Plaine des héros (05/06/2015)
Le beau Géo était plein de promesses. Auteur de théâtre à succès, manieur de mots, cultivé, Prix Schiller. Et antisémite virulent. Cette haine l'a poussé vers la politique. Fondant un journal satirique, Le Pilori, qui s'attaquait aux juifs, aux francs-maçons aux politiques, aux élites, il a également créé un parti fasciste, dont il est devenu le chef unique et incontesté. Sa devise : « une doctrine, une foi, un chef ». C'est ce parti qui a mis en accusation deux socialistes, Léon Nicole et Jacques Dicker, l'arrière-grand-père de l'écrivain, en 1932. Dans la contre-manifestation qui suit, l'armée tire sur la foule.
Georges Oltramare (1896-1960). On savait depuis quelque temps qu'Yves Laplace préparait un livre sur lui. Qui ne venait pas. La première partie de Plaine des héros met en scène cette difficulté.
Le narrateur, tout à son sujet, erre géométriquement entre la station service Tamoil où il prend son café le matin et la plage de l'ONU, convoquant les ombres d'Oltramare et de ses fidèles, évoquant le fantôme sans que rien ne se déclenche, sinon l’accélérateur de particules du CERN. Ses effets bizarres sur la temporalité font communiquer les époques et cohabiter présent et passé.
Laplace a besoin pour ses livres d'un Neveu de Rameau. Ici, au début de Plaine des héros, un excentrique fantasmé tente de jouer ce rôle, un acteur échappé du Grand Théâtre en costume de scène éclatant. Ça ne donne pas grand chose. Du coup, Laplace a recours au cousin Bernard, infirmier assistant dans un EMS, amateur de tourisme sexuel en Asie, qui était le héros de ses deux derniers romans. Bernard échoue aussi à donner de la verve et du sens au livre. Le début du roman écrit donc l'échec d'écrire un roman.
Il faut un troisième excentrique pour que tout démarre. Grégoire Dunant, féru de linguistique comparée et chansonnier, en outre neveu par alliance de Georges Oltramare (sa mère était sœur de sa femme), fils illégitime d'un compositeur juif. Son père, Casimir Oberfeld, avait travaillé pour Fernandel notamment sur la chanson Félicie aussi. Il a été déporté à Auschwitz en 43 et est mort lors de l’évacuation du camp.
Grégoire Dunant, du coup, a eu plusieurs pères de substitution, dont son oncle antisémite Oltramare, qui l'aimait beaucoup. Dans une tournée musicale en Russie, que le narrateur suit en photographe, Dunant lui parle du politicien, relayant la fascination qu'éprouve Laplace pour un homme qui devrait au contraire lui répugner. C'est la deuxième partie de Plaine des héros.
Tout ce matériel trouble va faire les délices de l'écrivain, qui en exploite les double-fonds, les questionnements, les ambiguïtés. On ne s'attend pas à des simplifications avec notre auteur et on n'est pas déçu. Le texte est enlevé et éclairant. Et, cerise sur le gâteau : autant qu'homme politique qui a choisi le mauvais bord et s'est retrouvé à Sigmaringen avec Pétain et Céline, Oltramare est portraituré en auteur qui ne tient pas ses promesses. Ce qui parle à beaucoup de monde.(À tous les écrivains - ou presque.)
Yves Laplace, Plaine des héros, Fayard
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