Les Carnets de CoraH (Épisode 14)
Épisode 14 : du réel à l’idée, de la fleur à l’abstraction.
Si Noël est une période faste pour la lecture, celle de fin d’année favorise une rétrospective de ces 14 rendez-vous hebdomadaires qui ont débuté le 1er octobre dernier. Qui aurait imaginé que ces Carnets tiennent le cap des trois mois ? Les Blogres, peut-être, qui m’ont accueillie dans cet espace virtuel les bras ouverts ? Ou Georgette et Émilie, mes première lectrices ? Grâce aux ailes qui me poussent, je vous ai sans retour ouvert la porte de mon imaginaire.
Je me souviens du concept de départ, partager mes lectures, en explorer le ressenti plus que l’analyse comme s’il s’agissait d’une écoute attentive d’un message devenu inaudible dans la masse du monde.
Je me souviens aussi que tout a commencé avec cette question : que reste-t-il de nos lectures ? J’ai voulu montrer le hapax que fut la grâce performative du manuscrit de Georgette’s Gardens, où j’ai noté, dans les marges, des fleurs particulières telles ces morning glories (gloires du matin) ou ces nasturtiums (capucines). Les mots se sont dilatés et ont augmenté l’expérience commune d’une couleur safranée ou bleutée, d’une texture sensorielle inouïe et d’une intention folle de liberté. Regardez comme elles débordent de la jardinière en terre cuite et s’enroulent autour du pin parasol ! Les mots-fleurs symbolisent nos désirs. Ils sont à la fois particuliers et universels.
La poésie des Jardins m’a ouvert l’univers des peintres, en particulier celui de Georgia O’Keeffe qui accompagne mes textes depuis le 3e épisode. Ici, l’artiste américaine a peint une série d’arisèmes (Jack-in-the-pulpit ou petit prêcheur au Québec car cette plante ressemble à un prédicateur drapé dans sa chaire de vérité). Cette série de représentations aux formes simplifiées tend à la ligne pure, à l’abstraction. De la plante captée par l’œil du peintre (capturée ?), à la figuration sur la toile, Georgia O’Keeffe a réussi le pari fou de se rapprocher le plus possible de l’abstraction. Au bout de la lignée, l’anthère, cette partie de l’étamine sur laquelle porte toute l’attention, est à la fois magnifiée et lumineuse. À la fois reconnaissable et substituable.
La lecture est une rencontre de plusieurs sensibilités artistiques qui entrent en vibration. Dans ce magma confus du réel et de l’imaginaire, ont surgi malgré moi, deux créatures étranges (le souvenir du viol du corbeau et le rêve du gypaète), deux oiseaux aux messages distincts, l’un menaçant, condamné aux travaux forcés dans l’île aux supplices, l’autre de bonne augure comme une figure tutélaire, un casseur d’os ou un suceur de substantifique moëlle.
Voilà où j’en suis aujourd’hui, un gypaète sur l'épaule et des fleurs de poètes plein les oreilles. Les sens ouverts avant que l’idée ne surgisse. J’observe le chemin parcouru et je m’étonne. Lire pour arriver ici. Maintenant.
Je me souviens aussi d’avoir été censurée.
Le rêve qui est né dans la nuit du 1er décembre me hante encore. Peut-être n’a-t-il pas tout révélé de son sens ? Il m’est apparu obstiné, brut, visqueux et disgracieux comme un oisillion cassant la coquille ou un agneau au sortir de la panse.
Alpes, discret et timide, mais aussi nécessaire et utile, c’est pourquoi il est aujourd’hui protégé dans nos montagnes.
Quand le mot a surgi phosphorescent au bout de ma nuit, j’ai tout de suite aimé sa sonorité, sa racine féminine auxquelles j’ai ajouté le cendré de ses anciennes vies tel un phoenix. Il y a du gynécée dans ce mot. Il y a de la détermination et de l’affirmation.
Mes rêves sont des cordons ombilicaux sans lien, coupés du corps. Sans tête ni queue comme un boyau naissant.
Mais quelquefois (trop rarement), les rêves surgissent et me foudroient d’une énigme. Ce fut le cas du « gypaète cendré » qui a traversé obstinément ma nuit pour naître dans le 10e épisode de mes Carnets. S’agissait-il d’un heureux présage ou d’un signe macabre ?
Sur mes os s’incruste la toile de mes songes enfouis.

Les mots
Dès aujourd’hui, durant la nuit des longues échelles (l’Escalade genevoise) une lettre supplémentaire boucle mon nom par une échelle orientée vers l’astre élu et favorable. Tout sauf une lettre morte !
J’ai fait l’expérience de l’obscurité et la quête n’est pas accomplie,
J’avais enfant des rêves de momies bandées (celles des Cigares du Pharaon), de baleines engouffrées et de l’échelle de Jacob qui m’indiquait la direction de la lune. Mon regard suivait naturellement le haut du berceau. J’allais peut-être rejoindre mon interlocuteur privilégié, lumineux et bienveillant. Cet univers divin imprégné de légendes enfantines avait forgé en moi une autonomie précoce. Sevrée à quatre mois. Debout dès neuf mois. Appliquée au primaire, ce qui ouvrit les voies des études dès 9 ans. Survivante à 17, mariée à 21, divorcée à 33 ans, l’âge du Christ.