Le français bubble gum
PAR ANTONIN MOERI
Les Editions Milan eurent l’excellente idée de publier en 2005 un livre que j’adore : Le nouveau charabia. De quoi s’agit-il ? Dans une première partie rédigée avec un humour gaulois, Pierre Merle s’amuse à décrire l’esbroufe langagière qui sévit depuis une vingtaine d’années dans les différentes couches des sociétés francophones. Ainsi y découvre-t-on que le petit fonctionnaire en mal d’amour ne va pas aux « putes » (terme trop cru, trop brutal, véhiculant l’abominable vision machiste), mais que notre sympathique représentant de commerce « assume sa sexualité sans passer par l’affectif ». Utilise-t-on cette exquise périphrase pour désigner plus clairement une réalité ou pour donner plus de prix à sa propre personne, pour signaler la conformité et la rectitude de sa « propre »pensée ? Balzac pensait, à son époque déjà, que cette posture langagière prêtait à celui qui l’adoptait « je ne sais quoi d’amphigourique qui lui donne une supériorité soudaine ».
Ne pas nommer les choses est un vieux réflexe mais, en ce début de XXIe siècle, il s’est répandu de manière significative. Revenons au petit fonctionnaire en mal d’amour. Il ne choisira pas telle ou telle prostituée pour découvrir l’obscur objet de son désir, réaliser ses fantasmes, calmer momentanément une faim dévorante, il ne s’attardera pas sur les formes enchanteresses de celle qu’on appelle Nikki, sur la couleur, la longueur et la souplesse des cheveux de celle qu’on appelle Ondine, il devra monter à l’étage avec une « travailleuse du sexe ». Si, selon le Robert, « la prostituée se livre au désir sexuel d’autrui pour des motifs d’intérêt », je me demande ce que pourra bien offrir la travailleuse ? Je dois avouer que mon désir s’étiolerait. Mais c’est peut-être à l’abolition du désir qu’oeuvrent la « travailleuse du sexe » et l’horrible expression qui la désigne.
La seconde partie du livre est constituée d’un savoureux lexique. Je vous conseille cette petite croisière. Vous naviguez de l’altérité constructive à l’internat de proximité, des emplois dormants aux règles du vivre ensemble, du révisionnisme domestique au relationnel d’enfer, des polars sociopathiques aux constructions innovantes. On y trouve également de succulentes formes verbales : fédérer des mécontentements, désinventer, développer son exponentiel de jouissance, mettre en œuvre un savoir-être, gérer l’après sans oublier l’incontournable « gérer en interne » très répandu dans les écoles publiques genevoises, où la « culture de bâtiment », c’est-à-dire la culture d’entreprise, est vivement encouragée par l’actuel ministre dit de l’Instruction Publique. On est effectivement loin du « parler simple et naïf, tel sur le papier qu’à la bouche », dont parlait Montaigne.
Commentaires
Supposons un instant un monsieur quelque peu aviné, en mal d'amour et affichant un net penchant pour les péripatéticiennes rondouillardes portant de la lingerie coquine. Pourrait-on, par exemple, écrire "Quand il est pétrole, il investit son économètre dans un baril à guêpière" ?
:o)
L'esbroufe langagière de Charles Beer dit chef du DIP est proprement hallucinante! Surtout qu'il jure bien avec le silence de la mer imposé à ses administrés d'enseignants. Ji ose même écrire à des témoins désirant défendre une victime de l'institut de formation des maîtres "Modérez vos propos au tribunal".
Il berne la population comme pas permis et les gens continuent à laisser faire comme s'ils n'étaient pas concernés alors que c'est lui qui doit allégeance aux citoyens...
Au fait, Sarkozy a sonné le glas des IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) alors que Beer veut en créer un (les autres cantons romands ont une HEP) et perpétrer la tradition du langage socio-constructiviste, qui a fait tant de victimes.
P. S.: "Le plus dur pour les hommes politiques, c'est d'avoir la mémoire qu'il faut pour se souvenir de ce qu'il ne faut pas dire." (Coluche)
Est-ce qu'on peut conseiller au chef du DIP de développer son exponentiel de jouissance en grimpant aux escaliers d'une travailleuse du sexe? Ou bien?