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  • Printemps occidental

    Par Pierre Béguin

    Les découvertes technologiques ont alimenté les révolutions plus sûrement que les idéologies. La découverte de l’imprimerie, en soustrayant la Bible au seul contrôle de l’Eglise catholique, a permis de répandre la Réforme et les idées nouvelles. L’invention du télégraphe a largement contribué à communiquer sur tout le territoire européen la révolution romantique de 1848. La radio a joué un rôle essentiel durant la seconde guerre mondiale. L’électroménager et la pilule, au moins autant que le début des trente glorieuses qui exigeaient de nouveaux bras dans l’économie, ont permis l’explosion des mouvements féministes et l’avènement de «la femme moderne». Quant au «printemps arabe», on sait ce qu’il doit à la «toile»…

    Une révolution significative semble souvent consécutive d’une découverte technologique. Ou, plus exactement, toute découverte technologique importante semble déboucher sur une révolution. Car modifier les habitus, par le décalage ainsi produit, c’est aussi donner une perspective critique à ce qui, auparavant, paraissait acceptable ou intangible.

    Jusqu’à l’année dernière, rares étaient ceux qui avaient pris conscience de l’énorme potentiel révolutionnaire du Net, entre Twitter, Facebook et autres nombreux forums de discussion. Le printemps arabe fut un premier signe clair, mais il nous paraissait logique, voire souhaitable, et c’était loin de chez nous. La guerre déclarée entre les partisans d’une liberté absolue de l’espace internet et les Etats qui veulent réguler la «toile», empêcher des téléchargements sauvages de contenus protégés, voire intervenir de manière musclée pour fermer certains sites (avec, bien entendu, l’arrière pensée de se donner les moyens de contenir des foyers de pensées jugées subversives) en est un autre. Et les actes de résistance des premiers, dignes de la guérilla, montrent qu’ils ne cèderont pas et que leur potentiel de révolte a de quoi inquiéter les seconds, les inciter à lâcher du lest et à «accompagner» le mouvement au lieu de s’y opposer de force.

    Le mouvement des «indignés» et, plus récemment, en Espagne, la fronde populaire «Yo no pago» (je ne paie pas) soulignent la nouvelle capacité d’organisation des masses et précisent clairement la direction que prend peu à peu cette révolte qui gronde partout dans le monde: c’est bien la toute puissance néolibérale initiée au début des années 80 sur le modèle anti keynésien de l’Université de Chicago et du prix Nobel Milton Friedman qui est en train d’être sérieusement menacée, ébranlée sur ses bases, et peut-être, dans un futur proche, détruite. Du moins si l’on entend par néolibéralisme l’intrusion d’une idéologie du profit et de la performance dans chaque strate de l’activité humaine, dans chaque relation sociale entre individus, aux dépens de toutes les autres valeurs qui encadraient la société et qui en fondaient «le vivre ensemble». En colonisant l’espace social par le mercantilisme systématisé, en atomisant la personne par le culte du profit, le néolibéralisme n’offre finalement au monde que le commerce comme valeur absolue, que l’idéal de la performance comme réalisation de soi, que l’obsession des belles voitures, des piscines privées ou des crèmes amincissantes comme stade ultime du progrès humain, que le nombrilisme, le narcissisme infantile («parce que je le vaux bien!») et le bien-être égotiste comme religion, qu’une dictature aux allures de libération comme modèle politique. Pour les exclus de la fête, la promesse de plus de pain et, surtout, de beaucoup de jeux. Et pour objectif avoué l’élimination de tout ce qui s’oppose à l’extension généralisée de la consommation comme principale activité sociale, et sa célébration comme horizon radieux d’une humanité enfin libre et béate, pleinement épanouie dans des supermarchés ouverts 24 heures sur 24.

    Pas de quoi tenir en laisse les «foules sentimentales»! Et il fallait bien toute l’arrogance stupide des chantres du libéralisme pour croire qu’elles pourraient longtemps se contenter d’un tel programme. Pas en temps de crise, en tous cas! Le libéralisme était condamné à réussir pour se maintenir.

    Ce formatage mercantile est donc destiné à être happé par le vide même de son programme. Et ce n’est qu’un début. Je l’ai déjà dit, répété, et j’en suis de plus en plus convaincu, Le Grand Soir viendra du Net et de la capacité de ses utilisateurs à s’organiser en cellules guerrières quand ils réaliseront l’énorme pouvoir qu’ils possèdent en tant que consommateurs, et qu’on leur a retiré en tant que citoyens. On assistera bientôt à des boycotts ciblés de telle entreprise pétrolière dont un cargo échoué aura souillé des kilomètres de rivages, à des attaques sur des organismes financiers ou des Banques peu respectueuses de l’éthique, voire à d’autres foyers de guerre pour des causes moins nobles. Il ne peut tout simplement pas en aller autrement, ne serait-ce que par le seul fait qu’on puisse aisément imaginer un tel scénario.

    D’autant plus que, pour nettoyer le terrain de toute résistance à ses objectifs, le néolibéralisme a installé le règne de l’individu et de la logique privée triomphante au détriment des institutions républicaines chargées de constituer le corps politique comme garant du bien général (la destruction de l’école publique n’est qu’une variante de ce programme: souvenons-nous des attaques incessantes du parti libéral genevois contre l’école publique et les enseignants dans les années 90), consacrant ainsi l’autonomie de l’individu sur tous les cadres structurants. Et ce même libéralisme voudrait maintenant que ce qu’il a sciemment affaibli puisse contenir les débordements de ce qu’il a résolument fortifié!

    La «toile» précipitant le déclin de la pensée unique paraît d’autant plus ironique qu’elle en fut une émanation importante, pour ne pas dire un des symboles phares. Ironique aussi la vision d’un futur parti libéral réduit à la taille d’un groupuscule de vieux combattants, à l’image… du parti communiste actuel. Quant à savoir s’il faut se réjouir d’une telle perspective, c’est une autre question. Personnellement, et même si je verrais d’un bon œil la chute de l’empire néolibéral, je crains que la mort des cellules cancérigènes n’entraîne aussi celle des cellules saines…

     

  • Arnaud Maret, Les Ecumes noires

     

    Par Alain Bagnoud

    Arnaud Maret, Les Ecumes noires

    A 25 ans, Arnaud Maret publie un roman de 500 pages.

    Le fait déjà tient de l’exploit. Il y en a un deuxième dans Les Ecumes noires: le roman est habité par un souffle qui pousse le lecteur jusqu’au bout de l’histoire. Histoire ici est d’ailleurs à prendre dans ses deux sens: la fiction et l’étude du passé.

    Le personnage principal s’appelle Julien Kelsen. Il est jeune professeur à l’Université de Fribourg, là où Arnaud Maret a obtenu justement un Master en histoire, avec, comme titre de mémoire: Le national-socialisme à travers le regard de la presse valaisanne francophone. Représentations de l'Allemagne et dérives antisémites à la lumière du facteur confessionnel, 1933-1938.

    Ce qui n’est pas sans rapport avec le roman qu’il publie, comme on le verra.

    Donc, en 1989, Julien Kelsen apprend que son père a été assassiné à Münich où il vivait. Abasourdi, il s’y rend, rencontre un commissaire humaniste nommé Hertling, et apprend que tout l’accuse de cette mort.

    Si Hertling était un simple flic borné, Kelsen serait vite condamné pour parricide. Mais il parvient à se disculper et commence sa propre enquête, qui va réveiller quelques fantômes.

    Pendant la guerre de 39-45, son père n’était pas exactement qui il croyait. Une photographie, puis la confession d’un de ses anciens complices font apparaître un épisode monstrueux, arrivé en Hongrie en 1944.

    Pour comprendre, Kelsen fouille ce qu’il peut trouver, reconstitue une époque sombre, découvre un nouveau visage à son père. Il n’est pas seul à s’intéresser à son histoire. Une femme mystérieuse agit en coulisses, en parallèle de ses recherches, poursuivant une vengeance que Kelsen va peu à peu cerner, et dont la découverte va le transformer.

    LArnaud Mareta forme du livre, comme on le voit, est celle d’un polar, dont les révélations successives font avancer l’intrigue et retiennent le lecteur. L’écriture est simple, claire, efficace, évocatrice.

    Il y a bien évidemment quelques petites longueurs, comment n’y en aurait-il pas dans un livre de cette ampleur? Les trajets décrits, par exemple, dressent une topographie minutieuse des villes traversées. Le procédé est d’ailleurs utile au genre du polar: le ralentissement des événements exacerbe le suspense.

    Réussite, donc, pour le prometteur Arnaud Maret, Valaisan originaire de Bagnes, né en 1986. Actuellement, il vit entre Fribourg, Lausanne et le Valais, poursuit des études de droit en parallèle de son activité professionnelle dans le domaine de la conservation du patrimoine écrit et sonore, annonce le quatrième de couverture. Et il écrit. On se réjouit de le suivre.

     

    Arnaud Maret, Les Ecumes noires, Editions de L’Aire