Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Pascal Rebetez, Je t'écris pour voir

     

    Par Alain Bagnoud

     

    S6301737%20-%20Volvograd%20-%20Monument%20aux%20Morts%20Stalingrad.JPGAvec Je t'écris pour voir, Pascal Rebetez poursuit l'œuvre entreprise par Un voyage central (L'Hèbe 2006). Le principe de ces deux recueils est simple: l'auteur écrit des lettres à ses proches depuis les pays lointains où il séjourne. La forme ainsi trouvée permet d'unir notes de voyage, autobiographie, souvenirs personnels, considérations générales, réflexions, choses vues.

    Rédigées en des lieux divers, ou les évoquant (Hanoi, Locarno, Cadaquès, New York, Volvograd...) ces missives sont adressées à l'ex, au petit-fils, à la fille danseuse, à la mère, au père, à un voleur. On y apprend quelques anecdotes croustillantes.

    Un exemple, pour vous donner envie: saviez-vous que notre auteur a volé un Warhol dans une galerie de New York, qu'il l'a fait sortir clandestinement des Etats-Unis, avant de se le faire piquer 30 ans plus tard par un monte-en-l'air historien de l'art?

    Quelques autres souvenirs sont entrelacés dans ces textes, et un peu de nostalgie. Celle d'un espoir passé où l'on pouvait croire encore à la fusion des êtres et à l'harmonie du monde.

    Elle donne sa nécessité au recueil, qu'on lit comme la description d'un être seul, seul parmi les autres, seul malgré les autres. Rebetez démontre la difficulté de la relation en exposant un processus de communication qui vise à créer un lien, mais qui ne parvient pas tout à fait à ouvrir entièrement l'individu à ses semblables.

    Mais ce n'est pas un livre amer. On y trouve aussi une célébration de l'amitié, des liens choisis, une tendresse pour les autres, un amour de la vie, un plaisir jouissif de la découverte, du vagabondage, de l'aventure, et pas mal d'exotisme qui confronte l'ailleurs et l'ici et leur donne du relief.

     

    Pascal Rebetez, Je t'écris pour voir, L'Hèbe

    Publié aussi dans Le blog d'Alain Bagnoud

  • Les joies d'un prof


    Par Antonin Moeri


    Caroline.jpg


    Une de mes élèves aux cheveux superbes et aux bras musclés (championne d’aviron) a présenté l’autre jour un roman que je n’avais pas lu: “Chronique d’une mort annoncée” de Gabriel Garcia Marquez. Elle indiqua au tableau les noms des personnages principaux, puis évoqua avec malice un meurtre perpétré vingt-sept ans avant sa reconstitution par un narrateur ami de la victime. Elle a parlé de l’évêque attendu ce jour-là dans le village, au lendemain d’un somptueux mariage entre Angela Vicario et Bayardo San Roman, fils du célèbre général Petronio qui mit en fuite le colonel Aureliano Buendia lors du désastre de Tucurinca.
    Si Bayardo est beau, intelligent, riche et mélancolique, Angela est d’un milieu modeste, certes jolie mais pauvre d’esprit. Elle est engluée dans les habitudes et les traditions villageoises, elle n’a pas fait d’études mais appris à tenir une cuisine et à raccommoder des chemises. L’auteur laisse entendre que cette fille est victime des préjugés racistes qui coûteront la vie à Santiago Nasar. Lorsque Bayardo découvre qu’Angela n’est pas vierge, celle-ci prétend qu’un Arabe (Nasar) l’a déflorée. Lors de l’instruction, ce point n’a jamais été éclairci.
    Mon élève a su expliquer clairement à son auditoire ce qui faisait la dimension exceptionnelle de ce roman. “Tout le monde, dans le village, savait que l’Arabe allait être massacré, or personne n’a osé intervenir pour enrayer les rouages de cette machine infernale. C’est un livre sur l’indignité et la force du préjugé. J’en conseille la lecture à tous ceux que révoltent la bêtise et la lâcheté des hommes”. Cette remarque a provoqué une salve d’applaudissements. Je me suis dit en remerciant Caroline: Travailler dans une école publique genevoise peut encore réserver quelques surprises agréables.

  • L'Enfant papillon, par Laure Chappuis

     

    Par Alain Bagnoud

    chappuis_laure_150x100.jpgLa petite musique nostalgique de Laure Chappuis fait mouche. Son récit, LEnfant papillon, parle d'adolescence. Plus particulièrement d'une jeune fille qui se retrouve enceinte, et qui abandonnera l'enfant, à cause des pressions familiales. Une histoire toute simple, mais Laure Chappuis trouve le ton pudique et poétique pour décrire ce moment charnière. Courts chapitres faits souvent d'un seul paragraphe, composition en éclats de miroir, touche sensible et juste, écriture lyrique et charnelle: ce récit est parfaitement maîtrisé. Son livre a d'ailleurs été sélectionné pour le Romand des romands.

    Laure Chappuis est née en 1971. Elle vit à La Chaux-de-Fonds, est spécialiste de poésie latine à l'Université de Neuchâtel. Une référence qui pose son auteur!

     

    Laure,Chappuis L'Enfant papillon, Editions d'Autre Part

  • Roman des romands: la sélection

     

    Par Alain Bagnoud

     

    lectrice.jpgLa sélection du Roman des romands (sur le Roman des romands, voir ici) est faite. Elle a été annoncée hier dans une salle d'apparat du gouvernement genevois, avec conseiller d'Etat, directeurs de l'instruction publique, hommes politiques, et tout de même quelques écrivains, libraires, lecteurs. Les livres choisis seront livrés en pâture aux gymnasiens de l'école post-obligatoire (15 classes pour l'instant), qui feront leur choix et décerneront le prix au printemps 2010.

    Et voici, tagadam, la liste:

    J.-P. Amée, Le butor étoilé
    Alain Bagnoud,
    Le jour du dragon
    Nicolas Burri,
    Pierre de scandale
    Laure Chappuis ,
    L'enfant papillon
    Char Yasmine,
    La main de Dieu
    Odile Cornuz ,
    Biseaux
    Pascale Kramer,
    L'implacable brutalité du réveil
    Jérôme Meizoz ,
    Père et passe
    M. Perruchoud,
    Les six rendez-vous d'Owen Saïd Markko
    Rodolphe Petit,
    Il se peut qu'ils n'aient pas mangé assez de crustacés
    Thomas Sandoz,
    La fanée

    (Inutile de dire que je suis bien content de m'y trouver.)

     

    Voir aussi http://www.romandesromands.ch/

  • La mort de tout près

    Par Antonin Moeri

    hemingway.jpg




    Avant d’expirer, Jacques Tati aurait dit: La fille de Sade a une histoire avec le grand nègre. Un avocat du barreau genevois aurait dit à ce moment-là: Ah! Merde! Quant à Wittgenstein, sa dernière parole fut: Dites-leur que cette vie en valait la peine! On pourrait multiplier les expressions ou phrases prononcées par l’agonisant à l’instant décisif.
    Avant d’enfoncer le double canon de son fusil de chasse dans la bouche et de faire exploser sa tête de Prix Nobel, Hemingway imagina la fin d’un écrivain. La scène se passe au Kenya, au pied du Kilimandjaro dont on aperçoit les neiges éternelles. Une plaie mal soignée a provoqué la gangrène. Les vautours planent au-dessus du camp. Harry revoit certains moments de sa vie: une nuit à Constantinople en compagnie d’une pute magnifique, une bagarre, un séjour à Paris, la mort d’un officier pendant la guerre.
    On entend au loin le cri d’une hyène. Harry sent l’haleine de la mort, cette “puante salope”. Quand l’écrivain ne peut plus parler, le lecteur voit approcher l’avion qui emmènera Harry et sa jambe infectée. L’avion prendra alors de la hauteur et l’on apercevra soudain le sommet carré du Kilimandjaro.
    Lorsque la compagne de Harry (une riche Américaine sensuelle et désespérée) est réveillée par les cris de la hyène, elle braque sa lampe de poche sur le corps de son compagnon. Un corps sans vie. J’aime ces nouvelles qui vous obligent à une seconde lecture pour mieux comprendre ce qui se passe. Les neiges du Kilimandjaro apparaissent ici comme une image de la mort. Il fallait y songer. D’ailleurs, on m’a dit que, chez les Chinois, le blanc était la couleur de la mort.


    Ernest Hemingway: Les neiges du Kilimandjaro, Gallimard 1946