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cora o'keeffe

  • Les Carnets de Cora (Épisode 10)

    Épisode 10 : un tissu de rêves et de bandelettes

    georgia-okeeffe-deers-skull-with-pedernal.jpgJ’ai fait l’expérience de l’obscurité et la quête n’est pas accomplie,

    J’ai fait l’expérience du silence et le monde n’a cessé son murmure,

    J’ai fait l’expérience du néant et la mort n’est pas venue.

     Cette nuit, une image m’a été donnée en rêve. Un gypaète cendré a traversé l’enveloppe poreuse du temps. Que vient hanter cet oiseau de proie imaginaire ? Présage-t-il le retour du prédateur barbu ou du voleur d’enfance ? Il naît dans le boyau du temps, perce la paroi à coups de tête comme un bélier, prend de l’ampleur presque offensif. Que sera-t-il, phénix des Alpes protégé ou casseur d’os têtu tel Sysiphe ?

    Peut-être que ton obscurité était l’absence, cet été-là, d’une mère.
     

    Ladder to the Moon.jpgJ’avais enfant des rêves de momies bandées (celles des Cigares du Pharaon), de baleines engouffrées et de l’échelle de Jacob qui m’indiquait la direction de la lune. Mon regard suivait naturellement le haut du berceau. J’allais peut-être rejoindre mon interlocuteur privilégié, lumineux et bienveillant. Cet univers divin imprégné de légendes enfantines avait forgé en moi une autonomie précoce. Sevrée à quatre mois. Debout dès neuf mois. Appliquée au primaire, ce qui ouvrit les voies des études dès 9 ans. Survivante à 17, mariée à 21, divorcée à 33 ans, l’âge du Christ.

    Combien de fois faut-il renaître pour comprendre sa destinée ?

    Corah : étoffe de soie écrue, non teinteJ’aime me penser en tissus de toutes sortes, à la fois fond, trame et support. Un enchevêtrement d’éléments liés tel un textile ! Née des vers à soi, ceinte de toute part et pansée comme une momie. 

     

  • Les Carnets de Cora (Épisode 6)

    Épisode 6 : où il est question d’une pensée noire et de myosotis

    Pensée noire…

    170312-georgia-okeeffe-brooklyn-museum-10_bq9qnz.jpegLa création de l’île aux supplices dans le 5e épisode des Carnets a déclenché en moi une douleur séculaire et incandescente. Les mots ont peut-être ouvert un chemin mystérieux exprimant une peine ineffable et si longtemps inaudible — et non muette. De la crypte profanée à la confidence publique et partagée dans la masse du monde, quelle sacrée rotation!

    Motus…

    Aujourd’hui dans la presse genevoise, je lis le témoignage d’anciennes élèves prises au piège du mode opératoire d’un professeur et doyen de collège dans les années 80 et 90. Bâillonnées par la peur elle n’ont pas osé porter plainte. Auront-elles, Sandra*, Léa*, Agathe* et Claire*, le courage d’aller aujourd’hui plus loin ?

    Myosotis….

    Après le « viol du corbeau » il ne m’a pas suffi de parler ou de me confier. Il y a des récits inaudibles et des réalités imperceptibles. Que faire d’une parole qui paralyse et plonge les confidents dans l’impuissance ? J'avais survécu. On ne pouvait pas me demander de combattre ni de militer, c’est pourquoi je loue ceux qui le font pour moi, pour les autres, pour changer l’imaginaire collectif. J’ai donc quitté le vieux continent et me suis installée à Toronto dans les années 80.

    Forget-me-not….
    IMG_2013.JPGSuspendue dans l’air frais de novembre, bien au chaud dans une couverture de laine, je me laisse bercer au-dessus du tapis artificiel qui recouvre mon petit coin de terre entre Thonon et Evian. Toujours verdoyant malgré le gel et l’humidité. Aucun entretien si ce n’est le balayage des feuilles l'hiver venu. Je pense d’ailleurs à le changer, à mettre du vrai gazon mais j’aime sa couleur, sa texture quand la mousse le recouvre par endroit, surtout aux pieds des chênes. Mon hamac est bien amarré et je ne pense qu’à me sauver dans la lecture.

    Vergiss mich nicht...

    1287150_f.jpg.gifLe livre qui s’ouvre à moi est un appel, une magnifique voie nomade Heureux qui comme*. J’ai suivi Georgette et Émilie dans leurs jardins, je suis maintenant Clément qui trouve refuge dans les arbres ! Il a même baptisé son fidèle aulne, « Schiller » en raison de son allure, son spleen échevelé. Les arbres sont des paradis cachés. Reviens-y ! Quel bonheur !

     

     

     

     

    * Heureux qui comme de Bernadette RICHARD, Genève, Éditions D'autre part, 2017.

  • Les Carnets de Cora (Épisode 3)

    par Cora O'Keeffe

    Épisode 3 : où il est question de gloires du matin, d’un hamac et d’un ermitage…

    keeffe3.jpg Le manuscrit de Georgette’s Gardens * a été un hapax existentiel pour la lectrice que je suis. Je peux même dire que Cora est née de cette fascination des mots. Il suffit d’évoquer un massif de morning glories pour que ma rotation s’opère. La vigueur de leurs tiges pourtant si fines m’impressionne, tant elles sont volontaires quand elles s’enroulent autour d’un tuteur de fortune et si rapides à éclore. L’image qui en découle m’élève imperceptiblement et je me réjouis de ce bleu profond. Georgette les décrit avec une telle exactitude, une véritable sensualité que ces fleurs évoquent pour moi instantanément le jardin de mon ami Andy. Il avait loué à l’époque, dans le quartier de Little Italy à Toronto, un appartement de plain pied qui s’ouvrait sur un petit coin de verdure où il exerçait ses talents de jardinier. Je me souviens qu’il se plaignait souvent des chats du voisinage qui venaient déposer leurs crottes sur ses plates-bandes, pourquoi justement les siennes ? Mais qu’il était intarissable quand il racontait sa palissade recouverte de gloires du matin. Il m’appelait le dimanche matin avec son téléphone sans fil et se baladait pieds nus dans l’herbe, une mug de café dans l’autre main. J’imaginais sans peine le tableau qui s’offrait à nos yeux.


    Tous les week-ends, je file avec mon bien-aimé dans notre maison de vacances à Publier, en France. Sur le terrain qui mène au lac poussent deux immenses chênes, j’y ai fixé un hamac. C’est là que j’aime lire suspendue au pied de leur souveraine majesté. Aujourd’hui je m’y suis installée confortablement, emmitouflée dans une couverture bien chaude. Les feuilles commencent à tomber autour de moi, je sens leur présence dans l’air. Le ciel d’automne est d’un bleu intense. Au fur et à mesure de la lecture, j’annote les pages avec un crayon. J’y laisse des ob_894612_sous-le-silence-eugenie-baud-bachten.jpgtraces rudimentaires dans la marge : un trait vertical ou deux selon l’impact, une croix pour le retentissement et un cercle pour les mots qui me cognent. Parfois j’écris des commentaires dans les respirations du texte.


    En ce moment, à l’abri des chênes, j’y ai emporté le livre d’une artiste établie à Genève qui écrit et réalise des collages *. C’est l’histoire (si j’ai bien compris, car dans toute lecture il y a des zones d’aveuglement) d’une vocation qui prend conscience de ses origines. Ici, l’auteur lie sa nécessité d’écrire au don libre et sauvage de sa grand-mère, une chanteuse d’opéra qui avait la voix d’une Lorelei.

    Bien qu’elle enchantât un public aux quatre coins du monde, elle anéantissait son entourage (ses quatre enfants surtout) par ses absences et sa désertion. (Comment lui pardonner la solitude de Rose, sa fille morte à vingt ans espérant encore la revoir un jour ? J’en ai les larmes aux yeux et j’aimerais 2017-10-14-PHOTO-00000133.jpgtellement mettre Rose dans un jardin. Peut-être que Georgette m’y aidera. Je suis sûre qu’il doit y avoir un jardin à inventer pour les personnages de roman, qui sont morts trop tôt, injustement, dans une solitude orpheline.)


    L’auteur invente avec ses mots, la voix sublime qu’elle n’a pourtant jamais entendue et sonde le douloureux héritage d’Eugénie. Dénouer les fils de l’histoire familiale n’est pas sans risque, alors elle a besoin de protection, d’un espace pour écouter et accueillir la parole des ancêtres. Et ce lieu (je n’invente rien) est un jardin ! (Comme Georgette serait heureuse d’apprendre qu’il y a à Genève, un ermitage accueillant des migrants d’origine lointaine, ayant pour seul rempart, non pas des clôtures ou des haies de thuyas, mais des pivoines et des roses par-dessus lesquelles on peut se faire des signes, se saluer ! Peut-être même y a-t-il quelques gloires du matin).

     

     

  • Les Carnets de Cora (Épisode 2)

    par Cora O'Keeffe


    Épisode 2 : Quelles clés ouvrent l'imaginaire ?

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    Quel livre, suffisamment habile et riche en évocations, a la force de me transformer au point de me détourner de moi-même et de me plonger dans un exil encore plus profond que le mien ? J’aime aller à l’aventure par l’effet de paroles sortilèges, parfois nostalgiques, parfois fraîches, qui m’ébranlent et me dépouillent. J’aime la sensualité et le charme des mots sur la page, leur caractère policé, leur polyphonie baroque, leur exactitude qui s’abîme en moi dans une chute clairvoyante.

    Il y a eu l’effet mystérieux du Grand Meaulnes où j’ai puisé un je ne sais quoi dans le sillon de cinq lectures consécutives, peut-être la clé d’un univers séparé, aux confins de l’adolescence. Il y a pour moi, aujourd’hui, l’effet de Georgette’s Gardens, un manuscrit de 250 pages qui m’est parvenu le 8 septembre dernier dans ma boîte de réception électronique*. Je tiens désormais dans les mains un objet curieux dont j’explorerai ici la magie envoûtante. C’est le roman (ou un long poème) de Georgette, une bibliothécaire à la retraite, qui a trouvé dans les livres une forme de réconfort. Elle vit à Toronto (comme moi dans mon ancienne vie où je l’ai peut-être rencontrée). Dans ses carnets, elle prend des notes en anglais bien qu’elle soit française d’origine. Mot à mot, elle invente des jardins imaginaires, des lieux paisibles où elle vient se ressourcer.

    Comment la magie d’un livre opère-t-elle ? Comment un manuscrit se transforme-t-il en alter ego, en âme sœur ? Comme s’il y avait un avant et un après du livre. Un hapax, disent les philosophes. Quelque chose d’unique qui nous transforme brusquement et modifie nécessairement notre histoire.

    Les livres ont ce pouvoir, je le sais. Mon bien-aimé écrit des livres, c’est sa passion secrète. Il écrit sur des femmes réelles et rêvées. Il a même consacré, dans son dernier ouvrage, un chapitre à notre rencontre, dans le hall de l’hôtel Skydome de Toronto. Vittorio, mon collaborateur et ami, était là aussi, ainsi que Claude, son ami et éditeur. Le personnage qu’il décrit et qui porte mon nom dans le roman n’est pas totalement moi évidemment, même s’il est vrai que j’ai eu le cœur mitraillé quand il a quitté le groupe au bras d’Annie R. et qu’ils ont disparu tous les deux dans l’ascenseur de l’Hôtel. C’est ainsi qu’a commencé notre histoire par les livres, les mots et les lettres.

    Je m’appelle Cora O’Keeffe. Je vis à Genève où j’enseigne le français et la philosophie. O’Keeffe est le nom de mon ex mari canadien.

     

     

  • Les Carnets de Cora O'Keeffe (Épisode 1)

    On nous a reproché, parfois, à Blogres, d'être un club exclusivement masculin. Ce qui n'était pas faux — même si, quelquefois, nous avons ouvert nos colonnes à des contributions féminines. C'est pourquoi, aujourd'hui, nous sommes particulièrement heureux d'accueillir parmi nous Cora O'Keeffe, enseignante d'Anglais à Genève et surtout grande lectrice. Elle nous fera partager, une fois par semaine, les plus belles pages de ses carnets. 

    Blogres. 

    Épisode 1 : Qui est Cora O'Keeffe ?

    grand meaulnes,lecture,cora o'keeffe,toronto,francophonieIl y a longtemps, on m’a dit que j’étais une bonne lectrice. Je peux dire aujourd’hui que j’en suis enfin fière et que je courtise dans mon cœur ce compliment venant d’un homme brillant, un Français, très érudit, décoré des palmes académiques. Un éditeur francophone pour qui je travaillais dans le Canada anglophone. Pourtant, je ne suis pas une lectrice érudite, j’aime lire et certains mots me font chavirer. Certains me font même perdre la tête. C’est pour des mots écrits sur du papier lettre de l’hôtel Skydome de Toronto que j’ai traversé l’Océan. C’est de ce ravissement que je parle quand j’aime. Parfois, d’une lecture il ne me reste presque rien, rien d’analytique en tout cas, rien que l’on pourrait saisir dans quelque schéma. Je me suis d’ailleurs souvent sentie à l’écart, en perte de mots et de perspective quand on me demande si j’ai lu tel ou tel livre. Je manque sûrement d’intelligence. 


    Chaque printemps je lisais Le Grand Meaulnes. Cinq années de suite à l’arrivée des beaux jours en mars quand la lumière change de teinte et devient d’une clarté éblouissante et reconnaissable entre toutes, je reprenais mon exemplaire tout écorné de l’année précédente et me mettais à le relire en pensant à Corinna Bille qui le chérissait tant. Peut-être était-ce une lecture clandestine qui ne m’était pas destinée et que j’observais avec fascination ? Peut-être était-ce un devoir de transmission qui me portait sans m’emporter ? Quelle magie a pourtant opéré alors que l’empreinte s’est fondue en moi ? Quelle trace me reste-t-il de mes lectures ? Une fête mytérieuse ? des adolescents en quête d’aventure ? un coup de foudre éclatant et explosif ? la disparition de la fiancée aux noces de Galais ? 

    Je m’appelle Cora O’Keefe, je suis enseignante à Genève. J’écris pour Blogres, le blog des écrivains de la Tribune de Genève qui invite la lectrice que je suis à m’exprimer en toute liberté.