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Blogres - Page 44

  • Heike Fiedler, Mondes d'enfa( )ce, minizoé

    Par Alain Bagnoud

     

    Heike Fiedler, Mondes d'enfa( )ce, minizoéMondes d'enfa( )ce.

     

    Mondes d'enfance. Heike Fiedler évoque ses souvenirs d'enfance. La forme de son récit est intéressante, brute: des faits, des évocations, pas de sentiments ni de noms propres, tout ça mis encore à distance par la troisième personne. « Elle habitait un immeuble à quatre étages en briques rouges. » Une famille modeste en Allemagne dans les années 60 et 70. Des grands-parents qui ont des souvenirs dont on ne parle pas. Des photos qu'on redécouvre, avec un brassard à croix gamée cousu sur une manche.

     

    Monde d'en face. Heike Fiedler s'est installée à Genève dans les années 80. C'est de là qu'elle parle, de ce nouveau contexte, qui lui fait voir les deux univers dans lesquels elle a vécus, qui les lui fait dire pour ses filles dans ce texte. Les mondes d'en face, c'est ça, mais aussi et surtout les langues. L'allemand, le français, ce jeu de confrontation et de glissement entre deux (dans les livres paHeike Fiedler, Mondes d'enfa( )ce, minizoérus d'Heike Fiedler, il y a par exemple zeitlautraum - tempsonlieu: poésies éphémères, Langues de meehr.)

     

    Heike Fiedler est également active dans la poésie sonore, la performance, l'écriture. Elle se produit seule ou avec de la musique liée à la scène de l'improvisation et de l'électroacoustique. Il y a dans Monde d'enfa()ce toute l'énergie et la force qu'elle met aussi dans ses apparitions scéniques.

     

     

     

    Heike Fiedler, Mondes d'enfa( )ce, minizoé, postface de Julien Burri

     

  • Les années berlinoises (Anne Brécart)

    images.jpegpar Jean-Michel Olivier

    Il y a toujours, chez Anne Brécart, ce silence et ces glaces qui habitent ses personnages de femmes, ces atmosphères de brume, ces gestes à peine esquissés qui restent comme suspendus dans le vide. On retrouve ces couleurs et ce charme dans son dernier roman, La Femme provisoire*, son livre sans doute le plus abouti.

    Tout se passe à Berlin, dans les années 70 (ou 80 ?), dans cette ville à la fois ouverte à tous les vents et encerclée par un haut mur de briques. C’est le refuge, à cette époque, de beaucoup d’étudiants étrangers (turcs, mais aussi anglais, espagnols, suisses). Certains sont vraiment venus suivre les cours de l’Université. Les autres vivent de petits boulots. Mais tous sont là provisoirement. De passage. En transit. Comme l’héroïne du roman d’Anne Brécart qui vient rencontrer, à Berlin, une écrivaine allemande qu’elle essaie de traduire. C’est une femme blessée qui vient de subir un avortement et porte encore en elle le fantôme de l’enfant à naître. C’est aussi une femme libre qui vit seule, parmi ses livres, et qui rencontrera un bel amant de passage. Elle saura peu de choses de lui. Mais partagera un grand appartement avec cet homme qui vient d’avoir un enfant, et dont la femme a disparu.

    images-1.jpegLa narratrice se glissera dans la peau d’une mère absente. Elle s’occupera de cet enfant, comme s’il était le sien, et elle jouera parfaitement (un peu inconsciemment) le rôle de la mère provisoire. Avant de rendre cet enfant — comme dans le fameux film de Wim Wenders, Paris, Texas — à sa mère biologique. C’est cet enfant, vingt ans plus tard, qui viendra lui rendre visite, un beau matin, sans crier gare, et enclenchera le mécanisme du souvenir et l’envie d’écrire son histoire.

    Il y a beaucoup de finesse, et de mélancolie, dans ce livre doux-amer qui retrace le destin d’une femme libre, ouverte aux rencontres, qui se retrouve comme obligée (par amour, par humanité) de jouer des rôles qu’elle n’a pas choisis. Elle est une mère provisoire, comme une maîtresse provisoire, une étrangère de passage. Elle n’arrive pas à se fixer. Pourtant, comme on écrit sa vie, elle laisse des traces derrière elle, images, amours, sensations, regrets, qui un jour la rattrapent. Cela donne un beau livre qui accompagne longtemps le lecteur.

    * Anne Brécart, La Femme provisoire, roman, Zoé, 2015.

  • Arthur Brügger, L'Oeil de l'espadon

     

    Par Alain Bagnoud

    Arthur Brügger, L'Oeil de l'espadonCharlie, orphelin, jeune, travaille dans une poissonnerie et aime ça. Autour de lui, toute une galerie de portraits est tracée d'un crayon vif, le chef, la jolie vendeuse de fromages. On a aussi la description de l'activité. Qui sait ce que fait un poissonnier dans une grande surface? Qui le savait avant le livre d'Arthur Brügger, L'Oeil de l'espadon ? Qui pouvait s'imaginer tout ce que deviennent les invendus, tout ce qu'on jette alors que c'est encore consommable?

     

    Une fable et un bon documentaire, dit le quatrième de couverture du roman. C'est vrai. Il y a un réel intérêt dans cette description du monde du travail. Une description qui est plutôt rare en littérature, dans laquelle, on le sait, la plupart des personnages sont des bourgeois et la plupart des sujets des problèmes personnels (amour, ambition, déception...)

     

    Mais le livre n'est pas qu'un reportage. Un roman fonctionne avec de la tension. Ici, c'est Emile qui est chargé de l'introduire. Emile, jeune intellectuel, dont le point de vue est très différent de celui de Charlie.

     

    Emile a été universitaire, n'allait plus au cours, a laissé passer tous les délais, s'est fait virer. Puis il a étudié dans une école d'art. Artiste, mais non exposé. Emile, préposé au niveau zéro, le plus bas, celui des déchets, reste enfermé la nuit dans le grand magasin pour lire et prendre des notes. Révolté par le gaspillage alimentaire, il veut faire un travail artistique là-dessus pour dénoncer, expliquer.

     

    Emile l'intelligent et Charlie le naïf. Emile qui fait lire Charlie, qui va embarquer Charlie dans ses entreprises. Pour l'aider? Pour le manipuler? Qu'est-ce qu'Emile manigance vraiment?

     

    Le lecteur le découvrira en même temps que Charlie. Une force du livre est qu'on est projeté à l'intérieur du personnage principal. Son monologue montre non seulement ce qu'il voit, mais comment il le voit. Il y a un vrai travail littéraire de Brügger là-dessus: le langage est enfantin, naïf, les structures orales...

     

    Charlie est un grand garçon simple, bien plus simple que les autres gars de son âge, presque un peu attardé. Pas autant que le Charlie du roman Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes, un livre qui raconte l'accès à l'intelligence (puis sa perte) d'un demeuré. Mais notre Charlie lui ressemble sous plusieurs aspects, et pas seulement dans le langage. Il est lui aussi naïf, sentimental, gentil.Arthur Brügger, L'Oeil de l'espadon

     

    Brügger n'a rien contre la gentillesse. Il l'illustre et la défend au contraire. Son Emile cite Marivaux : « Dans ce monde, il faut être un peu trop bon pour l'être assez. » Les personnages de L'Oeil de l'espadon sont humains, les chefs et les collègues sont sympas. Un message sous-jacent du livre semble être celui-ci: la méchanceté individuelle n'existe pas, en tout cas chez les petites gens ; s'il y a quelque chose de monstrueux, de déréglé, c'est la faute du système.

     

     

     

    Arthur Brügger, L'Oeil de l'espadon, Zoé

     

  • Le Pap's d'Antonin Moeri

    Par Alain Bagnoud

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    Antonin Moeri raconte l'histoire d'un homme qui se cherche. C'est son père. Pap's. Un récit construit à partir des cahiers que tenait ce dernier, qui écrivait une sorte de journal. Il les a remis à son fils juste avant de mourir. « Je te les donnes tu en feras ce que tu voudras. » Ce qu'Antonin Moeri en a fait, c'est un livre, en même temps tombeau, enquête et engendrement passionnant.

     

    Qui était Emile ? Un adolescent, fils d'un facteur des postes, qui rêvait d'être peintre, mais qui a promis à sa mère de devenir médecin, qui a fait des études brillantes, qui est devenu le premier cardiologue de Vevey. Un « docteur compétent, bienveillant, souriant et généreux ». Un « homme élégant et enjoué ». Un « pater familias attentif et parfois sarcastique ». Tout ça mais encore autre chose que vont révéler les carnets remis dans une valise en cuir, avec d'autres documents, dont certains très intimes : des photos, des lettres d'amour.

     

    Le fils aura attendu quinze ans pour ouvrir la mallette et se consacrer à la recherche de cet homme, intéressé par les arts et les artistes, qui fut l'ami de Georges Borgeaud, Philippe Jacottet, Gustave Roud, Lélo Fiaux, Carlo Coccioli. Qui a beaucoup fréquenté Charles-Albert Cingria, avec qui il nageait dans le lac et se baladait, écoutant avec délices les improvisations de cet extraordinaire conteur.

     

    Les documents de la valise en cuir sont complétés par des récits de la mère, des souvenirs. Tout ça dresse un portrait du cardiologue et révèle une surprise. Derrière le futur notable s'impatiente un homme sensible, agité, nerveux, inquiet, et livré à l'indicible. Ce que découvre Antonin Moeri, c'est que dans les années de jeunesse, la médecine ennuyait Emile. Il rêvait de la quitter et de devenir écrivain.

     

    Hélas pour lui, s'il y a l'aspiration, il y a aussi l'impuissance. Emile n'aura écrit aucun livre. Dans les carnets même qu'Antonin Moeri cite abondamment, on perçoit de la sensibilité mais les phrases sont souvent creuses et emphatiques, solennelles et vides.

     

    Cependant l'appel persiste, et la souffrance de ne pas pouvoir se réaliser en tant qu'artiste aussi, qui durera des années, à travers des errances dans le sud, un séjour au Mexique, jusqu'à ce que le médecin se résolve à s'installer au bord du lac qu'il aime tant, à ouvrir un cabinet. Il faut dire qu'Emile a connaissance des stratégies de Cingria pour survivre, et a surpris cet autre écrivain, à genoux devant une vieille aristocrate qu'il doit se concilier pour pouvoir manger. Ces exemples n'incitent pas notre homme à idéaliser la vie de bohème.

     

    « En vérité, écrit Antonin Moeri, ce qui me touche dans ces cahiers, c'est l'enthousiasme, l'inquiétude, le besoin de grandeur. » En partant de cette instabilité intérieure d'Emile, de cette recherche de profondeur, de sens, le fils réinvente son père, un père qui lui ressemble sûrement, et dont il finit par réaliser le destin rêvé.

     

    On sent par moments, sous le récit, un peu de fantasme. Le père, par exemple, visite l'Acropole et se dit fasciné par un Américain avec qui il se lie. Antonin Moeri écrit: « Le fils du facteur des postes aurait-il passé la nuit dans les bras du Texan déterminé, ultraprécis dans sa minutieuse exploration du monde ? » Autre exemple un peu littéraire à propos d'une jeune fille nubienne que le médecin a photographiée : « L'étonnant voyageur l'aurait-il « baisée » sur une natte de paille... » Suit une citation de Flaubert lors de son voyage en orient, référence et modèle de l'écrivain en voyage exotique.

     

    Si Antonin Moeri cherche à comprendre la nature énigmatique de son père, il la nourrit donc aussi par la même occasion. Sans doute y a-t-il en Emile beaucoup plus ou beaucoup moins que ce que le fils imagine, fantasme et palpe. Les êtres connus de tout près, examinés si proches, sont plus mystérieux que vus de loin, le point de vue fasciné et en gros plan aveugle, la proximité est un miroir.

     

    C'est ce qui fait l'intérêt de Pap's. Cet entremêlement de vérité, d'imaginaire, ces interrogations ambiguës, cette relation entre les écrits du père et les commentaires du fils, cette attraction pour une figure dont les mystères pourraient être anodins s'ils n'étaient pas ceux du géniteur, de la grande fonction fascinante, de la référence monolithique de l'enfance, de la statue qui, vue sous d'autres aspects, révèle des profils et des angles insoupçonnés.

     

    Pap's prend place dans la veine « familiale » de Moeri. Il y avait eu la trilogie initiale, Le fils à maman, Les yeux safran, L’île intérieure, qui traitaient peut-être du même matériel mais sous un autre angle. Il y a eu Juste un jour, plus calé sur la famille du fils.

     

    Pap's continue l'entreprise, servi par une maturité fertile. Dans ce récit bien composé, la langue d'Antonin charme, souple et inventive, encore mise en relief par les citations de son père. Ce père dont il a finalement réalisé la vocation.

     



     

    Antonin Moeri, Pap's, Editions Bernard Campiche

     

  • fable au paradis fiscal

     

     

    par antonin moeri

     

     

     

     

    Savoir joyeusement et habilement ficeler un bon roman n’est pas donné à tout le monde. Marie-Jeanne Urech (Prix Bibliomédia 2010 et Prix Rambert 2013) réussit, dans son dernier opus, à prendre la main (si j’ose dire) du lecteur et à l’emmener dans un sympathique paradis fiscal helvétique. On se croit dans un fabliau avec ses monstres (promoteurs, élus, entrepreneurs, religieux) et ses personnages purs (Modeste l’Etranger qui vivra avec Elytre, fille muette qui confond, à l’écrit, compte et conte..., Yapaklou et sa soeur Zibeline).

    Dans une petite ville de la Suisse centrale débarque donc l’Etranger qui va s’installer dans un appartement vide où il pourra développer ses talents. Pour fabriquer les meubles, il utilisera des planches: «Modeste sublimait à travers ses meubles les palissades volées sur les chantiers»... Ce qui compte à Z c’est la convivialité, la joie, la fête. Des fêtes organisées pour des habitants qui, malgré le vent de méfiance et de repli qui souffle sur la Suisse, acceptent l’établissement de l’Etranger et de sa compagne Elytre (elle ne se lasse pas de contempler les montgolfières montant à l’horizon..., elle tient du papillon un sens de l’espace très développé).

    Or l’Etranger n’a qu’à bien se tenir et, pour être totalement intégré, il devra accepter un contrat avec le Mairesse (sic) qui veut se débarrasser de la Mère Supérieure, car les promoteurs doivent étendre leur emprise sur les terrains de l’Eglise. Contrat que Modeste va accepter en égorgeant la Mère Supérieure... Mais attention!... nous sommes dans un conte et tout finira bien. Elytre et son désormais mari s’envoleront dans une montgolfière pour aller découvrir ailleurs le paradis qu’ils portent dans leur coeur.

    Ce fabliau fonctionne à merveille grâce à une belle langue inventive et grâce à cette distance ironique que la narratrice établit avec son lecteur. Les «n’allez pas croire que...», «ouvrons une parenthèse» ou «n’imaginez pas que...» nous donnent l’impression d’assister à un spectacle de rue ou de marionnettes... Quant à la langue, Marie-Jeanne Urech excelle dans la savoureuse création de mots-valises tels «les craquelurlements du glacier», «tentoculaire», «un vin solennatieux», «la calorpitude», «une robe froissonnée», «une ville de frappadingues» ou «une nuit entresommeillée».

    A une époque où l’Etranger (l’Autre) est stigmatisé, où les différentes habitudes de vie au sein d’une population sont montrées du doigt, le roman de Marie-Jeanne Urech est certes porteur d’un message d’ouverture, de conviction, mais il pose également (et avec humour) une question brûlante: La Suisse est-elle capable de vivre à la hauteur de ses idéaux?

     

    Marie-Jeanne Urech: L’ordonnance respectueuse du vide, L’Aire, 2015

  • Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfant

    Par Alain Bagnoud

     

    Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfantL'image de couverture de La Veuve à l'enfant, qu'on retrouvera décrite dans le livre, montre sainte Agathe et ses seins coupés. C'est, comprend-on ensuite, une allusion à l'héroïne du livre, dont les tortures rappellent le sainte, comme cette ablation des seins évoque le lien du sang coupé entre elle et Pierino, le petit garçon qu'elle élève comme son petit-fils.

     

    La veuve à l'enfant. La vierge à l'enfant. Mais Anna Maria n'est pas vierge. Elle a été mère. Son fils a disparu. Pierino est le fils adultérin de sa belle-fille. Anna Maria l'a recueilli alors que sa mère allait l'abandonner à la porte d'une église.

     

    Anna Maria, explique l'auteur, a existé. Elle sort « d'un arbre généalogique aux branches aussi touffues que celles d'un coudrier jamais taillé ». La chronique dont elle est le sujet, évocation d'un lieu et d'une époque, a la saveur âpre d'un passé qu'on sent habiter l'auteur de manière organique. Rien d'anecdotique dans son rapport avec ses personnages : ils font partie de son histoire ou de ses légendes.

     

    Pour animer ce passé personnel, Daniel Maggetti invente un prêtre piémontais, théologien et joueur de violon, Don Tommaso. Tombé en distrâce, celui-ci est expédié dans le village perdu. Son arrivée permet de transformer la chronique en roman. C'est à travers Don Tommaso qu'on découvre les histoires et les secrets d'Anna Maria, qu'il a prise comme servante. La suite des révélations qu'il obtient sert de moteur au livre

     

    Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfantEt des secrets, il y en a. Celui du fis disparu en Australie, mort ou ayant refait sa vie dans les jupes d'une fermière. Celui des beaux-parents d'Anna Maria et de leur auberge. Celui de son mari, surtout, dont on découvre l'étonnante vérité tout à la fin du livre.

     

    Fait de longs paragraphes denses en harmonie avec l'intensité du récit, La Veuve à l'enfant compose une fresque sombre aux destinées tragiques, imbriquées, sans oubli ni pardon. Le texte décrit une vallée qui n'oublie jamais les manquements et les entorses aux conduites et à la morale commune. Une vallée dont le seule espoir semble le départ : en ville, en Australie, à Paris, ou dans la musique du violon et la littérature qui transcende.

     

     

     

    Daniel Maggetti, La Veuve à l'enfant, Zoé

     

  • dédicace

    Bonjour,

    Vendredi 11 septembre de 17h à 19h

        Antonin Moeri et Marie-Jeanne Urech

    seront à la Librairie La Fontaine à Vevey pour y dédicacer leurs livres nouveaux et partager le verre de l'amitié et quelques broutilles gustatives.

    Au plaisir de vous y voir

    L'équipe de la
    Librairie La Fontaine
    Rue du Lac 47 - 1800 Vevey
    021 921 79 02 - vevey@llf.ch

    Antonin MOERI - Pap's - Bernard Campiche Editeur 2015


    Marie-Jeanne URECH - L'Ordonnance respectueuse du vide - L'Aire 2015

  • Vivarium de Thomas Kryzaniac

    Par Alain Bagnoud

     

     Vivarium de Thomas Kryzaniac Dans une écriture tenue, Vivarium de Thomas Kryzaniac décrit le séjour dans une île d'un écrivain, de sa compagne, et d'un ancien admirateur venu sur place pour faire un documentaire sur l'auteur. Tout ça pourrait être paradisiaque : l'endroit exotique, le pittoresque, la découverte. Tout ça, au contraire est cauchemardesque.

    L'île, les premiers jours, se découvre être une sorte de labyrinthe aux dimensions vagues, noyée dans un mauvais temps déprimant. Le soleil n'améliorera pas les choses, qui imprimera un changement de réalité des images. Joseph Rivière, l'écrivain désabusé, bavard, n'est plus que l'ombre de ce qu'il a été quand il avait du succès. Sa compagne, elle, se fait attendre.

    Léon, le narrateur, venu pour la voir est laissé à lui-même chez un indigène qui, heureusement, possède une collection impressionnante de films, aubaine pour un cinéaste. Mais ce sont exclusivement des films pornographiques - dont la fonction se révélera à la fin du livre.

    Quand, enfin, Joseph Rivière raconte à Léon l'histoire de sa compagne, il découvre qu'elle est malade, fragile psychiquement.

    Du moins est-ce le point de vue de Rivière. Il décrit une femme décharnée, puante, cadavérique. Mais Léon voit une jeune femme ravissante, dont il tombe amoureux. Il n'y aura pas d'histoire entre les deux, mais un jeu de triangle pervers et tendu.

    Rivière et Mathilda se frottent à Léon, l'utilisent comme une « cuvette pour leurs états d'âme. » reflétant le roman qu'écrit Rivière et qui parle de trois personnages. « Une relation étrange prend forme; ils ne sont que trois mais leur combinaison donne naissance à une forme étrangère - comme un triangle avec un quatrième côté. »

    Quelque chose dans Vivarium tient du cauchemar. Le décor, les états de la maladie, l'état psychique des personnages donnent  Vivarium de Thomas Kryzaniac l'occasion à Thomas Kryzaniac de puiser dans son répertoire d'images cauchemardesques pour dépeindre une réalité sans espoir. Même la rémission finale semble condamnée à un nouveau cycle d'ombre, de transformation, de terreur.

    La langue précise, tenue, minutieuse, propose une construction serrée qui retient le lecteur dans ses filets. Celui-ci attend le dévoilement des différents mystères du roman (les raisons d'agir ainsi du personnage principal, l'apparition de Mathilda, l'explication de son comportement, l'élucidation de ses rapports avec Rivière...), dont la révélation progressive crée une véritable tension romanesque.

     

    Thomas Kryzaniac, Vivarium, L'Age d'Homme

     

  • colère moteur

    par antonin moeri

     

    Imre Kertesz et Thomas Bernhard ont un point commun: une haine viscérale et infinie pour le pays dans lequel ils vivent: La Hongrie pour Imre, l’Autriche pour Thomas. Y aurait-il un équivalent en Suisse? Peut-être bien, mais il ne s’agit pas d’un écrivain de race: je veux parler de Ziegler, ce sociologue qui s’écoute parler et à qui poussent des ailes dès qu’il peut vilipender les banquiers et signaler le présence de millards de dollars dormant dans les banques helvétiques. Mais honnêtement, pourrait-on s’enflammer contre ce petit pays nommé la Suisse? 

    Ce que Imre dénonce dans la Hongrie actuelle, c’est la brutalité des gens qu’il observe dans le tramway, leur lâcheté, leur bêtise grégaire, leur méchanceté envers l’individuel, la soif de sang qui réagit au moindre signe de faiblesse, toujours prête à tuer... Thomas, lui, attaquait avec virulence les responsables politiques socialistes bedonnants et chauves de son pays, il attaquait également les institutions culturelles, son chef d’oeuvre étant peut-être Holzfällen, livre dans lequel TB dresse un portrait au vitriol du marigot cuculturel viennois... 

    Il fait défiler devant nous une galerie de gendelettres, chacune et chacun se prenant pour une diva ou un grantécrivain parce qu’il a reçu un jour un prix régional, obtenu une articulet dans un quotidien régional ou une bourse d’un quelconque institut... La charge la plus violente est dirigée contre une femme qui se prend pour Virginia Woolf, une femme à l’égo surdimensionné qui tire sur sa cigarette avec fureur, les yeux plissés par l’envie et le ressentiment...

    La question que je me pose en lisant les livres de Kertesz et ceux de Thomas Bernhard: Pourquoi les plus pessimistes, ceux pour qui «le monde est tombé au niveau des animaux et que rien ne pourra freiner dans sa chute», pourquoi ce sont ces écrivains-là qui ont le plus de vitalité, le souffle le plus ample, le style le plus raffiné, l’observation la plus aiguë, le geste le plus précis et l’énergie la plus farouche...??????

     

    Imre Kertesz: Sauvegarde, Actes Sud 2012

    Thomas Bernhard: Des arbres à abattre, Folio 1997

  • Raymond Farquet, Genève en fauteuil

    Par Alain Bagnoud

     

    Raymond Farquet, Genève en fauteuilUn nouveau regard sur une ville ! Genève en fauteuil donne à Raymond Farquet l'occasion de changer complètement sa thématique et sa vision.

     

    Obsédé, comme plusieurs auteurs d'origine valaisanne, par son lieu de naissance (et votre serviteur bat aussi sa coulpe), Farquet a arpenté le Valais pendant des dizaines d'années pour le comprendre et en a tiré des livres qui tous, plus ou moins, interrogent et décrivent le canton aux treize étoiles qui s'offrait et se refusait à lui. Il a fallu les circonstances de la vie pour que d'autres sujets s'imposent à lui. Ces circonstances, ce sont le vieillissement et la perte d'autonomie.

     

    Ne pouvant plus se déplacer sur ses deux jambes, Farquet, à 85 ans, se retrouve en fauteuil roulant. Il y a de quoi voir le monde changer. Tout devient différent à cette hauteur.

     

    Féru d'indépendance, Farquet se prouve sa mobilité en prenant pour but le cimetière des rois, le passage Malbuisson, les rues basses ou une frontière du canton. Il rencontre des gens, avec qui la position fragile qu'il occupe lui permet un contact direct. Farquet est sensible aux faibles, aux étrangers, aux pauvres, aux délaissés, qu'il décrit comme des égaux, des frères.

     

    Un requérant d'asile africain tutsi lui parle de la guerre et la revit en petit avec un requérant hutu. Maurice le mendiant honnête lui répète les deux seules phrases qu'il connaît. Une joggeuse raconte ses aventures au vieil homme qui s'interroge sur ce qu'il croise en chemin, les bancs publics, l'UBS, le marché...Raymond Farquet, Genève en fauteuil

     

    Tout peut redevenir une surprise. L'accessibilité. L'autonomie. Le matériel... Ces redécouvertes sont jouissives - en tout cas relatées de façon jouissive, grâce à la vivacité de la langue de Farquet, à son sens de l'image, à sa pratique du raccourci. Nulle plainte dans ce livre, mais un étonnement fertile.

     

    Et de l'affection. Ce recueil plein de vie et de tendresse est aussi une déclaration d'amour pudique et touchante à la femme de l'écrivain. Vanna. L'indispensable Vanna qui hante ces pages comme une figure rayonnante, protectrice, aimante.

     

    Raymond Farquet, Genève en fauteuil, éditions d'autre part.