Hommage à Claude Nobs
Qu'est-ce qui fait la richesse d'un pays ? Ses banquiers ? Ils travaillent dans l'ombre et, de plus en plus souvent, ont avantage à y rester. Ses hommes politiques ? Ils occupent le devant de la scène, pérorent, promettent, lambinent, se taisent, avancent d'un pas, puis reculent de trois. On les a déjà oubliés bien avant qu'ils quittent la scène (et la Suisse, à cet égard, n'a que des seconds couteaux). Le bon gros géant orange ? Swisscom ? Les pharmas bâloises ? Lindt ou Cailler (vous êtes plutôt Lindor ou Frigor ?)…
Non : la richesse d'un pays, surtout s'il est petit comme la Suisse, ce sont ses artistes.
Laissons de côté Rousseau, qui est né genevois et mort prussien ! Mais prononcez à Paris ou à Los Angeles le nom de Blaise Cendrars et vous verrez les yeux s'écarquiller ! Ah L'Or ! Quel chef-d'œuvre ! Et Moravagine ! Et la Prose du Transsibérien ! Parlez de Frisch ou de Dürrenmatt et tout le monde vous écoutera ! Et Le Corbusier ! Et Tinguely, bricoleur de génie ! Et Stefan Eicher, le manouche à l'accent rocailleux ! Et Albert Cohen, juif errant de Genève ! Et Ferdinand Hodler ! Et Louis Soutter ! Et Corinna Bille !
Et Claude Nobs ! L'enfant de Territet aura déplacé des montagnes, ici et ailleurs, sa vie durant, pour réaliser son œuvre : réunir à Montreux, dans le plus beau panorama du monde, les meilleurs musiciens de son époque. La musique, pour lui, n'avait pas de frontières. Il aimait le jazz, bien sûr, mais aussi le rock, le pop, la musique folklorique, les chanteurs italiens, les crooners américains, les talents « émergents » comme on dit, mais aussi les talents reconnus.
La dernière fois que je suis allé au Festival, c'était en 2006. Programme fastueux, comme toujours. Diana Krall, enceinte et rayonnante. Le renard à la voix éraillée, Randy Newman, seul au piano. Paolo Conte, malicieux et profond, comme toujours, disparaissant dans les coulisses entre deux chansons pour se tenir au courant de la finale de la Coupe du Monde de foot, où l'Italie jouait contre la France (victoire des Italiens aux pénalties). Claude Nobs surgissant à la fin du concert avec son harmonica magique…
Oui, la richesse d'un pays, ce sont les rêveurs obstinés, les passeurs de frontières, les briseurs de préjugés, les voyageurs de l'infini, les arpenteurs de nouveaux mondes, les passionnés fidèles et fous.
Claude Nobs était tout ça.
Merci pour tout, Claude, and so long !

Ce sont les grands absents de ce XIIIè Sommet. À croire qu'il n'y en a pas — ou qu'ils sont quantité négligeable. Bien sûr, la chanson francophone est vaguement à l'honneur. Quand je dis vaguement, c'est qu'on a ressorti de leur malle, après des semaines d'âpres négociations, la fine fleur de la chanson francophone d'antan. Julien Clerc, Diane Dufresne, Laurent Voulzy, Maurane. Et pour la Suisse, puisqu'il fallait un Suisse : Jérémie Kisling. Il va sans dire que je n'ai rien contre ces chanteurs, qui sont tous admirables. Mais n'y avait-il pas d'autre choix ? La chanson francophone s'est-elle arrêtée de chanter dans les années 80 ? Et Stress ? Et Polar ? Et Carla Bruni alors ?!