Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • question capitale

     

     

     

     

     

    par antonin moeri

     

     

    03cheeverspan+.jpg

     

     

     

    “La chasteté de Clarissa” est une nouvelle excitante pour l’esprit. La protagoniste est une belle rousse âgée de 25 ans, yeux verts, peau très blanche, poitrine opulente. Elle débarque sur une île, dans une station balnéaire où elle devra s’occuper du cottage de ses beaux-parents. Baxter est un type dont la réputation est douteuse. Séduisant, teint bronzé, avare, divorcé deux fois, il couche à droite et à gauche. Clarissa l’intrigue. Il l’emmène sur la plage. Plus belle que jamais, elle entre dans l’eau en frissonnant. “Les pierres sur le cap ont beaucoup grandi”, dira-t-elle. Curieuse remarque. Baxter se demande quelle image cette fille a d’elle-même. Se voit-elle comme une actrice, une nageuse émérite, une héritière? Il dépose un baiser sur ses lèvres. Elle le repousse violemment.

    Une semaine plus tard, elle lui avouera que son mari et sa belle-mère la considèrent comme une sotte, qu’elle a des opinions sur beaucoup de choses mais qu’ils ne la laissent jamais ouvrir la bouche. “Ils passent leur temps à m’interrompre comme s’ils avaient honte de moi”. Clarissa est réduite à un rôle qu’elle voudrait ne pas jouer. Aura-t-elle la force de se révolter en rejetant son mari et la mère de celui-ci? Cheever préfère ne pas répondre. Si Baxter prend la peine d’écouter Clarissa et de lui répéter combien elle est intelligente, c’est qu’il désire coucher avec elle, se dit le lecteur qui posera la question décisive: un libertin avare fait-il le poids à côté d’un propriétaire terrien parti momentanément à l’étranger pour travailler sur un projet grandiose, incontestablement excitant?

     

    Cheever propose au lecteur d’observer la vie qui nous entoure et de trouver une réponse à cette question capitale.

     

     

    John Cheever: Déjeuner de famille. Editions Joëlle Losfeld, 2007

     

     

  • Quatre personnages en quête de gloire

    par serge Bimpage

    Voici quelque temps que Jacques-Etienne Bovard nous a habitués à son regard socio-ethno sur le microcosme helvétique. Son recueil de nouvelles, Nains de Jardin, fut un modèle du genre. A vrai dire, on ne s’habitue pas à la littérature de l’auteur lausannois, tant il nous réserve de surprises et d’audace en son regard affuté.
    La Cour des grands porte bien son nom. En en la dénonçant la prétention, Jacques-Etienne Bovard y entre de plain-pied. De quoi s’agit-il ? D’un voyage littéraire auquel participent quatre misérables auteurs suisses romands. Le narrateur, Xavier, judoka à ses heures, doté d’une inclination littéraire plutôt sportive. Charlène, belle autrice voyageuse, dont l’écriture se cherche autant qu’elle-même. Et Borloz, motard pornographe rédigeant ses romans à la pelle. Tous auteurs de piètres romans de gare mais heureux de leur vie et dépourvus d’arrière-pensées.
    On allait presque oublier la star du voyage : Pierre Montavon, l’Ecrivain, le détestable et admirable vieux maître (devinez qui dans la réalité) autant faisant la pluie et le beau temps de l’édition romande que connu en France. Lequel, en ce périple allant de Strasbourg à Paris à l’invitation d’une association culturelle française, ne cachera pas un seul instant son profond dégoût d’être entouré de si minable équipage.
    De trajets en autobus en stations à l’hôtel en passant par les réceptions et une émission de télévision, chaque participant à cette inopinée promiscuité en sera pour ses frais, cherchant pathétiquement à tirer son épingle du jeu. Propulsés dans le rôle de personnages de romans, les auteurs se voient précipités dans une rude confrontation avec leurs œuvres ainsi qu’avec eux eux-mêmes. La vraie vie est autrement bouleversante que tout ce qu’on peut en dire.
    Il est bien rare qu’un auteur, en particulier suisse, fasse autant rire. Qui plus est, l’humour de Jacques-Etienne Bovard est profond. Entre Albert Cohen et David Lodge, bien au-delà de la simple (et impitoyable) analyse sociologique, il conduit à une métaphysique emplie de poésie. « Et toi, est-ce que tu les reconnaissais ces petits livres aux couvertures lustrées, énergiques, lisses comme des miroirs, où rien pourtant ne se reflétait ? Est-ce que tu te reconnaissais toi-même dans ces titres simples, ces histoires stratifiées, ces personnages toujours les mêmes sous leurs oripeaux de marionnettes ? »
    En un scénario bien ficelé aux rebondissements savoureux, Jacques-Etienne Bovard articule ses marionnettes avec la jubilation et l’amour pour elles des grands auteurs. Très contemporaine, la langue est remarquablement maîtrisée. Et l’éternelle interrogation littéraire, qu’est-ce qu’écrire, qu’est-ce que bien écrire, discrètement présente au travers de ces désopilantes tribulations.  

    La Cour des grands, par Jacques Etienne Bovard. Bernard Campiche éditeur. 307 pages.