Passion triste ou joyeuse? (05/05/2009)
Par ANTONIN MOERI
Au cours d’un dîner entre écrivains, l’un d’eux affirma qu’à l’époque, il y avait des acteurs comme François Simon qui avaient une aura dont seraient dépourvus ceux d’aujourd’hui. Faux! rétorqua un autre, il y a aujourd’hui des acteurs dont la personnalité est fascinante. La tendance à idéaliser le passé me fit songer à Guy Debord. Selon Frédéric Schiffter, c’est par détestation de soi-même que ce dernier intenta un procès à la société. “Il ne voit autour de lui que mensonge, imposture, usurpation, machination”. Les forces de la marchandise auraient contaminé les arts, la politique, l’architecture, le langage. La mort de l’essence aurait tué le sens.
Il m’arrive de succomber à cette détestation du monde actuel, de nourrir la nostalgie d’un autre temps (l’Âge d’or des choses en soi) mais, dans le même temps, cette nostalgie me semble parfaitement ridicule. “L’homme sauvage, à l’âme transparente, nativement bon” de Jean-Jacques me fait hurler de rire. Au cours du dîner, un troisième écrivain me fit remarquer que j’évoquais souvent la personnalité de Roger Blin, acteur bègue dans la vie qui m’a sidéré dans le rôle de Hamm (Fin de partie de Beckett). “En cela, tu rejoins notre ami qui aime se rappeler les soirées dans les bistrots où, enfant, il voyait François Simon faire son numéro”.
Si nous avons évoqué ces deux acteurs, c’est sans doute parce qu’ils avaient placé leur vie “sous le signe de la nuit, moment propice à tous les truquages, les pastiches et les postiches, les parades et les parodies”. Ce n’est pas une passion triste qui me fit évoquer Fin de partie, ce n’est pas un souci d’authenticité qui me fit évoquer le fauteuil en cuir sur lequel monologuait un Roi Lear de pacotille. J’ai une très mauvaise mémoire, très peu de souvenirs. Ceux que je conserve sont liés à un éblouissement. Cette pantomime du néant a marqué l’adolescent de quinze que j’étais alors. C’est peut-être parce que les cinq hommes réunis ce soir-là écrivent des livres qu’ils se permettent de remonter le cours des choses. Cinq individus qui ont pourtant consenti à “vivre dans la démocratie des apparences”. Je dois aussitôt l’avouer: à aucun moment je n’eus l’impression que nous étions là pour expectorer notre ressentiment à l’égard de la vie, à aucun moment je n’eus l’impression que les passions tristes avaient triomphé.
Frédéric Schiffter: Guy Debord l’Atrabilaire Distance, 1997
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Commentaires
Chaque idée nouvelle crée ses formes appropriées, et il vient toujours un temps où on se fie plus aux formes visibles qu'aux idées invisibles. On pense alors que tout décline, car les vieilles formes perdent naturellement leur vitalité première. Elles sont soumises à la pesanteur terrestre. Elles se minéralisent.
Écrit par : Rémi Mogenet | 05/05/2009
Pourtant, à bien y regarder, il y a de quoi détester cette époque, ce monde et cette vie. Mais il est vrai qu'il y avait aussi de quoi détester le temps jadis.
Qui ne voit pas le mensonge, la bêtise, la vulgarité, la brutalité vit comme un aveugle. Et toutes ces choses qui vont de concert avec notre fin qui approche de plus en plus rapidement.
Je vois, je ressens une différence entre hier et aujourd'hui, c'est qu'hier nous pouvions mettre en action notre ressentiment du monde, cela n'a pas servi à grand chose sauf à soigner notre mal être du moment et c'est déjà beaucoup.
Quand cinq écrivains se retrouvent autour d'une table et de bon vins, à se réfléchir l'un l'autre ils ont tendance à être lucidement intelligent et à pardonner au monde. Le pardon est un luxe.
Écrit par : Jean Chauma | 08/05/2009
Le mot écrivain, je n'aurais pas dû l'utiliser, ça fait préten. J'aurais dû écrire gendelettres, non, c'est encore plus affreux. Ecriveurs, quelle horreur! On ne s'en sort pas. Je ne parlerai plus jamais de ce genre de repas. Quant au luxe, nous sommes d'accord. Jadis, j'aimais manger dans les restaus, je ne faisais que ça. A présent, je dois faire gaffe. La fin qui approche... Il y a longtemps qu'on nous dit qu'elle approche. Il y a plutôt mutation, je crois. Nous sommes entrés dans une autre économie psychique, où la jouissance s'exhibe. Où la dette est effacée. J'aime beaucoup votre mot.
Écrit par : am | 11/05/2009