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Qui a peur du grand méchant DIP?

Par Pierre Béguin

 

loup2[1].jpgUne anecdote représentative des dérives «pédagogistes» actuelles – disons plutôt de l’opportunisme politique, exacerbé en ces temps d’élections, conjugué à la peur aussi pathologique que pathétique du DIP devant les exigences des parents – commençait à circuler dans les salles des maîtres des collèges. Une anecdote qui versait dans la caricature et dans le comique, au-delà de ce qu’elle désignait d’une manière de délabrement que subit peu à peu l’Institution. Au point que je m’en emparai aussitôt pour en faire un billet à publier dans «blogres». Il aurait dû être celui du 18 octobre. Il aurait dû… Car, par prudence et respect pour la «source» de cette anecdote, je lui ai soumis le texte au préalable, un texte d’où noms, références et détails avaient été évidemment caviardés, et qui ne comportait au fond rien de bien méchant (il a été publié dans ce même blog des billets bien plus pointus et polémiques sur le sujet). A ma grande surprise, l’enseignant refusa net, terrorisé par les possibles mesures de rétorsions qu’on pourrait lui faire subir.

D’une anecdote l’autre… Ce refus est lui aussi symptomatique d’un certain climat qui s’est peu à peu instauré depuis l’ère Brunschwig Graf dans les collèges. On donne la parole à tous les «acteurs» de l’enseignement, des parents aux élèves – qui ne se font pas faute d’en abuser parfois – mais on la retire soigneusement aux enseignants… qui eux-mêmes n’osent pas la prendre, tétanisés par un pseudo devoir de réserve dont les contours sont aussi flous que pernicieux. De deux choses l’une: soit les différents organes de direction du DIP sont des monstres staliniens prêts à purger les écoles de toutes velléités contestatrices, soit les enseignants – une partie d’entre eux du moins – sont des conformistes par prudence ou des pleutres tremblants derrière leur fiche de paie malgré leur garantie d’emploi. Et au risque de me faire beaucoup d’ennemis, je pense qu’il y a plus de la seconde hypothèse que de la première. Toutefois, si nous nous arrêtons un instant sur la première de ces hypothèses, nous nous  souviendrons alors que, dès le premier article publié ici dans «blogres» et qui égratignait quelque peu l’image du DIP, une sonnerie en provenance de la direction générale retentit aussitôt dans le bureau du directeur du Collège Calvin, et une voix dans le combiné exprima le ferme souhait que ce ledit directeur sache mieux à l’avenir «retenir ses troupes» (notons la métaphore militaire). Dans le même sens, il semblerait (je souligne le conditionnel, qu’on confirme ou infirme ces lignes) que nos autorités aient exigé de La Tribune qu’elle muselle certains propos tenus dans ses blogs et jugés trop outranciers. Cette paranoïa du pouvoir contre les écrits, consubstantielle à toute forme de pouvoir à toutes les époques, m’a toujours paru surprenante, à plus forte raison dans le cadre démocratique où la liberté que revendiquent les blogs devrait être au contraire un signe de bonne santé du système. Car enfin, que peut craindre l’autorité étatique de quelques articles critiques? Que peut-elle redouter de quelques blogueurs qui trouvent enfin un espace pour s’exprimer librement, même vertement? A plus forte raison, dans d’autres contextes plus policés où l’acte critique devient affaire vraiment sérieuse, que peut craindre le pouvoir contre des êtres, certes courageux, mais faibles et désarmés, lorsqu’on dispose d’une police, d’une armée, d’une justice corrompue et d’une grande quantité de prisons? Même Napoléon redoutait Mme de Staël! Quel que soit le contexte, cette paranoïa semble souligner a priori la peur aussi ridicule qu’absurde d’«un géant qui craindrait les chatouilles», selon l’expression de Michel Tournier. Mais ce serait oublier que le pouvoir – toutes les formes de pouvoir – repose avant tout sur un ensemble d’artifices psychologiques destinés à emporter le consentement moral du citoyen et dont l’appareil médiatique doit se faire le porte parole ou la caisse de résonnance. Cette dimension est aussi forte dans nos démocraties que dans un régime tyrannique. Or c’est précisément ce consentement plus ou moins extorqué (lisez par exemple les portraits de nos futurs élus dans La Tribune et vous comprendrez ce que je veux dire) et les artifices qui entretiennent cette manipulation du citoyen par les partis et la presse que des blogs – difficilement contrôlables – viennent ébranler, au risque d’enrayer la belle mécanique politique. Même s’il peut toujours compter sur le sommeil servile d’une bonne partie de la population, le géant est d’autant plus furieux qu’il ne peut frapper.

Puisqu’on parle de sommeil servile, revenons maintenant à l’apparente pusillanimité d’une partie du corps enseignant. Le phénomène mériterait d’être étudié au-delà de ce que j’en écrivais l’année dernière ici même sous le titre Du blog comme exutoire. En ce sens, j’ai toujours trouvé rassurant, voire revigorant – et malgré les réserves que je nourris encore en regard de la radicalité de certaines positions – que des enseignant(e)s se soient dressé(e)s vigoureusement (sic), que ce soit par ARLE ou REEL notamment, contre les volontés de leur hiérarchie, contre la main mise de la FAPSE sur l’enseignement ou contre certaines caricatures de commissaires du peuple qui errent encore dans les salles de classe. Enfin, on entendait une autre voix. Cette variété d’opinions avait quelque chose de rassurant, de salutaire, là où l’uniformité ne cessait d’inquiéter. Elle a pour le moins permis le débat. Et maintenant que l’une de ces voix a gagné la tribune politique, espérons qu’elle saura se faire entendre, ne serait-ce que pour secouer la léthargie pusillanime de certains enseignants qui ne cessent de geindre en aparté dans les salles des maîtres tout en tremblant devant l’autorité. Qu’elle les décomplexe, qu’elle leur permette en fin de compte de s’exprimer, toutes tendances confondues, après trop d’années de mutisme. C’est peut-être la priorité absolue dans ce département qui a besoin de retrouver du sens par la parole rendue à celui ou celle qui reste, en dépit de l’opportunisme politique ou de la mode constructiviste, l’acteur principal de l’acte pédagogique...

 

Commentaires

  • Bravo Pierre pour cette analyse qui me semble très juste. Et merci au passage....

  • Stendhal disait que l'instituteur était moins bon que l'enseignant jésuite parce qu'il faisait vivre une famille, et donc dépendait de sa paie, et donc de l'Etat. J'en ai parlé dans un article sur Stendhal et l'Etat-Providence.

  • Cher Pierre,

    Merci de prendre le risque affreux d'oser dire que, trop souvent, les enseignants sont des pleutres, surtout quand il s'agit de se défendre et d'en avoir.

    Ce qui n'empêche nullement ces fragiles orchidées de se plaindre jusqu'à plus soif quand il leur arrive quelque chose de fâcheux.

    C'est une attitude que tous ceux qui se sont battus et continuent de la faire contre réformes et restructurations ne rencontrent que trop, et nous sommes quelques-uns à savoir de quoi nous parlons.

  • "Car, par prudence et respect pour la «source» de cette anecdote, je lui ai soumis le texte au préalable,"

    Fatale erreur. Si on ne veut pas se voir répondre non, mieux vaut dans certains cas ne pas demander.


    "des pleutres tremblants derrière leur fiche de paie malgré leur garantie d’emploi."

    Garantie de l'emploi, certes, mais nullement la garantie de conditions de travail satisfaisantes. Un enseignant n'a-t-il pas été déplacé à l'autre bout du canton par rapport à son domicile? Le directeur ne lui a-t-il pas dit qu'il aurait tout le temps d'admirer le paysage genevois lors de ses déplacements?

    Cela dit, effectivement c'est du chacun pour soi, il y a une dépolitisation complète notamment des jeunes et maintenant la vieille garde prend le plend, quand elle ne se met pas en arrêt de travail. Il n'y a plus de solidarité et les directions font à peu près ce qu'elles veulent. Gestion à l'anglo-saxonne... introduite par un soi-disant "socialiste". Tout récemment les enseignants se sont fait enfiler les taxes de stationnement... Et hop, comme une lettre à la poste. Depuis que le conseil d'état s'est donné les moyens de gérer les grèves lui-même, c'est fini. Et pourtant les enseignants disposent d'une arme proprement dissuasive: la grève des notes.

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