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  • Foot et identité

    Par Alain Bagnoud

    1196279758.jpgEurofoot encore. C'est fini et bien fini, certes. Mais il me reste quelques questions, pour avoir observé tous ces fans de foot, tous ces adultes enroulés dans des drapeaux, portant le maillot de leur équipe, roulant dans des voitures qui arborent les emblèmes d'un pays. Le phénomène était d'une telle ampleur qu'il y avait de quoi s'interroger.

    Un retour au nationalisme ? Evidemment non. Ce n'étaient pas les vertus d'un pays que proclamaient tous ces gens, c'était leur identité. Identité dans le sens identique, et pas singulier.

    C'est que, dans cette société post-moderne qui impose l'individualisme, qui détruit le lien social, qui impose à cause du marché une masse d'éléments constitutifs à chacun, liés à ce qu'il croit être ses goûts et sa personnalité, et qui sont en fait les caractéristiques du consommateur qu'il est et que le marché suscite, il est impossible désormais que les gens se sentent liés profondément, qu'ils considèrent qu'ils appartiennent à un groupe homogène avec sa culture propre, comme c'était le cas jadis. (« Jadis » que d'ailleurs je ne regrette aucunement, croyez-moi !)

    Aussi, perdus dans une masse de ces caractères qui les constituent hétérogènes, différents malgré eux, isolés, et ayant la nostalgie du lien, les supporters de foot sélectionnent une caractéristique simple dans l'ensemble de ce qui les constitue. Une origine, un drapeau, une nostalgie ou un exotisme. Ils retrouvent grâce à ça la fusion, le lien social, l'agglomération. Rassemblement, essai de transe, vibration commune, sentiment d'être fondu dans un groupe symbolisé par l'équipe.

    Un petit moment collectif. Et le lendemain, on retourne à son gentil rôle d'individu consommateur !

     

  • La peur du père

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    PAR ANTONIN MOERI




    Quand Yves Velan distingua mon premier texte dit littéraire en accordant à son auteur une jolie somme d’argent, il évoqua le sentiment de peur qui domine dans Journal-Fiction. A l’époque, je n’étais pas conscient de ce que j’écrivais. Les phrases se sont imposées dans l’obscurité d’une chambre sans que je maîtrise quoi que ce soit. Or le sentiment de peur dont parlait Velan peut, je crois, déclencher l’écriture, comme d’autres sentiments moins avouables telles la répulsion, la hargne, la colère, la haine, la jalousie ou une discrète insoumission.
    A la question Pourquoi a-t-on peur? Kafka essaie de répondre dans sa Lettre au père en décrivant minutieusement un sentiment d’insuffisance, de nullité qu’il éprouve devant « la santé, l’appétit, la puissance vocale, le don d’élocution, le contentement de soi-même, la ténacité, la présence d’esprit » d’un père vengeur, d’un géant tyrannique qui exige le respect. Cette force de la nature provoque chez le fiston une perte de confiance, l’instabilité, l’indécision, une nervosité inhabituelle, un désir de fuite, des tremblements, des bégaiements et, in fine, le mutisme.
    Cependant, rédigeant cette lettre, Kafka se rappelle avoir vu son père somnoler au magasin, contempler la pluie qui tombe délicatement sur les pavés, adresser des sourires à certaines personnes, réprimer un sanglot, se faufiler discrètement dans une pièce. Ces souvenirs font pleurer l’auteur. Ils le font pleurer de bonheur. En persistant dans l’activité d’écrire, Kafka semble avoir éprouvé une joie qu’il savait communiquer dès qu’il lisait des passages du Procès à ses amis. On raconte que, lors de ces séances, il riait à gorge déployée.
    Aujourd’hui encore, je me demande pourquoi les textes de l’écrivain pragois n’exhalent pas ce pessimisme irrévocable, ce désespoir incurable qui devraient les caractériser et pourquoi le sentiment d’échec et de nullité qu’éprouvent ses personnages ne déprime pas le lecteur mais, au contraire, l’aiguillonne. C’est peut-être du côté de l’humour qu’il faut chercher une réponse, un humour particulier, source de créativité, et qui n’a rien à voir avec l’ironie des professionnels de l’imagination.