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  • La puanteur des écrivains

     

    Par ANTONIN MOERI

     

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    Avec “Une rencontre”, Milan Kundera nous offre quelques exercices d’admiration. L’un d’eux a retenu mon attention: “La mort et le tralala”. Il y est question d’un des plus beaux passages du premier roman de la trilogie allemande de Louis-Ferdinand Céline: “D’un château l’autre”. J’ai aussitôt été alerté, car un écrivain moins connu que Kundera m’avait avoué l’émotion particulière que ce passage suscitait en lui à chaque nouvelle lecture. Céline y met en scène l’agonie d’une chienne qui avait partagé sa vie au Danemark, où il fut reclus pour les raisons que l’on sait. Les mots les plus simples pour suggérer ce que pouvait ressentir cet animal qui voudrait retourner dans les bois où il fuguait, à Korsör, là-haut...
    Rien d’héroïque dans cette mort, pas la moindre emphase dans son évocation. Mais pour atteindre à cette perfection littéraire, nous dit Kundera, il fallait se trouver “parmi les condamnés et les méprisés, dans la poubelle de l’Histoire, coupable parmi les coupables”. Impossible de l’atteindre, cette perfection cristalline, cette justesse de ton, cette incomparable musique du murmure, si l’on était du côté “des futurs vainqueurs”, du côté de la gloire, du côté "de l'auto-satisfaction qui veut se faire voir". Il m’est difficile de l’expliquer ce soir mais, à ces propos de Kundera, je donne mon adhésion sans réticence. Ce qui pourrait provoquer quelques réactions sur ce blog de scribes.

    Poursuivant sa salutaire démonstration, Kundera parle plus loin du destin de Brecht dans une hyper-démocratie qu'il qualifie très joliment d'"Epoque des procureurs". En effet, pour les procureurs, les génies incontournables du XXe siècle se nomment Coco Chanel, Yves Saint Laurent ou encore Bill Gates. Des romanciers, dramaturges, philosophes ou essayistes comme Cioran, Ionesco, Heidegger, Hemingway ou Brecht, il sera préférable de garder à l'esprit leur puanteur, leur compromission avec "le mal du siècle, sa perversité, ses crimes".

    Exemple: dans sa monographie consacrée à Brecht, un professeur de littérature comparée à l'université du Maryland s'efforce de démontrer en détail la bassesse d'âme de l'auteur de Baal:"homosexualité dissimulée, érotomanie, exploitation des maîtresses qui étaient les vrais auteurs de ses pièces, sympathie prohitlérienne, antisémitisme, sympathie prostalinienne, penchant pour le mensonge, froideur du coeur". Ce professeur de littérature comparée s'en prend notamment au CORPS de Brecht, à sa mauvaise odeur. A qui en douterait, le professeur de littérature comparée rétorque péremptoirement qu'il tient cette info de la photographe du Berliner Ensemble qui lui en a parlé le 5 juin 1985.

    C'est effectivement ce que retiendront les siècles à venir de "ces coryphées culturels compromis avec le mal du siècle": leur très mauvaise odeur. Je pense que le lecteur comprendra mieux pourquoi je lui conseille vivement la lecture de "Une rencontre" de Milan Kundera.

  • Polanski ou selon que vous serez génie ou financier...

    Par Pierre Béguin

     

    Dans son Voyage au Congo, André Gide condamne violemment le colonialisme. Dans le même temps, il exerce, en Algérie surtout, un colonialisme intime qui n’a rien à envier en laideur à celui qu’il condamne à raison. Le plus surprenant, c’est qu’à aucun moment il ne semble prendre conscience de cette contradiction: «Pour le bien de l’humanité, j’ai fait mon œuvre, j’ai vécu» dit-il, par la bouche de Thésée, lorsque la mort approche, justifiant ainsi ses actes par leurs effets fécondateurs sur son œuvre, et son œuvre par son apport à l’humanité. Le tour est joué: un écrivain, un artiste, pour autant qu’il accède au statut de génie, est un cas à part qui bénéficie d’une rédemption de ses actes, même les plus vils, parce que son génie, dût-il se nourrir de chair d’enfant, apporte davantage à l’humanité que ses actes les plus atroces pourraient soustraire aux principes de justice et d’égalité. Simple question de contrepoids, de balance. Au fond, Victor Hugo ne dit pas autre chose, même s’il se limite au pur constat. Relisons la fin de Le Poète (in Les Contemplations) portrait du génie et rêverie sur la création artistique et littéraire: «Sinistre, ayant aux mains des lambeaux d’âme humaine,/ De la chair d’Othello, des restes de Mac Beth,/ Dans son œuvre, du drame effrayant alphabet, / Il se repose; ainsi le noir lion des jongles/ S’endort dans l’antre immense avec du sang aux ongles.» La création, lorsqu’elle est le fait du génie, est une lutte titanesque, un combat sanglant aux conséquences parfois monstrueuses. Et le génie, comme le Shakespeare emblématique de Victor Hugo, a parfois, dans la main même qui guide sa plume, du sang aux ongles, rançon nécessaire de son statut. Il faut bien nourrir l’œuvre! Certes, de préférence, comme Prométhée, avec son propre foie et non avec la chair des petites filles, mais…

    Ces considérations pourraient-elles expliquer (et non justifier) le concert d’opinions parfois ahurissantes qui ont accompagné l’arrestation par la police suisse du cinéaste Roman Polanski? Si, en l’occurrence, les trompettes de la renommée furent particulièrement mal embouchées, on peut s’étonner de ceux qui crient au scandale contre une action visant à montrer que «le crime pédérastique, aujourd’hui ne paie plus». Ainsi d’Ursula Meier: «Pourquoi un artiste?» Oui, tiens, c’est vrai au fond, pourquoi un artiste même s’il a sodomisé une mineure de 13 ans? Ou de Lionel Baier, cinéaste, qui semble répondre à Ursula: «Ce qu’il y a derrière, c’est une méconnaissance, voire un mépris des milieux culturels de ce pays. Roman Polanski laisse une trace réelle dans l’histoire de ce siècle… » Sous-entendu, une trace qui mérite bien la primauté de son œuvre sur ses actes les plus odieux. Mais la palme revient à Jacques Chessex: «Nous avons trahi Roman Polanski, nous qui sommes une terre d’asile» Je ne sais par pour vous, mais moi, sans tomber dans une morale d’épicier, je reste stupéfait d’apprendre qu’une terre d’asile s’ouvre aussi aux responsables d’actes pédophiles. Et notre auteur de poursuivre: «Je ne dis pas que le génie justifie tout, mais un personnage de qualité universelle et la dignité esthétique de son œuvre sont un contrepoids à une affaire minime.» (sic!) Dans la même logique que Gide et Hugo, nos artistes et écrivains romands (et je ne parle pas des Ministres français) affirment au fond, avec assurance et sans vergogne, l’immunité du génie, la primauté de son œuvre sur ses actes, sa rédemption finale et l’assurance de la grâce divine. Tous ou presque lui délivrent spontanément un brevet d’innocence ou, du moins, des circonstances si atténuantes qu’elles le placent de facto au-dessus de la justice des hommes. Imaginons une seconde ce qu’aurait été la réaction de ces mêmes milieux artistiques si, à la place du célèbre metteur en scène, ce fut un financier venu chercher à la Paradeplatz le prix du plus gros bonus (bon, d’accord, je provoque un peu). Se seraient-ils scandalisés du traquenard tendu? Se seraient-ils indignés de l’incarcération d’une personnalité venue en Suisse pour y être honorée? Auraient-ils été consternés par l’image désastreuse  que cette arrestation aurait donnée de leur pays? Auraient-ils déclaré l’exception financière? Ou auraient-ils agité les grands principes républicains d’égalité devant la justice? Selon que vous serez génie ou financier… Bon, disons que Dieu reconnaîtra les siens… pour autant qu’Il s’y retrouve dans certains paradoxes. Comme celui de notre inénarrable Oskar Freysinger qui, à la surprise de tous sauf à celle de sa modeste personne, s’est joint au concert des créatifs bien-pensants en oubliant allègrement que son parti a milité pour l’imprescriptibilité des actes pédophiles. Le monde artistique et politique comme il va

    Quant aux circonstances ignobles de l’arrestation et l’odieuse domesticité des autorités suisses qui se muent en paillasson de la politique financière américaine pour préserver quelques œuvres prédatrices de nos banques et leur sacro-saint secret, pourtant inéluctablement condamné, là je rejoins entièrement certains écrivains, et notamment Jacques Chessex. Mais c’est une autre histoire. Comme celle de l’enfance de Polanski, celle de son juge au comportement pathologique ou celle de sa victime qui a pardonné. Dans l’indignation et la stupeur, ne confondons pas tout! Et surtout, évitons de nous asservir à Saint Polanski comme le fait Berne à un aigle américain qui, lui, confortablement installé dans l’axe du bien, se nourrit abondamment du foie des autres…

  • Tard pour bar: édifiant et lamentable

    Par Alain Bagnoud

    tsr_tard-pour-bar_logo.jpgTard pour Bar. Programme culturel de la TSR. 24 septembre (voir ici).

    Il faut voir l'émission. Elle est édifiante. Le spectacle lamentable qu'y donne un animateur arrogant, inculte et paresseux démontre à ceux qui en douteraient encore que la télévision n'est pas compatible avec la littérature.

    Un éditeur romand y est censé présenter sa rentrée littéraire. Mais de rentrée littéraire, il n'est pas question. L'animateur, Michel Zendali, embraye sur les journaux intimes. Il se trouve que Michel Moret, l'éditeur, en a sorti trois cette année, le sien, celui de Gérard Delaloye et celui de Raphaël Aubert.

    L'animateur passe vite sur les deux premiers, qui tournent l'un autour de l'activité d'éditeur, l'autre autour de la littérature. C'est le dernier qui va faire l'essentiel de l'émission.

    Il apparaît que Zendali ne l'a pas aimé, l'a trouvé narcissique et satisfait. Les attaques fusent. Qui est-ce que ça intéresse? Combien l'éditeur a-t-il touché de subvention pour publier ça? Zendali coupe la parole, cite des passages. Puis, finalement, il avoue qu'il n'a pas lu le livre!

    A posteriori, tout est clair. Faute de faire son travail, M. Zendali connaît ses clichés. La littérature romande, lui a-t-on dit, est nombrilique, narcissique. Alors, pour préparer son émission, M. Zendali a feuilleté un peu quelques bouquins jusqu'à ce qu'il soit tombé sur un ou deux passages qui ont conforté ses poncifs.

    Quant à la rentrée littéraire annoncée...

    - Je vais arrêter de vous étriller, maintenant, je vais vous laisser juste une minute pour dire parmi les livres que vous avez sortis, il y en a beaucoup... Dites votre coup de cœur. Un coup de cœur que vous voulez absolument défendre.

    - Eh bien, j'en ai deux.

    Le grand inquisiteur:

    - Je vous donne qu'un!

    De quoi dresser un large panorama, non?