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Ça nous amuse - Page 3

  • Mamco

    Par Alain Bagnoud

    2_ombre.jpgLa chose la plus amusante, au musée, ce sont les guides. Les guides vivants, je veux dire, ceux qui se tiennent dans les salles à disposition du visiteur, comme il y en a au Mamco http://www.mamco.ch/ lors des journées portes ouvertes. Un louable effort pédagogique pour expliquer, convaincre.

    J'y étais mercredi soir, en famille.

    Donc on visite, on regarde les pièces, on apprécie ou moins, c'est selon (je vous conseille le cycle Philippe Ramette (voir l'illustration), Gardons nos illusions : beaucoup d'humour, d'absurde, des photos drôles et hardies, des sculptures parfois inquiétantes...)

    Finalement, on se retrouve devant une chose qui intrigue mon fils, quatorze ans et assez curieux de tout. C'est un socle de béton avec un pilier en acier boulonné sur lequel sont pendus trois sacs de cuir genre punching-ball en Y. Il me pose des questions, je ne sais que répondre.

    - Je vais demander au guide, dit-il.

    Je soupire, je tente de le retenir. Trop tard. Une sémillante personne est déjà là, avec un écriteau « guide volant ».

    « Alors, dit-elle, c'est un socle de béton avec un pilier boulonné sur lequel sont pendus trois sacs en cuir. Le Y des sacs peut faire penser aux chromosomes, le cuir à des punching-ball, il y a des sangles donc ça évoque un peu le sado-masochisme... » Et de continuer à décrire longuement ce que nous avions fort bien vu.

    Nous réussissons enfin à l'interrompre.

    - Ce sont donc deux oeuvres différentes? Le pilier et les sacs en Y.

    - Non, c'est une oeuvre qui veut confronter le pilier et les sacs en Y, le cuir et l'acier, le béton au-dessous... violence... contraste... etc.

    Inarrêtable. On y parvient quand même.

    - Mais il y a deux titres d'oeuvres, au mur.

    On lui montre les notices. « Pilier », et, séparé, au-dessous « Y ».

    - Ah, dit-elle, je ne savais pas.

    Elle regarde de nouveau et explique:

    - J'ai toujours vu les piliers et les sacs ensemble.

    Puis indémontable:

    - Donc, il s'agit en fait d'un assemblage. Il y a deux oeuvres : le pilier, le béton, et puis le cuir, violence, punching-ball, sangles, mais l'artiste les a rassemblées, pour que les sacs en Y questionnent la verticalité du pilier, lequel, sur son socle de béton... Etc.

    Allez au Mamco. Si vous ne vous intéressez pas aux oeuvres, parlez aux guides (ou plutôt écoutez-les). Leurs performances sont tout à fait étonnantes. Une interrogation constante des oeuvres et de leurs rapports au commentaire. Une oeuvre d'art en soi.

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Top slurp, à quoi qu'on sert?

    C’est marrant comme il faut à tout prix se marrer, vous avez remarqué ? Deux exemples qui m’ont frappé, ces derniers temps. D’abord, l’émission « Aqua concert ». Le principe est excellent, y en avait marre de ces émissions compassées sur l’opéra où l’animateur chuchote sur un ton doctement élitaire les arcanes du livret et des mouvements, vous propulsant du coup dans la posture de l’auditeur idiot (ou premier de classe, c’est selon). Les deux comparses Simon et Lapp, dans le genre Qui sait tout et Gros bêta sont épatants. Ils ont trouvé un style unique, celui qui nous fait aimer l’opéra en nous autorisant à s’en moquer et qui se fiche de la radio elle-même. Très fort. Il m’arrive de rester scotché dans ma voiture et de débouler en retard à un rendez-vous tellement les gaillards sont désopilants. Itou de la chronique de Jérôme Estèbe « Top Slurp » dans la Tribune de Genève. Là, c’est la gastronomie, œnologie comprise, que ce Toulousin exilé à Genève accent compris est parvenu à dépouiller de son ésotérisme sémantique précieux. Aucun dépressif ne résiste à son humour, il a les mots pour nous faire saliver. Il m’arrive de déchirer la page dans une salle d’attente pour reproduire l’une de ses recettes et éblouir mes convives. Pas de doute, il faudrait les décorer ces gars-là qui ont révolutionné ce qu’il y avait à la fois de plus de rasoir et de plus désiré dans les médias ! Désacralisons, désacralisons, il en restera toujours quelque chose, bientôt on va se poiler à la lecture de la rubrique nécrologique. En même temps, c’est curieux, il y a un petit mais. Quelque chose, dans ce trend iconoclaste, qui flirte un peu pas mal avec la société du spectacle et me pousse à m’interroger sur ce quoi qu’on sert… Bon, je m’arrête là, je ne veux pas cracher dans la soupe. Bonne semaine à tous et bravo aux nominés !

    Serge Bimpage

  • Ubu au Grütli

    Par Pierre Béguin

     

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    «Ubu Roi. La journée d’enthousiasme finit dans le grotesque. Dès le milieu du premier acte on sent que ça va devenir sinistre. Au cri de «merdre», quelqu’un répond: «Mangre!» Et tout sombre. Si Jarry n’écrit pas demain qu’il s’est moqué de nous, il ne s’en relèvera pas» écrit Jules Renard dans son journal, le 10 décembre 1896, au soir même de la première représentation d’Ubu Roi au Théâtre de l’Œuvre, un théâtre qui se distinguait alors par son esprit de recherche, ses choix novateurs et souvent risqués. «Un scandale ! – Il n’y a pas d’autre mot. Les premières répliques déchaînèrent le chahut. Des spectateurs s’en allèrent dès le début; certains révoltés restèrent. Courteline, debout sur un strapontin, criait: «Vous ne voyez pas que l’auteur se fout de nous!» Jean Lorrain, également furieux, s’enfuit. On se mit à brailler, à hurler» précise Lugné-Poe, le metteur en scène et directeur du Théâtre de l’Œuvre. Et encore Catulle Mendès: «Des sifflets? oui; des hurlements de rage et des râles de mauvais rires? oui; des loges vociférantes et tendant les poings? oui; et, en un mot, toute une foule furieuse d’être mystifiée, bondissante en sursaut vers la scène.» Jarry aurait par ailleurs contribué à attiser le scandale en demandant à des amis de jeter des projectiles sur les fauteuils d’orchestre. Hormis cette fameuse représentation du 10 décembre 1896, la pièce ne fut plus jamais jouée au Théâtre de l’Œuvre. Elle restera dans l’histoire du théâtre français comme sa troisième bataille après celles du Cid (1637) et d’Hernani (1830).

    Jarry expliquait le scandale par le fait que cet horrible bonhomme nous ressemblait. Le public aurait contemplé dans le miroir du théâtre, non pas, comme Narcisse, sa face idéale, mais son double ignoble. On comprend dès lors les réactions de rejet: Ubu, avec son insatiable désir de posséder, sa goinfrerie, sa couardise, sa grossièreté et son sadisme, ne ferait qu’incarner nos pulsions inconscientes et refoulées, celles que l’on ne veut surtout pas voir et que, pour la première fois vraiment, selon Jarry, on exposait impudiquement sur scène: «L’éternelle imbécillité humaine, l’éternelle luxure, l’éternelle goinfrerie, la bassesse de l’instinct érigé en tyrannie; des pudeurs, des vertus, du patriotisme et de l’idéal des gens qui ont bien dîné» (Catulle Mendès). Des contemporains de Jarry virent dans Ubu l’image à peine caricaturale d’un anarchiste (à la fin du XIXe siècle, l’Europe connaissait une vague d’attentats anarchistes) qui ne tolère aucune loi, sauf celles qu’il édicte lui-même à son avantage, aucune limite, aucune règle de société. D’autres virent dans ce gros bonhomme la figure la plus radicalement opposée à celle de l’anarchiste: le bourgeois, figure consacrée par le XIXe siècle et systématiquement dénoncée par les artistes, avec son gros ventre, sa canne (son bâton à physique) et, surtout (selon ses détracteurs), ses attributs psychologiques: la bêtise, l’avidité et l’avarice. D’autres encore virent dans celui qui s’emparait illégitimement de territoires une satire de Bismarck ou de Guillaume 1e, ce que confirment quelques répliques renvoyant directement à l’une ou l’autre de ces figures historiques (la défaite de 1870 face à la Prusse est encore dans tous les esprits). D’autres enfin virent dans cette satire une métaphore même de la machine à décerveler (le bourgeois), élément principal de la chanson qui clôt la pièce en l’inscrivant dans la mouvance de la contre-culture ouvrière. Pour nous, avec le recul, Ubu revêt une dimension prophétique: ce comploteur qui s’empare de la Pologne avant de mener une folle politique de destruction systématique annonce le plus sinistre chef d’Etat du XXe siècle. Ubu devient alors l’incarnation du tyran absolu et universel, évoluant dans un univers dépourvu de toutes nos valeurs, de tous nos repères habituels: plus de distinctions entre le beau et le laid, le bien et le mal; la vie et la mort même ont volé en éclats et, avec elles, le temps, l’espace, les règles d’orthographe, de syntaxe et de lexique usuel. Aucune logique ne subsiste, aucun sens. Première figure de l’absurde, Ubu annonce aussi Dada et la dimension iconoclaste que prend l’art au début du XXe siècle.

    J’ai pensé à tout cela, début mai, au Théâtre du Grütli. J’ai pensé à tout cela en voyant Phèdre sur scène incarnée en homme nu, à l’instar des autres personnages: vaine provocation à laquelle je ne parvenais pas à donner sens, hors clichés ou niaiseries. J’ai pensé à tout cela en lorgnant du coin de l’œil les quelques spectateurs dociles, immobiles, respectueux, attendant impatiemment la fin du spectacle (ou alors n’était-ce que l’effet d’une projection toute personnelle?) J’y pensais encore lorsque l’assistance est sortie lentement, sans bruit, sans réaction, en ordre dispersé. Mais où sont les théâtres d’antan? Au Grütli, ce soir-là, je me suis ennuyé avec Phèdre et distrait avec Ubu au milieu d’une salle amorphe.

    Le Théâtre du Grütli est une salle d’expérimentation dédiée à la création locale. Un lieu de recherche, de travail… peut-on lire sur son site internet. Et si le Théâtre du Grütli s’était tout simplement trompé d’époque?

  • Journaliste, écrivant et écrivain

    Par Pierre Béguin

     

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    C’est Théophile Gautier qui a commencé. En 1836 dans la préface de Mademoiselle de Maupin: «Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid». Cette phrase, qui se voulait partie d’un manifeste contre l’orientation politique que certains, Lamartine en tête, voulaient imprimer au romantisme – orientation qui se brisera dans la révolution de 1848 – cette phrase, donc, initie en France un mouvement dont les racines remontent au «dandysme» anglais professant la valeur suprême de la Beauté et le désintéressement absolu de l’Art à toute cause morale ou politique. D’où la primauté de l’esthétisme sur l’éthique et la condamnation de la littérature engagée. A la suite de Gautier défileront Flaubert, Leconte de Lisle, Baudelaire, Barbey-d’Aurevilly, tous les parnassiens et symbolistes qui vont bientôt savourer, entre élites, le goût de la décadence et les subtils plaisirs de l’Art pour l’Art. Le «Tout art est complètement inutile» d’Oscar Wilde fait écho, à la fin du siècle, à la position de Gautier, soulignant ainsi l’importance d’un mouvement dont le surréalisme et les ready made constituent un des sommets et que seule la deuxième guerre mondiale mettra à mal. A partir de Gautier, l’écrivain, qui avait trouvé au 19e siècle, dans l’essor des journaux, un substitut aux pensions révolues de l’Ancien régime, se voit cataloguer irrémédiablement: il y a celui qui consacre chacun de ses jours, s’il n’a pas de rentes familiales, dans la bohème, voire le dénuement total, le renoncement monacal à la médiocrité de l’existence, à cette cause sacrée qu’est la littérature, quitte à en mourir martyr; et il y a l’autre, le suspect, le méprisable qui a profané sa plume – ce goupillon – en la plongeant dans l’encre impure du journalisme, se  vautrant vulgairement dans les besognes fangeuses de l’écrivant, poussant même le sacrilège jusqu’à dévoyer l’instrument divin à des finalités pratiques.

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    Cette problématique se retrouve concentrée en pamphlet dans une nouvelle du baron Philippe Auguste Villiers de L’Isle-Adam – appelons-le Villiers puisqu’ainsi le nommaient ses amis – Deux Augures (in Contes cruels, 1883) racontant, par antiphrases, le dialogue d’embauche entre un très sérieux directeur de journal et un (faux) aspirant journaliste. Une scène à valeur universelle destinée, selon l’auteur, à «se passer toujours» (les jeunes journalistes apprécieront). L’aspirant journaliste commence par vanter ses mérites: «Je suis sans l’ombre d’un talent. Ce qu’on appelle un crétin dans le langage du monde (…) un terne et suffisant grimaud, doué d’une niaiserie d’idées et d’une trivialité de style de premier ordre». Incrédule devant l’heureux augure du candidat idéal, le directeur le traite de jeune présomptueux: «Si j’avais du talent, je ne serais pas ici» répond l’aspirant journaliste. Ebranlé par l’argument, le directeur lui définit les contours de la profession: «Tout journaliste vraiment digne de ce grand titre doit n’écrire qu’au trait de la plume, n’importe ce qui lui passe par la tête, et surtout sans se relire! Va comme je te pousse! Et avec des convictions dues seulement à l’humeur du moment et à la couleur du journal. Il est évident qu’un bon quotidien, sans cela, ne paraîtrait jamais! On n’a pas le temps, cher Monsieur, de perdre du temps à réfléchir à ce que l’on dit, lorsque le train de la province attend nos ballots de papier (…) Le public ne lit pas un journal pour penser, que diable! – On lit comme on mange.» A l’aspirant qui surenchérit sur les fautes d’orthographe, les coquilles et l’illisibilité de son premier article, le directeur, convaincu, répond: «Le citadin aime les coquilles, Monsieur! Cela le flatte de les apercevoir (…) Sois médiocre! C’est ma devise. De là ma notoriété». Finalement, il lui délivre cet ultime conseil: «En ne travaillant pas, vous arriverez peut-être».

    Mais au fait, pourquoi ce long développement? Où veux-je en venir? Aurais-je repéré dans l’orientation de la presse actuelle, sans m’en rendre compte, des relents de médiocrité qui feraient écho à l’ironie de Villiers? Comme une troublante similitude entre les propos du directeur des Deux Augures et ceux, par exemple, de Peter Rothenbühler, rédacteur en chef du quotidien Le Matin? Ou encore, dans les humeurs aigres de certains journalistes, genevois de préférence, à l’égard de la littérature romande, quand elle n’est pas pratiquée par un des leurs bien entendu, comme un mouvement de balancier, un retour de manivelle de l’écrivant à l’écrivain? Ou d’autres obscures raisons? Je ne sais plus. Peu importe. De toute façon, mon article est trop long. Personne ne lira sa conclusion: «On lit un blog comme on mange, cher Monsieur, en vitesse, sur le pouce! On n’a pas le temps de penser!»

  • La musique nous emmène

    par pascal Rebetez

     

     

    J’écoute un trio cubain

     

    C’est bon, ça chaloupe, c’est divin

     

    Mais, diable, si j’avais ta main

     

    Que le tropique serait moins loin !

     

     

     

    La voix balance et les mains chantent

     

    C’est tout corazon et andante

     

    Oh tes lèvres, la vie al dente !

     

     

     

    La musique nous prendrait, ma femme

     

    Et nous lierait, joli tam-tam

     

    Et ces liens seraient délicieux

     

     

     

    Une nuit nous vivrons La Havane

     

    Jusqu’à ce que l’aube nous fane

     

    Un gardenia, juste pour nous deux !
  • Sarkozy, Salerno et mai 68

    Par Alain Bagnoud

     

         
    Loin de moi l’idée de me mêler des affaires de nos amis français, mais on peut quand même les remercier d’avoir élu un homme qui fait le spectacle avec une telle régularité et propose tant de réjouissance et d’amusement au monde entier.

    Car son audience ne se limite pas à la France. Les multiples traductions (avec les problèmes de fidélité qui vont avec) de son dernier sketch au Salon de l’agriculture en témoignent. Comment restituer « casse-toi pauvre con » en finlandais, en allemand, en hongrois ? Comment rester fidèle à l’esprit du maître ? Important dilemme ! On entend déjà hurler les puristes. Traduttore-traditore ! Etc.

    Enfin, vous avez déjà été couverts d’analyses et d’explications sur ce mouvement d’humeur du président, je ne veux pas insister. Simplement souligner la vraie stratégie sarkozienne, que je viens de comprendre et qui me semble diablement fine.

    Cet homme, qui déclarait vouloir en finir avec mai 68, est au contraire en train de mener à bien une révolution issue de cette époque. Avec d’abord, comme premier principe, la libération de la parole, chère à cette période. Mais ce n’est pas tout.

    Sarkozy prônait le retour à la politesse, aux bonnes mœurs, voici qu’au contraire il montre par l’exemple aux jeunes comment traiter quelqu’un qui ne serait pas d’accord avec eux.

    Il prétendait restaurer l’autorité, voici qu’au contraire il sape la sienne propre, l’autorité présidentielle, et de façon peut-être décisive.

    Il voulait montrer qu’il aimait les riches, les stars, les Bolloré, les Carla Bruni, la jet set, le voici désormais classé, comme je l’ai entendu hier au Café de la Paix, boulevard Carl-Vogt, dans une de ces délicieuses discussions de bistrot peu argumentées mais si ardentes : « le premier et le seul président qui est proche du peuple. »

    Devant ces réalisations si contraires à ses intentions déclarées, tout le monde politique et journalistique se demande comment il va bien pouvoir s’en sortir désormais, Sarkozy. Eh bien, j’ai la solution. Il lui suffit de prendre exemple sur une auguste élue genevoise, chargée de diriger la ville, et qui se propose de lever le pied dans les mois prochains : « Mais je continuerai à donner des orientations à mes cadres. Jusqu'à présent, je me suis beaucoup concentrée sur l'opérationnel. Ce qui était nécessaire en début de mandat, pour prendre connaissance personnellement des dossiers. Ce congé m'offrira l'opportunité du recul, je pourrai me consacrer aux priorités stratégiques et politiques, celles pour lesquelles j'ai effectivement été élue.»

    Allez Sarko, tu peux reprendre le programme de Salerno. Disparaître. Et sans qu’on te fasse le moindre reproche. Avec des félicitations même.

    Pour ça, il suffit que tu tombes enceinte et que tu transformes ça en grossesse militante !

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Bel et bon

    Par Alain Bagnoud

     

    Je ne sais pas si c’est la même chose chez vous, mais dans mon entourage, les gens se souhaitent de moins en moins une bonne journée.

    C'est la même chose à la radio d'ailleurs. Je viens par exemple d’entendre une animatrice souhaiter à tous les auditeurs une belle journée.

    Un changement instructif. Significatif.

    Bon, c’était du domaine des sens. Ce qu’on peut goûter, apprécier, déguster. Un repas, un bain, une caresse.

    Beau, au contraire, c’est le domaine du visuel, de l’esthétique. Une appréciation qui n’est pas physique, mais spirituelle. Si on ingère ce qui est bon, si on l’apprécie en soi, le beau nous est extérieur et on le savoure comme un spectacle.

    Une belle journée, c’est donc une journée où on n’est pas impliqué, qu’on observe avec un peu d’écart, dont on admire le déroulement des événements en connaisseur.

    En passant de bon à beau, on nous souhaite donc de nous désinvestir, de nous désemcombrer. D’adopter une position zen. De passer de la digestion à la contemplation, de la saveur à la méditation.

    C’est peut-être une bonne idée. Une belle idée ? En tout cas pas une mauvaise idée. Ni une vilaine idée. Bon. Bien. D’accord. Allez ! Que votre journée soit intéressante !

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Œdipe, toujours Œdipe !

    Par Pierre Béguin 

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     Qui a lu La Dame de Monsoreau? Pendant plus de 800 pages, Alexandre Dumas nous raconte les ruses, les embrouilles, les coercitions ou autres traquenards par lesquels le duc d’Anjou essaie de s’approprier Diane de Méridor aux dépens de son ami Monsieur de Bussy. Finalement, blessé dans une embuscade, de Bussy, à terre, périt d’un coup d’arquebuse, tiré à bout portant par un homme masqué, sur ordre du duc. Diane est dans sa chambre, prisonnière, enfin à la merci de celui qui, 800 pages durant, l’a désirée d’un amour inébranlable malgré les obstacles et les déceptions. La voie est libre, enfin! Pourtant, le duc dit simplement à son complice – et c’est là tout le génie d’Alexandre Dumas: «Ma foi, je ne suis plus amoureux, et comme elle ne nous a pas reconnu, détache-là!» Que Diane s’en aille où elle veut! Le duc n’est plus amoureux. D’un coup. D’un coup de feu. Celui qui a tué de Bussy. Ce n’était pas Diane que le duc aimait, mais l’excitation de la disputer à un autre. Le désir nait de cette confrontation de l’objet au désir du tiers. En tuant de Bussy, le duc a tué en lui tout intérêt pour Diane.944059956.jpg
    Alexandre Dumas ne pouvait pas connaître Freud, mais il connaissait la Mythologie. Le duc ne fait que reproduire le schéma œdipien du petit garçon qui doit disputer sa mère à son père: dans les affres de son conflit, il en veut à son père qui, obstacle incontournable à ses tentatives de séduction – comme le fait systématiquement de Bussy face au duc d’Anjou –, l’empêche de jouir de l’attention exclusive de sa mère. S’il veut que sa mère l’admire, lui le plus grand des héros, il doit, d’une manière ou d’une autre, se débarrasser du père.

    Tristan n’agit pas autrement avec la reine Iseut. Il ne la désire que pour autant qu’elle soit désirée par son père adoptif, le roi Marc. Ses exploits pour la conquérir n’ont de sens que parce qu’ils surpassent ceux du roi. Loin du désir de Marc, dans la forêt du Morois par exemple, la reine perd tout intérêt; et Tristan, après trois ans (selon les versions), s’empresse de la rendre au roi.

    N’importe quel objet – tout autant que n’importe quelle personne – ne devient désirable qu’au travers du désir d’un tiers, ou parce que d’autres le possèdent déjà. Qui désirerait ce que personne ne désire? Toutes les stratégies publicitaires, les modes, le luxe, reposent sur la perception et l’exploitation de ce phénomène. Œdipe, toujours Œdipe! A tout âge!
    «Quand on est enfant, on croit qu’il y a des adultes. Et puis, quand on grandit, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’adultes. Il n’y a jamais d’adultes, jamais!» Au Collège, on m’avait donné ce sujet comme dissertation. Je crois me souvenir que la phrase est de Malraux…2145733860.jpg86318980.jpg

  • L'esthétisme est un instinct

    Par Pierre Béguin

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    Une association d’idée aussi longue qu’inutile à développer ici me renvoie à une anecdote survenue le printemps dernier.
    Temps d’été. Nous déjeunons en famille sur la terrasse. Un lézard, le premier de l’année, sort de sa cachette et passe sous la table. Ma fille Ophélie – 2 ans alors –, paniquée par cette apparition, n’ose plus descendre de sa chaise, ni poser le pied par terre: « ¿Se fue?» (Il est parti?) répète-t-elle, inquiète. Je dois la porter comme un bébé dans la maison…

     Voir les choses pour la toute première fois. Coïncidence exacte entre le sensoriel et l’émotionnel. La genèse de la vie! Saisir et comprendre le moment de la découverte primordiale, sans préjugés, sans apprentissage préalable, sans idée préconçue, comme si personne ne l’avait vu auparavant, comme si l’écrivain – l’artiste – était le premier à nous le faire découvrir. C’est l’un des rôles essentiels de l’Art – si ce n’est le rôle essentiel –, le fondement même de l’œuvre de Ramuz, par exemple. Ou de celle de Cézanne. Ou de tant d’autres. Par essence, c’est aussi la particularité du roman d’aventure, genre que je tiens en haute estime pour cette raison même qu’il rend au monde la virginité perdue par l’habitude. Une Terre de personne, encore vue par personne, par un œil qui découvre les choses en même temps qu’il les voit. Naissance et connaissance simultanées.

    Mais pourquoi, instinctivement, Ophélie a-t-elle peur du lézard? Réaction naturelle autrefois nécessaire à la survie? Peur instinctive ancrée dans le paléocortex? (non, ce n’est pas près de Nyon!) Répulsion face aux petits animaux rampants des coins obscurs comme refoulement de l’attrait de la saleté et des objets phalliques? Etc. etc. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’a pas eu peur du chien ou du cheval, la première fois. Le lézard ne présente aucun danger, le chien et le cheval, potentiellement, oui. L’instinct se trompe. Dans tous les cas, ce n’est donc ni un problème de taille, ni de danger effectif qui motivent sa réaction. Peut-être de l’atavisme? Ou simplement de la répugnance? Si oui, serait-ce alors une raison esthétique? Si oui, l’esthétisme, avant d’être formaté par les modes, serait-il donc essentiellement un instinct?
    L’Art aussi?

  • L'homme qui empile des cailloux

     

     

     

    par Pascal Rebetez

     

     

    Hier, j’ai rencontré un des ces hommes qui travaillent à leur propre effacement par l’accumulation des cailloux.

    Certains écrivent, ne supportant pas un jour sans poser patte de mouche sur papier chiffon ou frappe de clavier sur le sable cybernétique. Ainsi en va-t-il désormais des blogueurs obsessionnels qui, au quotidien, livrent leurs pensées, leurs phrases et c’est bien un peu de la vanité, n’est-ce pas, de songer que cet exercice soulagera le monde ou forcira les esprits. De là à ce que l’entraînement soit une addiction, il n’y a qu’un pas, une course, une mécanisation ou pire, une habitude, un tic, quelque chose de répétitif, de l’ordre du fonctionnariat. Chaque jour, ma petite pensée, mon petit personnage. Chaque année, à date fixe, rituellement, mon livre paraît, terriblement poignant et essentiel, réglant les comptes les plus troubles de ma vie, en une prière aussitôt reprise à des milliers d’exemplaires et, pour faire bonne mesure, comme autrefois à la sortie de l’église, on offre au tronc des pauvres quelques poèmes hermétiques. L’ensemble des honnêtes gens ne peut que s’incliner devant tant de ferveur et de piété… Vanité, vanité !

    Hier, j’ai parlé à un inconnu, un ancien taulard qui empile les cailloux au bord de la rivière. Il fait cela parce que ça lui plaît mais aussi, comme souvent les Judas repentis, parce qu’il y voit une mission, un appel aux humains, une prière à la nature.

    Je suis souvent plus ému de trois cailloux empilés que de toute une bibliothèque alignée.

    Je sais aussi que les deux activités ne sont pas incompatibles et que parfois les livres, comme les cailloux, se refusent au courant et aident à imaginer la beauté d’une certaine forme de résistance.