Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • L'amour toujours


     

    Par Antonin Moeri

     

    angelo.jpg

     

     

     

    L’amateur trouve à côté de la synagogue de Genève une galerie d’art tenue par une dame au visage animé, aux traits aigus, friande de plaisanteries et de potins, des yeux aussi pétillants que ceux d’une jeune fille découvrant les neiges du Kilimandjaro, de belles jambes subtilement mises en valeur par des jupes plutôt courtes. C’est dans cette galerie que je fis l'autre jour la connaissance d’Ella. Quinca au visage grave, encadré par de longs cheveux noirs. Regard infiniment doux, dépourvu de toute moiteur sentimentale. Habillée avec goût et flanquée d’un Freytag particulièrement original. On m’a raconté qu’Ella avait longtemps vécu seule, travaillant du matin au soir à des tableaux aux titres surprenants: Hommage à Marilyn, le Crime du Docteur Castorp, les Jardins d’Adonis ou encore Le Journal intime d’Antonina Spaventosa.

    Or Ella est amoureuse depuis deux ans de Rolando, un électricien bâti en armoire, sportif infatigable, alpiniste téméraire, abstinent, divorcé, père d’une fillette pour laquelle Ella ne ressent pas la moindre inclination. Dans un élan compréhensible (la beauté d’Ella rappelant celle de Lorenza Correa, la célèbre cantatrice que Goya a immortalisée), Rolando organise un voyage en Extrême-Orient où, sac au dos, nos deux tourtereaux (sic) iront de ville en village, de taudis en bidonville, de dortoir en hôtel plus smart.

    Cette aventure devrait susciter chez Ella un immense enthousiasme, elle qui a vécu dangereusement à New York, pauvrement à Berlin et précairement à Barcelone. Mais cette aventure au pays des bouddhas ne l’enchante guère, car elle n’est pas à l’origine du projet. Si elle accepte d’entreprendre ce voyage, c’est pour complaire à Rolando.

     

     

     

  • Un dernier pour la route!

    Par Pierre Béguin

    valais[1].jpgConversation certifiée authentique avec label AOC pur Valais.

    Un vieux bistrot quelque part entre Sierre et Montana-Crans. Vague odeur de fromage et de vinasse, atmosphère garantie terroir, de celle qui vous signifie sans équivoque que vous n’êtes pas du coin, donc à peine toléré. Quelques clients répartis sur deux ou trois tables, entre bière et fendant. Ils se parlent peu mais, de toute évidence, ils se connaissent tous, sans qu’on sache très bien d’ailleurs sur quelle évidence repose cette certitude. On le sent avec le reste, c’est tout. Un détail retient l’attention. Un des habitués porte un uniforme de gendarme, le képi posé sur la table, près d’une carafe de blanc déjà bien entamée. Le type à la table d’à côté paraît pourtant plus avancé sur le chemin de l’alcool. Ce qui n’échappe pas à notre gendarme:

    -          A ta place, je m’arrêterais là!

    L’autre lève un œil interrogatif.

    -          Je m’arrêterais là, je te dis!

    -          Qu’est-ce tu veux dire?

    Pour toute réponse, le gendarme remplit son verre qui présente effectivement une fâcheuse tendance à se vider rapidement. Puis les bribes de conversations et les silences lourds reprennent leur empire. Il faut attendre une bonne demi-heure pour avoir un début d’explication. Un autochtone entre bruyamment dans le bistrot:

    -          Contrôle de police en là sur la route de Lens. Y z’arrêtent toutes les  voitures, et c’est pas comme le FC Sion, on voit les ballons de près, vous pouvez me croire!

    Dans les quelques secondes de silence provoqué par cette irruption, on entend la voix malicieuse du gendarme:

    -          Tu comprends maintenant!

    L’autre secoue la tête, réfléchit un instant et se remet à boire.

    Même scène, autre autochtone, un peu plus tard:

    -          Contrôle de police en ça sur la route de Chermignon! Paraît même qu’ils ont mis des barrages sur toutes les routes…

    De nouveau, la voix malicieuse du gendarme:

    -          Tu comprends maintenant!

    L’autre comprend maintenant. Il comprend que les petites routes qu’il avait imaginé emprunter pour rentrer chez lui et échapper aux barrages sont également contrôlées. Il tapote des doigts sur la table puis, se tournant vers le gendarme qui écluse sec:

    -          Et toi alors? Pourquoi tu continues de boire?

    Les yeux humides, le sourire en coin, le verre au bord des lèvres, notre gendarme laisse tomber tout de go:

    -          Eh! T’as vu comme je suis habillé!

     

    Cette scène m’a rappelé un copain d’Uni, Valaisan bon teint, étudiant en médecine et, comme il se doit, aussi nostalgique de son Valais perdu que le cygne de Baudelaire de son beau lac natal. Mais tout ragaillardi quand les stages hospitaliers surviennent. Retour à Martigny avec la ferme intention de s’y installer définitivement. Quelques mois plus tard, voilà pourtant notre Valaisan pur sang à Genève, au dancing universitaire, une bière à la main.

    -          Toi! Mais que fais-tu là?

    Et lui, comme pour s’excuser:

    -          Tu comprends, en Valais, soit tu te maries, soit tu bois. Alors je suis revenu…

    Et voilà pourquoi Genève est la véritable capitale du Valais!