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  • Bingo de Moeri au Théatricul

     

    Par Alain Bagnoud

    Blaise Granget

    Sans doute n'y a-t-il plus aucun lecteur de ce blog qui ignore que la troublante pièce Bingo d'Antonin Moeri est jouée en ce moment. Nous y étions, mercredi passé, le lendemain de la première, pour une représentation magnifique suivie d'un débat avec l'auteur.

    Dans la pièce, Blaise Granget incarne Bobby, un jeune délinquant qui s'est imposé à Antonin Moeri par un biais biographique. Notre auteur avait enseigné à un jeune homme rebelle, soutenu par une mère absolue. Quelques années plus tard, il apprend que cet ancien élève a tué quelqu'un dans une baston. Pour tenter de comprendre le geste, Moeri a créé Bobby,

    Bobby se confesse. Il est dans la cellule d'une prison préventive et parle, à lui-même, ou à un interlocuteur fictif, ou au public d'un théâtre, parce que « ça fera passer le temps, on mourra moins vite, on prolongera jusqu’à l’aube ».

    Nous sommes ainsi mis au courant de sa trajectoire. En gros : père minable viré par la mère, relation incestueuse du fils avec celle-ci, ascolarisation, petite délinquance, élevage de pitbulls, embrouilles avec une bande rivale, baston finale. Ça semble un peu cliché ? Ça ne l'est pas du tout.

    À cause d'abord du langage, du flux verbal qui travaille sur l'oralité, qui recrée un langage imagé, avec des trouvailles, des cocasseries, du rythme.

    À cause ensuite de la densité humaine de Bobby. Moeri le rend complexe, lui met des envies de tendresse et un paradis perdu dans la tête, qui revient de façon récurrente : un voyage en Italie pour voir la famille de son père, quand celui-ci s'entendait encore avec la mère, « la traversée des Alpes, moi sur la banquette de skaï imitation zèbre, j’étais aux anges, mes vieux s’aimaient, en tout cas, ils donnaient l’impression, elle lui faisait des câlins, il grognait comme un matou, je me demandais parfois jusqu’où on irait, si la bagnole tiendrait le coup ... ».

    À cause aussi de l'acteur, remarquable Blaise Granget, d'une animalité et d'une innocence inquiétante, bien dirigé par le metteur en scène Cyril Kaiser. Le jeune comédien qu'on a vu dans un Misanthrope monté à la Fusterie en 2011 ou dans La résistible ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht, à Vidy, en 2012, compose un personnage candide, énigmatique, complexe, et fait une performance superbe, seul sur scène pendant une heure.



    Théâtricul, Rue de Genève 64, 1225 Chêne-Bourg. Arrêt "Peillonnex"

    du 3 au 15 septembre 2013 tous les soirs sauf le lundi, du mardi au samedi à 19h, dimanche à 17h

    Réservation



  • Retour d'Égypte

    DownloadedFile.jpegMarlène Belilos n'est pas une inconnue. Née à Alexandrie en 1942, elle est obligée de fuir l'Égypte à l'arrivée de Nasser. Puis c'est l'Italie, la France, la Suisse où Marlène, en tant que journaliste, travaille pour les journaux et la télévision romande, dont elle est exclue, à l'époque de Lôzanne bouge, avec quelques autres (dont Nathalie Nath et Michel Boujut). L'affaire, à l'époque, fait grand bruit. Et la TSR, où règne une chasse aux sorcières, n'en sort pas grandie ! Un peu d'enseignement, ensuite. Puis direction Paris, où elle produit des émissions sur TV5 Monde et France-Culture. Et devient, last but not least, psychanalyste…
    Elle nous donne aujourd'hui un petit livre épatant*, qu'on lit avec délectation. Il raconte l'exil forcé du roi Farouk, 32 ans, qui a porté tous les espoirs de liberté du peuple égyptien. Nous sommes le 26 juillet 1952. Farouk embarque sur son yacht, « le Bien Protégé », pour quitter à jamais son pays. Marlène Belilos, 10 ans à l'époque, reconstitue avec douceur et nostalgie cette journée historique : la ville d'Alexandrie où vivait sa famille, le mélange harmonieux des langues et des cultures, les parfums des échoppes d'épices, le marchand d'eau de rose. « L'air sent le sel et il ne pleut jamais… »

    Peu à peu, les choses vont changer. Les étrangers (expats, juifs sépharades, Anglais, Français) ne sont plus bienvenus. Le pays croule sous les dettes et Nasser, bientôt, va nationaliser le Canal de Suez. images.jpegPour la famille Belilos, riche famille juive venue d'Alep, en Syrie, l'heure de l'exil a sonné. « Mon père aussi avait perdu, tout comme Farouk, sinon son royaume, en tout cas son palais. » C'est alors le départ forcé. Pour les plus pauvres, israël. Pour les plus fortuné, l'Europe imaginaire. L'Italie, la France, la Suisse, selon le grand loto des passeports.

    À travers une série de souvenirs, qui sont autant de photographies, tantôt nettes et tantôt un peu floues, Marlène Belilos reconstitue une patrie perdue : l'Égypte de son enfance. La langue est belle et émouvante. Elle trouve les mots justes pour dire la brisure, l'exil, la séparation. C'est la langue du cœur.

    Ce livre lumineux se termine sur l'évocation du plus grand héritage égyptien : l'écriture, qui ressuscite l'enfance, et permet de transmettre l'émotion, les souvenirs, les connaissances. En un mot, ce qu'on a perdu.

    * Marlène Belilos, Le Yacht du roi Farouk, éditions Michel de Maule, 2013.

  • bingo

     

    BINGO

    BINGO au Théâtre


    La pièce BINGO d'Antonin Moeri sera jouée du 3 au 15 septembre au THEATRICUL, Rue de Genève 64, à Chêne-Bourg.


    Vous pouvez réservez vos places sur le site:


    www.theatredusaulerieur.ch


    ou au service culturel MIGROS, 7 Rue du Prince, Genève


    La représentation du 4 septembre sera suivie d'un débat animé par Pascal REBETEZ, avec le metteur en scène Cyril KAISER, le jeune comédien Blaise GRANGET, l'auteur et plusieurs écrivains.


    Monologue d'un délinquant

    inspiré à l'auteur par un fait divers.


    Antonin MOERI

    Voici Blaise, le magnifique acteur qui jouera le rôle de BOBBY

    granget.jpg

     
  • Un taxi pour l'absurde

     

    Par Pierre Béguin

     

    Retour de voyage.

    Aéroport de Cointrin, samedi soir, 23 heures.

    35 kilos de bagages et deux petites filles à moitié endormies. Allez, un taxi et elles seront bientôt dans leur lit! Sauf qu’on est en Suisse et qu’en Suisse il y a des lois, beaucoup de lois. Dont certaines absurdes. Et c’est ce que nous allons démontrer...

    Donc on attend son tour à la sortie de l’aéroport, bien en file, patiemment. Tête de file, enfin! Un, puis deux taxis qui nous passent sous le nez, emmenant des passagers situés pourtant derrière nous. On s’insurge:

    – Je ne peux pas vous prendre, nous lance le chauffeur suivant en montrant du doigt les deux fillettes affalées sur les bagages, je n’ai pas les sièges adéquats, ça me coûterait 100 francs d’amende en cas de contrôle!

    – Et que fait-on?

    – Essayez avec un collègue qui aurait les sièges!

    Sauf qu’un coffre de taxi, c’est fait pour les valises, pas pour entreposer des sièges d’enfants au cas où...

    Dix minutes et une bonne douzaine de refus plus tard, on s’interroge. Prendre le train, puis les transports publics? Sans connexion directe (eh oui!), avec 35 kilos de bagages, deux fillettes qui dorment et dix minutes de marche pour atteindre la maison? Difficile. Autre solution: je garde les filles, ma femme prend un taxi et revient avec la voiture. Environ 50 minutes au final, tout de même... Alors on insiste une dernière fois. Et là, surprise:

    – Moi je m’en fous de cette loi, montez!

    Merci Monsieur le chauffeur de taxi d’ignorer une loi qui, au motif de les protéger, laisse sur le trottoir deux petites filles ivres de fatigue à la sortie de l’aéroport! Oui, mais il y a aussi les gardiens de la fameuse loi... Quelques kilomètres plus loin, contrôle de police. Deux filles qui dorment sur la banquette arrière, la tête posée sur les genoux de leur mère. Et pas de sièges pour enfants!

    – Ça vous fera une amende!

    A mon grand étonnement, le chauffeur garde son calme:

    – Pas de problème, Monsieur l’agent, je suis en tort, je paie.

    Et pendant qu’on lui dresse son procès-verbal en bonne et due forme, il descend de voiture, ouvre le coffre et en sort tranquillement les bagages.

    – Que faites-vous? lui lance le pandore.

    – Je dépose mes clients ici. Je ne peux pas continuer à rouler ainsi en tort.

    – Pas question! lui répond l’agent, vous allez terminez votre course!

    Le chauffeur, toujours très calme:

    – Monsieur l’agent, si vous m’arrêtiez en état d’ébriété, vous ne me laisseriez pas continuer ma route, non? La règle vaut pour les sièges d’enfants. Vous n’avez qu’à amener vous-même ces gens à destination.

    Puis il ajoute avec un soupçon d’innocence feinte:

    – C’est vrai que vous n’avez pas de sièges pour enfants vous non plus...

    L’agent fait mine d’ignorer la remarque, termine son procès-verbal et s’adresse au chauffeur sur le ton le plus officiel:

    – Maintenant vous pouvez y aller. Remettez ces bagages dans le coffre et conduisez ces gens à leur domicile.

    – Je vous ai déjà dit que non. Je vous les laisse! Si un de vos collègues m’arrête plus loin, ça me coûtera de nouveau 100 francs. Très peu pour moi!

    Puis, en ouvrant la porte arrière:

    – Je suis désolé Madame mais je dois vous déposer ici, dit-il à ma femme.

    Cette fois le pandore semble perdre sa contenance de pandore. Il sait que le chauffeur a raison. Mais deux petites filles endormies sur quatre valises à minuit au bord d’une route est une responsabilité qu’il ne s’attendait pas à endosser. Et lui aussi commence à comprendre qu’une loi impraticable sans exception, et édictée par une poignée d’abrutis incapables d’en prévoir toutes les conséquences, vient de placer d’un coup, au beau milieu de la nuit, six personnes dans une situation absurde. Alors il a cette ultime réaction de bon sens:

    – C’est bon pour cette fois, lance-t-il en déchirant l’amende, mais remettez ces bagages dans le coffre et terminez votre course prudemment!

    Et nous, pour une fois, on peut pavoiser: cette histoire vraie – j’en témoigne – n’est pas une Genferei, c’est une Schweizerei. Faudrait tout de même pas imaginer qu’on a le monopole de la connerie, à Genève!

    Quoique...

    Sur le chemin du retour, j’ai pensé à ce film dont j’ai oublié le titre et qui dresse, en quatre tableaux, le portrait de quatre villes, la nuit, au moyen d’une anecdote dont un taxi est le fil conducteur. Si l’on avait voulu inclure Genève dans ce film, nul doute que cette anecdote en aurait fait une peinture particulièrement pertinente.