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Ah le sport!

 

 

 

antonin moeri

 

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Une petite plage dans le village que j’aime. Sur la digue se tient un pêcheur qui lance sa ligne très loin, où passent les brochets. Entre cette digue et les escaliers, de l’autre côté d’une haie, qui permettent aux gens de descendre dans l’eau, un carré de gazon. Ce carré est aujourd’hui investi par six femmes plus ou moins jeunes et des enfants qui vont, viennent, lancent une balle, crient et se réjouissent. Les six femmes ont à peu près le même âge, entre trente et quarante ans. Corps souples, bronzés, musclés (fitness oblige) et des bikinis ultra minces qui laissent voir les petits seins, les ventres extra plats, les fesses sans le moindre pet de graisse.


J’étais intrigué par leur présence, car ces créatures bien calibrées m’ont semblé nerveuses tout à coup. Elles se sont levées en même temps pour agiter les bras dans tous les sens, faire de grands signes, pousser des cris aigus, des hululements renversants, des yodels de kermesse alpestre. Yodel-Ay-Ee-Odee. On s’y croyait vraiment. Joie de vivre, beauté du paysage, bonne santé, bonne humeur, vigueur, dynamisme, énergie. Ces dames passaient de la voix de poitrine à la voix de tête avec une aisance surprenante. On sait que, dans les Alpes suisses, cette technique fut développée comme méthode de communication entre bergers ou paysans mais, en l’occurrence, je ne voyais pas avec qui ces six femmes communiquaient ou voulaient communiquer.


En effet, ce message d’allégresse devait avoir un destinataire. Je n’avais pas affaire à des folles momentanément sorties de clinique. Ouh ouh, on est là! C’est la sortie la plus fun! Ohé c’est nous! hurlaient-elles en dansant de plus belle, en se tordant singulièrement, en gesticulant. J’ai alors vu approcher de la rive un splendide yacht rouge. Il avançait lentement, le yacht. Le conducteur faisait durer le plaisir, il voulait que la fête soit totale. Il se tenait droit et fier, au volant de son yacht, l’homme musclé, bronzé, souriant, confiant, infiniment heureux de l’effet qu’il produisait sur ses copines à qui il avait promis une partie de ski nautique.


Parmi les six yodleuses se tenait la femme de l’homme musclé. Coiffée d’un petit chapeau en tissu blanc, elle semblait suivre le groupe contre son gré. Toute cette excitation semblait l’incommoder. Disons-le franchement: elle avait l’air de faire la gueule. Quand son mari (ostéopathe, m’a-t-on dit) foula le gazon et se mit à pérorer, à faire des théories au milieu de ses admiratrices, la femme au petit chapeau blanc monta sur une planche et, debout, poussa énergiquement sur une pagaie. On appelle ce sport paddleboard et celle qui le pratique une paddleboardeuse. Je me suis laissé dire que notre paddleboardeuse ramait jusqu’à l’autre rive du lac et retour en trois heures (22 kilomètres) Elle rame alors jusqu’à cette petite plage du village que j’aime, où la paddleboardeuse, fatiguée, attendrait l’ostéo parti au large avec ses admiratrices aux mensurations idéales.

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