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Lettre ouverte à Monsieur B.

Par Sylviane Dupuis

Vous êtes, Monsieur B., un « grand professionnel » de la politique : cela, même vos ennemis s’accordent à le reconnaître. Vous avez pour ce faire l’intelligence et tout l’argent qu’il faut. Mais justement. Je vous ai écrit une première fois il y a huit ans, Monsieur B., pour vous dire tout le mal que je pensais de votre projet d’entrer au gouvernement, et dénoncer « un système parfaitement programmé, une stratégie parfaitement sous contrôle, là où d’autres ne veulent voir que la sincère défense de convictions ». Depuis, vous avez raté votre premier putsch, mais réussi le second, le « système B. » a parfaitement fonctionné, vous êtes partout, vous êtes la Vedette, votre ego enfle de jour en jour comme celui de la grenouille de la fable, bientôt vous paierez pour qu’on confectionne des chocolats à votre image – et demain, en dépit de vos dérapages, de vos méthodes nauséabondes et des innombrables preuves données, en quatre ans, de votre mépris du droit, de la collégialité, voire même de la Constitution, vous vous retrouverez peut-être président de la Confédération. J’aime encore mon pays, Monsieur B. Je ne me fais pas à l’idée qu’on détourne à son profit la démocratie avec un tel culot. Je vous écris pour vous dire à nouveau que « je ne marche pas ».

Est citoyen, pour Aristote, qui a part au fait de gouverner et d’être gouverné. Ma qualité de citoyenne me donne donc encore, pour le moment, le droit de refuser publiquement d’être gouvernée par vous. Pour le moment : car quand vous serez devenu notre Grand Guide avec l’assentiment de tous et que chacun sera susceptible à tout moment et au moindre signe de différence de se voir étiqueté « mouton noir »… il sera trop tard pour parler. Or l’exercice de la parole publique est (toujours selon Aristote) l’autre faculté propre au citoyen.

Je vous dois un aveu, Monsieur B.: depuis huit ans vous êtes devenu ma bête noire, mon obsession. Depuis huit ans, à chaque premier août, je constate l’augmentation du nombre d’activistes d’extrême droite (on sait qu’en dix ans ils se sont multipliés par dix en Suisse) sur la prairie du Grütli – et donc, la montée de la haine ; à chaque nouveau texte de propagande financé par un « richissime sponsor anonyme » que votre parti adresse aux habitants de ce pays, ou encarte à grands frais dans les quotidiens, je m’étonne de la quasi indifférence générale ; comme, à constater année après année la progression irrésistible de ce parti, je mesure celle de l’aveuglement et de l’oubli de l’histoire… Mais parler de B. c’est encore lui faire, paraît-il, de la publicité ; depuis huit ans, chaque fois qu’il est question de vous, je fais mon poing dans ma poche.

Or, depuis peu, les choses ont empiré : vous m’empêchez de dormir. Quand je compte les moutons, il y en a toujours un qui ne passe pas et c’est par votre faute : je pense à votre affiche et ça y est, je ne vois plus que le mouton noir ! Et puis cela vire au cauchemar parce que soudain le mouton noir a votre tête, Monsieur B., et qu’elle se met à grimacer affreusement, à invectiver tout le monde et à crier au complot.

Depuis peu, je ne dors plus, mais mes cauchemars ont du bon : ils m’ont appris que vous étiez notre mouton noir, Monsieur B., et que vous aviez entrepris, lentement mais sûrement, de nous contaminer. A ceux de mes concitoyens qui résistent encore à votre « système » (en dépit des haussements d’épaules qui déjà succèdent aux alarmes), et quelles que soient par ailleurs leurs convictions, je suggère de vous écrire à leur tour pour dire NON à tout ce que vous incarnez. Définitivement. Ou bien vous aurez eu raison de nous traiter, sur vos affiches, de moutons stupides.


                                                            ©  Sylviane Dupuis, écrivain – Genève

 

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