Les Carnets de Cora (Épisode 6) (05/11/2017)
Épisode 6 : où il est question d’une pensée noire et de myosotis
Pensée noire…
La création de l’île aux supplices dans le 5e épisode des Carnets a déclenché en moi une douleur séculaire et incandescente. Les mots ont peut-être ouvert un chemin mystérieux exprimant une peine ineffable et si longtemps inaudible — et non muette. De la crypte profanée à la confidence publique et partagée dans la masse du monde, quelle sacrée rotation!
Motus…
Aujourd’hui dans la presse genevoise, je lis le témoignage d’anciennes élèves prises au piège du mode opératoire d’un professeur et doyen de collège dans les années 80 et 90. Bâillonnées par la peur elle n’ont pas osé porter plainte. Auront-elles, Sandra*, Léa*, Agathe* et Claire*, le courage d’aller aujourd’hui plus loin ?
Myosotis….
Après le « viol du corbeau » il ne m’a pas suffi de parler ou de me confier. Il y a des récits inaudibles et des réalités imperceptibles. Que faire d’une parole qui paralyse et plonge les confidents dans l’impuissance ? J'avais survécu. On ne pouvait pas me demander de combattre ni de militer, c’est pourquoi je loue ceux qui le font pour moi, pour les autres, pour changer l’imaginaire collectif. J’ai donc quitté le vieux continent et me suis installée à Toronto dans les années 80.
Forget-me-not….
Suspendue dans l’air frais de novembre, bien au chaud dans une couverture de laine, je me laisse bercer au-dessus du tapis artificiel qui recouvre mon petit coin de terre entre Thonon et Evian. Toujours verdoyant malgré le gel et l’humidité. Aucun entretien si ce n’est le balayage des feuilles l'hiver venu. Je pense d’ailleurs à le changer, à mettre du vrai gazon mais j’aime sa couleur, sa texture quand la mousse le recouvre par endroit, surtout aux pieds des chênes. Mon hamac est bien amarré et je ne pense qu’à me sauver dans la lecture.
Vergiss mich nicht...
Le livre qui s’ouvre à moi est un appel, une magnifique voie nomade Heureux qui comme*. J’ai suivi Georgette et Émilie dans leurs jardins, je suis maintenant Clément qui trouve refuge dans les arbres ! Il a même baptisé son fidèle aulne, « Schiller » en raison de son allure, son spleen échevelé. Les arbres sont des paradis cachés. Reviens-y ! Quel bonheur !
* Heureux qui comme de Bernadette RICHARD, Genève, Éditions D'autre part, 2017.
00:05 | Tags : cora o'keeffe, carnets, bernadette richard, heureux qui comme | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Cora votre pensée noire me parle de votre douleur, elle qui se heurte à ces confidents qui sont dans l'impuissance. Elle est si difficile à vivre pour certains qu'ils préfèrent en détourner leur cœur et leurs pensées pour ne plus y être confrontés.
Mais, si les confidents sont dans l'impuissance, du moins recueillent-ils malgré eux une parole. Et qui sait le chemin qu'elle va creuser, réveillant au passage des braises capables de réchauffer celui qui l'a prononcée. Qui pourrait présager des pouvoirs de la parole et de la flamme?
Parfois dans l'impuissance se découvre aussi simplement "la présence".
D'ailleurs, Cora, n'avez-vous pas encore cette magnifique capacité de vous émerveiller d'un livre, perchée dans votre hamac favori? Et par surcroit de donner aux autres l'envie de le lire?
Je vous embrasse belle Cora.
Frédérique
Écrit par : Frédérique Baud Bachten | 05/11/2017
Chère lectrice,
Avec vos mots, votre souffle, vous retournez mon esprit sens dessus dessous. Vous dessinez un chemin que je n'avais pas emprunté : là où j'ai vu dans le douloureux dévoilement une improbable rencontre, vous y voyez une possible présence.
J'aime que vous me rappeliez la complexité du monde et ses relations parfois insondables.
Je vous embrasse à mon tour, sage Frédérique.
Cora
Écrit par : Cora O'Keeffe | 11/11/2017