De la musique avant tout chose (Jean-Jacques Busino) (09/06/2022)
par Jean-Michel Olivier
Jean-Jacques Busino aime le café, très noir et bien serré. Depuis Un café, une cigarette* (1993), son premier livre, on ne compte plus les personnages qui se rencontrent autour d'un petit noir. Après 11 ans d'absence, Busino nous revient avec un grand roman choral, Le Ciel se couvre**, plus proche de Cancer du Capricorne (2011) que de ses premiers polars.
Dans ce livre ambitieux et touffu, Busino donne la parole à un mort, Solal, dit Sol, grand manitou d'une communauté libertaire (et écolo) qui a investi les maisons d'un village abandonné. Sol vient de mourir, mais sa mort est suspecte (assassinat ? suicide ? OD ?). Désormais investi du rôle de nouveau patriarche, son fils Jésus va tenter de faire toute la lumière sur cette disparition étrange. Et son enquête, bien sûr, révélera des scandales et des secrets qui vont ébranler l'équilibre fragile de cette communauté villageoise.
Il y a de tout dans ce roman dense et corrosif : une source d'eau polluée par Monsanto, des idéaux écolos trahis, un comptable véreux, un gigolo, des femmes en mal d'amour et des adolescent(e)s en pleine révolte, une journaliste qui envoie à son journal des reportages édifiants, un peintre éperdument épris de son modèle, des avocats sans scrupules, des jeunes gens tentés par l'action directe — c'est-à-dire le terrorisme…
Impossible de résumer ce roman qui est une ruche bourdonnante de voix et de visages ! On pourrait reprocher à l'auteur de trop en faire, de traiter dans son livre trop de thèmes à la fois (l'écologie, le féminisme, Monsanto, l'inertie politique, etc.). Mais cela donne une fresque saisissante du monde actuel, avec ses ombres et ses lumières, ses âmes pures et ses âmes damnées. Plus le roman avance, plus l'auteur aime à sonder la nuit, à s'y balader et à s'y perdre. Il reconstitue à merveille une petite société utopique, dystopique, comme on dit aujourd'hui, avec une humanité rare, un souffle baroque qui laisse souvent le lecteur hors d'haleine.
Tous ceux (comme moi) qui avaient aimé le terrible et beau Cancer du Capricorne (2011) aimeront ce livre intense et passionné où la musique (Neil Young, Robert Fripp et King Crimson, les Pink Floyd) a toujours le dernier mot.
« Les seuls récits qui évoquent ce que nous aurions pu être sont écrits en musique. Une succession d'accords sur lesquels se promènent des prophètes de la perfection. Le son de la guitare de David Gilmour caressee la peau et pénètres la chair sans faire de dégâts. Ses notes résonnent jusqu'à ce que nos abjectes habitudes reprennent le dessus. Quand Robert Wyatt prête sa voix aux chanssons de Pink Floyd, l'existence des anges devient une certitude. »
* Jean-Jacques Busino, Un café, une cigarette, roman, Rivages noir, 1993.
** Jean-Jacques Busino, Le Ciel se couvre, BSN Press, 2022.
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