Jean-Jacques Rousseau, hétérosexuel actif (16/10/2022)

Par Pierre Béguin

rousseau1.jpgParmi tous les noms de rues renommées par l’association Escouade dans le cadre du projet 100elles, celui de la rue Rousseau ne cesse de m’interpeller.

«Rue Rousseau», c’est logique: Jean-Jacques y a vécu, et c’est probablement le citoyen genevois le plus célèbre au monde. Mais que vient faire cette Audre-Lorde, "écrivaine, poétesse et activiste lesbienne", sous ses plates-bandes? Et d’abord qui est-elle?

Je fais le pari que, sans le recours à Wikipedia, pas un citoyen genevois ne pourrait répondre spontanément à cette question. Il est vrai que Wikipedia est plutôt prolixe à son sujet (on soupçonne 100elles d'y avoir contribué). Je vous la fais courte:

Audre Geraldine Lorde est née à New York et morte dans les îles Vierges. Essayiste et poétesse afro-américaine, militante féministe lesbienne, figure littéraire du Black Arts Movement, elle a jeté les prolégomènes de la théorie de l’«oppression multiple» (intersectionnalité).

Stop! me direz-vous. Et Genève dans tout cela?

Eh bien, rien! Ah si! une allusion tout de même: elle aurait été invitée en 1990 par une certaine Rina Nissim, féministe lesbienne très engagée à Genève, (que même Wikipedia ne connaît pas, c’est vous dire). Sauf que Wikipedia ne nous précise pas pourquoi Audre-Lorde a été invitée par une anonyme (est-ce pour boire un verre ou pour autre chose? Supposons qu’il s’agissait d’une conférence, ce sera plus correct) ni si elle a répondu à l’invitation (on va supposer que oui). - Ce qui n'est pas une supposition, en revanche, c'est que, sur cette précision du moins, on sent bien l'intervention de 100elles dans Wikipedia, histoire de justifier a posteriori leur choix.

Mais ne soyons pas mauvaise langue! Il n'en reste pas moins que, en dépit des efforts de 100elles pour l'accréditer, nous devons bien admettre que son lien avec Genève est ténu. Personne ne pourra nous contredire sur ce point.

Or, en jetant un coup d’œil sur le site de l’association L’Escouade, et sur le projet 100elles, je relève ces lignes qui devaient encadrer ledit projet: «Les cent femmes représentées par ce projet symbolique ont été sélectionnées selon les mêmes critères que ceux utilisés actuellement à Genève. C’est-à-dire qu’elles doivent être des personnes qui sont “décédées, en principe, depuis plus de 10 ans et qui ont marqué de manière pérenne l'histoire de Genève(je souligne). Le choix de ces cent femmes s'est fait le plus possible dans une logique intersectionnelle.»

En ce qui concerne l’intersectionnalité, le lien ne se discute pas (encore qu’on ne voit pas au nom de quoi ce critère a été élevé au-dessus de tous les autres). En revanche, pour des femmes «qui ont marqué de manière pérenne l’histoire de Genève», ce choix est difficile à comprendre, si ce n’est qu’il constitue la preuve que 100elles a vraiment dû ratisser très large pour remplir ses quotas. Ou qu’Audre-Lorde a marqué de manière pérenne Rina Nissim qui, elle-même, n’a pas marqué de manière pérenne l’histoire de Genève. Ou encore que la présence de cette Audre-Lorde sous Jean-Jacques Rousseau (c’est une image) tient davantage de la volonté ironique d’accoler une militante lesbienne à un «affreux misogyne» (je file l’image) qu’à toute autre considération.

Dans ce même ordre d’idée, et pour rétablir une certaine justice, je ferai – comme Jonathan Swift le fit en son temps – «une modeste proposition»: qu’on rajoute sous «Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778, Philosophe et écrivain» la précision «hétérosexuel actif»; ou, pour la faire à la manière de Woody Allen (Aïe! j’aurais pas dû citer ce nom!): «obsédé sexuel non pratiquant». Encore que, je veux bien vous le concéder, pour Woody Allen comme pour Jean-Jacques Rousseau, «obsédé sexuel occasionnellement pratiquant» serait plus adéquat.

Quoi qu’il en soit, je demande officiellement aux autorités de la ville de Genève d’ajouter cette précision, sous une forme ou l’autre. C’est une question d’égalité, donc de Justice! J’espère, je souhaite, j’exige que, tous partis confondus, les énergies politiques à Genève – et l’on constate chaque jour à quel point elles sont puissantes et elles ont le sens de la hiérarchisation des problèmes qui affectent la population) – se mobilisent derrière cette proposition de la plus haute importance. Et dans la plus grande urgence, s’il vous plaît! Par les temps qui s’annoncent, je ne vois poindre à l’horizon aucune exigence plus essentielle que celle-ci.

Je compte sur votre soutien sans réserve.

Merci d’avance!

P.S. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, c’est évident: le projet 100elles aura «marqué de manière pérenne l’histoire de Genève». En ce sens, dans une dizaine d’années, il mériterait son nom en désignation d'une grande artère. Je propose carrément le «Quai Gustave Ador», ça fera un hétéro de moins. Et en face de notre symbole phallique universellement connu, ce choix me semble particulièrement fort.

 

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