribles, d'obscénités inouïes, avec son laboratoire d'insultes et d'injures, ses trouvailles hardies.

    Elles ne se rencontrent jamais. C'est pourtant la même. »

    Ou encore cette phrase, énigmatique, dont j'attends du lecteur qu'il me livre le sens.

    « Le bon cul est toujours catholique, expérience de voyageur. »

    * Philippe Sollers, Fugues, Gallimard, 2012.

  • Le Grand prix du roman de l’Académie française pour Joël Dicker, «La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert»,

    Blogres félicite Joël Dicker qui vient de recevoir ce jeudi le Grand prix du roman de l’Académie française pour son deuxième roman, «La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert»,

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  • Joël Dicker, La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert

     

    Par Alain Bagnoud

    Le phénomène Joël Dicker. Il n'y a plus besoin de présenter ce jeune auteur genevois. Plus de quarante mille exemplaires vendus le premier mois de sa parution. Des nominations à tous les importants prix français. Une critique unanime. On ne pouvait pas passer à côté d'un tel livre. Avec une question particulière. Quelles sont les clés de son succès? Tentative d'analyse.

    Le sentiment premier qui frappe en ouvrant La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert, c'est celui de reconnaissance: on reconnaît tout avec émotion. Les personnages, les ambiances, la petite ville de Nouvelle Angleterre, New York, la famille juive de l'écrivain, ses problèmes, les épisodes de son passage au lycée, le sport... Tous ceux qui se sont plongés dans les romans de Philip Roth, de Norman Mailer ou d'autres géants de la littérature américaine se retrouvent en terrain connu.

    Les thèmes de départ sont également familiers. Le jeune écrivain qui a connu un succès foudroyant et qui ne peut plus écrire. Sa relation avec un auteur plus âgé, monstre sacré des lettres américaines, qui a été son professeur d'écriture à l'université, avec qui une amitié s'est nouée.

    Il y a même une évocation de Lolita de Nabokov, une histoire d'amour entre un presque quadragénaire et une presque nymphette (la Nola de Dickers a quinze ans), qui donne le petit piment de transgression sans le scandale. Car malgré leurs prénoms phonétiquement proches, Nola n'est pas Lolita. Il ne s'agit pas d'une histoire trouble et perverse, mais d'une histoire d'amour profond, puissant et réciproque, même si Nola est prête à tout faire, même des choses olé-olé, pour protéger son grand homme, et si elle cache une fêlure, un trouble, lié à un secret de famille.

    Autre accroche dans le roman: la construction. On commence, comme souvent dans les livres US, par la fin: le succès retrouvé de l'écrivain, tout en haut de l'affiche. Puis un flash-back nous le montre tout en bas, quelques mois plus tôt, désespéré, fini. Que s'est-il passé entre deux?

    Cette histoire de reconquête est doublée par une histoire policière. Tout accable l'ami du narrateur, Harry Quebert accusé d'avoir assassiné sa jeune Nola. Les indices sont contre lui. Même ses plus vieilles relations le croient coupable. Personne ne le défend. Seul Marcus Goldman se dresse contre l'évidence, à cause de son amitié. Et nous sommes avec lui. Nous savons bien, nous, que Harry n'est pas coupable. Une intrigue construite comme une mécanique de précision va permettre à la vérité d'éclater en sinuant.

    Marcus enquête avec la police, aidé par les privilèges que lui donne son statut d'écrivain connu. Il remonte dans le passé, interroge les témoins. Des surprises surgissent. Des fausses pistes sont lancées. L'assassin, ou les assassins sont bien entendu ceux que personne ne soupçonnait.

    Tout ça est raconté dans une langue transparente, souvent dialoguée, qui ne retient pas, donne directement accès au contenu, mis en valeur par un montage précis, habile, efficace, qui rythme les 670 pages du livre.

    C'est formidable. Le Formidable est d'ailleurs le surnom donné au héros de Dicker pendant son collège, ce héros qui provoque une identification forte du lecteur. Il veut être le premier même au prix de manipulations. Démasqué, il se reprend et mérite son surnom tout au long du livre, dépassant tout le monde et même son maître, triomphant de tout, admiré de tous, grâce à ses vertus, son talent, son sens de l'amitié, sa fidélité, son dévouement.

    Il y a quelque chose d'autre qui est tout à fait enthousiasmant. La célébration de l'écrivain, et plus précisément de l'écrivain à succès. En Europe, cet être doit forcément être tourmenté, préoccupé par son moi ou par le style, malheureux, en proie à des problèmes existentiels ou politiques. Chez Dicker non. Il est tourné vers l'extérieur, une seule chose l'intéresse. Le succès. Vendre le maximum de livres. Un bon bouquin, un grand bouquin, un bouquin génial, c'est celui qui fait 40 millions d'exemplaires. Et les soucis qui tourmentent un auteur, c'est de n'être pas capable de faire ce livre et de combler le public.

    Et ce succès est maîtrisable. Des recettes pour l'obtenir sont données au lecteur tout au long du roman, en 31 conseils qui ont censément été fournis à Marcus par Harry. Comment écrire son premier chapitre, qu'est-ce qu'il doit y avoir dans le deuxième, comment terminer son livre, etc. Ces trucs de séminaire d'écriture font rêver. Pourquoi moi, lecteur, je ne pourrais pas également pondre ce type de roman, devenir écrivain et obtenir la notoriété et l'argent?

    Car les écrivains sont les vrais héros de ce livre. Dans le monde merveilleux de Dicker, ça semble si facile pour eux d'être célébrés, reconnus comme des rock-star, admirés. Il leur faut simplement écrire ce qu'ils vivent : histoires d'amour et enquêtes policières, sans couper les cheveux en quatre. Bien sûr, avant, on souffre, on passe des heures devant des feuilles vierges et on n'arrive à rien, mais ça démarre soudain et il suffit de se laisser aller. Et puis on est récompensé. Il y a bien un auteur dans le livre qui meurt avant de publier, un autre qui monte une supercherie littéraire, mais la justice et la revanche posthume arrivent finalement et les malhonnêtes sont punis par leur conscience.

    Cependant, qu'on ne s'y trompe pas: malgré les recettes proposées dans le texte même, écrire un roman comme La Vérité sur l'Affaire Harry Quebertn'est pas simple du tout. On aura compris peut-être que moi, je préfère les romans plus personnels et avec une écriture moins convenue, plus individualisée, plus sapide, mais ça n'enlève rien au fait que Dicker soit un remarquable raconteur d'histoire et un constructeur émérite.

    Son art est l'antithèse de celui des écrivains du livre. Tous racontent leur histoire personnelle, sincèrement. Même s'il parle de son métier avec une grande modestie, s'il affirme ne pas faire de plan, travailler au jour le jour, Dicker, lui, montre une habileté retorse, un sens de l'équilibrage subtil, une prise en compte du lecteur, et il a écrit un pur roman romanesque. C'est fabriqué? Tous les romans le sont, certains mieux que d'autres. La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert l'est particulièrement bien.

    Le livre évoque la littérature américaine comme le pub anglais de Nyon ou de St-Luc rappelle le pub authentique de Londres. On s'y sent bien, ça remémore l'original, c'est peut-être mieux que l'original parce qu'il n'y a pas cette étrangeté, cette sauvagerie, ce danger de l'étranger. C'est à notre portée, vu de chez nous, avec de l'exotisme quand même.

    Et il y a encore quelque chose, quelque chose de plus qui contribue à sa consécration, qui ne touche plus seulement au livre même, mais à sa réception. Un vertige multimédia.

    Il s'agit, dans La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert, pour l'essentiel, de nous révéler comment un auteur procède pour obtenir le succès. Et c'est en nous montrant ça que Joël Dicker obtient le sien. Son roman mime la vie, à moins que ce ne soit la vie qui mime son roman. Dans tous les cas, on est au-delà de la littérature: dans un livre qui s'épand dans le réel, le modifie, et ce réel est modifié à son tour par le succès de Dicker. Formidable, non?

     

    Joël Dicker, La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert, Editions de Fallois/L'Age d'Homme

  • Annie Ernaux, what else?


    Par Pierre Béguin

     

    Annie Ernaux.PNGBeaucoup plus ronde dans ses propos, ses manières, sa tonalité que son écriture comme un couteau aurait pu le laisser supposer, elle parle, Annie Ernaux. Elle parle beaucoup, anticipe parfois la fin des questions du journaliste, commence une phrase, la suspend, la reprend par un autre bout, ou en commence carrément une autre. Si son style, décapé jusqu’à l’os, sait extraire l’essence même des choses, ses propos, eux, véhiculent une masse de sentiments et de pensées portée par la passion. Si son écriture limpide, où la métaphore se fait très rare, a la précision de l’anthropologue, son verbe est plus enrobé, plus prolixe, comme s’il rendait compte, au début même du processus littéraire, de la difficulté d’une démarche exigeante et risquée.

    C’était mardi soir à la Société de lecture. En inconditionnel de cette œuvre originale, aux confins des genres, je n’aurais pour rien au monde raté ce rendez-vous. Je n’ai pas été déçu. On affichait complet pour la circonstance.

    Que celles ou ceux qui n’ont pas encore lu Annie Ernaux fassent rapidement amende, honorable ou non. Ni autobiographie, ni autofiction, ni confession. Un «je» qui transcende l’individu, un «je» transgénérationnel, un «je» qui a valeur de «nous» et qui devient le «je» d’un lecteur qui peut ainsi se substituer à l’auteur et retrouver sa propre histoire. Il lui suffit de changer les noms...

    Comme dans l’admirable Les Années. Une fulgurance, un chef-d’œuvre. «Au début, pas de «je», ça ne devait être qu’un «nous». Les photos personnelles se sont imposées a posteriori. Il m’a semblé qu’elles apportaient un plus» précise l’auteur. Je souscris. Des années 1940 à 2007. Toute l’histoire de générations racontées avec la fluidité d’un imparfait récurrent, où la démarche est signalée au fil même du récit. Autobiographie collective. Similitude de nos vies. Négation de l’expérience personnelle. Renvoi de l’individu à une masse commune d’expériences et d’idées identiques. Inventaire précis et complet d’une évolution social qui s’accélère jusqu’à l’absurde, où plus rien n’a le temps de s’inscrire dans les consciences et d’accéder au réel.

    «Il y a quelque chose d’irréel à raconter une expérience d’écriture somme toute immontrable – écrit Annie Ernaux dans L’écriture comme un couteau – quelque chose qui se dévoile peut-être autrement. Par exemple dans cette image indélébile d’un souvenir qui vient de faire surface, une fois encore: C’est juste après la guerre, à Lillebonne. J’ai quatre ans et demi environ. J’assiste pour la première fois à une représentation théâtrale, avec mes parents. Cela se passe en plein air, peut-être dans le camp américain. On apporte une grande boîte sur scène. On y enferme hermétiquement une femme. Des hommes se mettent à transpercer la boîte de part en part avec de longues piques. Cela dure interminablement. Le temps d’effroi dans l’enfance n’a pas de fin. Au bout du compte, le femme ressort de la boîte, intacte».

    Annie Ernaux: La Femme gelée, La Place, La Honte, Une Femme, Les Années, et bien d’autres textes à lire toute affaire cessante si ce n’est déjà fait.

     

     

     

     

  • Les vendanges de l'amour

    images.jpeg« Un écrivain avance toujours masqué », disait quelqu’un de mes amis. C’est le cas de Daniel Fazan, homme de radio, de goûts et de terroir. Qui mieux que lui sait vanter les délices d’un ragoût longuement mijoté ? D’un cru amoureusement vieilli en fût de chêne ? Qui mieux que lui, par ses mets et ses mots, sait nous mettre, à l’antenne, l’eau à la bouche ?

    Hé bien, ce n’est pas tout. Quand un ange se pose sur son épaule, Daniel Fazan s’assied à sa table d’écriture. Il ouvre la fenêtre. Il respire l’air de la nuit. Il pose son masque. Est-ce l’ange ou la main qui écrit ? Peu importe. Il retrace les douleurs de sa femme, dans Faim de vie, en faisant un pied de nez à la mort. Dans Vacarme d’automne, il s’amuse de sa propre décrépitude : il n’y a pas de fin, c’est notre condition, mais toujours le désir d’autre chose. Soif de vie. Fringale  d’amour. Ruades contre les murs de nos prisons.

     C’est de cela qu’il s’agit dans son dernier livre, Millésime*, roman à la fois tendre et provocant, gorgé d’amour et de soleil, comme le fruit de la vigne qui en est, ici, le véritable héros. Car le vin, dans ce livre, occupe une place de choix. images-1.jpegC’est l’objet du désir de Paul Pache, comme de Roger, son ami vigneron. Un objet chéri, immémorial et aux pouvoirs magiques. Quasi mystiques, même. Le vin chante la terre et débonde le cœur trop longtemps entravé des hommes. Il dessille les yeux. Il libère la parole. Au fond, depuis la nuit des temps, il est à notre écoute, comme la psy au chignon chaviré qui écoute (distraitement) le héros de Millésime.

     « Cette terre est d’une beauté constante, étourdissante, écrit Fazan. C’est l’amour le plus profond de mon être. » Et cette terre, le vin magique qu’elle produit, le relie charnellement aux hommes qui la cultivent. C’est la révélation qui va bouleverser la vie de Paul. Cette vérité est là depuis toujours, sans doute. Mais, lorsqu’il rencontre le beau Roger, un vigneron du village voisin, cette vérité lui saute aux yeux. Comme les erreurs de sa vie conjugale. Ces masques qui ont défiguré son vrai visage. Ces enfants qu’il ne voit plus. Roberte, surtout, la triste dame, obnubilée par ses faux ongles américains.

     La vie est courte et, brusquement, elle s’ouvre à 360 degrés. L’horizon s’élargit. Mais comment vivre son amour avec un homme, dans le Dézaley vaudois, au milieu des rumeurs et des cris de corbeaux ? Seuls contre tous. C’est le combat de Paul et de Roger qui se promènent dans les coteaux, main dans la main, « Le millésime de notre amour doit mûrir, on l’élève comme une cuvée spéciale, unique. »

     Les mots de Fazan, quand il parle d’amour, ont la même saveur que ceux qu’il utilise pour décrire une recette du terroir ou un grand cru local. Langue souple et souvent somptueuse. Écriture divagante, gorgée d’humour et de trouvailles. Avec, en arrière-goût, cette terre lourde et noire, tantôt ingrate et tantôt généreuse, qui produit quelquefois des miracles.

      * Daniel Fazan, Millésime, roman, Éditions Olivier Morattel, 2012. 

  • Léonard Crot, Amélie Ardiot, Françoise Gardiol, trois auteurs des Editions de L'Aire

     Par Alain Bagnoud

     

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    Léonard Crot, né en 1980, a eu une activité passionnée de guitariste rock, de chanteur et de compositeur. Les Pommiers de la Baltique est sa première publication bien que d'autres textes aient précédé. Crot y fait alterner trois monologues de personnages décalés, des perdants, dont l'imaginaire flamboyant transcende une réalité sordide.

     

    Une femme raconte les tentatives de suicide ratées de sa mère. Un homme mourant évoque une fille blonde, Fran, amour adolescent qui le hante. Une épouse travaillant dans un EMS voit son mari s'éloigner d'elle et entretenir une relation avec la directrice de l'établissement.

     

    Réalités? Fantasmes ? Qui le sait. Le lecteur est pris dans ces subjectivités désespérées et mené par elles sans repères. Puis les récits petit à petit créent des liens entre eux et s'entremêlent, ces trois flux se mettent à concorder sur certains points. C'est lancinant et sourd.Avec Les Pommiers de la Baltique, Léonard Crot, admirateur de Lobo Antunes, nous offre un récit prometteur.

     

    ardiot.jpgTout autre est Malinconia d'Amélie Ardiot. Il s'agit ici d'un roman où l'intrigue est essentielle. Michel confie de façon posthume une boîte à musique à son ami Luigi, un violoncelliste, à charge pour lui de le transmettre à quelqu'un qu'il lui a désigné. Intrigué par cet engin qui colle si peu avec la personnalité du défunt, Luigi enquête sur les boîtes à musique, fouille le passé, et finit par lever quelques masques.

     

    Mettant en jeu des personnages variés et complexes, Amélie Ardiot, née en 1971, prend plaisir à bâtir une histoire, à la conduire et à emmener son lecteur avec elle en ménageant suspense et fausses pistes.

     

    Le troisième livre, Le Goût des mondes, de Françoise Gardiol, n'est pas un roman. Ethnologue, chercheuse et enseignante aux Ecoles Polytechniques Fédérales de Zürich et de Lausanne, collaboratrice scientifique à la Direction Développement et Coopération suisse, Françoise Gardiol est également une globe-trotter.

     

    Tine-Fr_crop2-200x195.jpgElle rassemble ici des textes qui parlent de l'ailleurs, Afrique du Sud, Mexique, Turquie, ou, plus proche de nous, une autoroute bloquée par la neige. Bien d'autres endroits encore.

     

    Le dernier texte en recense 80 sous forme de cartes postales. D'autres sont des poèmes ou des récits. De tous sourdent des ambiances, des odeurs, des saveurs.

     

    Si les formes diverses des textes font du tout un patchwork, ce qui porte le livre, surtout, c'est une ouverture à l'autre, un optimisme ravigotant, une croyance en l'éducation et un amour des livres. Et, je dois le dire, face à la montée catastrophiste des nouvelles du monde, ça fait du bien.

     

    Léonard Crot, Les Pommiers de la Baltique, Editions de L'Aire

    Amélie Ardiot, Malinconia, Editions de L'Aire

    Françoise Gardiol, Le Goût des Mondes, Editions de L'Aire


    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

     

  • Splendeur et misère de la critique

     

    images-2.jpegCertains auteurs, à juste titre, se plaignent du silence qui entourent leurs livres. Rien n'est pire, en effet, que l'absence de critique. Qui signale quelquefois la censure ou l'autocensure (on ne parle pas d'un livre dérangeant), la paresse (ce livre est trop gros, trop complexe) ou le plus souvent l'indifférence.

    Les critiques lisent-ils (elles) encore les livres dont ils (elles) parlent ? Le plus souvent, c'est oui, heureurement. Et on ne chantera jamais assez la gloire des critiques qui éclairent un ouvrage, le décryptent, avec ce zest indispensable d'amour ! Mais il y a des exceptions.

    Une anecdote, ici, du vécu simple et vrai : cinq fois, dans ma carrière, j'ai eu à croiser cette auguste papesse de la critique romande, appelons-la Isabelle*, à propos de mes livres. La première fois, c'était en 1988. Un de mes livres, L'Homme de cendre, avait été sélectionné pour le Prix des Auditeurs de la RSR. En arrivant au Café de la Palud, où nous avions rendez-vous, elle me tendit la main et me dit tout de go : « Je n'ai pas lu votre livre et je ne le lirai pas. Mais vous allez m'en parler… » Nous enregistrâmes une heure d'interview, intéressante, surprenante même, au cours de laquelle j'expliquai de long en large le propos de mon livre. Sans que mon interlocutrice, toute ouïe, puisse me contredire une seule fois, puisqu'elle n'avait pas lu le livre incriminé.

    images-4.jpegJe recroisai cette dame, en 1990, à la sortie de La Mémoire engloutie (Mercure de France), un autre roman. Le livre était pansu (450 pages). Cela me valut le commentaire suivant : « C'est bien, mais c'est trop long ». images-3.jpegEn 94, je publiai Le Voyage en hiver, roman d'une centaine de pages, qui me valut la réflexion suivante : « C'est bien, mais c'est trop court. »

    En 2001, l'auguste papesse, qui avait rejoint le chœur des dames patronnesses du Temps, consentit à écrire une dizaine de lignes sur Nuit blanche, un roman où je parlais justement des dames patronnesses du Temps (les seules pages, sans doute, qu'elle ait lues). Je lui en fus reconnaissant, comme à chaque fois qu'un(e) critique se penche sur mes modestes écrits.

    images-5.jpegEnfin, en 2010, dans une émission littéraire mémorable (Zone critique), comme on lui demandait sa réaction face au Prix Interallié que je venais de recevoir pour L'Amour nègre, elle se permit une minute de silence — stupeur, surprise, effarement — avant de balbutier quelques excuses pour dire qu'elle n'avait pas lu le livre, mais que c'était une surprise, mais qu'elle était contente, etc.

    Les rapports entre auteurs et critiques sont souvent passionnels, injustes, aveugles. Dans le meilleur des cas. Mais ils peuvent aussi relever du malentendu. Pur et simple.

    * prénom d'emprunt.

  • Ah le sport!

     

     

     

    antonin moeri

     

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    Une petite plage dans le village que j’aime. Sur la digue se tient un pêcheur qui lance sa ligne très loin, où passent les brochets. Entre cette digue et les escaliers, de l’autre côté d’une haie, qui permettent aux gens de descendre dans l’eau, un carré de gazon. Ce carré est aujourd’hui investi par six femmes plus ou moins jeunes et des enfants qui vont, viennent, lancent une balle, crient et se réjouissent. Les six femmes ont à peu près le même âge, entre trente et quarante ans. Corps souples, bronzés, musclés (fitness oblige) et des bikinis ultra minces qui laissent voir les petits seins, les ventres extra plats, les fesses sans le moindre pet de graisse.


    J’étais intrigué par leur présence, car ces créatures bien calibrées m’ont semblé nerveuses tout à coup. Elles se sont levées en même temps pour agiter les bras dans tous les sens, faire de grands signes, pousser des cris aigus, des hululements renversants, des yodels de kermesse alpestre. Yodel-Ay-Ee-Odee. On s’y croyait vraiment. Joie de vivre, beauté du paysage, bonne santé, bonne humeur, vigueur, dynamisme, énergie. Ces dames passaient de la voix de poitrine à la voix de tête avec une aisance surprenante. On sait que, dans les Alpes suisses, cette technique fut développée comme méthode de communication entre bergers ou paysans mais, en l’occurrence, je ne voyais pas avec qui ces six femmes communiquaient ou voulaient communiquer.


    En effet, ce message d’allégresse devait avoir un destinataire. Je n’avais pas affaire à des folles momentanément sorties de clinique. Ouh ouh, on est là! C’est la sortie la plus fun! Ohé c’est nous! hurlaient-elles en dansant de plus belle, en se tordant singulièrement, en gesticulant. J’ai alors vu approcher de la rive un splendide yacht rouge. Il avançait lentement, le yacht. Le conducteur faisait durer le plaisir, il voulait que la fête soit totale. Il se tenait droit et fier, au volant de son yacht, l’homme musclé, bronzé, souriant, confiant, infiniment heureux de l’effet qu’il produisait sur ses copines à qui il avait promis une partie de ski nautique.


    Parmi les six yodleuses se tenait la femme de l’homme musclé. Coiffée d’un petit chapeau en tissu blanc, elle semblait suivre le groupe contre son gré. Toute cette excitation semblait l’incommoder. Disons-le franchement: elle avait l’air de faire la gueule. Quand son mari (ostéopathe, m’a-t-on dit) foula le gazon et se mit à pérorer, à faire des théories au milieu de ses admiratrices, la femme au petit chapeau blanc monta sur une planche et, debout, poussa énergiquement sur une pagaie. On appelle ce sport paddleboard et celle qui le pratique une paddleboardeuse. Je me suis laissé dire que notre paddleboardeuse ramait jusqu’à l’autre rive du lac et retour en trois heures (22 kilomètres) Elle rame alors jusqu’à cette petite plage du village que j’aime, où la paddleboardeuse, fatiguée, attendrait l’ostéo parti au large avec ses admiratrices aux mensurations idéales.

  • Poésie en ville


    Du 5 au 7 octobre, la manifestation "Poésie en ville" propose des lectures, des rencontres, des ateliers d'écriture ainsi que toutes sortes d'activités autour du livre.

    Lieux de la manifestation

    • Scène de la Tour-de-Boël, Rue de la Tour-de-Boël;
    • Bibliothèque de la Cité, Place des Trois-Perdrix 5;
    • Temple de la Fusterie, Place de la Fusterie.

    Vendredi 5 octobre

    Coup d’envoi

    18h: discours de Sami Kanaan

    Indispensable, la poésie?

    19h: réponse de Guy Goffette, poète et lecteur chez Gallimard, à laquelle fera écho celle de Louis Chevaillier, récemment publié chez le même éditeur.
    Discussion animée par Catherine Fuchs.

    Dialogue 1

    21h30: poésie sonore - Georges Aperghis - extraits de ZIG-BANG
    Conversation à deux voix parlées: «Ciellame rulardi ell’flamulle y ellame burl’arcru arbru flamiel ard’cru brula oruflam à cielu ar brule.»
    Avec Françoise Rivalland et Isabelle Chladek
    — Temple de la Fusterie

    Samedi 6 octobre

    Feuilles de route

    Pendant l’après-midi, à l’intérieur et à l’extérieur de la bibliothèque: lectures, performances et distribution aux passant-e-s de textes imprimés par Héros-Limite. Animation proposée par les jeunes comédien-ne-s du Conservatoire, avec la participation de Julian Bellini, artiste de cirque.

    Tout bêtement

    11h: Jacques Roman lit des extraits de l’album qu’il vient de publier à la Joie de lire.

    Apéritif

    12h: lancement du site web du projet participatif "Playliste", une proposition de la Compagnie des Basors d’après "Notes de chevet" de Sei Shônagon.

    La poésie, un jeu d’enfant

    13h30: table ronde animée par Catherine Fuchs, avec Alice Brière Haquet, Jean-Marie Henry et Jacques Roman.

    La poésie sur un fil

    15h: la Revue de Belles-Lettres nous fait découvrir la poétesse argentine Alejandra Pizarnik, traduite par Jacques Ancet. Rencontre animée par David Collin, lecture par Myriam Sintado.

    Sous les pavés, la poésie

    17h: la poésie du quotidien avec Claude Tabarini, La Lyre du jour, et Alain Bagnoud, Transports. Rencontre animée par Dominique Berlie.

    La poésie, une question de «méthode»

    19h: Sylviane Dupuis vient présenter son dernier recueil paru chez Empreintes. Rencontre animée par Antonio Rodriguez.

    La poésie, ça se déclame

    21h: Bertold Brecht, un poète à redécouvrir. 
    Avec les jeunes comédien-ne-s des classes pré-professionnelles du Conservatoire de musique de Genève, préparé-e-s par Anne-Marie Delbart.
    — Temple de la Fusterie

    Dimanche 7 octobre

    Dialogue 2

    11h: concert brunch - mélodies françaises pour chant et piano avec Carine Séchaye, mezzosoprano et Marie-Cécile Bertheau, piano.
    Musiques d’Arthur Honegger sur des poèmes de Paul Fort, de Blaise Mettraux (création) sur des poèmes d’Apollinaire et de Joseph Kosma sur des poèmes de Prévert.

    Quoi de neuf chez Samizdat?

    12h30: des Pâquis à Chêne-Bourg, deux poètes dans la ville - Jack Perrot et Laurent Cennamo présentés par Vincent Babel.
    13h: lecture-spectacle - histoires de Louise de et par Claire Krähenbühl, avec Callirhoé Mützenberg à l’accordéon, Kim Maro et Mélanie Meystre, funambules.

    Le poète, passager clandestin

    14h: Vahé Godel, une des grandes voix poétiques de la cité. Une proposition de La Maison de Rousseau et de la Littérature (MRL). Rencontre animée par André Wyss.

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    15h: lancement de l’Anthologie du sonnet romand contemporain, aux éditions Miel de l’Ours.

    Dialogue 3

    15h30: le Quintexte
    Textes de Corinna Bille, Charles-Ferdinand Ramuz, Vahé Godel et Charles-Albert Cingria lus par Julien Tsongas, accompagné par Christophe Berthet, anches, Ian Gordon-Lennox, cuivres, Nicolas Lambert, guitare et Samuel Jakubec, batterie.
    Compositions et arrangements de N. Lambert.

  • Les deux littératures

    AVT_Georges-Bataille_5597.pjpeg.jpeg« Il y a deux types de littérature, écrivait Georges Bataille. La première, plate et anecdotique, fait la une des gazettes, et se vend bien. La seconde, allégorique et souterraine, fait son chemin dans l'ombre et intéresse les lecteurs à venir. »

    On ne saurait mieux définir notre époque qui préfère le plat, le sordide et les mensonges de l'autofiction à la littérature d'invention, la fable, la création d'un monde singulier. Tout se passe comme si, de tous les mouvements littéraires, le réalisme avait définitivement remporté la partie. Il suffit de passer en revue quelques stars de la rentrée française. Dans Les Lisières*, Olivier Adam, nous raconte, pour la énième fois, l'histoire d'un homme abandonné par son épouse, et séparé de ses enfants. Avec force détails et serrements de cœur. DownloadedFile-1.jpegL'inénarrable Christine Angot, dans Une semaine de vacances**, nous ressert la resucée de son inceste (une fellation au jambon-beurre) en ne nous épargnant aucun détail. Telle autre, Félicité Herzog***, avec une rage inassouvie, déboulonne la statue de son père, dans un style au plus près du trottoir.

    « Le réalisme, disait mon cher professeur Roger Dragonetti, c'est la lèpre de la littérature. » Et cette lèpre, semble-t-il, a gagné aujourd'hui toute la littérature…

    De l'autre côté, il y a le poème, la fable, le roman philosophique ou satirique. Cette littérature commence avec Homère et passe (pour aller vite) par Rabelais, La Fontaine, Swift, Voltaire, Nerval et, plus près de nous, Joyce, Kafka, Céline, images-1.jpegKundera, Quignard****, etc. Il s'agit toujours de rendre compte du monde et de ses aberrations, mais en créant un langage singulier. À chaque époque sa langue, me direz-vous. Rien de plus vrai.

    Et le romancier (le poète en mouvement) doit inventer la sienne pour provoquer (découvrir, dévoiler) la vérité.

    * Olivier Adam, Les Lisières, Flammarion, 2012.

    ** Christine Angot, Une semaine de vacances, Flammarion, 2012.

    *** Félicité Herzog, Un héros, Grasset, 2012.

    **** Pascal Quignard, Les désarçonnés, 2012.