LE CYNISME ORDINAIRE (07/10/2008)
PAR ANTONIN MOERI
L’autre jour, une amie me ramenait à la maison. Dans sa Peugeot réglée pour les pré-alpes, nous écoutions à la radio un entretien avec l’auteur de « Gomorra ». Celui-ci prononça quelques phrases qui m’ont ému. Ayant appris qu’un crime venait d’être commis par les maffieux, il se rendit sur les lieux et fut littéralement horrifié. Les tueurs étaient venus dans un commerce de téléphonie mobile pour y abattre le gérant. Celui-ci étant absent, ils ont flingué l’apprenti qui n’avait rien à voir avec la maffia. Alors un flic donna cyniquement un coup de pied dans le corps pour le retourner, le considérant comme celui d’un maffieux. L’écrivain dit au journaliste qui l’interviewait : je voudrais que ce genre de cynisme ne prenne jamais le dessus chez moi.
Je songeais à ces propos de Roberto Saviano en regardant une photo parue dans un quotidien régional. On y voit un ado, les mains sur les genoux, prêt à se jeter du haut d’un immeuble de cinq étages. On apprend, dans le texte mis en page sous la photo, que d’autres garçons faisaient des commentaires cruels, « se demandant à très haute voix à quelle hauteur le corps allait rebondir ». Des policiers auraient tenté, durant trois heures, de dissuader le jeune homme. Lorsqu’il s’est écrasé sur le bitume, les copains « se sont précipités pour prendre des photos avec leurs téléphones portables ». L’auteur de l’article laisse entendre que certains ados auraient poussé Shaun à commettre l’irréparable. Évidemment, conclut le journaliste, une cellule de crise a été mise en place au collège que fréquentait Shaun.
La posture qu’on attend du lecteur de ce genre d’article est celle du voyeur. Je me demande s’il n’y a pas une dose de cynisme dans cette démarche. Car l’exigence de transparence de la presse pipole (on montre, on dévoile, on exhibe sans analyse ni tentative d’explication) n’est qu’un argument de vente. Pour faire de l’audience, certains animateurs télé se complaisent de la même manière dans ce qu’on pourrait appeler une « jouissance morbide ».
Pourquoi ne pas remplacer le cynisme ordinaire par ce que George Orwell nommait la « common decency » ?
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