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cinéma français

  • Du sang, du sperme et des larmes

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    par Jean-Michel Olivier

    Mercredi prochain sort, à Genève, Une histoire d'amour, un film d'Hélène Fillières, adapté du roman de Régis Jauffret, Sévère, lui-même inspiré de la fameuse « affaire Stern ». En attendant de découvrir le film (déjà incendié par la critique), voici le texte que j'écrivais, en 2008, à l'occasion du procès de Cécile B., meurtrière du banquier genevois Edouard Stern.

    L'affaire Stern n'est pas un fait divers comme les autres. Bien sûr, il mélange à l'envi tous les ingrédients d'un (mauvais) polar: l'amour et le pouvoir, l'argent et les pratiques extrêmes. À cela il faut ajouter un piment typiquement helvétique: la passion du secret. Les amants diaboliques ont beau courir le monde, passer un week-end à New York ou aller se baigner dans les Bermudes, en quête d'un impossible oubli, c'est toujours à Genève qu'ils se retrouvent, et finiront par sceller leur destin.
        Genève: ville du secret, des tractations furtives, des coffres hermétiques, où tout peut se vendre et s'acheter.
        L'argent, on le sait, est le nerf de l'histoire puisqu'il permet de tout s'offrir, le nécessaire comme le superflu, la gloire éphémère comme les plaisirs faciles. images-5.jpegCécile Brossart et Édouard Stern, l'un comme l'autre, sont tombés dans le piège. Elle, de son enfance en miettes entre une mère dépressive et un père libertin, abusée à 10 ans, quittant l'école à l'adolescence, ne vit que dans l'espoir d'une reconnaissance (qui l'aidera à renaître). Et cette reconnaissance, pour cette femme-enfant, cette « romantique libidinale » (Pascal Bruckner), passe nécessairement par l'amour. Comme par l'argent. D'où le besoin - vital - de monnayer ses faveurs. Non seulement pour gagner sa vie, telle une femme vénale, mais aussi et d'abord pour se sauver. Et lui, de son enfance dorée à Paris, entre un père méprisant et une mère célèbre (c'est la première épouse de Jean-Claude Servan-Schreiber), descendant d'une lignée de banquiers fondée au XIXème à Francfort, grandi dans le silence et le secret, la haine de soi, aspire également - comme Cécile, mais de l'autre côté du miroir - à la reconnaissance. Ses moyens financiers, bien sûr, sont incomparables, et même illimités. Il appartient au gotha de la haute finance. C'est un requin, disent ceux qui l'ont connu, un prédateur qui, à force de raids impitoyables et d'opérations audacieuses, va bâtir la 38e fortune de France. Un homme craint et respecté. Un intouchable
        DownloadedFile.jpegOn comprend mieux, maintenant, ce que ces deux-là faisaient ensemble, la femme-enfant et le requin. Ce qu'ils cherchaient à corps perdu. Et pourquoi ils se sont reconnus.
        La vraie connaissance, écrivait Georges Bataille, se fait toujours dans les larmes d'Eros. L'amour est cette épreuve de vérité qui fait tomber les masques, même les mieux ajustés. À ce propos, Bataille parlait de corrida, de mise à mort. C'est dans l'expérience sexuelle, qui nous fait oublier le monde et disparaître à nous-mêmes, qu'Eros rencontre fatalement Thanatos. Dans le sang, le sperme et les larmes.
        Si l'amour est la chance, peut-être unique, de renaître grâce à l'autre, la mort est aussi le prix à payer, parfois, exorbitant, de la reconnaissance.

  • Je n'ai rien oublié

    images.jpegQue serait le cinéma sans la littérature ? Rien, sans doute. Puisque les plus grands cinéastes ont adapté, transformé, pillé les grandes œuvres littéraires. Parfois le résultat est pitoyable (Tous les soleils, roman de Philippe Claudel adapté et réalisé au cinéma par l'auteur) ; parfois, au contraire, remarquable, comme si le cinéma donnait un second souffle au livre qui l'a inspiré.

    Dernier exemple en date : Je n'ai rien oublié*. C'était déjà un très bon roman de Martin Suter, notre storyteller suisse à succès. C'est désormais un très bon film, tout en clair-obscur, en recoins secrets, en regards croisés. Un film à mots couverts. Très bien réalisé d'abord, par Bruno Chiche, sans effet inutile, sans image de synthèse (c'est reposant), sans tape-à-l'œil, dans le respect éclairant et éclairé du roman de Suter (qui a participié au scénario). Magnifiquement interprété, ensuite, par un quatuor d'acteurs au mieux de leur forme. Françoise Fabian, en douairière hautaine, manipulatrice, mystérieuse, trouve ici l'un de ses meilleurs rôles. Niels Arestrup, un cran en-dessous de son rôle de caïd corse dans Un prophète, est parfait aussi en alcoolique fuyant la réalité de ses souvenirs. La longiligne Alexandra Maria Lara, actrice d'origine roumaine, qu'on a déjà découverte dans La Chute d'Oliver Hirschbiegel et dans Eden à l'Ouest de Costa-Gavras, est époustouflante de vérité et d'émotion. images-1.jpegQuant à Gérard Depardieu, qui a trouvé désormais sa carrure naturelle, qui est celle d'un colosse aux pieds d'argile, il est tout simplement prodigieux, léger (mais oui!), fragile, malicieux, candide. Depuis la mort de son fils Guillaume, le géant français enchaîne les films comme on se jette à l'eau, comme s'il jouait à chaque fois sa vie en revêtant la peau d'un autre. Il y a là un mystère (ou peut-être aucun mystère) dont seul le cinéma peut nous donner la clé…

    Oui, c'est un bel hommage à la littérature — c'est-à-dire à la mémoire, à la ruse, aux manigances du langage — que nous propose Bruno Chiche, dans Je n'ai rien oublié, qui nous montre, en passant, qu'il n'y a pas de bon film sans bon scénario (c'est-à-dire sans bonne littérature) !

    *Dans les salles de Suisse romande actuellement.