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  • La Chute de la Maison Blocher

    Par Alain Bagnoud

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    On est désormais accoutumé aux analyses sur l'UDC, sur son apogée et sur les raisons du début de sa chute. Dans les journaux, les parlements et les cafés du commerce, on se demande pourquoi ce parti d'extrême-droite suisse a eu tellement de succès, passant en une quinzaine d'années de 12 % à 28,9 % des suffrages des citoyens, avant que, enfin, son chef ne se fasse expulser du Conseil Fédéral et que le grabuge ne s'installe dans son fonctionnement et son organisation.

    Le livre de Denis Clerc se démarque des autres par un joli titre d'abord, venu d'une nouvelle de Poe: La Chute de la Maison Blocher. Le mélange de nationalisme et de xénophobie qui est la marque de l'UDC y est réexaminé, les choses replacées dans leur contexte et leurs racines historiques commentées. Rien de très neuf là-dedans. Denis Clerc, qui a été pendant quinze ans conseiller d'Etat fribourgeois est un homme politique du centre droit qui connaît sa partition, sait délayer et répéter juste ce qu'il faut.

    Mais il y a une chose plus intéressante que toutes ces généralités dans son essai. Il expose en effet un paradoxe de l'UDC, que personne, ni ses ennemis, ni les journalistes, n'a relevé: « A aucun moment la contradiction entre la xénophobie active du parti et ses liens très forts avec les dirigeants d'une économie qui a besoin d'un million et demi de travailleurs étrangers et qui vit à 50 % du commerce avec l'étranger, à aucun moment elle n'est soulevée. »

    La contradiction est que ce sont les patrons proches de l'UDC qui ont besoin d'employés alors que l'UDC accuse la gauche et les Eglises de faire venir des gens qui amènent avec eux drogue et violence...

    Suite de quoi M. Clerc a le mérite de proposer un train de solutions pour régler le problème de la xénophobie, qui passent par l'acceptation de l'immigration en tant que phénomène économique, par des arrêtés fixant le contingent annuel de nouveaux immigrés, arrêtés soumis au référendum, etc.

    Bon, on peut trouver un peu ambiguë ou spéculatrice cette position raisonnable qui vise finalement à capter les électeurs UDC au profit des partis du centre droit. Mais enfin, le livre de M. Clerc se lit bien. L'auteur a parfois de la verve, pose quelques questions intéressantes, et n'est pas seulement fidèle à son parti, mais aussi à son nom: il est clair.

    Et puis il éprouve un enthousiasme communicatif à rappeler les claques qu'a prises récemment l'UDC et à détailler les fissures et les lézardes de la maison Blocher qui s'agrandissent. Et ça, oui, c'est délectable.

    Denis Clerc, La Chute de la Maison Blocher, L'Aire
    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud)

  • Passion triste ou joyeuse?






    Par ANTONIN MOERI

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    Au cours d’un dîner entre écrivains, l’un d’eux affirma qu’à l’époque, il y avait des acteurs comme François Simon qui avaient une aura dont seraient dépourvus ceux d’aujourd’hui. Faux! rétorqua un autre, il y a aujourd’hui des acteurs dont la personnalité est fascinante. La tendance à idéaliser le passé me fit songer à Guy Debord. Selon Frédéric Schiffter, c’est par détestation de soi-même que ce dernier intenta un procès à la société. “Il ne voit autour de lui que mensonge, imposture, usurpation, machination”. Les forces de la marchandise auraient contaminé les arts, la politique, l’architecture, le langage. La mort de l’essence aurait tué le sens.
    Il m’arrive de succomber à cette détestation du monde actuel, de nourrir la nostalgie d’un autre temps (l’Âge d’or des choses en soi) mais, dans le même temps, cette nostalgie me semble parfaitement ridicule. “L’homme sauvage, à l’âme transparente, nativement bon” de Jean-Jacques me fait hurler de rire. Au cours du dîner, un troisième écrivain me fit remarquer que j’évoquais souvent la personnalité de Roger Blin, acteur bègue dans la vie qui m’a sidéré dans le rôle de Hamm (Fin de partie de Beckett). “En cela, tu rejoins notre ami qui aime se rappeler les soirées dans les bistrots où, enfant, il voyait François Simon faire son numéro”.
    Si nous avons évoqué ces deux acteurs, c’est sans doute parce qu’ils avaient placé leur vie “sous le signe de la nuit, moment propice à tous les truquages, les pastiches et les postiches, les parades et les parodies”. Ce n’est pas une passion triste qui me fit évoquer Fin de partie, ce n’est pas un souci d’authenticité qui me fit évoquer le fauteuil en cuir sur lequel monologuait un Roi Lear de pacotille. J’ai une très mauvaise mémoire, très peu de souvenirs. Ceux que je conserve sont liés à un éblouissement. Cette pantomime du néant a marqué l’adolescent de quinze que j’étais alors. C’est peut-être parce que les cinq hommes réunis ce soir-là écrivent des livres qu’ils se permettent de remonter le cours des choses. Cinq individus qui ont pourtant consenti à “vivre dans la démocratie des apparences”. Je dois aussitôt l’avouer: à aucun moment je n’eus l’impression que nous étions là pour expectorer notre ressentiment à l’égard de la vie, à aucun moment je n’eus l’impression que les passions tristes avaient triomphé.


    Frédéric Schiffter: Guy Debord l’Atrabilaire    Distance, 1997

  • Chocolat chaud, par Jean Chauma

     

    Par Alain Bagnoud

    27000100300140L.gifSur la couverture, il y a un bol fumant et un revolver posés sur une table. Si on en croit l'intitulé du recueil, le bol est plein de chocolat, ce chocolat chaud qui donne son titre à la première nouvelle du recueil, celle que Jean Chauma, amusé, dit avoir écrite « pour les filles ».

    Il s'agit en effet d'une jeune fille un peu paumée de la campagne, qui traîne avec sa bande dans des auberges et des vieilles voitures, à fumer des joints, sans avenir et sans espoir. Jusqu'à ce que quelque chose fasse irruption dans sa vie, une rencontre, une aventure, un livre...

    Le revolver de la couverture, lui, est plutôt lié aux autres nouvelles. Elles parlent d'un braquage qui tourne mal, de l'entrée en prison d'un malfaiteur, des premiers moments de la libération d'un détenu, de la longue attente d'un mac confiné dans une chambre et qui va exécuter un contrat... Des histoires de voyous, ces voyous que Jean Chauma connaît bien pour avoir été l'un d'eux (voir ici, ici et ici). Il en a déjà parlé dans Bras cassés et, de façon plus personnelle, dans Poèmes et récits de plaine (tous deux aux Editions Antipodes).

    Mais au delà de l'anecdote, des détails du milieu, de la restitution des ambiances, trois choses ressortent des textes de Chocolat chaud. Le désespoir d'abord, qui tient la plupart des personnages, désespoir dû au sentiment d'une existence vide, lente, poisseuse, dépourvue de but, qui se traîne sans bornes ni mouvement.

    Mais une fraternité existe aussi, entre voyous, entre prisonniers, entre braves gens. Elle ensoleille les relations et c'est elle qui, finalement, sort ces vies du sordide.

    Puis, troisième chose, il y a le livre. Il apparaît en filigrane, dans la nouvelle dont j'ai parlé plus haut, sous forme de roman de série noire, et aussi dans la dernière nouvelle du recueil, ouvrant et refermant celui-ci comme une mise en abîme.

    Le dernier texte raconte en effet la sortie d'un truand et ses retrouvailles avec un prisonnier politique qu'il avait rencontré en prison. « Alors s'était engagée une longue relation épistolaire et Yves avait appris à écrire et à lire à son ami. Puis il lui avait envoyé des livres, des romans d'abord, mais très vite le Gros s'était intéressé à la philosophie avec joie, bonheur. »

    Une joie, un bonheur qui sont les seuls, semble penser Jean Chauma, à pouvoir donner du sens à une existence désolée.

     

    Jean Chauma, Chocolat chaud, Antipodes

    (Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud.)