Jean-Jacques Rousseau, hétérosexuel actif
Par Pierre Béguin
Parmi tous les noms de rues renommées par l’association Escouade dans le cadre du projet 100elles, celui de la rue Rousseau ne cesse de m’interpeller.
«Rue Rousseau», c’est logique: Jean-Jacques y a vécu, et c’est probablement le citoyen genevois le plus célèbre au monde. Mais que vient faire cette Audre-Lorde, "écrivaine, poétesse et activiste lesbienne", sous ses plates-bandes? Et d’abord qui est-elle?
Je fais le pari que, sans le recours à Wikipedia, pas un citoyen genevois ne pourrait répondre spontanément à cette question. Il est vrai que Wikipedia est plutôt prolixe à son sujet (on soupçonne 100elles d'y avoir contribué). Je vous la fais courte:
Audre Geraldine Lorde est née à New York et morte dans les îles Vierges. Essayiste et poétesse afro-américaine, militante féministe lesbienne, figure littéraire du Black Arts Movement, elle a jeté les prolégomènes de la théorie de l’«oppression multiple» (intersectionnalité).
Stop! me direz-vous. Et Genève dans tout cela?
Eh bien, rien! Ah si! une allusion tout de même: elle aurait été invitée en 1990 par une certaine Rina Nissim, féministe lesbienne très engagée à Genève, (que même Wikipedia ne connaît pas, c’est vous dire). Sauf que Wikipedia ne nous précise pas pourquoi Audre-Lorde a été invitée par une anonyme (est-ce pour boire un verre ou pour autre chose? Supposons qu’il s’agissait d’une conférence, ce sera plus correct) ni si elle a répondu à l’invitation (on va supposer que oui). - Ce qui n'est pas une supposition, en revanche, c'est que, sur cette précision du moins, on sent bien l'intervention de 100elles dans Wikipedia, histoire de justifier a posteriori leur choix.
Mais ne soyons pas mauvaise langue! Il n'en reste pas moins que, en dépit des efforts de 100elles pour l'accréditer, nous devons bien admettre que son lien avec Genève est ténu. Personne ne pourra nous contredire sur ce point.
Or, en jetant un coup d’œil sur le site de l’association L’Escouade, et sur le projet 100elles, je relève ces lignes qui devaient encadrer ledit projet: «Les cent femmes représentées par ce projet symbolique ont été sélectionnées selon les mêmes critères que ceux utilisés actuellement à Genève. C’est-à-dire qu’elles doivent être des personnes qui sont “décédées, en principe, depuis plus de 10 ans et qui ont marqué de manière pérenne l'histoire de Genève” (je souligne). Le choix de ces cent femmes s'est fait le plus possible dans une logique intersectionnelle.»
En ce qui concerne l’intersectionnalité, le lien ne se discute pas (encore qu’on ne voit pas au nom de quoi ce critère a été élevé au-dessus de tous les autres). En revanche, pour des femmes «qui ont marqué de manière pérenne l’histoire de Genève», ce choix est difficile à comprendre, si ce n’est qu’il constitue la preuve que 100elles a vraiment dû ratisser très large pour remplir ses quotas. Ou qu’Audre-Lorde a marqué de manière pérenne Rina Nissim qui, elle-même, n’a pas marqué de manière pérenne l’histoire de Genève. Ou encore que la présence de cette Audre-Lorde sous Jean-Jacques Rousseau (c’est une image) tient davantage de la volonté ironique d’accoler une militante lesbienne à un «affreux misogyne» (je file l’image) qu’à toute autre considération.
Dans ce même ordre d’idée, et pour rétablir une certaine justice, je ferai – comme Jonathan Swift le fit en son temps – «une modeste proposition»: qu’on rajoute sous «Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778, Philosophe et écrivain» la précision «hétérosexuel actif»; ou, pour la faire à la manière de Woody Allen (Aïe! j’aurais pas dû citer ce nom!): «obsédé sexuel non pratiquant». Encore que, je veux bien vous le concéder, pour Woody Allen comme pour Jean-Jacques Rousseau, «obsédé sexuel occasionnellement pratiquant» serait plus adéquat.
Quoi qu’il en soit, je demande officiellement aux autorités de la ville de Genève d’ajouter cette précision, sous une forme ou l’autre. C’est une question d’égalité, donc de Justice! J’espère, je souhaite, j’exige que, tous partis confondus, les énergies politiques à Genève – et l’on constate chaque jour à quel point elles sont puissantes et elles ont le sens de la hiérarchisation des problèmes qui affectent la population) – se mobilisent derrière cette proposition de la plus haute importance. Et dans la plus grande urgence, s’il vous plaît! Par les temps qui s’annoncent, je ne vois poindre à l’horizon aucune exigence plus essentielle que celle-ci.
Je compte sur votre soutien sans réserve.
Merci d’avance!
P.S. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, c’est évident: le projet 100elles aura «marqué de manière pérenne l’histoire de Genève». En ce sens, dans une dizaine d’années, il mériterait son nom en désignation d'une grande artère. Je propose carrément le «Quai Gustave Ador», ça fera un hétéro de moins. Et en face de notre symbole phallique universellement connu, ce choix me semble particulièrement fort.
Commentaires
Comme je l’écrivais en 2020 (Cf. https://micheleroullet.blog.tdg.ch/archive/2020/04/18/qui-veut-modifier-les-plaques-de-rue-a-geneve%C2%A0-on-veut-des-n-305944.html)
Le collectif féministe l’Escouade, qui se veut anticapitaliste, antisexiste, écosocialiste et antiraciste, s’en fiche complètement des liens des femmes choisies avec Genève. Le programme de ce groupe d'extrême gauche s’énonce clairement : « Lutter pour l’égalité doit se faire en pensant à des alternatives au système capitaliste, patriarcal et raciste dans lequel nous vivons ». Il choisit donc de préférence des femmes syndicalistes, des vendeuses, des socialistes, des femmes mortes accidentellement (les 3 blanchisseuses), une horizontale fameuse (qui était aussi socialiste...). Et, quand il choisit une femme au beau parcours professionnel, Cécile-Bieler-Butticaz, ingénieur (mais quel nom à rallonge..., pourquoi y mettre en plus le prénom), c’est pour ôter la rue du Simplon, ouvrage qui fait la fierté de la Suisse, manière de montrer que Genève se désolidarise avec la Suisse ou pour l’Escouade de narguer le mari de Cécile, qui a participé à la réalisation du tunnel du Simplon.
Il serait difficile de remplacer J.J. Rousseau par qui que ce soit.
Cet homme a contribué à changer la face du monde et sans être une grande historienne des idées, je pense que sa démarche est à la base de beaucoup de mouvements revendicateurs actuels. Filiation certes lointaine, mais n'est-il pas cité régulièrement lorsqu'il est question d'écologie, de philosophie politique ou de démocratie ?
Vouloir remplacer l'auteur du "Contrat social", né à Genève et ayant grandi ici, par une personne inconnue qui ne serait venue qu'une fois céans - ça ressemble à un gag.
A moins qu'il ne s'agisse d'effacer les références historiques fortes dans l'espace public.
Le projet de "100elles" se veut symbolique.
Quel symbole est-ce de remplacer un Genevois universellement connu par une femme inconnue? Il doit y avoir l'idée de la rendre connue. Ainsi, on peut devenir célèbre ou connue sans avoir eu une oeuvre influente.
A l'époque des réseaux sociaux, ça semble logique, en effet.
Je ne sais pas si cette manière de penser rend justice aux femmes qui ont marqué l'histoire de Genève de manière pérenne.
Au fond, on est dans la configuration du quota. Il faut trouver cent noms. Et on se retrouve dans ce que le quota a de plus contestable: il peut aboutir à un alibi ou à d'une sélection de principe et dans le pire des cas, discréditer les autres femmes.
S'il fallait absolument nommer une rue d'après cette personne qui n'a vraiment pas marqué de manière pérenne l'histoire de Genève, n'aurait-il pas été possible d'en trouver une autre rue, un autre quartier?
Mais il aurait été moins "symbolique" de remplacer un inconnu par une inconnue !
Je souscrit à votre proposition et la soutient.
Par ailleurs je pense qu’il faudrait Karcheriser le wokisme. C’est une pollution intellectuelle trop grave pour la laisser proliférer ainsi…
Alors que penser de Madame Louise de Frotté, feu Bd de la Cluse ? La première réponse de Google renvoie au site 100elles.ch, c'est tout dire. Toutes les autres références renvoient à Louis de Frotté, un sale représentant de patriarcat, CQFD aurait-on presque envie de dire....
Et que nous apprend le site 100elles sur cette éminente personne, qui mérite de remplacer le Bd de la Cluse ? "Elle est une figure marquante, mais aujourd’hui méconnue, de la vie culturelle genevoise du XVIIe siècle.... sa mère, Suzanne de Mayerne, est la sœur de Théodore Turquet de Mayerne (wow !) ... Veuve d’un Richard Windsor, qu’elle avait épousé en Angleterre, Louise de Frotté revient à Genève, où elle s’établit au cours des années 1660. Son salon domestique devient un lieu d’échanges intellectuels et de sociabilité savante (voilà qui mérite amplement un nom de rue !) ... elle est en correspondance avec des diplomates et hommes de lettres protestants (Jean Jacobé de Fremont d’Ablancourt ou encore Marc-Antoine de La Bastide) (rien que des hommes, hm....) ...Elle échange également des missives avec la mathématicienne et philosophe vénitienne Elena Cornaro Piscopia, ..... Rrrrroooonnnfffffzzzzzz .....
Quel ennui et surtout : quelle profonde stupidité ! Ca n'arrange pas vraiment le statut de la femme, tout ça ...
Vous oubliez celle qui fut l'un des bons génies de cette bouffonnerie: l'inénarrable Sandrine Salerno! Impossible d'attendre 10 ans après son décès - que nous lui souhaitons sincèrement le plus tardif possible - pour lui attribuer un nom de rue genevoise. Personnellement, au-dessous de l'appellation "Place de la Taconnerie", j'imagine très bien "Sandrine Salerno, ancienne féministe devenue féminine".
Quel régal, ce texte ! (Et les quelques commentaires piquants !) Mille mercis ! Cela réconforte devant la débilité de notre société actuelle.