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  • Quel réalisme?

     

     

     

     

    par antonin moeri

     

     

     

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    Je lis et relis avec un enthousiasme sans cesse renouvelé ce qu’il est convenu d’appeler les «nouvelles» de Maupassant et, plus particulièrement, ce que les éditeurs de livres de poche nomment ses «contes fantastiques». Je savais que Maupassant gagnait sa vie en écrivant pour les journaux, mais ce que j’ignorais c’est à quel point la contrainte journalistique stimula son esprit créatif, l’obligeant à déroger à son propre credo esthétique. J’ai donc lu avec curiosité un essai paru aux Editions de l’Hèbe: «Maupassant, quel genre de réalisme?», dans lequel Timothée Léchot interroge la vraisemblance des récits brefs de cet écrivain hors normes.

    On peut en effet se demander si Maupassant fut un auteur réaliste, au sens où l’entendent les critiques et les professeurs. Préférer le banal et l’ordinaire à l’exceptionnel et au romanesque, chercher «son inspiration dans la réalité et dans le quotidien de ses contemporains» caractériseraient, selon les manuels d’histoire littéraire, le travail d’un écrivain réaliste. En ce sens, on pourrait qualifier l’auteur d’ «Une vie» de réaliste (ce qu’il fut, selon Timothée Léchot, dans ses romans). Mais s’attacher à une reproduction exacte de la réalité ne peut être «la condition sine qua non d’une oeuvre littéraire». Ce qui est indispensable, pour Maupassant, «c’est l’originalité du regard et la qualité de la rédaction». «La recherche obstinée de la vérité ne suffit pas à un projet littéraire.» Plus que la vérité, nous confie Maupassant, c’est l’impression de réalité qui compte. Il faut, par conséquent, privilégier ce que Jakobson nommera les effets de réel.

    Dans ce que Timothée Léchot nomme les contes journalistiques, la vision du monde de l’auteur est médiatisée. Maupassant impose, entre le lecteur et lui-même, la présence forte d’un conteur qui prend la parole dans un lieu déterminé, s’adressant à un auditoire ou à un ami pour leur raconter son ou ses histoires. Léchot montre comment Maupassant naviguait entre roman et nouvelle, comment il reprenait des scènes, des descriptions, des personnages, des situations, des thèmes d’un roman pour les introduire dans une nouvelle où une autre fonction leur serait conférée et d’autres effets de réel attendus.

    Or, nous dit Léchot, les contraintes qu’impose le conte journalistique (concision, traits caricaturaux, émotions à susciter chez le lecteur) ont poussé Maupassant à mettre en scène des personnages insolites ou surprenants et des événements exceptionnels, à rédiger des histoires saisissantes par leur étrangeté, à «offrir quelque chose d’alléchant aux lecteurs des quotidiens». Sans porter aucun jugement de valeur sur ces short stories, Léchot nous montre dans son essai que Maupassant se contredisait (ce qui est le propre, concède-t-il, de tout vrai artiste) et qu’il s’est éloigné d’une doctrine, prônée dans quelques rares textes théoriques, pour développer «une autre forme de réalisme». Forme que Maupassant sut exploiter dans une perspective vénale mais qui ne diminue en rien, à mon sens, la qualité des contes destinés aux journaux. Les bonheurs d’écriture y sont si nombreux que je leur accorde sans réticence mon adhésion.

     

     

     

    Timothée Léchot: Maupassant:

    Quel genre de réalisme? Editions L’Hèbe, 2010.

     

  • Cuba libre

    Par Pierre Béguin

    fidel[1].jpgTrinidad, Cuba.

    J’attends mon repas. On attend beaucoup à Cuba. A l’aéroport. Au restaurant. A la banque. Une heure pour manger. Deux heures pour retirer de l’argent. Toute la vie pour beaucoup de choses et l’éternité pour le reste.

    Alors je lis le journal du coin. Un petit journal de 12 pages à la présentation minimaliste, triste, avec quelques photos en noir blanc. Genre Le Courrier. Peu de photos, beaucoup de mots. Le contenu? Les réflexions de Fidel sur les menaces écologiques de notre planète. En réalité, un pillage parfait des thèses de Yann Arthus Bertrand et de son dernier film Home. L’opportunité est trop belle de fustiger les dommages inhérents causés par l’hégémonie de l’activité impérialiste. 3 pages pleines donc.

    La visite de Fidel à l’aquarium. L’occasion de vanter en contrepoint les réalisations révolutionnaires. 1 page tout de même.

    Fidel en conversation avec les ambassadeurs cubains. La Révolution ouverte sur le monde. 1 page.

    Une lettre de Fidel au peuple. 1 page.

    Raoul Castro reçoit le premier ministre du Koweït. ½ page seulement. Logique. Il dirige certes, mais ce n’est que le frangin.

    Le message de Fidel à Nelson Mandela, «symbole de la liberté, de la justice et de la dignité humaine» (dixit Fidel). 2 pages.

    Leçons de vie avec le Che. On cultive le symbole cubain également. 1 page.

    L’industrie anti-cubaine de Miami. On nous apprend que la CIA a fabriqué à coup de millions de dollars le dénommé «exil cubain» (en fait, Cuba survit plutôt mal grâce au tourisme et, surtout, à l’argent que les «exilés» envoient à leur famille). 1 page.

    Reste ½ page pour le sport où l’on apprend dans la liesse que Cuba a terminé deuxième du tournoi de baseball de Harlem (au Pays-Bas bien sûr!). On ne sait pas qui a usurpé la victoire. On s’en fout d’ailleurs. De toute façon, l’année prochaine, c’est Cuba qui va gagner.

    Ça fait 11 pages, me direz-vous. Oui. La première page est une photo de Fidel embrassant Mandela.

    Je ferme le journal dans un élan de soulagement et de fierté natonale. Chez nous, un journal de même format contient plus de pages remplies de photos en couleur avec de jolies starlettes célèbres qu’on ne connaît pas, entrecoupées d’informations aussi variées qu’inintéressantes. Et surtout il est gratuit et se lit plus rapidement. 20 minutes seulement! Logique. Chez nous, on attend moins.

    Je pose le journal du coin sur un coin de table. J’attends toujours mon repas. A Trinidad, Cuba…

    PS. Que le lecteur se rassure, au moment où je mets ces lignes sur Blogres, ça fait déjà quelques semaines que j’ai avalé mon repas, et beaucoup d’autres depuis…

     

     

  • Le retour de Paul Auster

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    par Jean-Michel Olivier

    Paul Auster (né en 1947 dans le New Jersey) est un maître du roman. On se souvient de ses débuts flamboyants avec la fameuse trilogie new-yorkaise (La Cité de verre ; Les Revenants ; La Chambre dérobée*). Puis des romans souvent vertigineux, comme Moon Palace (1990) et surtout Léviathan (Prix Médicis étranger en 1993). Suit une époque où Auster, abandonnant la littérature, se lance dans le cinéma, réalisant d'honnêtes films d'ambiance (Smoke, avec Harvey Keitel). Après cette parenthèse cinématographique, le ténébreux auteur revient à la littérature, mais avec passablement de peine (pour ses admirateurs comme pour lui-même, semble-t-il). Depuis dix ans, les romans se suivent, inégaux, ampoulés, peu enthousiasmants.

    Heureusement, le dernier livre de Paul Auster, Invisible, renoue avec la veine qui a fait son succès. Comme toujours, Auster aime à brouiller les pistes. Le roman. croit-on, nous conte l'histoire d'Adam Walker, « plus beau qu'un Adonis », poète et traducteur, jeune fou de littérature, qui rencontre un couple extravagant, Margot et Rudolf Born. Elle est française et attirante et lui est invité par une Université américaine  à donner des cours d'administration. Cette rencontre va bouleverser la vie d'Adam. Et le lecteur se réjouit de découvrir son histoire. Bientôt un autre personnage intervient, Jim, ami d'université d'Adam, et écrivain à succès. Les pistes se brouillent à nouveau. Et le récit est pris en charge, désormais, par Jim, qui va enquêter sur la vie de son ami, sans jamais le rencontrer, mais en dépouillant et en mettant au net les documents qu'Adam lui envoie par la poste.

    images.jpegComme on le voit, les récits s'emboîtent les uns dans les autres. Un vertige délicieux guette le lecteur impatient de savoir le fin mot du roman. La vérité du récit est sans cesse malmenée, questionnée, remise en cause. Qui dit la vérité ? Adam Walker qui raconte sa relation particulière avec sa sœur ? Gwyn, cette sœur, qui nie tout en bloc ? Ou encore Cécile, la jeune fille amoureuse d'Adam quand il étudiait à Paris ?Ou Rudolf Born, faux professeur, mais sans doute vrai agent ssecret ?

    Superbe variation sur l'« ère du soupçon », Invisible, est une très belle réflexion sur l'art du roman, le statut de la vérité en fiction, la manipulation à laquelle se livrent les divers narrateurs du livre. Qui croire ? À qui faire confiance ? Qui tire les ficelles du destin ? Une parfaite réussite.

    * Tous les livres de Paul Auster sont édités par Actes Sud, dans une traduction (assez râpeuse) de Christine Le Bœuf.