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L'esthétisme est un instinct

Par Pierre Béguin

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Une association d’idée aussi longue qu’inutile à développer ici me renvoie à une anecdote survenue le printemps dernier.
Temps d’été. Nous déjeunons en famille sur la terrasse. Un lézard, le premier de l’année, sort de sa cachette et passe sous la table. Ma fille Ophélie – 2 ans alors –, paniquée par cette apparition, n’ose plus descendre de sa chaise, ni poser le pied par terre: « ¿Se fue?» (Il est parti?) répète-t-elle, inquiète. Je dois la porter comme un bébé dans la maison…

 Voir les choses pour la toute première fois. Coïncidence exacte entre le sensoriel et l’émotionnel. La genèse de la vie! Saisir et comprendre le moment de la découverte primordiale, sans préjugés, sans apprentissage préalable, sans idée préconçue, comme si personne ne l’avait vu auparavant, comme si l’écrivain – l’artiste – était le premier à nous le faire découvrir. C’est l’un des rôles essentiels de l’Art – si ce n’est le rôle essentiel –, le fondement même de l’œuvre de Ramuz, par exemple. Ou de celle de Cézanne. Ou de tant d’autres. Par essence, c’est aussi la particularité du roman d’aventure, genre que je tiens en haute estime pour cette raison même qu’il rend au monde la virginité perdue par l’habitude. Une Terre de personne, encore vue par personne, par un œil qui découvre les choses en même temps qu’il les voit. Naissance et connaissance simultanées.

Mais pourquoi, instinctivement, Ophélie a-t-elle peur du lézard? Réaction naturelle autrefois nécessaire à la survie? Peur instinctive ancrée dans le paléocortex? (non, ce n’est pas près de Nyon!) Répulsion face aux petits animaux rampants des coins obscurs comme refoulement de l’attrait de la saleté et des objets phalliques? Etc. etc. Ce qui est certain, c’est qu’elle n’a pas eu peur du chien ou du cheval, la première fois. Le lézard ne présente aucun danger, le chien et le cheval, potentiellement, oui. L’instinct se trompe. Dans tous les cas, ce n’est donc ni un problème de taille, ni de danger effectif qui motivent sa réaction. Peut-être de l’atavisme? Ou simplement de la répugnance? Si oui, serait-ce alors une raison esthétique? Si oui, l’esthétisme, avant d’être formaté par les modes, serait-il donc essentiellement un instinct?
L’Art aussi?

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