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Blogres - Page 46

  • Une pauvre Histoire littéraire en Suisse romande

    PAR JEAN-MICHEL OLIVIER

    web_litterarure4envoi--672x359.jpgOn attendait beaucoup — peut-être trop — de cette nouvelle Histoire de la littérature en Suisse romande, promue dans les médias avec des roulements de tambour. L'ancienne mouture, parue entre 1996 et 1999, aux Éditions Payot (qui n'existent plus), sous la férule de Roger Francillon, autrefois professeur à l'Université de Zurich, était pleine de lacunes et d'un dilletantisme assez burlesque. La nouvelle édition, revue et abrégée, qui compte 1726 pages, paraît aujourd'hui aux Éditions Zoé.*

    Je ne dirai rien de la partie purement historique (critiquable, bien sûr, par ses partis-pris, mais intéressante), ni des chapitres sur la science-fiction, la BD ou le polar en Suisse romande (qui ne sont pas ma tasse de thé, je le regrette). images-1.jpegEn revanche, j'ai lu d'assez près la dernière partie de cette Histoire, consacrée aux écrivains contemporains. Le propos est général ; l'analyse, amorcée, ébauchée, mais rarement approfondie : on en reste à un travail d'arpenteur.

    Chaque écrivain, dans une manière de dictionnaire, a droit à son articulet. On est frappé. d'abord, par les absents : rien sur David Collin, Sergio Belluz, Serge Bimpage… Trois fois rien sur cet immense lecteur (et grand écrivain) qu'est Jean-Louis Kuffer… Est-ce bien sérieux ?

    Et les présents, alors ? La plupart sont réduits à quinze lignes paresseuses, affligeantes de pauvreté. Quant à ma propre notice, si j'ose ici mentionner mon modeste travail, elle est pompée sur Wikipédia, mais moins complète et mal écrite. On y trouve le résumé de de mes livres (j'en ai publié 25) et oublie le dernier en date, qui raconte la vie du plus grand éditeur de Suisse romande…

    Je pourrais multiplier les exemples, les oublis, les lacunes. Ils sont légion. Le tout témoigne d'un amateurisme un peu triste, qu'on trouvait déjà dans les volumes parus en 1999. Certes, la Suisse romande est un petit pays, les bonnes plumes y sont rares, les critiques compétents encore plus. Et les Facultés de Lettres, en matière de littérature contemporaine, brillent par leur absence. Mais, quand même, pourquoi tant de médiocrité ? Pourquoi un tel manque de travail dans un pays réputé pour son sérieux ?

    Les écrivains romands méritent mieux que cela.

    * Histoire de la littérature en Suisse romande, Zoé, 2015.

  • L'Arche de Noé

     

    Monsieur Alain Jacquemoud, enseignant de français dans un collège genevois, me fait parvenir ce billet d'humeur où il est question d'une décision aberrante du DIP, et plus largement de ses dérives sur la question de la laïcité.

     

    Pierre Béguin

     

     

    Parents genevois, parents de France et de la vieille Europe, réveillez-vous. Vos enfants sont en danger. Depuis longtemps, ils sont sous perfusion mentale, un poison infiltre leur esprit, corrompt leur âme. Trop confiants, vous n'avez pas pu deviner son action. Trop absorbés, vous avez choisi de l'ignorer. Dans les deux cas, vous êtes bernés, floués, trahis.

    D'où vient le mal? Non d'usines désaffectées, devenues lieux de détente nocturne, non de la rue, l'immonde rue, ni non plus de quelque mouvement de révolte qui serait né dans le cœur même de vos enfants. Non. Il vient de l'école, ce haut lieu de la pensée en devenir, et avec le sceau encore de toutes les autorités, à l'ombre tutélaire de Jules Ferry et des grands bâtisseurs du système scolaire helvétique.

    Quelle est la nature de ce mal? Son nom est pluriel: héritage chrétien, dimension spirituelle, référence au sacré, fait religieux.

    Où se loge-t-il? Mais partout. De la maternelle à l'université, du cours de français à ceux d'histoire ou de chimie. Présence massive ici, homéopathique là, évidence aveuglante ici, allusion subtile là. Oui, partout le poison agit puisqu'il n'est pas une discipline qui à un moment ou à un autre de son essor, dans le champ qu'elle parcourt, ne soit pas confrontée à la question de son propre sens, de sa valeur, de ses fondements idéologiques, lesquels sont plus ou moins déterminés par son ancrage dans le temps d'une civilisation, la nôtre précisément, la judéo-chrétienne.

    Comment cela se fait-il, direz-vous, puisque l'école, depuis plus d'un siècle, est laïque? Vous savez bien que laïc n'a jamais signifié tabula rasa, liquidation du passé, oubli de la profondeur de temps dont nous sommes issus.

    Que faire dès lors? C'est facile. Prendre exemple, et plus vite que ça, sur le DIP genevois qui, dans un sursaut moral qui met en exergue sa haute lucidité, vient d'interdire à des élèves de participer en tant qu'acteurs à l'opéra de Benjamin Britten intitulé L'Arche de Noé, ce qui les aurait amenés à chanter une prière. Vous avez bien lu: chanter un texte qui a la forme et la portée d'une prière, et non faire un acte de foi, chanter la gloire de Dieu ou s'agenouiller devant la Croix. Motif du refus: ce geste artistique contreviendrait au principe de laïcité. Ajoutons par souci de clarté que ce principe, personne, et depuis longtemps, ne songe à le contester le moins du monde. Mais là était le crime, là se logeait la bête. Elle est maintenant terrassée. Soit. Une poignée d'élèves sauvés, c'est bien. Mais quid de tous les autres, qui sont légion? Pour eux, il convient que le combat continue.

    Parents, demandez avec la plus grande fermeté aux autorités scolaires de suspendre dès la prochaine rentrée l'enseignement du français, de l'histoire, de la philosophie, des langues, du droit, de l'histoire de l'art, des sciences elles-mêmes. Vous avez des réticences? Balayez-les. Car enfin, de Villon à Baudelaire et bien au-delà, en transitant par Pascal, il est partout question de Dieu. Prévert, que l'on fait lire dès le plus jeune âge, est un blasphémateur. Dante, Shakespeare charrient la question de l'enfer et du paradis dans toute leur œuvre. Goethe invente un héros dangereusement prométhéen. L'histoire se réfère sans cesse au religieux. La philosophie est traversée par la question de la transcendance. La peinture européenne n'en finit pas de dialoguer avec la Bible. Les sciences modernes se confrontent au créationnisme depuis leurs premiers balbutiements, etc…

    Que restera-t-il au bout de cette purification? Des écuries propres, des âmes saines. Bref, l'essentiel. Qui pourrait avoir la forme et la substance d'un cours d'éducation civique, ou plutôt d'une leçon perpétuelle de laïcité. Magistrale, simple, intégrale. (Intégriste?) Et, à l'image de ce qui restera vivant dans l'Arche après l'opération, carrée comme le sabot de l'âne.

     

     

     

     

     

  • Les enfants seuls de Céline Cerny

    Par Alain Bagnoud

     

     

    Les enfants seuls de Céline CernyCéline Cerny fait parler les enfants. Mais on n'est pas dans un paradis vert et rose. Les enfants seuls rappelle plutôt que les bambins sont des radars sensibles, intelligents, fragiles et implacables.

     

    Céline Cerny s'attache aux moments forts où des révélations leur adviennent, quelquefois tendres, souvent brutales, parfois cruelles, qui produisent des ébranlements. De ceux que nous avons tous vécus, que ce livre ravive.

     

    Il arrive dans les courts récits que les parents soient aimants. En général, ils apparaissent comme Jéhovah : tout puissants et incompréhensibles.

     

    Les enfants seuls de Céline CernyMais les impressions qu'en reçoivent les enfants sont lucides. Ils vivent dans un système de règles qui s'imposent, qui se contredisent, qu'il n'est pas possible de contester mais qu'ils perçoivent clairement, et auquel ils s'adaptent. On ne juge pas – ou on commence de juger à l'adolescence, comme Valentine, quatorze ou quinze ans.

     

    Valentine entre avec son cousin dans l'atelier de son grand-père peintre, qui ne la reconnaît pas, qui la prend pour l'amie de son petit-fils : « Je voyais la convoitise sourdre des coins de sa bouche, un vieux coq au cou dressé. Le grand-père affichait sa suffisance, un cavaleur au sourire inépuisable et dans ses yeux, une lueur torve et carnassière. »

     

     

    Céline Cerny, les enfants seuls, éditions d'autre part,

  • VIH, virus or not virus?

    Par Pierre Béguin

    Un virus est fondamentalement démocratique. Il se propage de manière aléatoire dans toutes les couches de la société, il ne reconnaît ni genre ni race ni frontières politiques, sociales ou géographiques. Or, les épidémies censées être causées par le VIH-SIDA diffèrent tant du point de vue clinique qu’épidémiologique: tandis qu’en Afrique elles semblent aléatoires, en Europe et aux Etats-Unis, elles sont fortement non aléatoires, touchant 80% des hommes et se limitant principalement à des groupes marginaux à risque.

    Un virus n’est ni polyvalent ni polymorphe. Le virus de la rougeole, par exemple, n’est présent que chez les rougeoleux, celui de la grippe que chez les grippés. Avec la VIH-SIDA, une nouvelle ère a commencé: celle des virus polyvalents, polymorphes et tout-puissants, capables de causer une importante variété de maladies infectieuses dues à l’immunodéficience, mais aussi des pathologies n’ayant rien à voir avec le système immunitaire.

    En se basant sur les mêmes critères que pour toutes les autres maladies de type viral, le VIH devrait provoquer le SIDA dans les semaines suivant l’infection. Or, il nécessite, prétend-on, une période de latence de 5 à 10 ans après l’apparition de la réaction immunitaire antivirale. De même, toutes les maladies vénériennes, dès qu’elles ont été sexuellement transmises, provoquent une infection dont les symptômes sont manifestes après quelques jours, contrairement au «virus» du SIDA qui ne provoquerait une séroconversion qu’après plusieurs semaines ou mois.

    Voici trois constatations parmi beaucoup d’autres que d’éminents scientifiques toujours plus nombreux – et parmi eux plusieurs prix Nobel – formulent pour mettre en cause la version officielle qui veut qu’un virus, appelé virus de l’immunodéficience humaine (VIH), soit la cause de l’épidémie SIDA. Ces opposants à la thèse officielle, qu’ils suspectent d’être manipulée par les grands groupes pharmaceutiques, sont appelés les «dissidents». Des illuminés?

    Rappelons tout d’abord que, de 1981 à 1984, en considérant que l’immunodéficience constituait le dénominateur commun à cette apparition d’une nouvelle épidémie qui semblait frapper les milieux homosexuels de manière non aléatoire, de nombreux chercheurs de pointe, confrontés à ces cas soudain d’effondrement du système immunitaire, ont suspecté plusieurs causes pour expliquer cette nouvelle pathologie, parmi les plus évidentes l’utilisation de substances toxiques et le style de vie des malades (malnutrition par exemple). Ce n’est qu’à partir de 1984 que des chercheurs du gouvernement américain ont émis l’hypothèse qu’un virus était la cause de cette nouvelle pathologie. Bientôt, on annonça, aux Etats-Unis et en France (on se souvient de la controverse entre les professeurs Gallo et Montagnier, le premier se voyant finalement contraint de partager son petit pactole avec le second), avoir découvert un agent infectieux, le VIH, à qui l’on attribua la responsabilité exclusive du syndrome.

    Dès lors, en 1985, le public fut averti qu’un terrible fléau menaçait le genre humain, par un battage médiatique – «fort bien orchestré» prétendent les dissidents, et qui fit dire à Coluche que «le SIDA est une maladie qui se transmet médiatiquement» – dont le résultat fut de susciter un vent de panique dans la population.

    Pourquoi, alors que la malnutrition et l’usage de substances dangereuses pour le système immunitaire (drogues, certains médicaments, sang transfusé) étaient parfaitement connus et documentés comme causes d’immunodéficience, l’hypothèse du virus seule prévalut? Pourquoi, alors que les premiers cas de SIDA observés et décrits faisaient tous mention d’usage de drogues dures (poppers) et qu’il était connu que ces malades, tous homosexuels, ne s’étaient jamais rencontrés, donc n’auraient pas pu se contaminer l’un l’autre, contre toute évidence a-t-on privilégié la thèse de la maladie infectieuse? Parce que les recherches, principalement aux Etats-Unis, devenaient un big business qui exigeait des crédits énormes. Selon les dissidents, tant que les malades étaient seulement des homosexuels drogués, leur nombre n’était pas suffisant pour justifier des crédits monumentaux. D’où «l’invention» du SIDA hétérosexuel, soi-disant échappé du premier groupe à risque par le chaînon des bisexuels. Sonnèrent alors les clairons du malheur: ainsi libéré de ses premières frontières, le fléau, sous la forme d’un monstrueux virus, allait faire des ravages dans le monde, décimant des populations entières. Dès lors, les crédits publics se mirent à pleuvoir… et ils pleuvent toujours. Voici venu le temps du SIDA business. Quant aux scientifiques, comme le concède l’un d’entre eux, ils vont naturellement là où se trouvent les crédits. D’autant plus que l’omerta contre les opposants à la thèse du virus fut radicale: suppression des crédits de recherche, censure des principales revues scientifiques, statut universitaire contesté, etc.

    Sauf que… Trente ans plus tard, toujours pas le moindre petit vaccin en vue. «Et pour cause» ironisent les dissidents. Pire: non seulement il n’existe à ce jour, toujours selon nos dissidents, très strictement aucune preuve de la contagiosité du SIDA, aucune investigation n’a jamais réussi à mettre directement en évidence, chez un malade du SIDA, la moindre particule virale, ni la moindre particule de rétrovirus. En clair, le VIH reste insaisissable. Trente ans de recherche et des montagnes de dollars plus tard, le microbe est toujours virtuel. Mais le plus monstrueux, accusent les dissidents, c’est que la communauté scientifique n’a rien trouvé de mieux que de traiter des patients immunodéficients à l’aide de produits immunodépresseurs, aggravant ainsi leur état au lieu de l’améliorer, et que cette médication dangereuse est parfois prescrite à des personnes en parfaite santé, sous le prétexte qu’un test sérologique positif les avait classées dans la catégorie des victimes d’une prétendue infection. Un test dont la pertinence est bien évidemment contestée.

    Voici fortement schématisés et résumés les principaux postulats énoncés par le Docteur Etienne de Harven, professeur d’anatomopathologie à l’Université de Toronto, dans son livre Les dix plus gros mensonges sur le SIDA, paru aux éditions Dangles en 2005. Il y aborde entre autres les questions suivantes:

    • Si le VIH est la cause du SIDA, pourquoi le SIDA touche-t-il de nombreuses personnes qui s’obstinent à rester séronégatives?

    • Pourquoi, même chez un malade en phase terminale, les chercheurs détectent-ils si peu d’activité virale qu’elle serait incapable d’affaiblir le système immunitaire?

    • Comment se fait-il qu’aucun rétrovirus n’ait jamais provoqué la moindre maladie chez l’homme, sauf le VIH?

    • Pourquoi le fait de posséder des anticorps contre un virus est-il le signe que le corps réagit favorablement, excepté dans le cas du VIH?

    • Comment le VIH peut-il provoquer des dizaines de maladies dont certaines n’ont rien à voir avec l’immunodéficience?

    • Pourquoi les personnes séropositives correctement nourries, n’absorbant ni stupéfiants ni médicaments antiviraux et ayant correctement géré leur stress ne développent-elles pas de SIDA?

    • Pour quelle raison le SIDA touche-t-il massivement les hommes dans les pays développés et préfère-t-il les femmes dans les pays pauvres?

    Et bien d’autres questions pertinentes encore. Que les choses soient bien claires: parfaitement béotien en la matière, je ne saurai prendre parti. Mais puisque nous avons deux yeux, deux oreilles, et même deux lobes de cerveau, nous pouvons  entendre deux sons de cloche et appréhender deux théories opposées sans que ne s’embrouillent nos neurones. Comme le disait Scott Fitzgerald cité en exergue par l’éditeur: «Le signe d’une intelligence supérieure est de pouvoir entretenir simultanément deux idées contradictoires dans son esprit, et de continuer d’agir». A celles ou ceux capables d’une telle ouverture, je recommande vivement cette lecture.

     

    Les dix plus gros mensonges sur le SIDA, Etienne de Harven, Jean-Claude Roussiez, Dangles éditions, 2005

  • Plaine des héros

    Le beau Géo était plein de promesses. Auteur de théâtre à succès, manieur de mots, cultivé, Prix Schiller. Et antisémite virulent. Cette haine l'a poussé vers la politique. Fondant un journal satirique, Le Pilori, qui s'attaquait aux juifs, aux francs-maçons aux politiques, aux élites, il a également créé un parti fasciste, dont il est devenu le chef unique et incontesté. Sa devise : « une doctrine, une foi, un chef ». C'est ce parti qui a mis en accusation deux socialistes, Léon Nicole et Jacques Dicker, l'arrière-grand-père de l'écrivain, en 1932. Dans la contre-manifestation qui suit, l'armée tire sur la foule.

     Georges Oltramare (1896-1960). On savait depuis quelque temps qu'Yves Laplace préparait un livre sur lui. Qui ne venait pas. La première partie de Plaine des héros met en scène cette difficulté.

     Le narrateur, tout à son sujet, erre géométriquement entre la station service Tamoil où il prend son café le matin et la plage de l'ONU, convoquant les ombres d'Oltramare et de ses fidèles, évoquant le fantôme sans que rien ne se déclenche, sinon l’accélérateur de particules du CERN. Ses effets bizarres sur la temporalité font communiquer les époques et cohabiter présent et passé.

     Laplace a besoin pour ses livres d'un Neveu de Rameau. Ici, au début de Plaine des héros, un excentrique fantasmé tente de jouer ce rôle, un acteur échappé du Grand Théâtre en costume de scène éclatant. Ça ne donne pas grand chose. Du coup, Laplace a recours au cousin Bernard, infirmier assistant dans un EMS, amateur de tourisme sexuel en Asie, qui était le héros de ses deux derniers romans. Bernard échoue aussi à donner de la verve et du sens au livre. Le début du roman écrit donc l'échec d'écrire un roman.

     Il faut un troisième excentrique pour que tout démarre. Grégoire Dunant, féru de linguistique comparée et chansonnier, en outre neveu par alliance de Georges Oltramare (sa mère était sœur de sa femme), fils illégitime d'un compositeur juif. Son père, Casimir Oberfeld, avait travaillé pour Fernandel notamment sur la chanson Félicie aussi. Il a été déporté à Auschwitz en 43 et est mort lors de l’évacuation du camp. Plaine des héros

    Grégoire Dunant, du coup, a eu plusieurs pères de substitution, dont son oncle antisémite Oltramare, qui l'aimait beaucoup. Dans une tournée musicale en Russie, que le narrateur suit en photographe, Dunant lui parle du politicien, relayant la fascination qu'éprouve Laplace pour un homme qui devrait au contraire lui répugner. C'est la deuxième partie de Plaine des héros.

    Tout ce matériel trouble va faire les délices de l'écrivain, qui en exploite les double-fonds, les questionnements, les ambiguïtés. On ne s'attend pas à des simplifications avec notre auteur et on n'est pas déçu. Le texte est enlevé et éclairant. Et, cerise sur le gâteau : autant qu'homme politique qui a choisi le mauvais bord et s'est retrouvé à Sigmaringen avec Pétain et Céline, Oltramare est portraituré en auteur qui ne tient pas ses promesses. Ce qui parle à beaucoup de monde.(À tous les écrivains - ou presque.)

     

    Yves Laplace, Plaine des héros, Fayard

  • Silvia Härri, Nouaison

    Par Alain Bagnoud

     

     

    Nouaison. « Nouer (verbe intransitif): passer à l'état de fruit. » Il s'agit dans ce livre de Sylvia Härri de conception, d'enfantement, de naissance. Mais rien de niais, rien de mièvre. (On peut le craindre avec de tels sujets.) Rien de poético-précieux. (On pourrait le craindre avec ce titre.) Tout est profond, signifiant. De courts chapitres ramassés évoquent les difficultés physiques à concevoir, l'envie d'enfant, le corps, ses troubles, ses dérèglements, la médecine, l'intervention, la grossesse. La forme est allusive, l'écriture dense. Nouaison est un de ces livres qui parviennent à saisir du sens, de la gravité, à refléter ce qui fait l'importance, l'intérêt et le tragique de la vie.

     

    Silvia Härri, Nouaison, Bernard Campiche éditeur

     

  • Jean Chauma, A plat

    Par Alain Bagnoud

     

    Jean Chauma, A platLivre après livre, Jean Chauma creuse son sillon. Il a un champ bien à lui, nourri par des expériences antérieures, du temps où il était voyou. Ce milieu-là, celui des années 70 et 80, est son Combray.

     

    Le héros de son dernier roman, A plat, s'appelle Jean. C'est un colosse. Il vit maritalement avec une femme qui a trois filles d'une union antérieure. Elles l'appellent « papa chéri », ça ne lui déplaît pas.

     

    Jean Chauma, A platJean a cent kilos, une gueule de brute, des complets bien coupés. Il est bien intégré dans sa banlieue, boit l'apéro avec les flics, visite ses beaux-frères, un Arabe qui tient un boui-boui, un autre qui possède une salle de jeux, fait la tournée de ses sœurs, dont celle qui est assez mal vue dans la famille parce qu'elle a décidé de s'élever socialement et de faire des études : elle a passé un CAP de coiffeuse-esthéticienne.

     

    Jean a le temps. Il ne travaille pas. Mais de temps en temps, il s'affuble d'un postiche et braque une bijouterie avec un de ses beaux-frères et un ami d'enfance.

     

    A plat raconte une de ses journées. Qui finira mal. Parce que la cible est mal choisie. Parce que Jean se met à réfléchir.

     

    Cette montée vers le braquage n'est pas le seul intérêt du livre. Chauma excelle à dépeindre les voyous de l'intérieur, leur vision de la vie, leur sens de l'instinct, et à dépeindre par petites touches les relations hiérarchiques de la banlieue.

     

    A plat, Jean Chauma, fictio, BSN press.

     

  • Ecrits du Valais à la Cave Valaisanne - Fureur de lire

     

    Écrits du Valais 1572-2014
    Pascale Güdel, Alain Bagnoud, Antonin Moeri, Pascal Rebetez

    Ecrits du Valais à la Cave Valaisanne - Fureur de lire Lectures alpines
    JEUDI 28 MAI
    La Cave Valaisanne
    18h30

    Kaléidoscope à la fois nuancé et éclatant, l’anthologie Écrits du Valais (éd. d’autre part) présente les textes d’auteurs, bien vivants ou disparus, francophones et germanophones, connus ou anonymes, qui se répondent au-delà des différences de genres et d’époques. Le maillage serré et chamarré de l’expression littéraire de ce morceau de territoire particulièrement fécond, tant les plumes sont nombreuses et de qualité, entre glacier du Rhône et lac Léman, sera défendu par quatre lecteurs, dans un petit coin de Valais au cœur de Genève.
    Durée: 1h00

  • James Salter versus Kerouac

     

     Par Jean-François Duval

       Parution en ce mois de mai de la traduction française de «Pour la gloire», tout premier roman de James Salter, aux éditions de L’Olivier. L’édition originale avait paru en 1956 sous le titre «The Hunters», chez Harper & Brothers, à New York.  C’était la dernière pièce de l’œuvre de Salter qui nous manquait encore en français.

       J’ai rencontré James Salter en 2000 à Manhattan. Il m’avait proposé de déjeuner ensemble à l’Algonquin. Nous y sommes restés plus de trois heures à discuter. Au vu des photos que j’avais découvertes de lui dans la presse, je l’imaginais forcément de haute taille, or à ma surprise il ne dépassait pas 1m70, idéal tout de même, songeais-je, pour se glisser jadis dans le cockpit de son FA 18. L’un des premiers chasseurs à réaction de l’histoire de l’aviation, grâce auxquels les pilotes de l’US Air Force combattaient les redoutables Mig soviétiques sous le ciel de Corée. Nous avons autant parlé de littérature que de la guerre dans les airs.

       Cette publication est bienvenue. Pourquoi ? L’an dernier, L’Olivier a publié le dernier volumineux roman de Salter, «Et rien d’autre», dont la rédaction s’est étendue sur quelque trente ans. C’est, de tous les romans de Salter (aujourd’hui âgé de 90 ans), celui qui a rencontré le plus grand succès médiatique ; immédiatement traduit en de nombreuses langues, il a tout de suite figuré dans la liste des bestsellers. Or, du moins c’est mon avis, «Et rien d’autre» est très loin de ce que Salter nous a donné de meilleur («Une vie à brûler», «Un sport et un passe-temps»).

       D’où cette mienne impression : jusqu’à «Et rien d’autre», on avait le délicieux sentiment, en lisant Salter, qu’il restait toujours légèrement en deçà de son talent, qui paraissait immense. La sortie de «Et rien d’autre», soudain, a fait prendre conscience de ses limites.

    L’ouvrage se perd dans la narration de maints épisodes superflus, le lecteur se lasse, s’ennuie, se dit que Salter s’égare en prenant la direction d’horizons incertains – où est passée sa maîtrise de pilote ? Bref, peut-être Salter n’aurait-il jamais dû laisser publier ce roman, qui fait ressortir les quelques faiblesses jusqu’alors camouflées de son art d’écrivain. On l’aimait pour ses fulgurances, son style étincelant, fuselé, pour ses feintes ! hélas «Et rien d’autre» n’est plus qu’une dernière et vaine voltige (à la courbe bien trop longue de surcroît) qu’il aurait dû nous épargner (ce roman nous ramène d’ailleurs beaucoup trop à terre, il n’y est pas question d’aviation, mais d’intrigues sentimentales où la quête amoureuse n’offre qu’un très maigre substitut à la dimension épique (elle a toujours quelque chose d’aérien) de ses romans précédents (y compris «L’homme des hautes solitudes» qui narre l’impossible quête d’un alpiniste américain du côté de Chamonix et du Mont-Blanc).  

       Il en va tout autrement de ce «Pour la gloire», aujourd’hui proposé par les éd. de L’Olivier, qui relate les tentatives du capitaine Cleve Connell pour devenir un «as» parmi les pilotes de chasse, en abattant au moins cinq avions ennemis. On retrouve là (et pour cause, puisque c’est le Salter des tout débuts, celui qui est tout entier saisi par son effort pour devenir écrivain) un roman de cette fulgurance étincelante qui a fait dire de lui, par ses pairs, qu’il est «un écrivain pour écrivain».

       Si je considère la littérature américaine de cette époque, un point en particulier me paraît intéressant : «Pour la gloire» («The Hunters»), je l’ai dit, paraît en 1956. Soit un an avant «Sur la route» de Kerouac. Les trajectoires de ces deux écrivains s’étaient déjà croisées avant la guerre, dans les années 1930. Tous deux faisaient alors des études secondaires supérieures dans la même école privée à New York, la Horace Mann School. Né en 1922 et de trois ans l’ainé de Salter, Kerouac avait pu entrer dans cette école plutôt chic grâce à une bourse (on espérait beaucoup de ses qualités de footballeur américain). Encore adolescent, donc «un grand» aux yeux du jeune Salter, il publiait déjà des nouvelles et des récits dans le journal de l’école. Salter était épaté, et certainement, la «fibre» de romancier qu’il sentait déjà vibrer en lui, le poussait, plus ou moins consciemment, à mettre ses pas dans ceux de son aîné. Son père l’inscrit cependant à West Point. Salter devient pilote, se bat en Corée, tout cela retarde d’autant sa carrière d’écrivain (il écrit à ses heures «perdues», ce qui n’est guère facile à l’armée). La parution de «The Hunters» précèdera pourtant de un an celle de «Sur la route» (elle aussi considérablement retardée, pour d’autres raisons).

       «Sur la route» devient immédiatement un bestseller. «The Hunters» passe inaperçu. On trouve pourtant dans ses deux romans la même exaltation d’une quête existentielle, à travers ce qu’on peut appeler la mise en forme des «temps forts» d’une vie (ses sensations sur la «route» pour Kerouac, ses sensations de pilote de chasse pour Salter). Les deux livres illustrent d’ailleurs parfaitement les deux voies qui s’ouvraient alors pour le roman américain. Celle qu’inaugurait Kerouac était évidemment beaucoup plus novatrice : avec lui, la littérature devenait jazzée, un art dont les références étaient beaucoup plus musicales que picturales. Salter, lui, se satisfait des canons du roman traditionnel, on est encore dans la filiation d’Hemingway précisément (en quoi ses romans sont «plus faciles» à lire que ceux de Kerouac).      

       N’empêche ! l’exigence d’une littérature existentielle est bien là. Et dans son «rendu», Salter lui apporte une sorte de précision aiguisée qui vaut d’être goûtée, parce que Salter, contrairement à tant d’auteurs révolus du XXe siècle, ne perd jamais de vue le risque de la «corne du taureau», dont la conscience de la présence, lorsqu’on se mêle d’écrire, était intimement liée pour Leiris à l’acte même d’écrire.

       Un troisième roman, très différent, marque aussi cette époque, paru tout juste avant les deux que je viens d’évoquer : Lolita de Nabokov, en 1955. D’une certaine façon, on peut penser que Lolita marque le point d’orgue – magnifique et ironique – d’une certaine conception de la littérature : Nabokov conçoit encore le rôle d’écrivain, et celui du narrateur, comme celui d’un joueur, fût-il pervers ou perfide (la nymphette, à la façon d’une pièce de sucrerie, offre le plus pur condensé de l’esprit du début des 50’s). A l’inverse, Kerouac et Salter – et c’est là un point de rupture – engagent résolument l’art littéraire sur les voies d’un sérieux retrouvé et fondamental (mais non pas ennuyeux), sans nul doute commandé par les angoisses de l’époque qui s’ouvre et les menaces qu’elle recèle. Pour l’un et l’autre, l’enjeu est à nouveau d’imaginer et d’explorer, existentiellement parlant, les voies d’un salut possible. 

    James Salter, «Pour la gloire», L’Olivier, mai 2015.

  • Pierre-André Milhit, 1440 minutes

    Par Alain Bagnoud

     

    Pierre-André Milhit, 1440 minutes

    Pierre-André Milhit, poète, s'est lancé dans un projet d'envergure un peu fou : écrire un poème pour chaque minute que compte une journée. 1440 minutes. C'est le titre du recueil, qui compte, donc, autant de poèmes, et donne un livre de 495 pages, épais et délicieux, paru aux éditions d'autre part.

     Milhit aime les contraintes et s'y est exercé dans ses deux derniers recueils, L'inventaire des lunes et La garde-barrière dit que l'amour arrive à l'heure. Dans 1440 minutes, il y frotte aussi sa fécondité.

     Chaque poème est constitué par six phrases, dont la dernière, et la dernière seule, commence par un je. Contrainte qui interroge l'inventivité du poète. Et de l'inventivité, Milhit n'en manque pas, joignant un don d'observation à des images savoureuses, sans clinquant, justes.

     On peut lire son recueil à la suite, pour apprécier justement cette créativité. On peut aussi se demander ce qui s'y passe à la minute que l'on vit. Tenez, il est maintenant 10 heures 06.

     

    10 h 06 La colline est dans son bel hiver de vent et de grisaille. Un petit carré de vigne joue une saynète de printemps sous un maigre soleil. La mésange et le lézard font que c'est bien ça la vie. La chaille d'ardoise craquèle et suinte le réveil. Le tambour et le fifre s'exercent pour un prochain vignolage.

    Je vais dire à Rilke que c'est l'heure de déguster la rèze.

      Pierre-André Milhit, 1440 minutesLe temps de recopier ça, et il est 10 h 11. On se retrouve une page plus loin (page 219).

      10 h 11 Il ressort de ce temps une fatigue extrême des animaux. On voudrait évacuer l'anxiété de la neige sale et du sérac effondré. La migration des rapaces a dû changer de trajectoire. Les jeunes filles de la ville renoncent aux fiançailles. Les jeunes hommes font la guerre aux infidèles et aux mendiants.

    Je toise la fin du monde et lui dis de se taire.

      Pierre-André Milhit, 1440 minutes, éditions d'autre part