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  • LE CYNISME ORDINAIRE

    skulls_dees-1.jpgPAR ANTONIN MOERI





    L’autre jour, une amie me ramenait à la maison. Dans sa Peugeot réglée pour les pré-alpes, nous écoutions à la radio un entretien avec l’auteur de « Gomorra ». Celui-ci prononça quelques phrases qui m’ont ému. Ayant appris qu’un crime venait d’être commis par les maffieux, il se rendit sur les lieux et fut littéralement horrifié. Les tueurs étaient venus dans un commerce de téléphonie mobile pour y abattre le gérant. Celui-ci étant absent, ils ont flingué l’apprenti qui n’avait rien à voir avec la maffia. Alors un flic donna cyniquement un coup de pied dans le corps pour le retourner, le considérant comme celui d’un maffieux. L’écrivain dit au journaliste qui l’interviewait : je voudrais que ce genre de cynisme ne prenne jamais le dessus chez moi.
    Je songeais à ces propos de Roberto Saviano en regardant une photo parue dans un quotidien régional. On y voit un ado, les mains sur les genoux, prêt à se jeter du haut d’un immeuble de cinq étages. On apprend, dans le texte mis en page sous la photo, que d’autres garçons faisaient des commentaires cruels, « se demandant à très haute voix à quelle hauteur le corps allait rebondir ». Des policiers auraient tenté, durant trois heures, de dissuader le jeune homme. Lorsqu’il s’est écrasé sur le bitume, les copains « se sont précipités pour prendre des photos avec leurs téléphones portables ». L’auteur de l’article laisse entendre que certains ados auraient poussé Shaun à commettre l’irréparable. Évidemment, conclut le journaliste, une cellule de crise a été mise en place au collège que fréquentait Shaun.
    La posture qu’on attend du lecteur de ce genre d’article est celle du voyeur. Je me demande s’il n’y a pas une dose de cynisme dans cette démarche. Car l’exigence de transparence de la presse pipole (on montre, on dévoile, on exhibe sans analyse ni tentative d’explication) n’est qu’un argument de vente. Pour faire de l’audience, certains animateurs télé se complaisent de la même manière dans ce qu’on pourrait appeler une « jouissance morbide ».
    Pourquoi ne pas remplacer le cynisme ordinaire par ce que George Orwell nommait la « common decency » ?

  • Les accroissements infinis

    Par Ppierre2b[1].jpgierre Béguin

     

    A l’école, le temps est loin des problèmes de baignoires qui se vident et de robinets qui fuient. Maintenant, on colle à l’actualité. J’en veux pour preuve ces deux énoncés de math soumis récemment à la sagacité des potaches du Collège:

    1. Sachant que la police genevoise réclame 21 millions de nos francs en heures supplémentaires pour trois semaines d’Eurofoot; sachant de plus que, durant cette période, il n’y eut à Genève que trois matches dont un seul véritablement à risques, tracez l’asymptote des dérives (ées) policières puis calculez l’intégrale de ses délires revendicateurs afin de déterminer à quel prix de l’heure la police genevoise se moque de nous.

    2. Sachant que des bataillons de CRS français furent invités tous frais payés plus solde dans un hôtel 4 étoiles pendant les trois semaines sus mentionnées – enchantés de leurs vacances, ils ont promis de revenir – et sachant par ailleurs que, spécialement en prévision de ce même événement, une passerelle spéciale a été construite à coût de millions (par un député libéral, merci la politique!) du Bachet au Stade de la Praille; sachant en outre que ladite passerelle spéciale, parce qu’elle  ne répondait pas aux normes de sécurité en vigueur lors des événements spéciaux pour laquelle elle a été spécialement construite, s’est révélée spécialement inutile durant l’Euro – comme elle le sera à l’avenir pour tous les événements spéciaux qui seuls, pourtant, justifiaient sa réalisation –, calculez, dans le cadre de la  théorie sur les endomorphismes dégénérés, le carré de l’exposant  du taux d’incompétence des politiciens genevois.

    Attention : Afin de rester dans des chiffres décents, ne prenez pas en considération la dernière cacophonie concernant la fumée dans les lieux publics.

    Résultats? Vous allez être surpris et déçus en bien: pour une fois, on fait mieux que les Vaudois qui, pourtant, possédaient déjà le théorème de Rolle. C’est en cherchant les réponses aux deux problèmes ci-dessus, et alors qu’il se débattait dans un océan d’interrogations tout en s’agrippant fermement à la fameuse formule de Sailor, qu’un étudiant a découvert le théorème des accroissements infinis. Un théorème bien de chez nous, typiquement genevois donc, que le monde entier nous envie. Ô fierté cantonale, quand tu nous tiens!

  • Au lieu des corps, de Pascal Rebetez

    Par Alain Bagnoud

    aulieu2.jpgOn en parlait à la dernière rencontre apéritive de Blogres, entre tous ceux dont les noms figurent ci-dessus. Que faire au sujet de nos propres livres? Les évoquer, au risque qu'on nous accuse de pratiquer le renvoi d'ascenseur? Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné?
    Mais deux choses ont été vite évidentes pour les Blogres que nous sommes.
    1. Si nous apprécions un livre et que nous avons envie de le dire, pourquoi nous priverions-nous?
    2. Rien ne nous force à chroniquer les productions des autres dans le cas contraire.
    Et puis si vous trouvez que ça tourne trop en rond, si vous voulez que nous parlions plus de vos publications, expédiez-les nous. Nous nous ferons un plaisir.
    Tout ça pour introduire le beau livre de Pascal Rebetez, Au lieu des corps. Beau à plus d'un titre. Le contenu. Les poèmes de Rebetez, tous situés par leur titre dans un lieu précis, parlent d'amour, de plénitude sensuelle et d'attente. Très charnels, très attachés aux matières, aux ambiances, aux paysages, aux humeurs, aux sensations.
    Et puis le livre lui-même. Un format original, une typographie soignée, une mise en page élégante, des illustrations de qualité. Un objet sensuel en harmonie avec le contenu.
    Il a été créé par les éditions Encre & lumière et le maître typographe-imprimeur Jean-Claude Bernard à Cannes-et-Clairan dans le Gard, qui s'adonne à la
    composition manuelle, au plomb, suivant la tradition antique de Gutenberg.
    Il y a deux éditions. L'une avec cinq illustrations quadri de l’artiste britannique Isis Olivier. L'autre, contenant les mêmes textes, avec cinq reproductions de l’artiste « postal » Michel Julliard. Avec aussi deux tirages de tête qui intègrent une oeuvre originale.
    Tenez, pour donner un peu de saveur à tout ça, je vous cite le poème le plus court du recueil (et, en fait, le plus abstrait):

    LAUSANNE

    Qui éclaire crée de la nuit
    qui aime borde l'ennui
    la chaleur se nourrit du froid
    le soleil ne voit pas son ombre.

    Pascal Rebetez, Au lieu des corps, Encre et lumière, diff. Zoé

    (Publié aussi, réduit, dans Le blog d'Alain Bagnoud)

     

  • Pour tant de maux…

    par Pascal Rebetez

     

     

    En guise d’épitaphe pour les flambeurs banqueroutiers, ce petit poème d'autrefois :

     

     

    Pour tant de maux,

    Pour tant de larmes, assez de mots :

    Des armes.

     

     

    Une balle vous tue ;

    Une balle vous sauve.

    C’est à vous de choisir

    La balle qu’il vous faut

    Pour vivre ou pour mourir.

     

     

    Robert Ganzo, Tracts, 1942
  • Les corbeaux sont toujours là

    PAR SERGE BIMPAGE

    anne bisang.jpgMoment de joie exceptionnelle, mardi, à la première de « Les Corbeaux », à la Comédie ! Anne Bisang signe ici sa meilleure mise en scène. Elle a su donner une contemporanéité et insuffler un rythme effréné à cette pièce du XIXème qui traite de la voracité des hommes d’affaires et de la place des femmes dans la société. Quant aux acteurs, emmenés par une Yvette Théraulaz au mieux de sa forme, tous ou presque – pianiste compris –  sont sous l’effet d’une inspiration contagieuse. Une mention toute spéciale pour la jeune Prune Beuchat, dont le naturel et l’inventivité de jeu est aussi percutant qu’époustouflant.
    Un grand moment, oui. Qui fait du bien par les temps qui courent. Non seulement le sujet a de quoi donner à penser en cette époque où l’argent et le pragmatisme cynique prennent le pas sur toute solidarité ; mais par elle-même, cette création à l’enthousiasme et au talent collectif subjuguants, constituent un défi des plus tonique à la morosité ambiante. Décidément, Anne Bisang, au fil des saisons, a su imposer au travers de ses choix esthétiques un théâtre qui dérange dans le meilleur sens du terme. Un vrai théâtre, qui n’a que faire des conventions. Le choix de « Les Corbeaux », pièce qui révolutionna jadis les canons théâtraux traditionnels, de même que son remarquable traitement, fera date dans l’histoire du boulevard des Philosophes.