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  • La Montagne des singes

    366559943.jpgPar Antonin Moeri


    La passion exclusive des singes que ma fille nourrit depuis quelques années détermine la plupart de nos déplacements. Après avoir visité le musée d’histoire naturelle de Neuchâtel, nous avons caressé un autre projet : une échappée sur la Montagne des singes, en Alsace. Pour le réaliser, nous devions prendre le train jusqu’à Bâle, un autre jusqu’à Sélestat, d’où une navette nous transporterait à Kintzheim.
    À l’entrée du parc, vous remplissez vos poches de pop-corn et, au bout d’un chemin forestier bien entretenu, vous apercevez deux Macaques qui s’épouillent amicalement. Ils viennent des montagnes du Maroc et d’Algérie. La guide nommée Clarisse (son nom est imprimé en grosses lettres sur un insigne qu’elle arbore fièrement à sa boutonnière) attira notre attention sur le comportement de Charlie qui, ayant trouvé une pomme pourrie, la léchait avec délectation. Il adore tout ce qui fermente, dit-elle en m’adressant un clin d’œil amusé.
    La dame qui nous avait vendu le pop-corn à l’entrée avait été formelle : Ne jamais le sortir de la poche devant un Magot, il pourrait vous déchirer la veste. Le lui présenter dans une main fermée, bras tendu ! Et voilà qu’un mâle dominant, d’une habileté tortueuse, fit semblant de s’intéresser à mes grains de maïs soufflés lorsque, avec une incroyable rapidité, il tendit un bras d’une longueur sidérante pour arracher l’appareil photo des menottes de Lou. Le frère simien disparut dans un arbre en poussant des cris aigus.
    Vu que c’était un appareil jetable, Lou n’a pas voulu signaler le larcin aux surveillants. Dans le car qui nous ramenait à Sélestat, elle me demanda ce que je pensais de ce petit vol commis furtivement et sans violence. J’ignore quel intérêt il pouvait avoir… peut-être cet objet lui procure-t-il quelque joie, ou peut-être est-ce le geste lui-même qui comble notre ami de bonheur. Lou trouva ces explications oiseuses.

  • Palais mascotte

    Palais mascottePar Alain Bagnoud

    Il y avait, hier, un cocktail littéraire au Palais Mascotte pour le lancement de Pierre de scandale (Editions d'Autre Part). Un roman de Nicolas Buri qui raconte l'histoire d'un jeune Français arrivant en 1536 à Genève, ville « la plus sale et la plus paillarde d'Europe ». Il s'appelle Jean Calvin et il va devenir le maître de la ville. L'excellent Michel Barras en a lu des extrait. C'est un livre dont vous allez entendre parler...
    La conjonction était inattendue. Calvin et le Palais Mascotte. L'austère prédicateur dans  l'ancien temple des nuit genevoises. Celui, vous savez bien, où tous les fêtards de Genève ont fini leurs nuits, quand le fameux Trio Paradisio composé de deux musiciens interprétait ses tangos pour un public mêlé où on trouvait toujours quelques étudiants, les comédiens en queue de spectacle et une ou deux entraîneuses d'âge canonique. Celui qui a été décrit dans des quantités d'articles, de romans, célébré dans des chansons, notamment par Charlélie Couture.
    Il avait fermé en 1999, il est rouvert. Transformé mais conservant une ambiance.
    Au rez-de-chaussée, le cabaret où on retrouve l'animation et le public varié de jadis, qui prend son envol à une heure du matin pour ne plus se calmer avant cinq heures. Au sous-sol, le Zazou club où on pouvait entendre hier de la « musique tsigane festive ». Effectivement, ça déménageait. Au premier étage le restaurant Le Duc avec dîner-spectacle.
    Il accueillait Jo-Johnny notamment, une autre institution genevoise, qui nous fera Maurice Chevalier et le voyou de Ménilmontant jusqu'au 20 juin. Jo-Johnny, pour la petite histoire, s'est déjà produit au Palais Mascotte. C'était pendant la deuxième guerre mondiale.
    Et, parcourant les salles, une meneuse de revue excentrique et un peu fofolle, mignonne comme un cœur, et sa copine danseuse.
    Si vous vous sentez en humeur de sortir, tous les renseignements sont ici.

  • Contre CEVA

    Par Pierre Béguin

    Dans son blog du 5 juin, Philippe Souaille soutient CEVA. C’est son droit le plus strict. J’aurais aimé être convaincu. C’est raté. Aucun argument, aucun développement. Que les professions de foi habituelles du genre «le barreau sud ne répond pas aux besoins d’irrigation de la région genevoise» (ah bon? première nouvelle! et pourquoi donc? Qu’en pensent les habitants de Plan-les-Ouates?) «C’est le CEVA qui est la bonne solution» (donnez au moins un argument!) «relier CEVA à Etrembière» (comment? demander aux Français? et pourquoi pas à Bardonnex alors?) «Construire un tram entre la Praille et Bardonnex » (et le faire passer où? A la place des voitures? Excellent! On va donc fermer le village, enfin… et Plan-les-Ouates va devenir le Zermatt genevois? Pourquoi pas, au fond?) Ah si! Tout de même un argument développé: «le CEVA fera la valeur des appartements de Champel (…) au lieu de s’effondrer…» Là, je suis soulagé, le CEVA va donc servir à quelque chose: maintenir le statut immobilier de Champel. Si l’on pouvait me présenter des arguments un peu moins débiles en faveur du CEVA, cela m’intéresserait? J’en cherche depuis longtemps…

    Plus sérieusement, si le CEVA était conçu comme un métro circulaire avec plusieurs arrêts entre la Praille et les Eaux-Vives (au lieu d’un seul, pas forcément le plus utile, à Champel), et ensuite relié à Cornavin par une traversée de la Rade, il aurait toute son importance et sa pertinence, je vous l’accorde, et je soutiendrais ce projet mordicus (sous lacustre, la traversée, si possible...) Mais CEVA, rappelons-le, est un projet des CFF qui a pour but de relier le réseau nord au réseau sud et sur lequel Genève croit pouvoir se greffer à bon compte pour résoudre son problème de trafic, transfrontalier entre autres. Association d’intérêt où seuls les CFF sont gagnants. Car Genève se trompe sur deux plans: d’abord, le projet sera au moins deux fois plus coûteux qu’annoncé, tant dans sa réalisation que dans son exploitation, déjà prévue déficitaire – Genève s’est engagée à combler les déficits annuels d’exploitation (les citoyens en sont-ils informés?), preuve que le CEVA ne résoudra rien et que les autorités le savent; ensuite, le projet est inefficace à remplir les objectifs pour lesquels il a été conçu. Qui m’expliquera clairement comment le fait de relier la Praille aux Eaux-Vives pourrait régler le problème du trafic transfrontalier alors que ledit problème se situe essentiellement aux entrées du canton, à Bardonnex et à Meyrin principalement, mais aussi à Thônex, et à tous les petits villages en bordure du territoire. Demandez aux habitants de Soral, de Chancy, et je ne parle pas de ceux de Plan-les-Ouates, ou expliquez-leur comment le CEVA va améliorer leur situation! Mais justement, on ne veut surtout pas leur demander, comme on ne veut pas faire voter les Genevois de peur qu’ils ne découvrent l’inanité du projet. Relier la Praille à Bardonnex avec un P+R (d’autant plus avec la construction de l’autoroute d’Annecy) relève de l’évidence  pour celui qui dispose de trois neurones et d’une once de bon sens, et qui connaît bien la région Perly Plan-les-Ouates. Je me demande comment les défenseurs du CEVA expliqueront aux Genevois, si le projet se réalise, son coût réel astronomique (et non pas celui budgété) et, surtout, son incapacité à remplir les objectifs pour lesquels il a été déterré là où il dormait depuis un siècle – il pourrait au contraire péjorer la situation par un encouragement au trafic à la Praille, par Perly, via Plan-les-ouates, ou par Troinex, et aux Eaux-Vives par Thônex Chêne-Bourg –; de la même manière, et pour les mêmes raisons, que l’autoroute de contournement de Plan-les-Ouates n’a pas résolu les problèmes de trafic dans le village-même, comme cela avait été pourtant annoncé à grands coups de prophéties ridicules par quelques Philippe Souaille de service...

    Enfin, notre blogueur prétend que les adversaires de CEVA «sont décidés à tout faire pour déclencher (!) son avortement». Ne confondons pas! D’un côté, il y a ceux qui sont décidés à tout faire pour que le projet passe en force sans consultation par les urnes; de l’autre, il y a ceux qui sont décidés à tout faire pour que la discussion vienne sur la place publique et que la question soit tranchée en votation. De quel côté placez-vous les fossoyeurs, de quel côté les garants des fonctionnements démocratiques élémentaires? Une décision aussi importante, et qui engage la politique des transports du canton pour des décennies, mériterait bien un débat public. Non? Expliquez-moi alors pourquoi les partisans politiques (Robert Cramer en tête) et économiques du projet font tout pour l’éviter. Poser la question, c’est aussi y répondre…

    Je précise que j’écris en citoyen franc-tireur, que je ne fais partie d’aucune association en relation avec CEVA et que, si je suis né à Plan-les-Ouates, je n’y habite plus depuis dix ans…

  • Adieux à sec

    par Pascal Rebetez

     

     

     

    Pas de larmes ni de cris. Encore moins de haine. Une accolade quasi amicale et des souhaits pour le voyage. On se serait cru dans un film de Rohmer tant la partition (ce qui sépare et ce qui se joue) fut limpide, sans accroc, acratopège.

     

    Ils étaient pourtant unis comme les deux doigts d’une main de scieur, quand il ne lui reste que le majeur et l’annulaire. Le majeur cependant s’est levé comme un vulgaire tifosi atrabilaire, tandis que l’anneau roulait, roulait pour finir (ou continuer sa course en souterrain) dans le premier caniveau venu.

     

    Les voisins peuvent témoigner qu’ils ne manquaient pas de passion, souvent amoureuse, parfois nerveuse.

     

    Et pourtant, tout s’en est allé en quenouille. Du jour d’avant au lendemain, les liens tissés au fil des mots et des humeurs partagés, cette bonne serpillère du cœur vous lâche sans prévenir, paf ! il n’y a plus que des lambeaux, un livre à renvoyer, des outils à partager.

     

    Plus besoin de serpillère d’ailleurs, puisque le ménage est fait.

     

     

     

    Ce qui est ennuyeux dans les séparations, c’est de ne plus pouvoir dire à l’autre à quel point on est bien sans lui, sans elle. C’est de ne plus pouvoir dire. C’est de ne plus pouvoir. C’est de ne plus.
  • L'éclat de l'absence

     par Serge Bimpage

    1233928044.jpgC’est un livre éclatant en dépit de la douleur du sujet, où il est question de la très ambivalente filiation mère-fille, tissée dans l’amour et la haine, cependant que le père est le grand absent du récit.

    Dans une somptueuse demeure anglaise, garnie d’un jardin extraordinaire, le personnage central de Jusqu’à pareil éclat, Jade Chichester, évoque son enfance près de Grace, mère recluse qui n’a pour tendresse que des phrases visant à se débarrasser de sa progéniture.

    On comprend pourquoi la photographe Jade Chichester rechigne à rencontrer son admiratrice de narratrice et lui raconter son passé. La rencontre aura cependant lieu, grâce à une question sésame : celle concernant la toute première photo qu’elle ait prise… Dès lors, le livre peut se dérouler non sans malice, tantôt sur le mode du « elle » utilisé par la narratrice, tantôt sur celui du « je » figurant la photographe.

    Anne-Lise Grobéty dresse d’une plume confondante le portrait de cette solitude dans ce manoir métaphorique coupé du monde et labyrinthique. Les vibrations animales du parc seront de piètre recours pour la sublimer. En revanche, la découverte, dans la bibliothèque, de la poésie de Keats, de la puissance érotique de la langue, des boiseries et des greniers agiront sur la fillette de manière décisive, de même que le débarquement inopiné d’une tante aventurière, globe-trotter, photographe et homosexuelle.

    Avec une trame simple, l’écrivaine neuchâteloise parvient non seulement à décliner ses thèmes favoris (rapport mère-fille, privation de la parole, manque intérieur et libération féminine) mais aussi à en découdre savoureusement avec le statut ambigu de la première personne en littérature.

     

     "Jusqu’à pareil éclat", par Anne-Lise Grobéty. Editions Bernard Campiche, 129 pages.

     

  • Le français bubble gum

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    PAR ANTONIN MOERI


    Les Editions Milan eurent l’excellente idée de publier en 2005 un livre que j’adore : Le nouveau charabia. De quoi s’agit-il ? Dans une première partie rédigée avec un humour gaulois, Pierre Merle s’amuse à décrire l’esbroufe langagière qui sévit depuis une vingtaine d’années dans les différentes couches des sociétés francophones. Ainsi y découvre-t-on que le petit fonctionnaire en mal d’amour ne va pas aux « putes » (terme trop cru, trop brutal, véhiculant l’abominable vision machiste), mais que notre sympathique représentant de commerce « assume sa sexualité sans passer par l’affectif ». Utilise-t-on cette exquise périphrase pour désigner plus clairement une réalité ou pour donner plus de prix à sa propre personne, pour signaler la conformité et la rectitude de sa « propre »pensée ? Balzac pensait, à son époque déjà, que cette posture langagière prêtait à celui qui l’adoptait « je ne sais quoi d’amphigourique qui lui donne une supériorité soudaine ».
    Ne pas nommer les choses est un vieux réflexe mais, en ce début de XXIe siècle, il s’est répandu de manière significative. Revenons au petit fonctionnaire en mal d’amour. Il ne choisira pas telle ou telle prostituée pour découvrir l’obscur objet de son désir, réaliser ses fantasmes, calmer momentanément une faim dévorante, il ne s’attardera pas sur les formes enchanteresses de celle qu’on appelle Nikki, sur la couleur, la longueur et la souplesse des cheveux de celle qu’on appelle Ondine, il devra monter à l’étage avec une « travailleuse du sexe ». Si, selon le Robert, « la prostituée se livre au désir sexuel d’autrui pour des motifs d’intérêt », je me demande ce que pourra bien offrir la travailleuse ? Je dois avouer que mon désir s’étiolerait. Mais c’est peut-être à l’abolition du désir qu’oeuvrent la « travailleuse du sexe » et l’horrible expression qui la désigne.
    La seconde partie du livre est constituée d’un savoureux lexique. Je vous conseille cette petite croisière. Vous naviguez de l’altérité constructive à l’internat de proximité, des emplois dormants aux règles du vivre ensemble, du révisionnisme domestique au relationnel d’enfer, des polars sociopathiques aux constructions innovantes. On y trouve également de succulentes formes verbales : fédérer des mécontentements, désinventer, développer son exponentiel de jouissance, mettre en œuvre un savoir-être, gérer l’après sans oublier l’incontournable  « gérer en interne » très répandu dans les écoles publiques genevoises, où la « culture de bâtiment », c’est-à-dire la culture d’entreprise, est vivement encouragée par l’actuel ministre dit de l’Instruction Publique. On est effectivement loin du « parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche », dont parlait Montaigne.

  • L'impossibilité d'une île

    Par Pierre Béguin

     

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    Au-delà des dangers naturels qui la menacent, l’île reste la plus grande usine à rêves. De l’enfant qui s’imagine l’île déserte comme la quintessence de l’aventure, à l’adulte qui y projette la fin de ses tourments ou son envie de tout recommencer à neuf, jusqu’au milliardaire qui y concrétise un monde protecteur et préservé à l’unique reflet de sa richesse. L’île répond à ce fantasme absolu: tout effacer, tout imaginer, tout recommencer à partir de rien. De rien? Pas tout à fait. Car une virtualité lui reste indissociable: la possibilité d’un trésor enfoui. Réponse symbolique à cette douloureuse certitude que, dans la routine de notre vie, nous sommes condamnés à la répétition, à la monotonie, à la médiocrité, et qu’aucun trésor – à part l’amour fou, l’oncle d’Amérique ou un billet de loterie – ne peut magnifier, voire transformer notre quotidien. A moins d’une prise de risque absolue, du courage de faire table rase des habitudes, du confort, de la sécurité, bref de tout ce qu’on ne trouve pas dans une île et qui conditionne la possibilité du trésor. Oui! Pour transformer notre citrouille de vie en carrosse, il nous faudrait oser les conditions d’une île. Sinon, pas de trésor. Mais qui tente vraiment sa chance?

    La littérature moderne a très bien su s’emparer de ce mécanisme: de l’île de Robinson à celle de Monte-Cristo jusqu’à l’admirable Ile au trésor de Stevenson – la perfection même du roman d’aventures – l’île est le lieu par excellence de mutation de la chrysalide. D’où le trésor… Sauf pour Hergé. Et cette exception est assez curieuse de la part de celui qui a su, avec un art consommé de l’opportunisme, s’approprier tous les stéréotypes et clichés qui rôdaient à sa portée. Chez lui, nul attrait de l’île, nul trésor dans ses entrailles, nulle métamorphose du naufragé. Mais des lieux inhospitaliers, sinistres, noirs et peuplés d’animaux féroces ou inquiétants (un gorille, une araignée géante, des singes qui tirent à la carabine ou un énorme varan). Et, surtout, pas de miroitement d’or mythique caché sous la terre, si ce n’est, le cas échéant, les comptes bancaires d’un milliardaire vidés sous la contrainte ou des faux billets fabriqués en série. De la fausse mo1676923759.jpgnnaie, une île! Au fond de ses entrailles, rien d’autre que de la fausse monnaie! Si l’on peut deviner aisém1586756319.jpgent l’influence du Stevenson de L’île au trésor dans l’épopée flibustière, les horizons lointains, les trésors enfouis et les exils insulaires du Secret de la Licorne; si le rythme et l’émerveillement produit par les récits de piraterie sont habilement métaphorisés par les réactions de Tintin et du capitaine Haddock, Hergé, à l’inverse d’Ulysse découvrant la jeune Nausicaa, n’en reste pas moins sourd aux chants des sirènes insulaires: on ne peut qu’y compter les jours sur une croix comme l’ancêtre de Haddock, creuser la terre en vain et mourir de solitude. Inutile de s’énerver, de forcer votre destin, tout finira par vous retomber sur le crâne en pluie d’objets, de noix de coco ou de lave en fusion. Le ton est donné d’emblée par l’accueil: le sable vierge des plages paradisiaques cache un morceau d’épaves sur lequel trébuche douloureusement le capitaine et un crabe pinçant rageusement les orteils des Dupondt. Par la suite, ce ne seront que squelettes éparpillés, perroquets insultants et singes vous transperçant la casquette à coup de carabine. On ne se rend sur une île, lieu stérile parsemé de signes de mort, que par accident ou nécessité, ou par détournement d’avion1270396349.jpg. On n'y est jamais la bienvenue et l’on en repart dès que possible, pour autant qu’on en ait les moyens. Sinon, comme pour François de Hadoque, l’île devient prison. Ou se désintégrera dans une explosion volcanique.

    Anecdote significative: quand il fallut redessiner Le Trésor de Rackham le Rouge, Hergé tenait mordicus à un îlot, comme pour en souligner l’aspect dérisoire et le vide sémantique. E.P. Jacobs, qui voulait une véritable île, finit par l’emporter mais l’auteur de Tintin lui tint longtemps rigueur de ce choix. Peu importe, au fond, puisque le trésor, cherché en vain sur l’île, se trouve à Moulinsart, lieu de la sédentarisation et de l’embourgeoisement, où les personnages vont s’installer pour l’éternité. A cette même époque, Hergé s’achète une propriété à Céroux-Mousty, près de Bruxelles. Pour nécessaire que fut le passage sur l’île, il n’en reste pas moins un fantasme, une impossibilité, une illusion à laquelle il faut renoncer rapidement. La sagesse – ou la prudence – bourgeoise est à ce prix…