Les Carnets de Cora (Épisode 10)
Épisode 10 : un tissu de rêves et de bandelettes
J’ai fait l’expérience de l’obscurité et la quête n’est pas accomplie,
J’ai fait l’expérience du silence et le monde n’a cessé son murmure,
J’ai fait l’expérience du néant et la mort n’est pas venue.
Cette nuit, une image m’a été donnée en rêve. Un gypaète cendré a traversé l’enveloppe poreuse du temps. Que vient hanter cet oiseau de proie imaginaire ? Présage-t-il le retour du prédateur barbu ou du voleur d’enfance ? Il naît dans le boyau du temps, perce la paroi à coups de tête comme un bélier, prend de l’ampleur presque offensif. Que sera-t-il, phénix des Alpes protégé ou casseur d’os têtu tel Sysiphe ?
Peut-être que ton obscurité était l’absence, cet été-là, d’une mère.
J’avais enfant des rêves de momies bandées (celles des Cigares du Pharaon), de baleines engouffrées et de l’échelle de Jacob qui m’indiquait la direction de la lune. Mon regard suivait naturellement le haut du berceau. J’allais peut-être rejoindre mon interlocuteur privilégié, lumineux et bienveillant. Cet univers divin imprégné de légendes enfantines avait forgé en moi une autonomie précoce. Sevrée à quatre mois. Debout dès neuf mois. Appliquée au primaire, ce qui ouvrit les voies des études dès 9 ans. Survivante à 17, mariée à 21, divorcée à 33 ans, l’âge du Christ.
Combien de fois faut-il renaître pour comprendre sa destinée ?
Corah : étoffe de soie écrue, non teinte. J’aime me penser en tissus de toutes sortes, à la fois fond, trame et support. Un enchevêtrement d’éléments liés tel un textile ! Née des vers à soi, ceinte de toute part et pansée comme une momie.
La création de l’île aux supplices dans le 5e épisode des Carnets a déclenché en moi une douleur séculaire et incandescente. Les mots ont peut-être ouvert un chemin mystérieux exprimant une peine ineffable et si longtemps inaudible — et non muette. De la crypte profanée à la confidence publique et partagée dans la masse du monde, quelle sacrée rotation!
Le livre qui s’ouvre à moi est un appel, une magnifique voie nomade Heureux qui comme*. J’ai suivi Georgette et Émilie dans leurs jardins, je suis maintenant Clément qui trouve refuge dans les arbres ! Il a même baptisé son fidèle aulne, « Schiller » en raison de son allure, son spleen échevelé. Les arbres sont des paradis cachés. Reviens-y ! Quel bonheur !
traces rudimentaires dans la marge : un trait vertical ou deux selon l’impact, une croix pour le retentissement et un cercle pour les mots qui me cognent. Parfois j’écris des commentaires dans les respirations du texte.
tellement mettre Rose dans un jardin. Peut-être que Georgette m’y aidera. Je suis sûre qu’il doit y avoir un jardin à inventer pour les personnages de roman, qui sont morts trop tôt, injustement, dans une solitude orpheline.) 
Il y a longtemps, on m’a dit que j’étais une bonne lectrice. Je peux dire aujourd’hui que j’en suis enfin fière et que je courtise dans mon cœur ce compliment venant d’un homme brillant, un Français, très érudit, décoré des palmes académiques. Un éditeur francophone pour qui je travaillais dans le Canada anglophone. Pourtant, je ne suis pas une lectrice érudite, j’aime lire et certains mots me font chavirer. Certains me font même perdre la tête. C’est pour des mots écrits sur du papier lettre de l’hôtel Skydome de Toronto que j’ai traversé l’Océan. C’est de ce ravissement que je parle quand j’aime. Parfois, d’une lecture il ne me reste presque rien, rien d’analytique en tout cas, rien que l’on pourrait saisir dans quelque schéma. Je me suis d’ailleurs souvent sentie à l’écart, en perte de mots et de perspective quand on me demande si j’ai lu tel ou tel livre. Je manque sûrement d’intelligence.