Les Carnets de CoraH (Épisode 57) (09/09/2018)
Épisode 57 : Marc JURT et RIMBAUD en rêvant : Le bateau ivre
L’abracadabrante embarcation flotte en eaux ambrées, ouvrant un sillon à peine trouble. Le ciel s’éclaircit par degré, s’opacifie dans le bleu nuit lorsque troué par de gigantesques montagnes. La brume disparaît au large, alors que le ciel aspire l’archipel dans une transe solidaire, une sorte de conciliabule entre 7 sages. Ce désert de roches soudées qui s’élève d’un seul tenant est-il cercle vicieux ou nirvana ? Nul rire moqueur de macareux ici, ni folles de Bassan. Point d’exploitation, point de querelles. Comme une réserve éloignée, une chaîne grossière, un passage secret. Une galère en quelque sorte.
Le vaisseau de gauche est surchargé, encombré telle une arche gigantesque accumulant écorces, carapaces, conques, pattes squelettiques, panses velues, rosettes de feuilles, gerbes enroulées abritant un bric-à-brac de kriss menaçants et de sombres creux. Y a-t-il âme qui vive en ce bateau amarré, quelque ivresse encore ? Tout semble désincarné, vide, asséché alors que l’ensemble paraît si vif, monumental, vertical. Les survivants se sont-ils cachés dans la masse opaque du monde ? Les esprits ont-ils trouvé le passage secret vers l’autre monde ?
L’artiste, Marc Jurt ou Rimbaud, est alchimiste. Il crée le destin d’un monde, parfois le sien dans une correspondance de sens. Ici, plusieurs mondes semblent se côtoyer, celui de l’élévation pure, parcours céleste vers l’extase, peut-être illusoire. Ou celui d’une ascension laborieuse, pétrifiante, sclérosée. Ce sont nos aspirations fondatrices, errances sublimes ou fanatiques. L’autre monde, bien plus précaire, fait de végétal et de vies anciennes, est voué à l’épuisement et à la mort. Il laisse des traces, des empreintes comme ce Bateau ivre, cette offrande qui fend l’épaisseur du monde. Le port d’attache, la liaison entre les deux, est la jetée qui prend la forme d’un pinceau rivalisant avec les sommets les plus chimériques, là où l’oxygène manque.
Il n’y a pas de descente aux enfers dans le Bateau ivre de Marc Jurt, mais une élévation qui enferre ou qui libère.
Marc JURT. Le Bateau ivre, 1988. Pointe-sèche et aquatinte en noir sépia, bleu et jaune sur deux plaques. Catalogue raisonné no 176.
00:05 | Tags : carnets de corah o'keeffe, rimbaud, marc jurt, le bateau ivre | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
J'ai la chair de poule tant je suis touchée!!!!!
Écrit par : Lucinda Jurt | 12/09/2018