Politique et prédation
«Ceux qui savent faire font, ceux qui ne savent pas faire enseignent, ceux qui ne savent pas enseigner enseignent aux enseignants et ceux qui ne savent pas enseigner aux enseignants font de la politique.» (Muriel Barbey, L’Elégance du hérisson, Gallimard, 2006, p. 55)
Ainsi conversions-nous l’autre soir entre amis, justifiant ces paradoxes par la nécessité de tout politicien de composer avec ses adversaires au risque de faire leur politique, lorsqu’une personne émit une autre hypothèse, certes quelque peu calomnieuse mais pas insensée: «Et si l’objectif inavoué de MBG, parce qu’inavouable – ce qu’on appelle la visée perlocutoire –, avait été d’affaiblir sciemment l’enseignement public?» En substance, l’hypothèse se développait en ces termes: en permettant à l’enseignement primaire et secondaire inférieur de devenir un laboratoire de la FAPSE tout en diminuant drastiquement les effectifs sur le terrain, elle mine d’emblée les réformes qu’elle cautionne, (je schématise volontairement mais retenez-en l’esprit) elle crée le désordre à l’intérieur du département, les divisions chez les enseignants et le mécontentement chez les parents d’élèves. Un mécontentement sans risque pour son image, cette grogne – elle le sait – prenant immanquablement pour cible l’affreux gauchiste enseignant avec lequel il faut bien concilier et qui s’est précipité dans le piège avec une touchante naïveté. Au reste, la presse, entièrement dépendante des annonceurs immobiliers au début des années 90, c’est-à-dire des milieux libéraux, s’est alors chargée de faire passer efficacement le message vers l’électeur. «Dans quel but me direz-vous? Simple! Opérer des transferts de charges. Plus les parents sont mécontents, plus ils se tournent vers le privé, et plus le budget du DIP diminue (rappelons-nous que Martine Brunschwick-Graf s’était – à juste titre – vivement opposée à une quelconque baisse d’impôts pour les parents payant un écolage dans le privé, le transfert de charges restant ainsi tout bénéfice). Sachant qu’un élève coûte annuellement environ 14000 Fr au primaire et 22000 Fr au Cycle, le calcul est vite fait: une centaine de transferts de têtes blondes du public au privé par année et ce sont vite des centaines de millions d’économie (en tout plus d’un milliard réalisé au DIP). Avec en prime l’affaiblissement de l’enseignement public et l’enseignant jeté en pâture au citoyen comme méchant responsable. Tout bénéfice, je vous dis!» L’hypothèse a au moins le mérite de surmonter les paradoxes: vu sous cet angle, c’est-à-dire sous l’angle purement politique, le bilan de Martine Brunswick-Graf devient cohérent envers les visées de son parti et son action remarquable d’intelligence stratégique (les écoles privées sont saturées, l’école publique perd du muscle en prenant de la graisse administrative et on parle de mettre les deux en compétition!!!) C’est la faiblesse des démocraties: l’action des élus reste essentiellement politique, elle vise leurs intérêts, leur réélection, mais cet objectif, paradoxalement, peut s’opposer au bien du département dont ils ont la charge, donc, par voie de conséquence, au bien public qui, pourtant, légitime leur mandat. Ainsi, de responsables, se transforment-ils parfois en prédateurs.
Martine Brunschwick-Graf, prédatrice du DIP? Je vous en laisse juge…