Je n'ai rien oublié
Que serait le cinéma sans la littérature ? Rien, sans doute. Puisque les plus grands cinéastes ont adapté, transformé, pillé les grandes œuvres littéraires. Parfois le résultat est pitoyable (Tous les soleils, roman de Philippe Claudel adapté et réalisé au cinéma par l'auteur) ; parfois, au contraire, remarquable, comme si le cinéma donnait un second souffle au livre qui l'a inspiré.
Dernier exemple en date : Je n'ai rien oublié*. C'était déjà un très bon roman de Martin Suter, notre storyteller suisse à succès. C'est désormais un très bon film, tout en clair-obscur, en recoins secrets, en regards croisés. Un film à mots couverts. Très bien réalisé d'abord, par Bruno Chiche, sans effet inutile, sans image de synthèse (c'est reposant), sans tape-à-l'œil, dans le respect éclairant et éclairé du roman de Suter (qui a participié au scénario). Magnifiquement interprété, ensuite, par un quatuor d'acteurs au mieux de leur forme. Françoise Fabian, en douairière hautaine, manipulatrice, mystérieuse, trouve ici l'un de ses meilleurs rôles. Niels Arestrup, un cran en-dessous de son rôle de caïd corse dans Un prophète, est parfait aussi en alcoolique fuyant la réalité de ses souvenirs. La longiligne Alexandra Maria Lara, actrice d'origine roumaine, qu'on a déjà découverte dans La Chute d'Oliver Hirschbiegel et dans Eden à l'Ouest de Costa-Gavras, est époustouflante de vérité et d'émotion. Quant à Gérard Depardieu, qui a trouvé désormais sa carrure naturelle, qui est celle d'un colosse aux pieds d'argile, il est tout simplement prodigieux, léger (mais oui!), fragile, malicieux, candide. Depuis la mort de son fils Guillaume, le géant français enchaîne les films comme on se jette à l'eau, comme s'il jouait à chaque fois sa vie en revêtant la peau d'un autre. Il y a là un mystère (ou peut-être aucun mystère) dont seul le cinéma peut nous donner la clé…
Oui, c'est un bel hommage à la littérature — c'est-à-dire à la mémoire, à la ruse, aux manigances du langage — que nous propose Bruno Chiche, dans Je n'ai rien oublié, qui nous montre, en passant, qu'il n'y a pas de bon film sans bon scénario (c'est-à-dire sans bonne littérature) !
*Dans les salles de Suisse romande actuellement.
Commentaires
On se souvient des frasques du colonel Kadhafi
On se souvient des frasques du colonel Kadhafi, reçu en grandes pompes à l’Elysée, après avoir imposé l’installation de sa tente de bédouin dans le parc du palais de Marigny. La ministre Rama Yade avait été choquée et avait cru devoir préciser que la France n’était pas un « paillasson sur lequel on pouvait s’essuyer ». Elle avait montré alors beaucoup de dignité au moment où Nicolas Sarkozy était pourtant au firmament des sondages.
Il s’agissait bien d’un courage politique que l’inconscience ou, plutôt, la jeunesse pouvait permettre. C’était en d’autres temps, du temps où la France espérait placer 10 milliards de matériel alors qu’au final, elle n’a signé que 200 millions d’euros de contrats restés impayés et à la charge des contribuables français !
Mais le temps passe et en d’autres cieux, le président libyen du CNT (Conseil National de Transition), Moustapha Abdeljalil, vient d’être reçu par le chef de l'Etat français et il a demandé à la France d'intensifier ses frappes contre les forces du colonel Kadhafi et d'accroitre son aide humanitaire. Cette personnalité libyenne, qui s’affiche au devant de l’actualité et sur les marches de l’Elysée, a eu pourtant un parcours ne manquant pas d’originalité.
Mais la diplomatie française ne s’embarrasse ni de morale et ni de souvenirs. Nicolas Sarkozy, qui fait face à sa propre expérience militaire avec un risque de désastre, a mis les pieds dans le bourbier libyen qui pourrait devenir, pour lui, un petit Afghanistan.
Il est donc prêt à toutes les compromissions, même celle d’oublier l’affaire des infirmières bulgares dénouée par sa précédente femme, Cécilia. Cette longue procédure diplomatique et judiciaire a eu lieu en Libye entre 1999 et 2007 et dans laquelle les inculpés, cinq infirmières bulgares et un médecin anesthésiste d’origine palestinienne naturalisé bulgare furent accusés sans preuves de plusieurs crimes.
Les six inculpés ont été condamnés à mort après un procès douteux et un chantage odieux. Cette histoire doit être rappelée car le président du CNT libyen, Moustapha Abdeljalil, celui-là même qui veut remplacer aujourd’hui le colonel Kadhafi à la tête de la Libye, fut à son heure de gloire le Président de la Cour d'Appel.
En cette qualité, il confirma notamment la condamnation à mort des cinq infirmières et du médecin bulgares, malgré le retentissement international de l’affaire. Il fut d’ailleurs récompensé en devenant, de 2007 à 2011, secrétaire du Comité général du peuple, autre intitulé de Ministre de la Justice. C’était en d’autres temps et en d’autres cieux.