Quel réalisme? (07/09/2010)

 

 

 

 

par antonin moeri

 

 

 

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Je lis et relis avec un enthousiasme sans cesse renouvelé ce qu’il est convenu d’appeler les «nouvelles» de Maupassant et, plus particulièrement, ce que les éditeurs de livres de poche nomment ses «contes fantastiques». Je savais que Maupassant gagnait sa vie en écrivant pour les journaux, mais ce que j’ignorais c’est à quel point la contrainte journalistique stimula son esprit créatif, l’obligeant à déroger à son propre credo esthétique. J’ai donc lu avec curiosité un essai paru aux Editions de l’Hèbe: «Maupassant, quel genre de réalisme?», dans lequel Timothée Léchot interroge la vraisemblance des récits brefs de cet écrivain hors normes.

On peut en effet se demander si Maupassant fut un auteur réaliste, au sens où l’entendent les critiques et les professeurs. Préférer le banal et l’ordinaire à l’exceptionnel et au romanesque, chercher «son inspiration dans la réalité et dans le quotidien de ses contemporains» caractériseraient, selon les manuels d’histoire littéraire, le travail d’un écrivain réaliste. En ce sens, on pourrait qualifier l’auteur d’ «Une vie» de réaliste (ce qu’il fut, selon Timothée Léchot, dans ses romans). Mais s’attacher à une reproduction exacte de la réalité ne peut être «la condition sine qua non d’une oeuvre littéraire». Ce qui est indispensable, pour Maupassant, «c’est l’originalité du regard et la qualité de la rédaction». «La recherche obstinée de la vérité ne suffit pas à un projet littéraire.» Plus que la vérité, nous confie Maupassant, c’est l’impression de réalité qui compte. Il faut, par conséquent, privilégier ce que Jakobson nommera les effets de réel.

Dans ce que Timothée Léchot nomme les contes journalistiques, la vision du monde de l’auteur est médiatisée. Maupassant impose, entre le lecteur et lui-même, la présence forte d’un conteur qui prend la parole dans un lieu déterminé, s’adressant à un auditoire ou à un ami pour leur raconter son ou ses histoires. Léchot montre comment Maupassant naviguait entre roman et nouvelle, comment il reprenait des scènes, des descriptions, des personnages, des situations, des thèmes d’un roman pour les introduire dans une nouvelle où une autre fonction leur serait conférée et d’autres effets de réel attendus.

Or, nous dit Léchot, les contraintes qu’impose le conte journalistique (concision, traits caricaturaux, émotions à susciter chez le lecteur) ont poussé Maupassant à mettre en scène des personnages insolites ou surprenants et des événements exceptionnels, à rédiger des histoires saisissantes par leur étrangeté, à «offrir quelque chose d’alléchant aux lecteurs des quotidiens». Sans porter aucun jugement de valeur sur ces short stories, Léchot nous montre dans son essai que Maupassant se contredisait (ce qui est le propre, concède-t-il, de tout vrai artiste) et qu’il s’est éloigné d’une doctrine, prônée dans quelques rares textes théoriques, pour développer «une autre forme de réalisme». Forme que Maupassant sut exploiter dans une perspective vénale mais qui ne diminue en rien, à mon sens, la qualité des contes destinés aux journaux. Les bonheurs d’écriture y sont si nombreux que je leur accorde sans réticence mon adhésion.

 

 

 

Timothée Léchot: Maupassant:

Quel genre de réalisme? Editions L’Hèbe, 2010.

 

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