Salon du livre
Par Alain Bagnoud |
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Par Alain Bagnoud |
Par Alain Bagnoud
Le chemin des écoliers est lié à un mouvement d’idées. Il y a eu un moment, après la guerre, où les écrivains de droite s’opposaient aux idées de Sartre sur l’engagement, la liberté, la responsabilité, et voulaient montrer, eux, que la réalité des choix est plus aléatoire, que des circonstances avaient pu conduire certains dans des voies extrêmes. Je pense par exemple au Petit canard, de Jacques Laurent, où un événement d’ordre sentimental faisait basculer quelqu’un dans la collaboration avec l’armée allemande.
Dans Le chemin des écoliers, Marcel Aymé tourne autour d’une famille sous l'occupation. Le père vit dans les idées et les théories. C’est un être bon, naïf, qui gagne mal sa vie en gérant des immeubles. Il découvre soudain que son deuxième fils distribue des tracts pour le parti communiste.
Son premier, au contraire, a été introduit dans le marché noir par un ami, le fils d’un caïd de la pègre qui gère un restaurant. A 16 ans, il gagne en une opération plus que deux ans de salaire de son père. Il sort avec une poule de 26 ans dont le mari est prisonnier des Allemands, qui a une petite fille et qui fréquente un ami de son mari, lequel décide d’intégrer l’armée allemande et de combattre sur le front de l’est pour s’opposer aux juifs, aux communistes et aux poètes cubistes. Sic.
L’autre grand personnage du livre est le collègue du père, peu préoccupé par la guerre, lui. Il vit un enfer entre sa femme comédienne ratée qui le méprise, croit être une artiste dont la carrière va reprendre. Ils ont un fils vicieux qui torture les animaux, vit en ménage à trois avec un vieil homosexuel et une putain, se prostitue et finit par tuer la fille et la vendre comme viande au marché noir.
Le tableau s’élargit encore grâce aux notes de bas de page. Les personnages secondaires croisés au hasard y ont droit à leur biographie résumée. Ça donne une foule de destins manipulés, brisés ou favorisés par la guerre. Un maelström qui prend les être, fait basculer leur destin au hasard, et les expédie dans un camp ou dans l’autre.
Démonstration servie par la clarté, la netteté, la précision de la langue, et cette ironie propre à Marcel Aymé qui relativise toutes les croyances absolues.
Marcel Aymé, Le chemin des écoliers, Folio
(Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.)
Par Olivier Chiacchiari
Chers Lecteurnautes,
Après cinq mois d'expérience blogosphérique, l'heure est venue pour moi de me recentrer exclusivement sur mon activité principale: l'écriture dramatique. J'entame la rédaction d'une nouvelle pièce qui va m'occuper durant des mois, m'interdisant toute aventure extra-théâtrale. Mon écriture est jalouse, hélas, elle ne supporte aucune forme d'incartade durant la période de passion.
Je souhaite donc bonne plume à mes camarades de toile, avec qui j'ai eu énormément de plaisir à initier et à partager cette aventure. Faites cliqueter les touches de vos claviers, mes amis, je continuerai à vous lire avec grand intérêt!
Et peut-être qu'un jour, lorsque mon emploi du temps aura retrouvé un peu de souplesse, je reviendrais m'exprimer dans cet espace hautement pixellisé... si l'on veut encore de moi.
Pas un adieu, donc, juste un au revoir. En ligne ou dans la vie, dans un théâtre ou un bistrot, car contrairement aux idées reçues, les nouvelles formes de communication ne remplacent pas les anciennes, elles les régénèrent.
Bien à vous tous
Olivier Chiacchiari
Par Olivier Chiacchiari
Dès samedi 1er mars, au Stadttheater Bern, coup d'envoi sera donné à onze pièces inédites de 30 minutes, commandées à des auteurs locaux sur le thème de «l'étranger». Vaste programme!
J'ai eu la chance d'être sollicité pour cette aventure alémanique. Avant de prendre mon train pour aller assister à la première, je vous livre ici un article que j'ai rédigé pour le quotidien Der Bund, qui a consacré un supplément entier à l'événement.
L'étranger d'un autre
Etre fils d'immigré, c'est vivre en étranger sur sa terre natale. D'où l'interrogation qui en découle: Chance, malheur ou destin ?
Comme la plupart des adolescents, je voulais ressembler à mes camarades, surtout ne pas me distinguer, mais malgré mes efforts mimétiques, je demeurais «l'Italien». En revanche, aussitôt débarqué en Italie, je devenais «lo Svizzero». Un lointain cousin qui fréquentait la péninsule en touriste et qui se révélait incapable de rouler les «r».
Dont acte: je ne serai jamais chez moi nulle part, même pas au Tessin !
Les années passant, ma soif de conformisme s'est estompée, j'ai commencé à m'affirmer et le malaise s'est mué en détermination. Mon origine me rendait combatif, mon combat me rendait attractif, et bientôt mon patronyme imprononçable s'imposait sans rougir.
Pour gagner sa place, l'étranger doit s'interroger sur son identité et celle des autres, sans jamais pouvoir se reposer sur ses acquis. Une condition presque philosophique, en somme. Qui peut intimider. Ou donner des ailes.
Gilles Deleuze a écrit qu'il faudrait avoir une langue étrangère dans sa propre langue pour trouver son style. J'ajoute qu'il faudrait être étranger dans son propre pays pour accepter le style du voisin.
En définitive, de tel ou tel côté de la frontière, ne sommes-nous pas tous l'étranger d'un autre, issus d'une seule et même souche ?
par Pascal Rebetez
Mon confrère Pierre Béguin, dans une rubrique récente, montrait avec grande pertinence tout ce qu’un personnage d’Alexandre Dumas pouvait avoir d’œdipien dans son projet d’amour, le citant : «Ma foi, je ne suis plus amoureux, et comme elle ne nous a pas reconnu, détache-là!» Le désir n’est fécond qu’au travers de celui d’un autre. L’autre parti, le rival évacué, le désir n’a plus de sens : maman peut dormir tranquille.
J’y pensais l’autre soir à la Comédie où une excellente troupe française, sous une houlette albionne, jouait à merveille la tragédie de Jean Racine qui, lui non plus, n’avait pas besoin d’avoir lu Freud pour connaître son humanité complexe.
A un certain moment, Oreste fou d’amour pour Hermione, s’en prend à l’agressivité œdipienne de Pyrrhus :
Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte
Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l'ingrate ;
Ses charmes jusque-là n'avaient pu le toucher :
Le cruel ne la prend que pour me l'arracher.
Et voilà comment l’autre, par la manifestation de son désir, légitime le mien, tout en l’entravant. C’est ainsi qu’on aime aimer, quand trop enfant nous restons. Et qu’on oublie les les vrais rejetons, en l’occurrence ici, le fils d’Achille, Astyanax, représenté en adolescent délicieusement idiot, jouet flottant sur les eaux tumultueuses des guerres et des jalousies parentales.
A noter, mais cela n’a peut-être rien à voir, qu’il existe une position sexuelle dite d’Andromaque, où la femme chevauche son mâle. C’est ainsi qu’Hector aimait le faire.
En position assise, dite du velours rouge, je vous conseille la Comédie. C’est assez rare de sortir du théâtre en ayant eu le sentiment d’avoir été conquis par le verbe évidemment, par le jeu et l’intelligence du propos.
par Pascal Rebetez
En ce lendemain de grâces conjugales obligatoires, il n’est pas inutile de savourer le contentement du responsable floral de Max Havelaar, organisation bien-pensante qui se veut pourtant pour un commerce équitable. Je résume sa belle suite de sophismes et d’entourloupettes : les troubles au Kenya n’empêcheraient pas la production de tulipes et de roses. Seul le transport serait difficile. Les employés restant sur place, dans les serres et travaillant davantage et plus efficacement.
« Voici pour toi, ma chérie, mon amour, ce petit bouquet de fleurs du Kenya ; pour que notre union ne soit jamais victime d’aucun conflit ethnique, prends ces fleurs pour assurer notre survie malgré la bataille pour les gisements divers dont notre sous-sol est farci. Reçois ces roses, ma sanguine, toi que j’aime en entier et en morceaux. Accepte ce bouquet afin qu’entre nous un commerce équitable produise la plus parfaite des plus-values. »
Nous n’avons aucune nouvelle des derniers éleveurs de wapitis, mais les haricots nains du même Kenya se portent bien. Pendant que les foules se massacrent, le commerce se poursuit. Qui a dit que le capitalisme international rendait les gens insensibles ? Pour chaque fleur cultivée dans les serres équatoriales, on offre ici un juste prix. S’ils veulent là-bas se meurtrir avec les épines, qu’y peut-on ? A chaque jour suffit sa peine.
- A ta santé, ma chérie.
- Qu’est-ce que c’est ? Non, tu es fou ! Un diamant du Kivu… Voici pour toi, pour nous.
- Oh ! Un safari au Botswana ! C’est trop beau ce que tu m’achètes…
- De quelle machette tu parles, mon amour pour toujours?
Par Alain Bagnoud
Dans le téléphérique. La grosse cabine attend le départ. Au dehors, soleil, neige, ciel bleu. Un petit air de printemps déjà.
Avec ses cheveux longs ramenés en queue de cheval, une barbe rare, il a l’air d’un contestataire ou d’un altermondialiste. Quand il veut montrer sa surprise, il dit, en levant un sourcil : « Ah ouais ! Quand même ! » Une expression que j’ai entendue chez un animateur télé.
C’est qu’il veut devenir célèbre. Pas à cause de quelque chose qu’il ferait, reconnaît-il, mais, ch’ais pas, moi, pour ce qu’il est. Parce qu’il lui semble manifestement qu’il mérite la notoriété.
Pendant qu’il m’explique vaguement ça en s’appuyant sur un surf sombre dont les décorations rappellent des graffitis urbains, deux vieilles dames montent dans la cabine, emmitouflées dans des écharpes, des châles et des chapeaux fantaisie très étranges, l’un avec des sortes d’étages comme un gâteau, l’autre en forme d’obus blanc. Deux excentriques. Celle du gâteau moins âgée que l’autre. Une fille et sa mère, peut-être. Elles ont un air de famille.
Je me demande si elles suivent la mode. A voir le col, les manches et le bas d’un de leurs manteaux orné de renard blanc, on peut penser que oui.
Une grande Africaine en combinaison de ski rose entre encore et la porte se ferme automatiquement. La cabine s’ébranle et s’élève dans le ciel. Une motoneige du service des installations mécaniques passe sous le pylône, feu clignotant mais sans sirène.
Dans le restaurant d’altitude, un type au crâne rasé, l’air mauvais, se repose en écoutant de la musique très fort sur son Ipod. Le rythme semble familier. Je m’approche, curieux. « Dites-moi où ne en quel pays, Est Flora. la belle Romaine… » Villon et Brassens.
Il va faire beau pendant quelques jours encore, annonce le journal.
(Publié aussi dans Le blog d’Alain Bagnoud)
Par Olivier Chiacchiari
Plusieurs courtes pièces signées par Jean-Michel Ribes et moi-même prendront corps du 7 au 15 février à Romans-sur-Isere (Rhône-Alpes).
Un florilège concocté par la compagnie de l'Oeil nu, en fonction de l'ironie et du caractère métaphorique des textes choisis.
Les saynètes issues de ma plume appartiennent à une pièce intitulée Nous le Sommes tous (l'Age d'Homme 1996) qui traite des lâchetés ordinaires du quotidien.
Je vous livre ici les premières répliques d'une séquence représentative de l'ensemble: deux hommes témoins d'une rixe s'interrogent toute la scène durant sur la meilleure façon d'intervenir. Petite fable inspirée par l'impuissance patente de l'ONU - malgré ses résolutions successives - face à la guerre de Bosnie.
Hors de la vue du public, deux hommes se battent.
Le 1er passant les observe, stoïque et parfaitement calme.
Arrive le 2e passant.
2e passant – Que se passe-t-il ?
1er passant – Je n'en sais rien.
2e passant – Il y a longtemps qu'ils se battent ?
1er passant – Je ne suis ici que depuis quelques minutes.
2e passant – Et vous restez là, sans réagir ?
1er passant – A mon avis, ça fait des heures que ça dure.
2e passant – Il faut faire quelque chose !
1er passant – C'est ce que je me dis depuis quelques minutes.
Un temps.
2e passant – Alors qu'attendons-nous ?
1er passant – Si c'était si facile!
2e passant – Il suffirait de les séparer.
1er passant – Vous croyez ?
2e passant – Bien sûr !
1er passant – Sans essayer de comprendre ?
2e passant – Comprendre quoi ?
1er passant – Vous êtes bien naïf, monsieur.
2e passant – Pardon ?
Un temps.
1er passant – Vous êtes du quartier ?
2e passant – Séparons-les !
1er passant – Il nous faudrait une bonne raison pour le faire.
2e passant – Les empêcher de s'entretuer ne suffit pas ?
1er passant – Non, ça ne suffit pas, votre empressement est louable, il part d'un bon sentiment, mais ça ne suffit pas. Avant d'agir, il faut comprendre.
2e passant – Il n'y a rien à comprendre...
1er passant – Il y a toujours quelque chose à comprendre !
...
Restons-en là, car comme le disait Molière:
Le théâtre n'est pas fait pour être lu, mais pour être vu.
EN SAVOIR DAVANTAGE
par Pascal Rebetez
Lundi dernier, en première page de la Tribune, l’œil égrillard du lecteur matinal a pu apprécier, avec quelques longueurs d’avance sur sa déclaration fiscale pisseuse et ses croissants baveux, l’énormité provocatrice et la vanité sexuelle de François Longchamp, notre chef du Département de la solidarité et de l'emploi, qui se déclare, je cite le malheureux secrétaire de rédaction de la Julie : « pour les baises d’impôts ». C’est ce qu’on appelle en langage d’imprimerie, une coquille. Il faut donc comprendre qu’en baisant les impôts à tout bout de Longchamp, on ne risque pas grand chose, à condition de se protéger avec d’encore plus lumineuses et sexuellement non transmissibles coquilles.
C’est curieux, ce « baiser », geste d’amour à l’origine, signe de déférence et de tendresse qui est devenu transitivement l’équivalent de niquer, porter atteinte, tromper, piéger, vaincre, voler et même violer. Il en est de l’évolution du lexique comme celle des contributions publiques : à force de tendre sa sébile à tout va, l’Etat tourne autour du pot et ne récolte tout au plus que des fifrelins et autres boutons de culotte. Il rompt alors le pacte de la donation volontaire pour imposer le don : l’impôt, c’est ce qui est imposé. D’aucuns, les plus malins de la tablée sont les spécialistes du baiser de Judas : ils vont poser ailleurs leur authentique tendresse et leur jolie fortune. Les autres, les moyens, les distraits, les salariés paient. Ils paient pour voir baisser mais n’en jouissent que fort peu. La coquille alors est vide et les omelettes sans œufs. Est-ce la foule qui fait le bœuf ou le bœuf qui fait la poule ? etc.
Dans une préface à son essai, Contre Sainte-Beuve (Pléiade, page 211), Proust conte un épisode intéressant de sa vie.
Il rentre un soir chez lui, fatigué, mort de froid à cause de la neige qui tombe, et regagne sa chambre pour y lire sous la lampe. Sa vieille cuisinière lui propose alors, contre son habitude, du thé et quelques tranches de pain grillé. Il les trempe dans le breuvage.
Et ? Et ? Oui, vous avez deviné.
Et le passé resurgit ! Toutes les vacances d’été qu’il passait enfant à Illiers. Issues des sensations liées aux moments où, après son réveil, il allait voir son grand-père qui lui donnait des biscottes semblables.
Ça vous rappelle quelque chose, ça rappelle quelque chose à tous ceux qui se piquent un peu de littérature, même s’ils n’ont pas lu Proust, n’est-ce pas ?
Dans La Recherche, il y a le même épisode mais transformé. Le grand-père est devenu tante Léonie et le pain grillé une madeleine. Pourquoi ?
Le changement de personnage est facilement explicable : le grand-père dans le roman est une simple silhouette dont la grande action d’éclat est d’accepter du cognac, ce qui tourmente sa femme et la rend malheureuse. Au contraire, la tante Léonie a une place importante. Ridicule et touchante, elle incarne la vie de province, ses commérages, sa petitesse et son intérêt. Son enfermement préfigure la maladie du narrateur et évoque probablement pour Proust sa propre réclusion. Léonie est un double du narrateur, dans la maladie autant que dans l’observation minutieuse et un peu commère des autres. D’ailleurs leur lien est symbolisé par un acte fort : elle le fait l’héritier de sa fortune et de ses meubles, qui finiront au bordel.
Mais le pain grillé ? Pourquoi le remplacer par une madeleine ?
A cause du nom ? Lié à la pécheresse Marie-Madeleine ? (Et nous revoici au bordel ou pas loin.)
Il y a sans doute d’autres raisons. La forme du biscuit. Cette espèce de coquillage nervuré qui thématiquement renvoie à la partie maritime de La Recherche, Balbec.
C’est aussi une gourmandise plus noble et luxueuse que du vieux pain récupéré. Plus digne de la vie mondaine du narrateur qui fréquente duchesses et salons aristocratiques.
A moins qu’il ne faille lire quelque chose de plus fondamental dans cette intéressante féminisation, qui est la marque du passage de l’essai au roman : le pain grillé devenant une madeleine et le grand-père une grand tante.
Par exemple en la mettant en relation avec ce qu’affirment éditeurs et libraires. Ils signalent en effet que les lecteurs d’essais sont majoritairement des hommes, et que les lecteurs des romans, eux, sont des lectrices…
Alors, ami lecteur ? Amie lectrice ?
(Publié aussi dans Le Blog d’Alain Bagnoud)