Les Carnets de CoraH (Épisode 14) (31/12/2017)
Épisode 14 : du réel à l’idée, de la fleur à l’abstraction.
Si Noël est une période faste pour la lecture, celle de fin d’année favorise une rétrospective de ces 14 rendez-vous hebdomadaires qui ont débuté le 1er octobre dernier. Qui aurait imaginé que ces Carnets tiennent le cap des trois mois ? Les Blogres, peut-être, qui m’ont accueillie dans cet espace virtuel les bras ouverts ? Ou Georgette et Émilie, mes première lectrices ? Grâce aux ailes qui me poussent, je vous ai sans retour ouvert la porte de mon imaginaire.
Je me souviens du concept de départ, partager mes lectures, en explorer le ressenti plus que l’analyse comme s’il s’agissait d’une écoute attentive d’un message devenu inaudible dans la masse du monde.
Je me souviens aussi que tout a commencé avec cette question : que reste-t-il de nos lectures ? J’ai voulu montrer le hapax que fut la grâce performative du manuscrit de Georgette’s Gardens, où j’ai noté, dans les marges, des fleurs particulières telles ces morning glories (gloires du matin) ou ces nasturtiums (capucines). Les mots se sont dilatés et ont augmenté l’expérience commune d’une couleur safranée ou bleutée, d’une texture sensorielle inouïe et d’une intention folle de liberté. Regardez comme elles débordent de la jardinière en terre cuite et s’enroulent autour du pin parasol ! Les mots-fleurs symbolisent nos désirs. Ils sont à la fois particuliers et universels.
La poésie des Jardins m’a ouvert l’univers des peintres, en particulier celui de Georgia O’Keeffe qui accompagne mes textes depuis le 3e épisode. Ici, l’artiste américaine a peint une série d’arisèmes (Jack-in-the-pulpit ou petit prêcheur au Québec car cette plante ressemble à un prédicateur drapé dans sa chaire de vérité). Cette série de représentations aux formes simplifiées tend à la ligne pure, à l’abstraction. De la plante captée par l’œil du peintre (capturée ?), à la figuration sur la toile, Georgia O’Keeffe a réussi le pari fou de se rapprocher le plus possible de l’abstraction. Au bout de la lignée, l’anthère, cette partie de l’étamine sur laquelle porte toute l’attention, est à la fois magnifiée et lumineuse. À la fois reconnaissable et substituable.
La lecture est une rencontre de plusieurs sensibilités artistiques qui entrent en vibration. Dans ce magma confus du réel et de l’imaginaire, ont surgi malgré moi, deux créatures étranges (le souvenir du viol du corbeau et le rêve du gypaète), deux oiseaux aux messages distincts, l’un menaçant, condamné aux travaux forcés dans l’île aux supplices, l’autre de bonne augure comme une figure tutélaire, un casseur d’os ou un suceur de substantifique moëlle.
Voilà où j’en suis aujourd’hui, un gypaète sur l'épaule et des fleurs de poètes plein les oreilles. Les sens ouverts avant que l’idée ne surgisse. J’observe le chemin parcouru et je m’étonne. Lire pour arriver ici. Maintenant.
Je me souviens aussi d’avoir été censurée.
00:05 | Tags : carnets de corah; toronto; georgia o'keeffe; | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Très chère Cora H,
L'image est un merveilleux messager. Enfant, puis adolescente j'ai souvent écrit sous l'emprise d'une image qui me permettait de développer toute une histoire ou un poème nés de mon imaginaire et de mon inconscient. Aujourd'hui, les collages à l'aide d'images volées aux magazines me permettent d'inventer d'autres mondes sortis de ce magma qui repose en moi et que je ne comprend qu'une fois le tableau achevé (et encore, pas toujours).
Mais la lecture, notre passion commune, me procure aussi parfois ce même effet. Ne me suis-je pas surprise cet près-midi même, en plein cœur d'un récit poétique de Geneviève Bergé "Les Chignons" en train d'écrire dans ma tête un autre livre, le mien, inspirée et activé par la poésie échevelée que je savourais?
Pour en venir à votre texte d'aujourd'hui, qui une fois de plus m'a embarquée dans de lointains horizons, je me suis prise à me demander ce que vous disaient à l'oreille ces fleurs de poète, et ce point d'interrogation- à l'envers- lu dans le pistil d'un arisème de Georgia O'Keeffe, cette fleur qui contient en son nom le mot -sème-. Que va donner pour vous la semence, dans cette année qui se lève tout juste?
J'espère, que pour vous CoraH, ce sont graines de folie et d'imagination, de joie et de délices.
Sincèrement vôtre
Frédérique Baud Bachten
Écrit par : Frédérique Baud Bachten | 01/01/2018
Très chère Frédérique,
Vous écrivez à partir d'une image. Pouvez-vous m'en donner un exemple ? En vous lisant j'ai eu l'impression que l'image vous guidait jusqu'au sens. Et en regardant vos collages, je me rends compte qu'il y a quelque chose en effet qui vous éclaire et vous mène. Les objets volés puis déchirés donnent ainsi une autre image, un autre sens à déchiffrer. Il y a une cohésion remarquable! La création est bien étrange.
J'aime votre lecture du point d'interrogation que forme l'anthère de l'arisème de Mrs O'Keeffe. J'y vois une baguette de prêtresse !
Les fleurs de poètes me donnent l'espoir d'une nouvelle semaison. Qui sait peut-être une floraison de coquelicots ?
Bien à vous,
Corah
Écrit par : Cora O'Keeffe | 09/01/2018