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jardins de georgette

  • Les Carnets de Cora (Épisode 3)

    par Cora O'Keeffe

    Épisode 3 : où il est question de gloires du matin, d’un hamac et d’un ermitage…

    keeffe3.jpg Le manuscrit de Georgette’s Gardens * a été un hapax existentiel pour la lectrice que je suis. Je peux même dire que Cora est née de cette fascination des mots. Il suffit d’évoquer un massif de morning glories pour que ma rotation s’opère. La vigueur de leurs tiges pourtant si fines m’impressionne, tant elles sont volontaires quand elles s’enroulent autour d’un tuteur de fortune et si rapides à éclore. L’image qui en découle m’élève imperceptiblement et je me réjouis de ce bleu profond. Georgette les décrit avec une telle exactitude, une véritable sensualité que ces fleurs évoquent pour moi instantanément le jardin de mon ami Andy. Il avait loué à l’époque, dans le quartier de Little Italy à Toronto, un appartement de plain pied qui s’ouvrait sur un petit coin de verdure où il exerçait ses talents de jardinier. Je me souviens qu’il se plaignait souvent des chats du voisinage qui venaient déposer leurs crottes sur ses plates-bandes, pourquoi justement les siennes ? Mais qu’il était intarissable quand il racontait sa palissade recouverte de gloires du matin. Il m’appelait le dimanche matin avec son téléphone sans fil et se baladait pieds nus dans l’herbe, une mug de café dans l’autre main. J’imaginais sans peine le tableau qui s’offrait à nos yeux.


    Tous les week-ends, je file avec mon bien-aimé dans notre maison de vacances à Publier, en France. Sur le terrain qui mène au lac poussent deux immenses chênes, j’y ai fixé un hamac. C’est là que j’aime lire suspendue au pied de leur souveraine majesté. Aujourd’hui je m’y suis installée confortablement, emmitouflée dans une couverture bien chaude. Les feuilles commencent à tomber autour de moi, je sens leur présence dans l’air. Le ciel d’automne est d’un bleu intense. Au fur et à mesure de la lecture, j’annote les pages avec un crayon. J’y laisse des ob_894612_sous-le-silence-eugenie-baud-bachten.jpgtraces rudimentaires dans la marge : un trait vertical ou deux selon l’impact, une croix pour le retentissement et un cercle pour les mots qui me cognent. Parfois j’écris des commentaires dans les respirations du texte.


    En ce moment, à l’abri des chênes, j’y ai emporté le livre d’une artiste établie à Genève qui écrit et réalise des collages *. C’est l’histoire (si j’ai bien compris, car dans toute lecture il y a des zones d’aveuglement) d’une vocation qui prend conscience de ses origines. Ici, l’auteur lie sa nécessité d’écrire au don libre et sauvage de sa grand-mère, une chanteuse d’opéra qui avait la voix d’une Lorelei.

    Bien qu’elle enchantât un public aux quatre coins du monde, elle anéantissait son entourage (ses quatre enfants surtout) par ses absences et sa désertion. (Comment lui pardonner la solitude de Rose, sa fille morte à vingt ans espérant encore la revoir un jour ? J’en ai les larmes aux yeux et j’aimerais 2017-10-14-PHOTO-00000133.jpgtellement mettre Rose dans un jardin. Peut-être que Georgette m’y aidera. Je suis sûre qu’il doit y avoir un jardin à inventer pour les personnages de roman, qui sont morts trop tôt, injustement, dans une solitude orpheline.)


    L’auteur invente avec ses mots, la voix sublime qu’elle n’a pourtant jamais entendue et sonde le douloureux héritage d’Eugénie. Dénouer les fils de l’histoire familiale n’est pas sans risque, alors elle a besoin de protection, d’un espace pour écouter et accueillir la parole des ancêtres. Et ce lieu (je n’invente rien) est un jardin ! (Comme Georgette serait heureuse d’apprendre qu’il y a à Genève, un ermitage accueillant des migrants d’origine lointaine, ayant pour seul rempart, non pas des clôtures ou des haies de thuyas, mais des pivoines et des roses par-dessus lesquelles on peut se faire des signes, se saluer ! Peut-être même y a-t-il quelques gloires du matin).