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Blogres - Page 54

  • L’assassinat de Rudolf Schumacher

    Par Pascal Rebetez

     

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    Bastien Fournier n'y va pas par le dos de la cuiller. Son roman a un modèle, qui plus est très connu. L'homme au catogan, désormais conseiller d'état valaisan, devrait se reconnaître un peu dans cet ébouriffant portrait qui commence comme une mascarade carnavalesque, avec tout ce qui fait un homme politique, quand c'est uniquement la vengeance, l'envie et l'ambition qui le tenaille. Portrait d'un médiocre égocentrique donc, mais ce n'est pas grave : il se fait trucider dès le début du roman.

     

    Ce qui nous amène à un second type d'ouvrage : un polar aoc, bien goûteux et diablement efficace, avec du sang, du sexe et du fendant.

     

    Il faut le dire, la littérature ici travaille sur l'indignation, le roman de Bastien Fournier trimballe son lot de dénonciations et de points de vue citoyens.

     

    Le livre s'installe dans l'espace public, questionnannt la montée de l'extrême-droite tout autant que les petites lâchetés qui fait son lit.

     

    C'est roboratif, drôle et engageant.

     

     

     

    Bastien Fournier, L'assassinat de Rudolf Schumacher, L'Aire 2014, 160 pages

     

  • Le temps des cathédrales

    Par Pierre Béguin

     

    Le dernier bulletin d’information de l’Eglise protestante Entre vous et nous présente en première page la photo de six nouveaux pasteurs avec ce titre: Devenir pasteur, quelle idée? Comme si, aujourd’hui, il y avait quelque chose d’anachronique, d’incongru, d’insensé même dans ce choix.

    De fait, poètes et écrivains, depuis l’avènement des villes modernes – à savoir depuis la seconde moitié du XIXe siècle – se sont régulièrement posé la question de la place de la spiritualité dans la démence des cités monstrueuses où stades et supermarchés, véritables cathédrales des temps modernes, ont relégué les églises au rang de curiosités touristiques.

    verhaeren.PNGEn 1895, le poète belge Emile Verhaeren publie Les Villes tentaculaires, sorte de promenade vertigineuse et hallucinée dans une gigantesque métropole, à la fois mythique et cruellement réelle, synthèse des grandes villes européennes du XIXe siècle finissant où bat le cœur troublé du monde moderne. Une vingtaine de tableaux naturalistes dénonçant les méfaits du matérialisme dominant. Au centre même de la ville, «comme un torse de pierre et de métal debout», non pas la Cathédrale mais la nouvelle religion des temps modernes: la Bourse. La frénésie qui y règne traduit le transfert des fonctions religieuses de l’ancienne cathédrale moyenâgeuse au nouveau monument: «L’or étalé sur l’étagère des mirages, Avec des millions de bras tendus vers lui, Et des gestes et des appels, la nuit, Et la prière unanime qui gronde, De l’un à l’autre bout du monde». La ferveur de cette foule fanatique en prière renvoie aux adorateurs du veau d’or, le culte hérétique qui célèbre l’amour de l’or lui tenant lieu de spiritualité: «De l’or! – boire et manger de l’or!». Oui, au centre de cette gigantesque métropole sculptée par l’explosion industrielle et le capitalisme triomphant, dans ce «monument de l’or», est né l’homme du XXe siècle dont la mort est programmée par son avidité même.

    Et l’Eglise? Elle est bien là, rappelle Verhaeren, précédée d’une statue de moine et d’une fontaine où «les mères et les vieillards et les enfants Venaient baigner leurs maux». Hélas! L’emploi de l’imparfait est sans équivoque: menacée par le progrès et le culte de la technique, elle se réduit à une «image usée et tremblotante» liée désormais au passé, à ces premiers âges de l’humanité qu’on regarde avec condescendance. Sa verticalité même n’est plus que le vestige architectural d’une transcendance oubliée. Certes des foules de fidèles, pauvres et riches, se réfugient dans ce «palais de marbre noir», mais dans un ordre respectant les classes sociales et seuls les ostensoirs, «cristal et or», font encore luire «le cœur de la croyance». Le «large glas» que sonne son bourdon se confond avec «le râle Et le sursaut des cathédrales» et «les vitraux (…) semblent trembler Au bruit d’un train lointain qui roule sur la ville». «Dans la ville de la démence», qui réconfortera désormais cette innombrable population foulée par la misère et la détresse?

    apollinaire1.PNGUne vingtaine d’années plus tard, dans cet hymne à la modernité qu’est Zone, où toute la gamme d’objets et d’expériences du progrès est introduite (lumières électriques, automobiles, aéroplanes, autobus, sirènes, sténodactylos), Guillaume Apollinaire, malgré son enthousiasme,  reconnaît un tort à la vie moderne: tout semble trop vite vieillir, passer de mode («ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes »). Le poète pressent que, dans son incessante nouveauté où plus rien n’a le temps de s’inscrire dans les consciences, le monde n’offre aucune certitude, vouant l’homme à l’errance. Aussi éprouve-t-il une certaine nostalgie de la foi, d’une vérité éternelle dépassant les modes: «La religion seule est restée toute neuve». Et Apollinaire d’entreprendre, dans une brève invocation, l’éloge du christianisme et du pape Pie X: «Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X». Quant au Christ, «qui monte au ciel mieux que les aviateurs», il fusionne avec le symbole même du progrès (les avions) dans une métaphore filée: «Pupille Christ de l’œil Vingtième pupille des siècles il sait y faire Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder». Et pourtant, malgré le désir d’un point fixe dans ce tourbillon incessant, Apollinaire hésite à adhérer à la foi chrétienne par crainte du jugement des autres: «Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser». Comme si l’attrait de la nouveauté vouait la foi, et l’engagement humaniste qui l’accompagne loin de tout fanatisme, à l’anachronisme, au passé désuet, à la condescendance, à la candeur infantile. Comme si, entre les deux, il y avait quelque chose d’irréconciliable.

    Voilà pourquoi la récente consécration de ces six nouveaux pasteurs, le 28 septembre dernier, m’a rassuré, réjoui même, moi l’agnostique. Comme si je voyais là un signe que mes racines peuvent résister aux vents fous de la modernité, à son tourbillon de technique, de gadgets électroniques, d’angoisse du vide et de recettes de spiritualité en prêt-à-porter…

     

     

     

     

     

  • Antoine Jaquier : prix Édouard-Rod 2014

    Le 20 septembre, à la Fondation de l'Estrée, à Ropraz, le prix Edouard-Rod 2014 a été remis à Antoine Jaquier pour son formidable roman Ils sont tous mortsVoici la laudatio que Corine Renevey, membre du Jury, prononça à cette occasion.

    Henri Crisinel : « C’est là que m’attend Satan »

    Il n’y a pas de drogués heureux (1977) disait le docteur Claude Olivenstein en 1977, Antoine Jaquier nous le rappelle et son roman qui n’est ni un témoignage ni une autobiographie, s’inscrit 36 ans plus tard dans cette lignée d’œuvres qui évoquent de manière saisissante l’univers des drogués, telles que Flash ou le Grand Voyage de Charles Duchaussois (1971), L’Herbe bleue ou Moi Christiane F (1978). L’humour, la vivacité du style et la poésie en plus !

    prix rod,2014,antoine jaquier,l'âge d'homme,roman,drogues« Qui de Dieu ou du diable est le plus puissant ? » D’entrée de jeu, Antoine Jaquier ouvre le roman sur la question que pose Manu, l’autiste de la bande d’adolescents et qui trouve la réponse entre deux flots de fumée : « Dieu créa l’homme, Satan le flingue ». On pourrait peut-être ajouter à la lecture de ce roman : l’homme créa les paradis artificiels, la femme le salut, Satan la dépendance qui balise la descente en enfer. Dès lors s’amorce un combat inégal entre les forces du bien et du mal, entre la liberté et les dépendances trop chères payées, entre l’amour salutaire et l’esclavage, voire le tourisme sexuel, une lutte disproportionnée qui sera le fil rouge du roman. L’originalité de ce récit est justement de montrer avec drôlerie et lucidité, cette lente dérive de jeunes paumés qui rêvent d’expériences inédites et d’horizons lointains. L’auteur sait nous garder à distance de ce milieu glauque et désespéré.

    images.jpegDans cette bande d’adolescents désœuvrés, il y a d’abord, Jack, le narrateur de 17 ans dont le frère aîné est héroïnomane et sidéen. C’est lui qui va raconter le destin tragique de ses camarades mêlant humour, autodérision et poésie.  Ensuite il y a Manu qui n’a pas inventé la poudre et qui a pour seule amie une télévision. Il boit, il fume, même ses ongles de pieds pour connaître l’autarcie (36), touche à l’héroïne pour conjurer sa peur. « On le surnommera Bhopal du nom de la ville sinistrée (87) ». Et puis, il y a Bob, apprenti agricole, qui vit l’autarcie grâce à son champ de ganja, c’est un ami qu’on ne choisit pas qui tient des propos racistes mais avec qui on fait avec, car il a toujours un truc à rouler. Il pratique la cruauté animale en fixant à l’aide de pinces à linge, les ailes de moineaux effarouchés sur un fil d’étendage (31). C’est lui qui va encourager Jack à se faire tatouer un dragon japonais sur le bras et l’initier aux champignons hallucinogènes. Et puis il y a Steph, le philosophe de la bande et Tony qui vit dans un appartement qui ressemble à une jungle : « la vraie avec la verdure et les bêtes ». Ensemble, on zone, on commence par la fumette (joint, narguilé, pipe à eau), on se réjouit déjà du prochain trip, on fait des mélanges de toutes sortes, on chasse le dragon et on se rend vite compte que tous ne sont pas égaux face aux dépendances. Il y a ceux qui s’en sortent en fumant occasionnellement et ceux qui, comme Jack, le narrateur sont incapables de maîtriser leur consommation.  « Si j’y touche, dit Jack, je m’inscris sur une liste d’attente pour l’enfer » (88). Malgré cette lueur de lucidité, Jack va y toucher et c’est à travers son expérience que l’on comprend que les effets de la dope le transportent loin, très loin dans un déni de réalité.

    « Bon voilà c’est fait, dit Jack, j’ai touché aux drogues dures. Je concrétise ces années de préparation subliminale de la pub, de la mode, de l’école, du catéchisme, du cinéma et de la téloche. Ridicule expérience. Les mises en gardes de Maman, des copains, de Chloé, des éducateurs et des flics me paraissent bien hors de proportion face à l’effet dérisoire de cette étrange substance… Quel tintouin autour de cette poudre, c’est juste cool et ça m’apaise, j’en reprendrai demain. » (146)

    Attente démesurée et surmédiatisée, déni des effets des drogues de la part de  Jack devenu accro dès la première prise.

    En découvrant le milieu de la drogue, Jack vit ses premières expériences, d’abord avec Cynthia, la copine de Tony. Trop angoissé par cette soudaine intimité et trahison, Jack se soûle au whisky et finira dans un coma éthylique le jour de ses 17 ans. Il rencontrera lors d’une soirée chez Manu, la blonde Peggy, une esclave sexuelle prête à tout pour un snif de poudre blanche (82), et la belle Andalouse, sexy en diable, qui n’arrive pas à se faire un fix et que Jack aidera en dirigeant l’aiguille de la seringue dans sa jugulaire.

    « J’ai hélas compris à quoi je dois servir ; elle n’arrive pas à s’injecter elle-même. (…) La fille est donc offerte, attendant mon office. (…) J’appuie sur la peau, l’aiguille perce d’abord puis pénètre la chair de quelques millimètres et soudain, le sang fait irruption dans la seringue. Sans hésitation, je tire un peu le piston, le sang et le liquide brunâtre se mélangent, puis je sais que c’est bon. Je balance la sauce, direct vers le cerveau sans passer par le start. (…) 

    Je viens de faire un shoot dans la gorge d’une junky, sans avoir même appris. (…) Je me tourne vers la fille, elle est en petite culotte et machinalement, je lui soupèse un sein. Que la chair est misère sans son soufle vital. Je couvre l’Andalouse et rejoins le plumard. (…) J’avale deux Rohypnols et en quelques minutes, je m’endors paisiblement. (84-85) »

    Dans cette métaphore sexuelle, tout est dit de la misère humaine : l’utilisation de l’autre comme moyen, l’apocalypse du désir et la fulgurance du fix ephémère et non partagé. Pourtant Jack ne renonce pas totalement à l’amour.

    Il tombe amoureux de Chloé prénom qui signifie en grec, la « verdoyante », « l’herbe naissante ». C’est une employée de commerce de 23 ans, un peu paumée elle aussi, qui couche avec un mécène de 40 ans son aîné pour payer ses études et continue la relation avec lui même si elle devient financièrement indépendante. Elle rêve de changer de vie, de partir en Thaïlande, de travailler pour l’humanitaire et économise les 50 000 francs nécessaires au voyage. Jack et sa bande rêvent également d’évasion et doivent trouver un moyen rapide de se procurer l’argent. Ils planifient ainsi un double braquage à main armée avec prise d’otage. Pour réussir le coup du siècle, il leur faut un chef, ce sera Tony, le plus âgé de la bande, ancien taulard qui s’occupera pendant le double braquage d’attaquer le poste de police, un plan élaboré à la seconde près, un pacte scellé de leur sang, une consigne très stricte : pas de drogue avant l’action, une date, deux faux flingues, car il n’est pas question de blesser voire de buter quelqu’un. Pour cette bande de rigolos, habitués au vol à l’étalage dans l’épicerie du coin, il n’est plus question de voler des friandises et des carambars. On devient bien plus ambitieux et audacieux sous l’emprise de Tony.

    Reste à gérer l’attente interminable, le manque et le trac. Avec les 365 000 francs volés, ils vont organiser leur départ pour Bangkok, la ville des anges. prix rod,2014,antoine jaquier,l'âge d'homme,roman,drogues
    Mais surtout, ils vont employer toute leur énergie pour organiser le manque qui guette à tout instant et qui finit par occuper entièrement leur esprit. De la Thäilande, ils ne connaîtront que le triangle d’or et les plages du sud, les dealeurs et leurs clients essentiellement occidentaux, les courses de tuk-tuk, les bars minables à GI’s, les pubs touristiques où se mélangent non sans violence les Thaïs et les farangs, le tourisme sexuel… Cette gangrène qui mine les rapports entre indigènes et occidentaux.

    Chloé, le personnage lumineux qui porte en elle la vie naissante, s’inquiète de cette consommation permanente, et se sent exclue du groupe. Elle veut profiter de son voyage, rencontrer les habitants, visiter les sites, aider les enfants démunis. Elle tentera de sauver Jack en lui demandant instamment d’entreprendre une cure de désintoxication dans le monastère de Tham Kabrok. Sans succès, Jack sait qu’il est devenu un toxico, un homme possédé par le manque, parano et solitaire, un handicapé du registre de la compassion (43) incapable de retenir la femme qu’il aime.

    C’est à travers cette bande de pieds nickelés, rigolards et pathétiques, qu’Antoine Jaquier nous décrit le parcours d’une génération sacrifiée, la génération qui avait 17 ans en 1985. Soyons clairs, malgré son ton humoristique, ce livre n’est pas une incitation aux drogues. Bien au contraire, l’auteur décortique avec l’œil lucide de ceux qui connaissent le terrain, les pièges qui mènent de l’autre côté du bon sens et de la raison. Et c’est pour cela qu’il faut le lire, nous les adultes, les parents, les enseignants et le transmettre aux nouvelles générations.

    * Antoine Jaquier, Ils sont tous morts, l'Âge d'Homme, 2013. 

  • galop d'essai

     

    antonin moeri

     

     

     

     

     

    «Mercier et Camier» est le premier roman que Samuel Beckett rédigea entièrement en français. Il s’agit d’un voyage qu’on pourrait dire immobile, car nos deux personnages ont beaucoup de peine à quitter l’enfer métropolitain. On ne sait même pas si ce voyage a vraiment eu lieu. («ils restèrent chez eux, Mercier et Camier, ils eurent cette chance inestimable»). Une scène de ce livre est emblématique. Mercier et Camier descendent d’un train omnibus. Ils entrent dans une auberge, sans doute avec l’intention de se restaurer. Le gérant de cet établissement improbable les prend pour des touristes et leur adresse les habituelles formules de bienvenue. Il ne cesse d’appeler son employé nommé Patrice.

    Mercier décide de nommer ce gérant monsieur Gall, car dans ses rêves, ce gérant se nomme monsieur Gall. Monsieur Gall emploie des formules de politesse totalement inadéquates, du genre «Débarrassez-vous!» alors que Mercier et Camier n’ont rien à enlever. Quand Mercier passe commande, il exige une salade d’oursins avec de la sauce bouglé (ce qui ne veut rien dire) et un sandwich à la ploutre (la ploutre est un instrument servant à tasser la terre). «Patrice!» ne cesse de hurler le gérant. On apprend que ce gérant ne s’appelle pas Gall mais Gast.

    On apprend également que Patrice n’existe pas, puisqu’il vient de mourir. Ce Patrice aurait dit, juste avant d’éteindre sa lampe: «A boire, Jésus, à boire!» Comme le gérant ne peut plus appeler Patrice, il appelle Thérèse qui déboule aussitôt, un torchon à la main. Le lecteur apprend que Camier est détective et qu’un dénommé Conaire a rendez-vous avec lui. Mais il est impossible de rencontrer Camier. Celui-ci est allongé sur le sol d’une chambre louée pour la journée, la main dans celle de Mercier. Ils ont vidé un flacon de whisky et dorment profondément.

    On ne saura jamais pour quelle raison Conaire avait rendez-vous avec Camier, ici, dans un hôtel de banlieue, mais le lecteur aura assisté à une scène de grand-guignol qui pourrait être une scène de rêve dans laquelle on croise des fermiers, des marchands de bestiaux, une serveuse, un barman, un monsieur Graves et un monsieur Conaire, au cours de laquelle on entend la voix de monsieur Gast qui, ayant pris une position avantageuse, déclame un texte au sujet d’un hôte idéal, texte d’un lyrisme à la fois intense et contenu qui annonce les monologues de Lucky et de Hamm et qui préfigure les récits enchâssés de «Malone meurt». C’est pourquoi on peut considérer «Mercier et Camier» comme une rampe de lancement ou (autre image pour exprimer ce que je voulais dire dans ce petit papier destiné à d’improbables lectrices) comme un «galop d’essai».

     

     

    Samuel Beckett: Mercier et Camier, Minuit, 1970

  • Julien Bouissoux, Une autre vie parfaite

     Par Alain Bagnoud

    Une autre vie parfaite, c'est la vie qu'on aurait pu vivre, qu'on aurait voulu vivre, qui est à côté, ailleurs, derrière le temps ou derrière l'écran, et qui nous échappe. C'est ainsi que je comprends le titre du recueil de Julien Bouissoux, une suite de nouvelles prenantes, d'une tonalité sourde, lancinante, tendre et inconsolée. Julien Bouissoux. La bonne nouvelle de cette rentrée romande.

    Julien Bouissoux n'est pas un débutant. Deux livres aux Editions du Rouerge, trois aux Editions de l'Olivier. Co-scénariste, en plus, du film Les grandes Ondes (à l'ouest) réalisé par Lionel Baier.

    Son recueil de nouvelles cueille des personnages à un moment charnière. Des personnages plus tout jeunes, pas vieux non plus, disons autour de la quarantaine, vivant l'expérience d'une crise. Quelques résumés:

    Dans la première histoire, un homme revient dans le village de son enfance. Il retrouve l'allée qui mène au stade et les vingt-deux arbres qu'il a plantés. C'était un travail d'intérêt public, infligé par les gendarmes après qu'il a été surpris à tirer au fusil sur des containers. Des gamins fument à l'entrée du stade. Il les aborde, leur offre des bières, finit par prendre un Glock dans le coffre de sa voiture, à le passer aux ados et à canarder un panneau de signalisation.

    On ne sait pas qui est ce personnage, ce qu'il est devenu. On devine simplement quelque chose de trouble dans ses activités, dans sa manière de vivre, dans son revolver. Et cette revanche sur le passé. Il a un message mais il oublie de le dire aux gosses qu'il épate : «  Mais on peut survivre à tout. J'aurais dû le leur dire avant de partir. L'essentiel, à partir d'aujourd'hui, c'est de savoir rester en vie. »

    PJulien Bouissouxlus loin dans le live, un employé est oublié par sa boîte dans un bureau, continue à toucher de l'argent sans avoir rien à faire. Un autre se perd volontairement en mer, sur un rocher, au fond d'une grotte, se cache des secours qui le cherchent. Des hommes jouent à des jeux vidéos, substituts plus excitants que la réalité. La seule femme héroïne d'une nouvelle a couché avec une star de cinéma, quand ils étaient tous deux ados, et attend son déclin pour qu'il lui revienne.

    Tout ça serait complètement désespéré s'il n'y avait pas la dernière histoire. Un homme y hérite de la maison de son père mort. Il l'a détesté, lui et ses manies. Mais soudain, il décide de ne pas vendre, de s'installer avec sa famille, de créer un nouvel ordre dans cet endroit de contrainte. Un ordre de liberté, qui transforme le passé, le supprime, et crée de la joie là où il y avait de l'oppression.

    La vie parfaite, suggère cette nouvelle, n'est peut-être pas seulement derrière, à côté, mais aussi devant, dans l'espoir de quelque chose qui adviendra. Peut-être.

    Julien Bouissoux, Une autre vie parfaite, L'Age d'Homme

  • L'Ami barbare au Rameau d'Or !

    1622017_799672126722638_87065516519397162_n.jpgNe manquez pas demain, vendredi 26, à partir de 18 heures, à la librairie du Rameau d'Or (boulevard Georges-Favon, 1204 Genève), une discussion amicale et passionnée à propos de L'Ami barbare, entretien mené par l'excellente Marianne Grosjean (journaliste à La Tribune de Genève) !

    Une surprise, délicieuse, attend toutes celles et ceux qui achèteront le livre…

    Venez nombreux !

  • Dickens ou les raisons d'un succès


    Par Pierre Béguin

     

    Dickens.PNGUne seule fois, alors que j’étais étudiant à Londres dans les 70’s, il m’a été donné d’assister à la manifestation d’une tradition encore très vivace jusqu’à la Seconde Guerre mondiale: le Dickens impersonator. Dans les théâtres de banlieue, un curieux artiste est censé imiter, à la demande du public, tel ou tel personnage célèbre (et ils sont nombreux) issu de l’œuvre de Dickens. Le public crie: «Mr Pickwick! Pip! Uriah Heep! Oliver Twist! La petite Nell!..». Et l’artiste, tirant de sa malle des vêtements et accessoires appropriés, se grime de manière à incarner le personnage désiré. Une telle tradition (tombée progressivement en désuétude après la guerre) souligne l’énorme succès populaire longtemps remporté par Dickens.

    Comment un écrivain devient populaire? Il est impossible de cerner les causes d’un succès (ou d’un échec) littéraire tant elles sont nombreuses et, souvent, indépendantes de la qualité intrinsèque de l’œuvre (dans tous les cas, la chance ou la malchance y tient un rôle important). Avec Dickens, on peut en retenir facilement un certain nombre. Parmi les plus évidentes: rapidité réductrice empruntée à la comédie, humour fréquent mais jamais grinçant, recherche de l’oralité théâtrale, personnages figés dans quelques attitudes stéréotypées, trait forcé à la limite de la caricature, ou même du cliché (a-t-on déjà vu des nouveaux riches aussi exclusivement nouveaux riches que dans Notre ami commun?) intrigue pliée à ce que l’auteur suppose être la demande des lecteurs, abus des coïncidences heureuses, happy end, etc. Je me contenterai de développer les deux points suivants:

    -          L’écrivain applique systématiquement à ses personnages, quel que soit le roman, une échelle des valeurs extrêmement simple, voire simpliste: d’un côté les bons anges, les élus, de l’autre les mauvais démons, les damnés. La balance qui les pèse ne prend en compte que leur degré de bonté. Au final, aux bons le Ciel, aux méchants l’enfer, même si le chemin qui mène à l’un ou à l’autre est souvent tortueux et plein de surprises. Et s’il arrive parfois que les méchants prospèrent ou que les bons soient sacrifiés, c’est pour pointer vigoureusement du doigt la honte de notre société. Mais généralement, tout ce que le personnage a généreusement donné lui sera rendu dans cette vie même au centuple, soulignant la précellence des qualités du cœur sur celles de l’esprit. Simplicité et bons sentiments sont indéniablement une clé du succès, qu’elle soit utilisée avec talent, comme Dickens, ou non, comme…

    -          L’écrivain redoutait tant de n’être pas instantanément compréhensible pour son public qu’après avoir écrit quelques chapitres d’un nouveau livre, il éprouvait le besoin de les lire devant un cercle d’amis afin de vérifier leur impact émotionnel. Selon la réaction du public, il trouvait un encouragement à continuer sur la même voie, ou des pistes pour orienter différemment son histoire. Son besoin d’approbation est tel qu’il va – dit André Maurois (in Un essai sur Dickens) – «jusqu’à sentir la nécessité de ce frémissement immédiat que peut produire la lecture à haute voix». La gloire venue, il organisait des lectures publiques devant de vastes auditoires à qui il lisait des passages de ses romans non sans en modifier, le cas échéant, certaines lignes ou fin de chapitres pour en retirer davantage d’applaudissements.

    J’ai pensé à cela – à cette conscience exacerbée de la réaction du public chez Dickens – il y a quinze jours à Morges, aux Livres sur les quais, en écoutant un auteur (Grégoire Delacourt en l’occurrence) s’indigner qu’un écrivain pût prendre en considération les réactions ou les attentes des lecteurs durant la rédaction d’un livre: vil opportunisme, aliénation de liberté du créateur, réduction de l’acte d’écrire à une opération marketing, du livre à un objet commercial… A ses côtés, Yann Queffélec était beaucoup plus nuancé.

    Le véritable artiste, prétend la doxa, devance son temps et son public. Il lui impose sa vision nouvelle, il l’entraîne dans des contrées encore inexplorées. Il n’est pas, comme Dickens, à la remorque des idées reçues et des attentes souvent élémentaires de ses lecteurs. Ne les choquons pas! Ne les chagrinons pas! Mais donnons-leur des raisons d’espérer, de rire, d’aimer! Dickens aurait-il inauguré ce que nous qualifions aujourd’hui, avec un brin de mépris, de littérature de consommation?

    Peut-être. Mais Dickens a toujours cet art de raconter qui, porté à son point suprême, coïncide avec une allègre et roborative morale du rebondissement, un art qui finit par épargner à notre vue des défauts pourtant bien visibles. Ce doit être cela le génie. Et une once de génie rend tout le reste dérisoire. Peu importe alors les clichés, les attentes du lecteur, les postures ou les choix d’écrivains. Moi, j’aime toujours Dickens malgré tous ses défauts. Il est d’autres écrivains qui ne les ont pas et que je goûte peu…

     

  • Jérôme Meizoz, Saintes colères

     

    Jérôme Meizoz se met en colère. Ou plutôt, il y a quelques années qu'il l'est, si on se base sur les textes réunis dans Saintes colères. Avec l'intelligence et la clarté qu'on lui connaît, notre auteur y attaque quelques cibles.

    La principale semble bien être l'UDC. On sait que ce parti attise les antagonismes pour assurer son propre pouvoir, que sa stratégie consiste à dresser le peuple contre les élites. Meizoz s'interroge sur l'usage qui est fait de l'art dans le combat du parti agrarien.

    Il examine les représentations d'Anker, le peintre favori de Blocher, qui diffuse une imagerie de kitsch nationaliste et de communauté rurale chaleureuse. C'est la culture des groupes folkloriques, du costume national et des chorales d'amateurs censées incarner ou représenter une identité chère à l'UDC.

    Ce parti n'est d'ailleurs pas seul à irriter Meizoz. De façon plus globale, ceux qui jettent de l'huile sur le feu et avivent la haine l'exaspèrent. Il aimerait « inciter au calme les excités médiatiques ». Dans ces provocateurs qu'il vise, il y a par exemple Maître Bonnant, dont Meizoz soupçonne le masochisme caché et l'envie délicieuse de déplaire pour se faire fesser.

    Il y a d'autres choses à faire que subir leurs discours, affirme notre auteur. La réaction est possible. Une réaction citoyenne de la parole. Celle même que Meizoz pratique dans son recueil.

    Un deuxième grand axe de son livre touche au domaine de la littérature, abordée surtout sous l'angle sociologique. C'est un royaume, explique Meizoz, où règnent désormais les attachés de presse, qui désignent aux journalistes les quatre ou cinq bouquins dont il faut parler. Et tout le monde suit. La loi du marché a imposé le triomphe de M. Homais.

    Du coup peut dominer le révisionnisme littéraire qui vise à purger par exemple les biographies de Cendrars de ses tentations antisémites. Du coup également, les stratégies planifiés de promotion ou de scandale peuvent s'installer.

    Pour le montrer, Meizoz s'attarde sur l'affaire Richard Millet. On se souvient que Millet avait écrit un Éloge littéraire d'Anders Breivik. Son but était de provoquer un tapage littéraire bien agencé dans lequel il entendait prendre la place de la victime, du bouc émissaire honni de tous. Une stratégie à la Céline, qui devait donner à Millet la place éminente qu'il convoitait et n'arrivait pas à atteindre par ses publications...

    S'il est attentif aux auteurs de France, Meizoz ne dédaigne pas non plus de ferrailler chez nous. Il critique ainsi Le Miel de Slobodan Despot, en ciblant les enjeux idéologiques de son livre, qui tourne autour de la guerre en ex-Yougoslavie. On connaît la position pro-serbe qu'avait prise jadis Despot. Le combat continue, semble dire Meizoz en analysant son livre : « Après avoir échoué à convaincre dans sa revue et par ses paroles dans les années 90, S.Despot recourt désormais à la littérature comme discrète perfusion idéologique. »

    Autre analyse de Meizoz, celle du roman En finir avec Eddy Bellegueule, d'Edouard Louis, qu'on peut lire, affirme-t-il, comme une « ode (à l'insu de son plein gré) aux valeurs culturelles de la bourgeoisie ». L'auteur y misérabiliserait son milieu modeste et le massacrerait symboliquement. C'est en tout cas ce qu'un libraire spécialisé lui a reproché.

    Un comportement auquel Meizoz est sensible. L'éducation, la question des élites, les valeurs qu'on sacrifie dans l'ascension sociale sont des thèmes qui le touchent de près, lui, le fils de mécanicien qui a rencontré les rejetons des bonnes familles genevoises ou vaudoises au collège de St-Maurice.

    Mais il n'y a pas que des dénonciations dans ces textes, inédits ou publiés d'abord entre 2007 et 2014 . Ils se terminent par une belle célébration d'Henry Roorda et de la littérature. « Qu'une telle personne ait existé constitue un fort argument contre le pessimisme. Qu'elle se soit donné la mort en fournit un non moins solide contre l'optimisme. Match nul. Avantage : littérature. »

     

    Jérôme Meizoz, Saintes colères, éditions d'autre part

  • Mon premier jukebox littéraire

     

    Par Alain Bagnoud

    Ça se passera demain, samedi 6, au Livre sur les quais, à Morges.

    Voilà comment ça se déroule. Il y aura cinq auteurs assis sur scène. En l’occurrence : Odile Cornuz, Antoinette Rychner, Mélanie Richoz, Sylvain Thévoz et votre serviteur. Devant chacune et chacun sera posée une petite caisse en bois munie d'une sonnette.

    Robert Sandoz, guitariste et animateur, mène le jeu. Il sollicite les spectateurs qui lui proposent discrètement des mots. Puis, revenu sur scène, Robert en annonce un aux auteurs.

    Ensuite, ébullition intellectuelle. Chacun cherche parmi ce qu'il a écrit un court texte ou extrait qui lui semble correspondre, thématiquement ou par association libre. Le musicien joue pendant cet instant de réflexion intense.

    Le premier auteur qui trouve gagne le set. Il agite sa sonnette, se dirige vers la table, attend la fin du morceau et lit son extrait. Puis le jeu recommence avec un autre mot programmé par un spectateur.

    À la fin, le vainqueur est couronné de lauriers. Peut-être. Peut-être pas. En tout cas, on se sera bien amusé.

    Et des fâcheux disent encore que la littérature est ennuyeuse !

     

    Jukebox littéraire. 17H15, Caves de Couvaloup. Avec Odile Cornuz, Antoinette Rychner, accompagnées d'Alain Bagnoud, Mélanie Richoz, Sylvain Thévoz et de Robert Sandoz (guitariste)

  • Fiction policière de Sébastien Meier



    MOURRIER À VEVEY          DE      SÉBASTIEN MEIER  

    PAR LE COLLECTIF FIN DE MOI


    THEATRE L'ORIENTAL

     

    Mise en scène: Benoît Blampain      Jeu:     Murielle Tenger, 

     

    Antonin Moeri,   Anne Ottiger 

     

    Danse: Bastien Hippocrate et Claire Dessimoz

     

    Un lundi matin de septembre, on retrouve à l’Oriental le corps sans vie d’un membre du comité de direction. Il s’agit visiblement d’un meurtre. Pour résoudre l’affaire, on fait appel aux talents reconnus de l’ancien commissaire de la police judiciaire de Lausanne, Jules Mourrier, reconverti en professeur de criminologie. 

    Homme bourru, massif, Jules Mourrier a des méthodes d’un autre temps. Son fort: l’intuition. Son faible: le vin blanc. Suivez le commissaire dans les antres du théâtre, peuplé de suspects danseurs, cadres de multinationales de l’agroalimentaire ou politiciens.

    Et découvrez, sur les pas de Mourrier, une création de danse contemporaine inédite signée Fin de Moi, et un exercice de lecture poussé à l’extrême.

     

    17 AU 20 SEPTEMBRE 2014  

     

    ME-JE-VE 20H | SA 19H