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olivier morattel

  • Le souffle de l'aventure (Jack Küpfer)

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    par Jean-Michel Olivier

    C'est surtout comme poète que s'est fait connaître Jack Küpfer, né à Moudon en 1966, imprimeur, puis marin au long cours. On lui doit en effet une Anthologie de la poésie romande d'hier à aujourd'hui (Favre, 2007), ainsi que plusieurs recueils de poèmes. 

    Mais aujourd'hui, avec Black Whidah*, il abandonne les rivages éthérés de la poésie romande — toujours en quête de la rose bleue qui faisait tant rire Frisch ! — pour oser se lancer dans un voyage plein de périls et de péripéties. Car Black Whidah est d'abord un grand roman d'aventures. Chaque phrase est lancée comme une flèche. Et le lecteur, pas à pas, mot à mot, avance dans cette jungle foisonnante (et luxuriante) comme on traverse une mer agitée. On est loin des sanglots longs des violons nombrilistes ou des tourments d'écrivaines vaines en mal d'inspiration…

    images-6.jpegIci, avec Küpfer, on part pour le grand large : la mer, toujours recommencée, le commerce des esclaves, l'histoire de l'Afrique négrière qu'il ne faut jamais oublier. On est en 1808. Le héros du livre, Gwen Gordon, écossais de naissance, puis marin et pirate à ses heures, accompagne un riche capitaine dans les forêts mortelles d'une région imaginaire, le Whidah, berceau de la magie vaudou. Bien sûr, rien ne se passera comme prévu. Et les péripéties abondent dans ce roman au souffle épique, très bien écrit, qui nous entraîne sur les traces (pas encore effacées) des négriers. 

    L'aventure, ici, va de pair avec une critique sociale qui n'est jamais binaire, ou dogmatique. C'est tout l'intérêt du roman. On se prend d'affection pour ce Gordon (lointaine réminiscence de l'Ingénu de Voltaire?) qui traverse la vie comme un bateau la haute mer. Le port se fait attendre, comme toujours. Mais une fois arrivé, le corps couvert d'embruns, on ne peut que se dire : quelle aventure ! Et quel livre !

    * Jack Küpfer, Black Whidah, Olivier Morattel, éditeur, 2014.

  • Les vendanges de l'amour

    images.jpeg« Un écrivain avance toujours masqué », disait quelqu’un de mes amis. C’est le cas de Daniel Fazan, homme de radio, de goûts et de terroir. Qui mieux que lui sait vanter les délices d’un ragoût longuement mijoté ? D’un cru amoureusement vieilli en fût de chêne ? Qui mieux que lui, par ses mets et ses mots, sait nous mettre, à l’antenne, l’eau à la bouche ?

    Hé bien, ce n’est pas tout. Quand un ange se pose sur son épaule, Daniel Fazan s’assied à sa table d’écriture. Il ouvre la fenêtre. Il respire l’air de la nuit. Il pose son masque. Est-ce l’ange ou la main qui écrit ? Peu importe. Il retrace les douleurs de sa femme, dans Faim de vie, en faisant un pied de nez à la mort. Dans Vacarme d’automne, il s’amuse de sa propre décrépitude : il n’y a pas de fin, c’est notre condition, mais toujours le désir d’autre chose. Soif de vie. Fringale  d’amour. Ruades contre les murs de nos prisons.

     C’est de cela qu’il s’agit dans son dernier livre, Millésime*, roman à la fois tendre et provocant, gorgé d’amour et de soleil, comme le fruit de la vigne qui en est, ici, le véritable héros. Car le vin, dans ce livre, occupe une place de choix. images-1.jpegC’est l’objet du désir de Paul Pache, comme de Roger, son ami vigneron. Un objet chéri, immémorial et aux pouvoirs magiques. Quasi mystiques, même. Le vin chante la terre et débonde le cœur trop longtemps entravé des hommes. Il dessille les yeux. Il libère la parole. Au fond, depuis la nuit des temps, il est à notre écoute, comme la psy au chignon chaviré qui écoute (distraitement) le héros de Millésime.

     « Cette terre est d’une beauté constante, étourdissante, écrit Fazan. C’est l’amour le plus profond de mon être. » Et cette terre, le vin magique qu’elle produit, le relie charnellement aux hommes qui la cultivent. C’est la révélation qui va bouleverser la vie de Paul. Cette vérité est là depuis toujours, sans doute. Mais, lorsqu’il rencontre le beau Roger, un vigneron du village voisin, cette vérité lui saute aux yeux. Comme les erreurs de sa vie conjugale. Ces masques qui ont défiguré son vrai visage. Ces enfants qu’il ne voit plus. Roberte, surtout, la triste dame, obnubilée par ses faux ongles américains.

     La vie est courte et, brusquement, elle s’ouvre à 360 degrés. L’horizon s’élargit. Mais comment vivre son amour avec un homme, dans le Dézaley vaudois, au milieu des rumeurs et des cris de corbeaux ? Seuls contre tous. C’est le combat de Paul et de Roger qui se promènent dans les coteaux, main dans la main, « Le millésime de notre amour doit mûrir, on l’élève comme une cuvée spéciale, unique. »

     Les mots de Fazan, quand il parle d’amour, ont la même saveur que ceux qu’il utilise pour décrire une recette du terroir ou un grand cru local. Langue souple et souvent somptueuse. Écriture divagante, gorgée d’humour et de trouvailles. Avec, en arrière-goût, cette terre lourde et noire, tantôt ingrate et tantôt généreuse, qui produit quelquefois des miracles.

      * Daniel Fazan, Millésime, roman, Éditions Olivier Morattel, 2012.